L’Antiquité en six batailles

Jusqu’à la chute de Rome en 476, les combats entre États se composent du choc et du mouvement, en combinant les capacités physiques de l’homme et du cheval. L’issue d’une bataille résulte surtout de l’organisation supérieure d’une armée et du génie militaire de son chef.

Introduit en Égypte au XVIIIème siècle avant J.-C., le char, qui emporte jusqu’à quatre combattants, constitue un redoutable engin de guerre pour le choc. A partir du VIIème siècle avant J.-C., les cités grecques remplacent la lourde cuirasse de bronze du soldat, héritée des héros de la guerre de Troie, par le linothorax, tunique faite de couches de lin superposées et renforcée d’écailles de bronze. Le gain en ergonomie et en manœuvrabilité leur permet de vaincre les armées perses, pourtant plus nombreuses, au cours des guerres médiques (- 490 puis – 480/479). En outre, leur efficacité repose sur la phalange, organisation tactique des fantassins armés de lances de 5,5 m de long et de petits boucliers ronds, une discipline rigoureuse et une forte cohésion sociale entre citoyens d’une même cité. Puis la légion romaine l’emporte sur la phalange, grâce une organisation plus souple, un armement permettant de se battre dans toutes les configurations et un bouclier offrant une protection individuelle complète. Par la suite, les légions, composées surtout de fantassins, ne parviennent plus à protéger les 10.000 km de frontière de l’Empire des incursions des cavaleries des peuples barbares. Par ailleurs, jusqu’au Vème siècle avant J.-C., la défense d’une ville dépend de la qualité de ses fortifications, de la durée du siège, du nombre et de la patience des assiégeants. Au siècle suivant, les moyens techniques, hérités des Assyriens (IIème millénaire – 609 avant J.-C.), réapparaissent chez les Grecs, qui en inventent de nouveaux : tour, catapulte, arbalète géante à grande cadence de tir, bélier protégé d’une structure et foreuse contre les murailles. Enfin, les Romains montent la catapulte sur des roues pour la rendre plus mobile. A Leuctres (- 371), l’armée thébaine, quoique inférieure en nombre à celle de Sparte considérée comme invincible, transforme une défaite annoncée en une brillante victoire. Son chef, Épaminondas, a créé la surprise par une attaque frontale au centre du long dispositif spartiate, dont elle ébranle la cohérence. A Gaugamèles (- 331), l’armée macédonienne (40.000 fantassins et 7.000 cavaliers) l’emporte sur les troupes perses (250.000 fantassins 20.000 cavaliers et 200 chars), grâce à l’audace tactique d’Alexandre qui compte sur l’effet de choc de ses phalanges et le manque de réactivité des troupes perses. Cette victoire permet la conquête de l’Empire perse. A Cannes (- 216), l’armée carthaginoise (50.000 hommes) fait face aux légions romaines (82.000 hommes). Par une manœuvre enveloppante de sa cavalerie, Hannibal parvient à disloquer les formations d’infanterie romaines. A Carrhes (- 53), l’armée romaine (34.000 fantassins et 4.000 cavaliers), épuisée par des marches forcées dans le désert sous une chaleur accablante, est massacrée par la cavalerie parthe (10.000 cavaliers), qui a choisi le lieu de la bataille. Le triumvir Crassus comptait égaler César et Pompée sur le plan militaire par une expédition facile. Mais il a sous-estimé son adversaire, très mobile, bien renseigné et supérieur par la portée de ses armes. A Teutoburg (9 après J.-C.), des tribus germaniques anéantissent trois légions romaines dans une embuscade en forêt. Leur chef, Hermann, avait auparavant servi dans l’armée romaine et en connaissait les faiblesses. Le Rhin marque ensuite la limite de l’Empire. A Massada (79), l’armée romaine construit des machines de siège et une rampe artificielle pour accéder à une forteresse juive, surplombant la mer Morte de 450 m. Après sept mois d’un siège éprouvant, elle donne l’assaut…pour ne trouver que des cadavres.

Loïc Salmon

« L’Antiquité en six batailles », Gilles Haberey & Hughes Pérot. Éditions Pierre de Taillac, 84 pages, nombreuses illustrations, 29,90 €. 

Le Moyen-Age en sept batailles

Conduite de la bataille, planification et initiative

Défaites militaires, ce qu’il faut éviter

 




Histoire mondiale des porte-avions

Symbole de compétences techniques, le porte-avions est devenu un outil de projection de puissance, conventionnelle ou nucléaire, depuis la mer vers la terre, grâce à sa capacité de frappe sur les franges littorales où se concentre l’essentiel de l’activité humaine.

La dimension aérienne commence à jouer un rôle dans un affrontement naval pendant la guerre de Sécession américaine (1860-1865), quand les deux belligérants mettent en œuvre des ballons captifs depuis un navire à vapeur ou une barge pour observer les positions adverses. Pendant la guerre russo-japonaise (1904-1905), l’armée de Terre japonaise déploie des ballons pour diriger les tirs des batteries, débarquées par la Marine, contre des navires russes bloqués dans la rade de Port-Arthur. Durant la première guerre mondiale, l’hydravion puis l’avion remplacent l’aérostation pour éclairer une flotte et améliorer la précision des tirs des croiseurs et cuirassés. Plus puissant, plus rapide, l’avion repousse l’horizon, chasse les moyens aériens ennemis et bombarde les infrastructures côtières. Pour l’employer en mer, un bâtiment dédié est mis au point avec une plateforme pour l’appontage et le décollage. Destiné au début à accompagner une flotte, ce « porte-avions » devient, en 1919, un bâtiment d’escadre qui peut l’emporter sur un cuirassé dans une bataille décisive. Son groupe aérien découvre l’ennemi, règle le tir de l’artillerie navale, endommage la flotte adverse et repère les sous-marins. La Grande-Bretagne partage alors l’expérience acquise avec ses alliés de l’époque, les États-Unis, la France et le Japon. Ce dernier construit la première flotte de petits porte-avions rapides de moins de 10.000 t. Les États-Unis optent pour des unités de 15.000-20.000 t. Pour la France, l’Italie, l’Espagne et l’Australie, les porte-avions ou transports d’hydravions constituent des auxiliaires d’escadre, dont les performances des appareils restent insuffisantes face aux chasseurs ennemis. En novembre 1940 à Tarente, des bombardiers britanniques embarqués coulent deux cuirassés italiens à la torpille et en endommagent un troisième. La Marine japonaise s’en inspire ainsi que des grands exercices navals américains à Hawaï pour lancer, en décembre 1941, des vagues aériennes d’assaut qui réalisent le même score à Pearl Harbor et anéantit l’aviation américaine à terre. Grâce à ses porte-avions, au radar, au renseignement et à la chance, les États-Unis passent à l’offensive en 1942. Dans le Pacifique, les groupes de porte-avions soutiennent les opérations amphibies, frappent des objectifs navals ou terrestres et soumettent le Japon à des raids dévastateurs. En Atlantique, ils défendent les convois contre les sous-marins et les bombardiers terrestres allemands. Après 1945, les inventions de la piste oblique, de la catapulte à vapeur et du miroir d’appontage permettent le déploiement d’appareils à réaction, pour augmenter l’allonge, et d’avions de guet aérien pour accroître la visibilité au large. Entre 2005 et 2022, douze Marines lancent ou mettent en service 29 plateformes : 2 porte-avions à catapultes et brins d’arrêt (États-Unis et Chine) ; 3 porte-aéronefs à tremplin et brins d’arrêt (Inde et Chine) ; 9 porte-aéronefs pour décollage et atterrissage court et vertical (États-Unis, Grande-Bretagne, Italie et Espagne) ; 15 porte-hélicoptères (France, Japon, Corée du Sud, Égypte, Australie, Chine et Brésil). Depuis, la Chine a annoncé la construction de deux porte-avions à catapultes électromagnétiques, la Russie celle de deux porte-hélicoptères amphibies et d’un porte-avions à catapultes électromagnétiques et la France l’étude d’un porte-avions de 75.000 t à catapultes électromagnétiques et doté du système combat aérien futur avec drones. La Turquie va aligner deux plateformes d’emport d’hélicoptères et de drones.

