Renseignement : recomposition des services au début de la guerre froide (1945-1955)

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Pendant la guerre froide, le renseignement prend une dimension politique et sa composante technique devient stratégique, pour éviter une troisième guerre mondiale.

Face à la puissance des services soviétiques, ceux de la France et de l’Allemagne coopèrent dès 1945, tandis que ceux de Grande-Bretagne et des États-Unis constituent une véritable communauté.Ce thème a fait l’objet d’un colloque organisé, le 6 juin 2016 à Paris, par l’Académie du renseignement et l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire. Y sont notamment intervenus : Maurice Vaïsse, historien ; Wolfgang Krieger, universitaire allemand ; Christopher Andrew, universitaire britannique ; Jean-François Clair, ancien responsable  de la lutte anti-terroriste à la Direction de la surveillance du territoire (DST).

Organisation et travaux. La défiance entre l’URSS et les Alliés occidentaux s’installe dès 1945, rappelle Maurice Vaïsse. Churchill attire l’attention sur le «  rideau de fer » en 1946. L’année suivante, Truman lance le plan Marshall de reconstruction économique de l’Europe, que les démocraties populaires refusent. En réponse, Staline s’appuie sur les réseaux du Komintern (Internationale communiste). Le monde se divise en deux camps : communiste, dirigé par l’URSS, et capitaliste sous l’égide des États-Unis. L’incapacité des vainqueurs de la seconde guerre mondiale à régler la question allemande entraîne l’affrontement de deux idéologies et l’établissement d’une solide frontière au milieu de l’Europe. Le besoin d’informations sur l’adversaire prend une importance sans précédent. Les services de renseignement (SR), dont les effectifs et les moyens augmentent, sont rattachés directement au plus haut sommet de l’État. Le SDECE (Service de documentation extérieure et de contre-espionnage) est créée en France en 1946 et la CIA américaine l’année suivante. Pour la France, les dangers allemand et italien restent d’actualité jusqu’en 1950. La DST recherche les collaborateurs et sympathisants nazis et les partisans de la décolonisation. La pesanteur du secret en URSS freine les recherches des SR occidentaux dans sa zone d’influence, en raison du peu de contacts avec les populations et des difficultés à recruter des espions. Il s’ensuit un recours aux anciens agents de l’Abwehr allemande. Le mythe de la «  5ème colonne » (partisans cachés) renaît en France et en Italie, où les partis communistes jouissent d’une grande audience depuis la Résistance. Aux États-Unis, une campagne anti-communiste, due à l’initiative du sénateur Mc Carthy, se déclenche après la découverte de la trahison des époux Rosenberg au profit de l’URSS. En Grande-Bretagne, l’agent double Philby informe Moscou sur le déchiffrement des messages soviétiques. Le renseignement technique prend de l’ampleur pour voir et écouter les pays voisins, surtout à partir de Vienne et Berlin. Les avions de transport, qui survolent l’URSS, testent ses défenses au profit des pays occidentaux. La Grande-Bretagne installe des stations d’interception radio et téléphonique dans les pays du Commonwealth. Les démocraties populaires, surtout la Pologne, truffent les ambassades occidentales de micros pour informer le KGB et le GRU (SR militaire) soviétiques. L’atome devient la cible principale, où convergent le secret scientifique, la guerre froide et le renseignement. Lors du projet de recherche « Manhattan » (1939-1946)  sur la première bombe atomique, les États-Unis en écartent la France, soupçonnée de connivence possible avec l’URSS. Mais ce sera le physicien britannique Fuchs qui en transmettra les plans à l’Union soviétique. En 1949, celle-ci fait exploser sa première bombe atomique, qui sera détectée par l’analyse de poussières radio-actives par les SR américains.

Résultats et conséquences. Malgré tous les efforts déployés par les SR, l’évaluation de la menace s’est avérée peu performante, souligne Maurice Vaïsse. Selon la CIA, l’URSS ne pouvait réaliser la bombe avant 1950, faute d’une quantité suffisante d’uranium. Les évaluations des capacités des armées conventionnelles ont varié du « tigre de papier » au « géant surarmé ». De Gaulle voyait la menace soviétique à deux étapes du Tour de France et le général de Lattre de Tassigny pensait que 4.000 chars soviétiques pourraient envahir la France. Or, sur les 175 divisions de l’URSS, un tiers d’entre elles étaient bien équipées, un tiers partiellement et un tiers mal. De son côté, le KGB a exagéré les forces soviétiques. La détection des mouvements suspects de troupes et l’anticipation du potentiel de destruction adverse ont exercé une influence politique. Finalement, le rôle stabilisateur des SR aura été un facteur de paix, conclut Maurice Vaïsse.

 Le SR ouest-allemand. En 1947, les SR français prennent contact avec le général Gehlen, ancien de l’Abwehr et fondateur d’une organisation de renseignement sur l’URSS surommée « l’org ». En vue d’un plan d’alerte avancée, ils souhaitent échanger des informations en matière de contre-espionnage et sur l’armement et les intentions militaires soviétiques, notamment en Pologne et dans les Balkans, contre des renseignements sur la Yougoslavie. La France voulait faire du renseignement militaire un élément fort de sa politique en Europe, face à la suprématie anglo-saxonne. Mais les États-Unis, qui comptent sur la France pour le renseignement en Afrique et sur l’Australie pour celui en Asie, entendent rester maîtres de « l’org ». En 1956, celle-ci devient le SR de la République fédérale allemande sous le nom de BND et la direction de Gehlen.

Le contre-espionnage britannique. Le gouvernement travailliste Attlee (1945-1961) a mobilisé le MI5 (contre-espionnage), contre l’Irgoun (organisation armée sioniste), auteur d’attentats terroristes en Palestine sous mandat britannique, et contre l’infiltration de la Chambre des communes par des agents communistes. Il instaure l’habilitation de sécurité dans la fonction publique. Un accord secret en matière de renseignement électronique est signé en 1946 avec les États-Unis. Le projet « Venona » de cryptanalyse a permis de déchiffrer quelque 3.000 messages soviétiques et de découvrir la liste de 36 agents en Grande-Bretagne depuis 1936, dont les « 5 taupes de Cambridge ». Celles-ci ont été plus habiles que leurs officiers traitants du KGB, souligne Christopher Andrew.

Loïc Salmon

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Le contre-espionnage français, créé en 1872, connaît diverses péripéties jusqu’au second conflit mondial, explique Jean-François Clair. Pendant la Résistance, Roger Wybot (1912-1997) monte le service de contre-espionnage du Bureau central de renseignement et d’action puis, en 1944, la Direction de la surveillance du territoire (DST) qu’il va diriger jusqu’en 1959. Il y instaure notamment les habilitations spéciales et divers services : technique ; manipulation ; documentation sur les papiers de toute origine pour orienter la recherche et les opérations. La DST a compétence sur le renseignement et la police judiciaire pour faciliter le dépistage des espions par recoupement. Elle doit notamment refuser d’accepter une allégeance à un pays étranger et épurer les colonies étrangères, surtout russes et polonaises, après les grandes grèves de 1947 et 1948.

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