Loïc Salmon

« Histoire mondiale des porte-avions » par Alexandre Sheldon-Duplaix. Éditions E-T-A-I, 240 p., nombreuses photos, 49 €.

Marines : le porte-avions, outil militaire et diplomatique pour agir loin

Défense : démonstrateur SCAF, missile ANL et futur site du Commandement de l’espace

Marine nationale : le porte-avions et la mer dans les relations internationales

 




Plan d’accompagnement des blessés 2023-2027

Dans le cadre d’un conflit de haute intensité, le Plan d’accompagnement des blessés pour la période 2023-2027 vise à s’inscrire dans la culture des forces morales, indispensable aux armées.

Il a été présenté le 10 mai 2023 à Paris par Patricia Miralles, secrétaire d’État auprès du ministre des Armées chargée des anciens combattants et de la mémoire.

« La capacité de notre ministère à ne laisser personne sur le borde de la route, dit-elle, à accompagner ses combattants d’hier et d’aujourd’hui, quelle que soit leur situation, est un gage pour leur engagement à long terme dans nos forces. Une armée qui ne prendrait pas soin de ses blessés ne saurait être une armée prête à répondre aux défis d’aujourd’hui et de demain. » Ce Plan d’accompagnement des blessés 2023-2027 est mis en œuvre conjointement par l’État-major des armées, le Secrétariat général pour l’administration, les états-majors d’armée, les directions et services interarmées et les établissements publics concernés du ministère des Armées.

Droits et simplification administrative. La loi Brugnot, dite « jurisprudence Brugnot », permet aux militaires d’obtenir réparation pour les préjudices subis pendant l’exercice de leurs fonctions. Elle prend en charge les blessures et maladies que leur pension militaire d’invalidité (PMI) ne va pas couvrir. Grâce à elle, même les militaires qui ne bénéficient pas d’une PMI peuvent demander une indemnisation pour les préjudices subis. Le Plan d’accompagnement des blessés 2023-2027 prévoit six mesures spécifiques pour faciliter l’accès aux droits. La première concerne la demande unique pour une PMI-Brugnot avec possibilité de faire la démarche sur papier ou en ligne pour simplifier l’expertise, afin de la rapprocher d’une expertise unique à terme. La deuxième met en œuvre un « coffre-fort numérique » pour pouvoir déposer, stocker et retrouver les pièces justificatives. La troisième mesure consiste à instruire systématiquement le renouvellement d’une PMI arrivée à échéance, sans solliciter une démarche formelle. La quatrième met en œuvre un dispositif de réparation intégrale pour les militaires blessés du fait d’un évènement de guerre ou lors d’une mission opérationnelle. La cinquième mesure porte sur la mise en place du site internet « Maison numérique des blessés et de leur famille » pour centraliser l’information sur tout le parcours administratif et de reconstruction et de donner la possibilité, à terme, de réaliser l’ensemble des démarches en ligne. La sixième qualifie de « maladie professionnelle » certaines pathologies déclenchées à partir d’un volume ou d’une durée d’activités particulières comme les sauts en parachute ou les plongées sous-marines.

Reconstruction et accompagnement. Le Plan d’accompagnement des blessés 2023-2027 prévoit six autres mesures pour les militaires concernés et leur famille. La première met en œuvre le « village des blessés », pôle de réhabilitation de l’Institution nationale des Invalides, et ouvre dix « maisons Athos » pour les blessés psychiques, dont au moins une en Outre-mer, pour offrir un maillage territorial complet. La deuxième mesure vise à faciliter l’attribution de la « majoration tierce personne », dès que les infirmités pensionnées sont la cause déterminante du besoin d’assistance. La troisième renforce la sensibilisation de tous, surtout les commandants d’unités et les familles, sur le syndrome de stress post-traumatique. La quatrième mesure a pour ambition d’augmenter la part des blessés dans les emplois réservés des forces armées et de renforcer l’action de l’agence de reconversion professionnelle « Défense mobilité ». La cinquième enclenche le financement des prothèses de sport à but exclusivement sportif et autres équipements sportifs en faveur des titulaires de PMI. La sixième mesure vise à développer les dispositifs d’accueil des familles éprouvées, comme les « maisons des familles » au sein des hôpitaux d’instruction des armées.

Loïc Salmon

Service de santé : garantir au mieux la survie des blessés

Blessés psychiques : « ATHOS », la proximité contre la solitude

Service de santé : « Maison des blessés et des familles » à Percy




Russie : confit en Ukraine, mobilisation partielle et fragilités

Durant l’hiver 2022-2023, les forces armées russes ont repris l’initiative. Elles limitent leurs frappes aériennes à distance de sécurité, portent leurs efforts sur le combat terrestre et accroissent leurs effectifs par une mobilisation partielle. Toutefois, la base industrielle et technologique de défense peine à suivre.

Dans une note publiée en région parisienne en avril 2023 par la Fondation pour la recherche stratégique, Philippe Gros, maître de recherche, et Vincent Tourret, chercheur associé, fondent leur analyse sur les sources ouvertes et la littérature technico-militaire russe, mais restent prudents en raison de la propagande des deux camps, des informations erronées et des lacunes dans les données disponibles.

Absence de supériorité aérienne. Lors du déclenchement de la guerre (24 février 2022), les forces aérospatiales russes (VKS) pouvaient déployer 300 avions de combat et environ 300 hélicoptères, souvent assez modernes, face à la centaine d’appareils et aux systèmes de défense anti-aérienne, vieillissants et parfaitement connus, de l’armée de l’Air ukrainienne. Pourtant, celle-ci a contraint les VKS à une posture largement défensive, voire passive, par des vols rasants et nocturnes, en deçà de la couverture radar, et par des frappes, sommaires mais efficaces, sur les bases aériennes russes. L’attrition qui s’ensuivit a dissuadé les VKS de s‘engager trop profondément dans l’espace aérien ukrainien. Selon la conception soviétique puis russe, l’aviation se réduit à une artillerie aéroportée, complémentaire de l’arsenal balistique pour la frappe en profondeur contre les centres de commandement et de conduite, aérodromes et systèmes anti-aériens stratégiques. En outre, elle doit protéger les systèmes de défense anti-aériens russes et saturer l’adversaire par ses feux, sans tenter de maîtriser l’espace de la manœuvre aérienne. La doctrine russe préconise le canon, la roquette, le missile et la guerre électronique pour percer des « corridors aériens » permettant le passage de l’aviation. Elle a privilégié le développement des missiles à longue portée Tochka-U et Iskander, pour des tirs à distance de sécurité depuis les bombardiers lourds Tu-160, Yu-95 et Tu-22, et le maintien d’un stock de bombes et de roquettes, non guidées et moins coûteuses, pour les bombardiers légers Su-30, Su-34 et Su-35. Par ailleurs, les équipages d’avions de combat ne volent qu’une centaine d’heures par an, contre 180 heures selon le standard OTAN, et les exercices avec des munitions guidées restent trop limités. En conséquence, les 66 hélicoptères et 67 avions russes déjà abattus ont entraîné la mort de 127 personnels navigants, dont 105 officiers. En outre, les appareils russes nécessitent une maintenance complexe, aggravée par le manque de pièces de rechange, une externalisation incohérente, un personnel insuffisamment qualifié et une documentation obsolète. Les frappes aériennes contre les villes et les infrastructures ukrainiennes critiques ou les dépôts de carburants et les lignes de communications dénotent un manque de stratégie d’interdiction basée sur les effets, vu la superficie de l’Ukraine, le nombre de ses infrastructures à cibler et sa capacité à réparer les matériels détruits. Le maintien des salves de missiles dans la durée dépend des stocks et de la production. De plus, les VKS ne disposent pas de capacités ISR (renseignement, surveillance et reconnaissance) pour le ciblage d’opportunité sur des objectifs délocalisables, comme les PC tactiques, ou liés aux activités d’une infrastructure. Dans le domaine spatial, la capacité de renseignement d’origine image varie entre l’obsolescence, voire la fin d’activités, des trois satellites Persona, l’échec de la mise en orbite des minisatellites Razbeg et le retard des deux grands programmes de remplacement : la famille de satellites de reconnaissance optique Razdan, équivalente au KH-11 américain ; la constellation de minisatellites de surveillance de la terre tout temps Berkut.

Effectifs terrestres affaiblis. Le volume des pertes russes depuis le début de la guerre s’avère difficile à évaluer. L’État-major de l’Union européenne les estiment à 60.000 morts et 250.000 blessés. Selon la terminologie russe les « pertes irrémédiables » incluent les morts, les prisonniers et les portés disparus, les blessés étant comptabilisés par le Service de santé. Le nombre des prisonniers aux mains des Ukrainiens se monterait à plusieurs milliers. En outre, il convient de tenir compte des milliers de soldats russes qui refusent de servir, préférant la sanction disciplinaire à la mort ou ne voulant pas tuer des Ukrainiens dans une guerre qu’ils estiment injustifiée. Pendant les premières semaines de guerre, de lourdes pertes ont été constatées parmi les unités les plus expérimentées, à savoir les « Spetsnaz » (forces spéciales), les parachutistes et l’infanterie de Marine. Le corps des officiers a été particulièrement touché, de l’ordre de 6.000 à 16.000 mis hors de combat (tués ou blessés graves). Or selon la doctrine russe du « commandement par un seul homme », les officiers assurent aussi une grande partie de l’expertise technique et de l’encadrement, fonctions confiées…aux sous-officiers dans les armées occidentales. Pour rétablir la parité numérique avec les forces armées ukrainiennes, le Kremlin a décidé une mobilisation partielle de 300.000 hommes, auxquels il faut ajouter les 50.000 repris de justice recrutés par la société paramilitaire privée Wagner. Mais ce flux de volontaires s’est tari après la mise hors de combat de 30.000 d’entre eux, dont 9.000 tués. Plus de 70 % des soldats mobilisés seraient inaptes au combat pour diverses raisons. D’abord, la formation initiale de deux semaines est considérée comme inadaptée et insuffisante. Démotivée, la plupart des recrues ne croit guère à la propagande sur la « dénazification » de l’Ukraine ni à l’objectif affiché de sa « démilitarisation ». Les troupes, souvent composées de conscrits, ne sont pas encadrées par des soldats plus expérimentés. S’y ajoutent les actes de sabotage, intentionnels ou non, les défaillances du Service de santé, le manque d’appui d’artillerie et l’insuffisance des moyens de communications.

Érosion de l’armement lourd. Au début des hostilités, les forces armées russes disposaient de 7.000 chars, dont 1.200 à 1.600 auraient été engagés, de la fourniture de 250 chars neufs par an et de 700 réparés et stockés. Depuis, elles en auraient déjà perdu 3.000 au combat, en panne définitive ou « cannibalisés ». Le maintien en condition opérationnelle (MCO) a surtout porté sur les chars anciens, moins compliqués à moderniser. En 2021, l’artillerie disposait de 4.000 canons automoteurs, 12.000 canons tractés et plus de 3.000 lance-roquettes en stocks. Elle pouvait déployer en opération 2.000 canons automoteurs (1.750 de 152 mm), 150 canons tractés, 1.000 lance-roquettes multiples (LRM) et 1.500 mortiers lourds. Selon la doctrine en vigueur sur la tactique, la manœuvre terrestre emploie l’artillerie comme effecteur principal et non pas comme appui des unités de mêlée. Déjà, les pertes sont estimées à 360 canons automoteurs, 180 LRM et 185 mortiers lourds et canons tractés. S’y ajoutent celles en artilleurs (25 % d’officiers), en drones (guidage et correction des feux) et dans le ravitaillement en munitions. L’inefficacité, voire l’absence, de l’artillerie d’appui a été compensée par les tirs des chars. Le rationnement des munitions de l’artillerie résulte de la baisse de production et des mauvaises conditions de leur stockage à l’air libre, où les grands écarts de température dégradent les charges propulsives. Par ailleurs, le rythme des salves accélère l’usure des pièces. Au-delà de 2.000 coups par canon, le tube risque de se déformer et donc de réduire la précision puis, à terme, d’éclater. Les pertes au combat et les déficiences du MCO auraient provoqué des diminutions des parcs : 45% pour les chars ; 40 % pour les véhicules blindés ; 30 % pour l’artillerie ; 25 % pour les LRM. Cette réduction de la puissance de feu ne permet plus aux forces russes les mêmes tactiques de manœuvre.

Loïc Salmon

Ukraine : ascendant opérationnel incertain dans le conflit en cours

Russie : perception et premier bilan de la guerre en Ukraine

Ukraine : sous-estimations stratégiques de la Russie




Exposition « La haine des clans, guerres de religion 1559-1610 » aux Invalides

Huit guerres entre catholiques et protestants ensanglantent la France, conflits où interviennent les rivalités aristocratiques exacerbées par les images et les rhétoriques. La tolérance religieuse finale débouchera sur la laïcité…en 1905 !

Le contexte. Au milieu du XVIème siècle, la France, pays le plus peuplé d’Europe qui dispose de riches terres agricoles et d’une importante production manufacturière, prend conscience du sentiment national. L’autorité royale se renforce et l’administration se centralise. Par le Traité de Cateau-Cambrésis de 1559 conclu à l’issue des guerres d’Italie, la France récupère Calais sur l’Angleterre et les évêchés de Metz, Toul et Verdun sur le Saint-Empire romain germanique, mais l’Espagne devient la première puissance européenne. Toutefois, comme la France a renoncé à la majorité de ses possessions italiennes, sa noblesse, qui se voit privée de son champ d’honneur et de richesses, ressent un déclassement social. Cette année-là, Henri II, roi depuis 1547, meurt accidentellement dans un tournoi sans héritier en âge de régner. En outre, l’État se trouve en banqueroute et la société confrontée à la hausse des prix, aux disettes et au retour des épidémies de peste. Elle se tourne alors vers Dieu mais perd confiance dans l’Église romaine et le clergé, de quoi susciter une grande angoisse et des conversions à la « Réforme ». Celle-ci remonte aux 95 thèses du moine allemand Martin Luther (1521) et à l’ouvrage « Institution de la religion chrétienne » par le théologien français Jean Calvin (1536). L’imprimerie les diffusent dans toute l’Europe. Les premières communautés protestantes, mises en place en France en 1555, regroupent près de 2 millions de fidèles en1562, soit 10 % de la population, dans diverses couches de la société. Les querelles théologiques prennent une dimension politique par la conversion de princes protestants, auxquels s’allie le roi catholique François 1er (1515-1547), lors de ses guerres contre l’empereur d’Allemagne et roi d’Espagne Charles-Quint (1519-1558), pourtant catholique lui aussi.

Les guerres civiles. En 1560, le jeune roi François II fait entrer ses oncles François de Lorraine, duc de Guise, et Charles, cardinal de Lorraine, au Conseil royal. Des nobles protestants tentent alors de l’enlever à Amboise pour le soustraire à leur influence. Cette conjuration donne lieu à une sanglante répression contre les protestants. A François II, mort la même année, succède son frère Charles IX, encore mineur. La reine-mère Catherine de Médicis exerce alors la régence et tente, sans succès, des réconciliations en 1560, 1561 et 1562. Le massacre de protestants à Wassy en 1562, par les troupes du duc de Guise, déclenche la première guerre de religion, qui se termine l’année suivante par l’édit d’Amboise accordant la liberté de conscience aux protestants avec une liberté de culte limitée. La tentative d’enlèvement à Meaux de la famille royale par les protestants, en septembre 1567, provoque la deuxième guerre de religion qui dure jusqu’en mars 1568. Au cours de la troisième guerre de religion, commencée en août de la même année, Louis 1er de Bourbon, prince de Condé, principal chef protestant et impliqué dans la conjuration d’Amboise, est assassiné sur le champ de bataille de Jarnac (1569) et remplacé par l’amiral Gaspard de Coligny. Cette guerre se termine en 1570 par la paix de Saint-Germain. Pour réconcilier les deux partis, Catherine de Médicis organise, deux ans plus tard, de grandes fêtes à l’occasion du mariage de sa fille Marguerite de Valois, qui entrera dans l’Histoire sous le nom de « Reine Margot », avec le roi de Navarre Henri de Bourbon, neveu de Louis 1er et qui a abjuré le protestantisme. Le 24 août, jour de la Saint-Barthélemy et lendemain de la cérémonie, l’amiral de Coligny et les chefs protestants présents à Paris sont assassinés, prélude à trois jours de massacre de protestants dans la capitale et plusieurs villes du royaume. La quatrième guerre de religion, qui s’ensuit, s’achève en 1573. L’année suivante, Henri III succède à son frère Charles IX, décédé, et les hostilités reprennent. La cinquième guerre de religion se termine en 1576 avec la « Paix de Monsieur », frère du roi et duc d’Alençon. Les victimes de la Saint-Barthélemy sont réhabilitées et les protestants se voient accorder la liberté générale de culte, sauf à Paris et dans les villes royales. La sixième guerre de religion, la plus courte, dure du 15 mars au 14 septembre 1577. La paix de Bergerac y met fin, puis l’édit de pacification de Poitiers accorde le droit au culte réformé dans les faubourgs. La septième guerre de religion (1579-1580) se clôt par la paix du Fleix, qui confirme les édits de Poitiers puis de Nérac (1579) accordant 14 places de sûreté supplémentaires aux protestants pendant six mois. En septembre 1584, le clan des Guise crée la Ligue (catholique) parisienne. La huitième et dernière guerre de religion dure du 31 mars au 30 avril 1598 avec plusieurs faits marquants. A Paris, la « Journée des Barricades » des 12-13 mai 1588 consiste en un soulèvement organisé par le duc de Guise, au motif qu’Henri III envisage de désigner Henri de Bourbon (redevenu protestant en 1576) comme son successeur. Les 23 et 24 décembre 1588 à Blois, la seconde génération des chefs du clan des Guise est assassinée : Henri dit le Balafré, duc de Guise et fils de François de Lorraine ; le cardinal Louis de Lorraine, son frère et neveu du cardinal Charles. Le 1er août 1589 à Saint-Cloud, Henri III est assassiné par le moine Jacques Clément. Le 25 juillet 1593 à Saint-Denis, Henri de Bourbon, qui lui a succédé, abjure le protestantisme. Le 27 février 1594 à Chartres, Henri IV est sacré roi de France. Le 30 avril 1598, l’édit de Nantes garantit les libertés religieuses et met fin à quarante ans de guerres civiles. Le 2 mai 1598, la paix de Vervins termine celle avec l’Espagne, déclenchée en 1595.

L’activité diplomatique. Entre 1559 et 1589 et au-delà des différences religieuses, la royauté française constitue le réseau d‘ambassadeurs permanents auprès des cours étrangères le plus étendu d’Europe. Catherine de Médicis propose une politique matrimoniale impliquant ses enfants. Son fils Henri, duc d’Anjou, est élu roi de la Confédération de Pologne en 1573 et gouverne 7 millions de sujets catholiques, protestants et orthodoxes. Devenu roi de France l’année suivante, il met sur pied le premier « ministère » des Affaires étrangères. Dès 1555, l’amiral de Coligny lance des expéditions au Brésil et en Floride, où d’éphémères colonies donnent vie au rêve d’un Empire français aux Amériques où cohabiteraient catholiques et protestants. Mais, l’Espagne et le Portugal y voient une menace pour leur propre Empire colonial et…la foi catholique ! L’Angleterre, protestante, soutient financièrement ses coreligionnaires allemands, français et ceux des Provinces-Unies (qui deviendront l’État des Pays-Bas) en révolte contre l’Espagne, dont Londres veut contenir la puissance. Le traité de Blois de 1572 entre la France et l’Angleterre établit une alliance contre l’Espagne et assure la neutralité de l’Angleterre dans les guerres civiles en France. Par ailleurs, les Pays-Bas et le Palatinat allemand, États protestants, procurent argent et troupes aux « huguenots » français, moins par solidarité religieuse que par appât du gain ou des considérations politiques. L’alliance de la France avec les cantons suisses, conclue en 1516 et renouvelée en 1521, 1582 et 1602 sauf avec celui de Zurich (protestant), fournit des mercenaires à l’armée royale.

Loïc Salmon

L’exposition « La haine des clans, guerres de religion » (5 avril–30 juillet 2023), organisée par le musée de l’Armée, se tient aux Invalides à Paris. Cette époque fait l’objet de deux autres expositions : « Visages des guerres de religion au château de Chantilly (4 mars- 21 mai) ; Antoine Caron (1521-1599), le théâtre de l’Histoire » au Musée national de la Renaissance, château d’Écouen (5 avril-3 juillet). L’exposition aux Invalides présente des tableaux, armes, armures, objets, livres et archives. Visites guidées, conférences et concerts sont prévus. Renseignements : www.musee-armee.fr

Les guerres de religion, 1559-1610, la haine des clans

Défense : la laïcité, facteur de cohésion dans les armées

Quand le lys affrontait les aigles




Les guerres de religion, 1559-1610, la haine des clans

La « guerre des esprits » par la propagande imprimée et la diffusion de fausses nouvelles fait partie des guerres entre catholiques et protestants en France. Ce premier et intense conflit médiatique conduit à des massacres et à l’assassinat de deux rois. Pourtant, l’État fonctionne grâce à l’administration.

Pamphlets, placards (affiches) et divers opuscules servent la monarchie et les clans opposés. Certains traités politiques remettent en cause l’autorité royale. Placards exposés dans le domaine public, illustrations de livres et images volantes évoquent scènes de violence, caricatures et allégories codées pour célébrer ou condamner et souvent ridiculiser l’adversaire. Pour les auteurs occasionnels, il s’agit de servir un chef de clan ou une cause par la persuasion, issue de l’art de la rhétorique. A l’époque, celle-ci constitue la base de l’éducation humaniste des élites. L’orateur doit adapter son discours aux circonstances, à son public et au but recherché. Il compte sur sa mémoire pour disposer d’arguments, pour ou contre une thèse proposée, de lieux communs et de citations. Les images permettent de les stocker. Progressivement, les factions ne se définissent plus par la religion de leurs membres, mais par leur tolérance, plus ou moins grande, envers les « Réformés » (protestants) et leur loyauté à la Couronne. Ainsi en 1574, les « Malcontents » (catholiques) conduits par François d’Alençon, frère du roi Henri III (1574-1589), s’allient militairement à des protestants pour contrer l’influence du clan des Guise…catholiques ! En 1576, les catholiques créent la Ligue, soutenue par l’Espagne, qui se fait de plus en plus menaçante quand le protestant Henri de Navarre, cousin de Henri III, est désigné par lui comme seul héritier du trône en 1584. Accusé de complaisance envers les « hérétiques », Henri III perd toute légitimité auprès des catholiques après l’assassinat de leurs chefs, le duc de Guise et le cardinal de Lorraine en 1588. Chassé de Paris, il est assassiné à son tour l’année suivante. Henri IV doit alors reconquérir une à une les villes contrôlées par la Ligue. Paris ne se rend qu’après le retour du roi à la foi catholique en 1593. Malgré l’aide de l’Espagne, les derniers chefs catholiques finissent par se soumettre en 1598, date de l’édit de tolérance de Nantes. Henri IV est lui aussi assassiné en 1610. Ce double régicide, par des catholiques fanatiques, est considéré comme un parricide, car le roi a acquis un statut exceptionnel par son sacre. Pendant cette longue période de guerres civiles entrecoupée de trêves, le renforcement du pouvoir royal apparaît comme seul à même de juguler les troubles. Après le massacre des protestants déclenché le jour de la Saint Barthélémy (24 août 1572), la crise religieuse se transforme en une profonde crise politique. L’idée de l’État, gardien du bien commun ou « Res publica », fait son chemin. Le roi a alors pour mission d’apaiser les violences et de créer les conditions d’une obéissance pérenne. Cette théorisation du pouvoir absolu pose les fondements de la « raison d’État », qui sera défendue au XVIIème siècle. Parallèlement, dans le domaine religieux, elle prône le « gallicanisme », qui rejette les ingérences de la papauté dans les affaires intérieures du royaume de France. En 1685, Louis XIV révoquera l’édit de Nantes au nom du principe « Un roi, une foi, une loi », entraînant un exil massif des « huguenots » vers les pays européens protestants.

Loïc Salmon

« Les guerres de religion, 1559-1610, la haine des clans », ouvrage collectif. Éditions In Fine et Musée de l’Armée, 360 pages, 200 illustrations, 39 €

Exposition « La haine des clans, guerres de religion 1559-1610 » aux Invalides

Cyber : champ de lutte informatique et d’influence

Géopolitique : poids de l’élément religieux dans les relations internationales




Ukraine : ascendant opérationnel incertain dans le conflit en cours

Dans la perspective de la contre-offensive annoncée, les forces armées ukrainiennes disposent d’une assistance occidentale massive en termes de renseignement et de soutien, mais doivent combiner la culture militaire soviétique avec les pratiques de l’OTAN. (Carte : situation au 26-4-2023)

Dans une note publiée en région parisienne en avril 2023 par la Fondation pour la recherche stratégique, Philippe Gros, maître de recherche, et Vincent Tourret, chercheur associé, fondent leur analyse sur les sources ouvertes et la littérature technico-militaire russe, mais restent prudents en raison de la propagande des deux camps, des informations erronées et des lacunes dans les données disponibles.

Une organisation perfectible. Depuis l’invasion russe de la Crimée en 2014, les forces armées ukrainiennes se sont préparées à une guerre défensive globale sur les plans doctrinaire, capacitaire et opérationnel en s’inspirant de la culture miliaire de l’OTAN. Toutefois, des officiers supérieurs, formés au modèle soviétique, laissent difficilement une marge d’initiative à leurs subordonnés. En outre, les unités régulières cohabitent avec des volontaires et des unités de défense territoriales dans le maintien d’une forte centralisation administrative. Cette hétérogénéité se retrouve dans la compétence des chefs, la gestion des ressources humaines, l’entraînement et les équipements des unités. Outre des critiques virulentes, elle entraîne trop de pertes pour pouvoir soutenir une guerre longue contre les forces russes. Cependant, les généraux et les états-majors ont démontré leur capacité à concevoir une manœuvre au niveau d’un théâtre grâce à leur maîtrise de l’offensive, par le siège et le mouvement, et à leur savoir-faire pour l’adapter aux menaces et à l’environnement. Dans le renseignement, le système de drones Delta, mis au point en 2016 par les développeurs civils nationaux selon les standards de l’OTAN, est déployé dans les sept zones de front. Il réalise une fusion des données ISR (renseignement multi-sources, surveillance et reconnaissance), accessible aux unités tactiques sur les tablettes ou les téléphones portables, via le réseau satellitaire privé américain Starlink. Si la parité avec les Russes apparaît au niveau des capteurs (mini-drones) au front, les Ukrainiens les surpassent pour le renseignement dans la profondeur du dispositif adverse, grâce d’abord à l’énorme capacité spatiale occidentale. Cette dernière combine la diffusion de renseignements de la part des pays alliés et les réponses rapides aux demandes de renseignement ukrainiennes. La production inclut le renseignement d’intérêt immédiat, celui de situation et celui d’appui au ciblage, avec une précision de 7 mètres pour la mise en œuvre des roquettes américaines Himars/M270 guidées par recalage GPS. En outre, les Ukrainiens disposent de nombreuses sources de renseignements d’origine humaine dans les zones occupées par les forces russes, mais peu dans le Donbass, et des moyens pour les récupérer et les fusionner dans le système Delta. En matière de soutien, le système ukrainien, très centralisé, manque de coordination et de plateformes logistiques aux échelons tactiques et repose sur des lignes de communications longues et confuses. Il dépend en grande partie de l’assistance des populations locales et des réseaux bénévoles ukrainiens et internationaux. Le ravitaillement, fourni par les États alliés et coordonné par des structures américaine, OTAN et européenne, se heurte à l’interopérabilité limitée des moyens mis en œuvre et à la réglementation des transports au sein de l’Union européenne. Le dysfonctionnement du service de santé auprès des unités en première ligne est compensé par l’assistance occidentale, à savoir équipements et formation pour les structures locales et accueil des blessés dans les hôpitaux des pays alliés. L’évacuation des blessés graves et des grands brûlés vers les hôpitaux de l’arrière, souvent entravée par l’état catastrophique des routes, se fait surtout par des trains médicalisés.

Des troupes à former. Les forces armées ukrainiennes, estimées à 120.000 hommes, subissent de lourdes pertes évaluées à plusieurs dizaines de morts et de blessés par jour, notamment parmi les troupes expérimentées et celles formées dans les pays de l’OTAN. Le grand nombre de contrats d’engagements militaires courts, souscrits durant la guerre dans le Donbass entre 2014 et 2022, a permis à l’Ukraine de disposer d’une certaine réserve expérimentée. Mais ce vivier a été mal exploité en raison de l’hétérogénéité des unités, de la guerre d’usure et d’une mauvaise gestion, comme l’envoi de conscrits au front sans un entraînement préalable de plusieurs semaines. La plupart des 400.000 « mobilisables » n’a aucune expérience militaire. La remontée en puissance des forces ukrainiennes repose donc sur la formation dans les pays alliés. L’opération britannique « Orbital » a ainsi formé 22.000 soldats entre 2015 et 2022. Puis l’opération « Interflex », qui rassemble plus de 800 instructeurs britanniques, australiens, danois, canadiens, lituaniens, néerlandais, néo-zélandais, norvégiens, finlandais et suédois, a organisé des stages de trois semaines à 10.000 hommes en 2022, chiffre qui devrait doubler en 2023. Un programme international, sous commandement américain et incluant des instructeurs britanniques, canadiens et lituaniens, a formé 23.000 officiers et sous-officiers entre 2015 et 2022. Entre avril et août 2022, la « Task Force Gator » (américaine) a formé 1.600 militaires sur 16 systèmes d’armes…américains ! En juin 2023, l’initiative « European Union Military Assistance Mission », qui rassemble 23 pays européens dont la Pologne, l’Allemagne, la France, l’Espagne et l’Italie, aura formé 12.000 combattants et 2.800 spécialistes dans des stages de 30 jours.

Des armements lourds insuffisants. Malgré les captures d’équipements russes, dont seulement 30 % réutilisables, et les livraisons d’armes occidentales, l’usure opérationnelle et les pertes freinent la montée en puissance des parcs ukrainiens. Celui des chars, qui en a déjà perdu de 800 à 1.000, n’en compterait qu’entre 700 et 1.000. En raison de la perte plausible de 2.000 véhicules ukrainiens, le parc d’engins blindés atteindrait 3.000, grâce à la capture de quelques centaines de véhicules russes et surtout aux livraisons occidentales de 3.500 véhicules blindés de combat d’infanterie (VBCI), transports de troupes blindés et autres véhicules. S’y ajouteront les livraisons, promises et échelonnées sur plusieurs mois, de 300 chars tous modèles confondus, 200 VBCI, 450 véhicules tout terrain, 300 MRAP (véhicules conçus pour résister aux engins explosifs improvisés et aux embuscades) et 120 canons autopropulsés, qui subiront aussi des pertes et dont il faudra assurer le maintien en condition opérationnel. Leur expérience du combat, acquise depuis 2014, et leur formation à l’américaine ont permis aux Ukrainiens de réagir dans l’emploi de l’artillerie. Ils disposent de bombes de petit diamètre lancées du sol (bombes guidées planantes) combinant longue portée et précision, de lance-missiles balistiques Vilkha-M ukrainiens et de canons Caesar français et PzH 2000 allemands. Très utilisés, ces canons subissent une usure accélérée. Des centres de maintien en condition opérationnelle ont donc été installés en Lituanie, Pologne et Slovaquie.

Des stocks de munitions limités. L’intensité des combats entraîne des cadences de tirs de 5.000 à 7.000 obus/jour et réduit les stocks. Les 1.500 canons d’origine soviétique tirent des obus de 122 mm et 152 mm, mais les canons « occidentaux » surtout des obus de 155 mm. Or les tirs d’obus de 155 mm atteignent 3.500/jour. Entre mai 2022 et février 2023, les États-Unis ont livré 1,1 million d’obus de ce calibre et les autres pays alliés (France, Grande-Bretagne, Canada, Finlande, Allemagne, Italie, Norvège, Espagne et Suède) 100.000, soit en tout trois mois de munitions au rythme actuel. Enfin, le brouillage russe réduit le stock des drones. En moyenne, le drone d’une unité d’infanterie ne dure qu’un jour contre 40 pour une unité d’artillerie.

Loïc Salmon

Ukraine : livraisons accrues d’armements étrangers

Ukraine : les drones, symboles de la résistance pour Kiev

Armement : gestion des stocks dans un conflit de haute intensité




Espace : composante clé dans un conflit de haute intensité

En élevant le niveau de compréhension de la situation complexe d’un théâtre, l’outil spatial prend une part déterminante dans la prise d’initiative et la conservation de la liberté d’action, grâce à l’intégration, l’interopérabilité et la coopération.

La troisième édition de l’exercice spatial Aster(X) s’est articulée, pour la première fois, avec l’exercice interarmées Orion simulant un engagement de haute intensité. Elle s’est déroulée du 21 février au 10 mars 2023 sur le site du Centre national d’études spatiales (CNES) à Toulouse. Le général de division aérienne Philippe Adam, commandant de l’Espace, les a présentés le 16 mars à Paris.

Aster(X). La guerre en Ukraine a commencé par une attaque massive de ses moyens spatiaux par la Russie. Unique en Europe, l’exercice spatial militaire français Aster (X) a été créé en 2021. L’édition 2023 a mobilisé 200 participants civils et militaires et 30 observateurs étrangers. Aster (X) vise d’abord à entraîner les unités du Commandement de l’espace à la surveillance de l’espace et la protection des satellites français par la simulation de 5.000 objets spatiaux, dont 20 capteurs dédiés à l’appui spatial aux opérations pour faire face à 10 types de menaces différentes. En outre, il teste la structure et la connectivité du futur C2 (commandement et conduite) des opérations spatiales militaires dans un contexte multi-milieux (terre, air, mer et cyber) et multi-champs (électromagnétique et informationnel) au moyen de 23 événements, dont 17 coordonnés avec Orion (voir plus loin). De plus, Aster (X) valide les concepts d’emploi et la coordination entre le CNES et neuf partenaires industriels, dont Airbus, ArianeGroup (lanceurs spatiaux), MBDA (missiles) et l’Office national des études et recherches aérospatiales. Enfin, il développe et renforce les coopérations opérationnelles avec l’OTAN, les États-Unis, l’Allemagne, la Belgique et l’Italie. Selon le scénario d’une situation géopolitique inspirée de menaces spatiales réelles et avérées, Aster(X) a déployé des réseaux de communications classifiés en coordination avec la Direction du renseignement militaire et la Direction interarmées des réseaux d’infrastructures et des systèmes d’information. Le temps d’exercice d’Aster(X) correspond à celui d’Orion.

Orion. Le scénario de l’exercice de grande ampleur Orion part d’une situation comparable à la guerre en Ukraine, déclenchée par la Russie le 24 février 2022. Inspiré des exercices OTAN mais avec 9 pays sous commandement français, Orion se déroule en 4 phases sur le territoire national (20 départements) et en Méditerranée occidentale du 21 février au 5 mai 2023, après une planification opérationnelle de mai 2022 au 20 février 2023 (phase 1). Outre 13 directions, services et organismes interarmées, il met en œuvre : 1 division à 3 brigades (2 simulées), 2.300 véhicules (400 de combat), 40 hélicoptères et 100 drones pour l’armée de Terre ; 30 navires, dont 1 porte-avions et 2 porte-hélicoptères amphibies, et 50 aéronefs pour la Marine ; 10 bases, 80 aéronefs, 2 drones moyenne altitude longue endurance, 6 systèmes de défense sol-air et 20 capteurs spatiaux pour l’armée de l’Air et de l’Espace. Afin d’éviter une dégradation de la situation (phase 2), la France déploie en premier son échelon national d’urgence interarmées du 21 février au 11 mars avec 7.000 militaires (terre, air, mer, forces spéciales, cyber, spatial et logistique) pour une opération aéromaritime dans un contexte de déni d’accès. Il s’ensuit une gestion de crise politico-militaire (phase 3) par 5 groupes de travail et de réflexion (Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale, états-majors et acteurs ministériels), qui présentent leurs propositions aux hautes autorités civiles et militaires fin mars. Puis une coalition, sous mandat ONU et OTAN, mène une vaste opération aéroterrestre du 22 avril au 5 mai avec 12.000 militaires (phase 4). Évaluation et retour d’expérience suivront.

Loïc Salmon

Espace : résurgence de la menace antisatellites

Espace : dangerosité du milieu et défense en coopération

Armée de l’Air et de l’Espace : enjeux de la très haute altitude




Armement : produire plus et plus vite en temps de guerre

Le soutien d’un effort de guerre dans la durée au profit des armées nécessite une visibilité pour les industriels et la sécurisation de leurs chaînes d’approvisionnement. L’économie « militaire » intervient avant, pendant et après un conflit comme celui de l’Ukraine.

L’économie de guerre a été présentée, le 9 février 2023 à Paris, par l’ingénieur général de 2ème classe Alexandre Lahousse, chef du service des affaires industrielles et de l’intelligence économique à la Direction générale de l’armement (DGA, photo). L’économie militaire a fait l’objet d’une conférence organisée, le 22 novembre 2022 à Paris, par l’association 3AED-IHEDN avec la participation de Grégory Chigolet, conseiller économique du chef d’État-major des armées.

L’économie de guerre. Les conséquences du conflit en Ukraine confirment ce que prescrit la Revue nationale stratégique 2022 sur l’économie de guerre, indique l’ingénieur général Lahousse. Les capacités de production de systèmes d’armes, de munitions et de maintien en condition opérationnelle doivent évoluer pour répondre aux besoins d’un éventuel engagement dans un conflit majeur. En conséquence, la DGA, les armées et les industriels de défense ont défini cinq chantiers prioritaires. Le premier concerne les contrats de longue durée relatifs aux équipements de première nécessité. La future loi de programmation militaire (2024-2030) va offrir aux industriels une visibilité sur sept ans à partager avec les petites et moyennes entreprises sous-traitantes, en vue d’une montée en puissance conjointe. Le deuxième chantier porte sur l’analyse des besoins des armées, leur chiffrage et l’évaluation de l’impact en termes de délais et de coûts. Le niveau d’exigence sera réduit de 20 %, dès la conception du besoin, pour simplifier le travail des industriels avec un partage du risque avec l’État. Le troisième chantier porte sur la chaîne d’approvisionnement. Les délais de la sous-traitance représentent 50 % de ceux de la production. Or 4 % des 4.000 entreprises de défense, ne pouvant accélérer leur cadence, bloquent la chaîne. Des études de réponses adaptées sont en cours. Les dépendances étrangères seront limitées par la constitution de stocks de matières premières, la multiplication des sources étrangères et la relocalisation d’activités en France. Le quatrième chantier concerne la formation en compétences critiques, comme les métiers de soudeur ou d’ajusteur en mécanique. Un dialogue sera engagé entre les entreprises, les écoles de formation et le ministère de l’Éducation nationale. Enfin, le cinquième chantier porte sur l’accès des entreprises de défense aux financements privés. Outre la mise en place d’un réseau de référents bancaires français, des initiatives sont à l’étude au niveau européen.

L’économie militaire. Le Fonds monétaire international a évalué l’impact du conflit en Ukraine sur les produits intérieurs bruts : Ukraine, une baisse de – 35 % en 2022 contre une croissance de + 3,4 % en 2021 ; Russie, une baisse de – 3,4 % en 2022 contre une croissance de + 4,7 % en 2021. Selon Grégory Chigolet, le conflit coûte à l’Ukraine : une baisse de la production des céréales, minerais et produits transformés ; la destruction d’infrastructures industrielles et minières ; le transfert de la main-d’œuvre vers les armées au détriment de la production ; un délitement des relations commerciales avec la Russie et la Biélorussie : la désorganisation des exportations via la mer Noire. Face aux sanctions économiques, la Russie a accéléré la montée en puissance de la production locale, confisqué les outils de production des firmes étrangères partantes et réorienté ses partenariats commerciaux. Face aux attaques contre sa monnaie par l’épuisement de ses réserves de change et l’embargo sur ses exportations, elle a imposé le paiement en roubles de certains biens fondamentaux. Face aux obstacles de financement sur les marchés internationaux, elle a menacé de dérégler le système financier mondial.

Loïc Salmon

Défense : « Revue nationale stratégique 2022 »

Armement : gestion des stocks dans un conflit de haute intensité

Stratégie : les métaux « critiques », enjeux de sécurité pour les États-Unis et de puissance pour la Chine




Attendez ici – Terminé

Rigueur de l’entraînement, dépassement de soi, opiniâtreté, volonté de vaincre et fraternité d’armes. Ces caractéristiques du combattant ont permis à des soldats japonais de survivre dans la jungle pendant des années et même des décennies.

En 1945, pour atteindre rapidement le Japon, la stratégie américaine consiste à contourner certaines îles du Pacifique en misant sur le fait que leurs garnisons japonaises, privées de ravitaillement, ne représentaient pas de danger. Des milliers de soldats japonais se sont retrouvés, seuls ou en petits groupes, isolés, abandonnés mais armés. Beaucoup n’ont pas été informés de la fin de la guerre. Ceux qui ont continué le combat ont été capturés ou tués jusque dans les années 1950. D’autres, souvent des appelés du contingent, se sont cachés par peur de la captivité ou du sort que leur aurait réservé la sévère hiérarchie militaire japonaise. Beaucoup sont morts de maladies ou victimes de la faune de la jungle. Les quatre militaires de ce roman intitulé « Attendez ici – Terminé » sont inspirés de personnages bien réels : Itô Masahi, capturé à Guam en 1960 ; Shoichi Yokoi, caché à Guam jusqu’en 1972 ; Téruo Nakamura, d’origine taïwanaise, capturé en Indonésie en 1974 ; Hiroô Onoda, combattant dans l’île philippine de Lubang jusqu’en 1972 avant sa reddition en 1974. Le titre reprend les messages radio, brefs et clairs pour ne pas encombrer les ondes : « Attendez ici » correspond à l’ordre à exécuter. « Terminé » met fin à la conversation avec le chef. Officier de renseignement, le sous-lieutenant Onoda (1922-2014) avait été entraîné pour résister des années sur les arrières de l’ennemi jusqu’à la reconquête des territoires abandonnés. Le roman rend compte des préoccupations quotidiennes et des sentiments de ces soldats, persuadés que la guerre continuait. Ils se méfiaient des autochtones, car les Américains avaient la réputation de les envoyer en première ligne et de tuer tous les prisonniers. Dans le îles, les Japonais creusaient des postes de combat tournés vers la mer pour affronter des fantassins américains, sans blindés ni logistique ni canons. Ils pensaient que la préparation et la motivation du défenseur compenseraient l’avantage du nombre de l’assaillant. La récupération d’un poste de radio et de piles permettait d’écouter les nouvelles de Bangkok, de Saïgon ou de Brunei. Mais après des années sans informations de l’extérieur, les soldats japonais interprétaient la guerre du Viêt Nam (1955-1975) de façon erronée. A l’unité secrète de Nakano (Japon), les instructeurs avaient ordonné aux officiers de ne pas se suicider, de ne jamais abandonner la mission ni d’envoyer des hommes à la mort de façon inconsidérée. Les cours portaient sur la survie, le sabotage, l’emploi d’explosifs, la résistance aux interrogatoires, l’usage des émetteurs-récepteurs, les codes, l’anglais, les arts martiaux et l’observation de l’ennemi. Outre ses missions de renseignement, un officier devait maintenir le moral et la volonté de son groupe par une discipline de fer, face à ce qu’il considérait comme de la propagande ou une manœuvre d’influence adverse. Le largage de tracts par hélicoptères, appelant à la reddition, ou la diffusion de messages par haut-parleurs, répétant que la guerre mondiale était finie, ne pouvaient qu’être que des ruses pour déstabiliser les soldats japonais, avant de les traquer et les tuer. Mais après 29 ans de résistance et de certitude, Onoda (le lieutenant Ikéda dans le roman) a commencé à douter. Pourquoi l’ennemi consacrait tant de temps et de moyens pour faire sortir de la jungle un seul soldat japonais, alors qu’ils devaient être des milliers insérés, comme lui, derrière les lignes de combat ? Dans la réalité, le journaliste japonais Norio Suzuki parvient à rencontrer Onoda dans la jungle le 20 février 1974. Les autorités japonaises et philippines organisent alors la venue du chef direct d’Onoda en 1945, devenu libraire, qui lui donne l’ordre de se rendre.

Loïc Salmon

« Attendez ici – Terminé », Noël-Noël Uchida. Éditions Pierre de Taillac, 116 pages, illustrations, 16,90 €.

La puissance au XXIème siècle : les « pôles » du Pacifique

Japon : protection et évacuation des ressortissants en cas de crise en Corée et à Taïwan

Exposition « Forces spéciales » aux Invalides