Quoique déterminées par des facteurs politiques, économiques et stratégiques, les relations extérieures des Etats-Unis avec les pays du Moyen-Orient et d’Asie sont aussi influencées par le lobby politico-religieux « évangélique ».
Mokhtar Ben Barka, professeur de civilisation américaine à l’Université de Valenciennes, l’a expliqué lors d’une conférence-débat organisée, le 17 octobre 2019 à Paris, par l’Association IHEDN région Paris Ile-de-France.
Identité évangélique. Toutes les religions sont présentes aux Etats-Unis, où y sont nées des nouvelles comme « Les témoins de Jehova » et la « Scientologie ». Le protestantisme américain se compose de deux courants : progressiste pour le principal, ouvert sur la société ; conservateur pour l’évangélisme, dont se réclament 80 millions de personnes, soit 25 % de la population. Introduit en Amérique au XVIIIème siècle, l’évangélisme trouve ses racines en Europe dans les puritanisme, piétisme et calvinisme, issus de la Réforme religieuse du XVIème siècle en réaction aux effets jugés néfastes de la modernité sur l’orthodoxie chrétienne. Il se concentre dans le Sud des Etats-Unis parmi les classes sociales, surtout blanches, les plus modestes, et inclut baptistes, méthodistes, luthériens, assemblées de Dieu et mormons. Sa théologie repose sur quatre points doctrinaux : la Bible en tant que parole de Dieu, source unique d’autorité pour les questions de foi et de vie ; la crucifixion du Christ, sacrifice expiatoire en rémission des péchés de l’humanité ; l’expérience physique de la renaissance spirituelle par la conversion ; le zèle missionnaire. Le besoin de repères et de certitudes s’exprime dans une vision binaire du monde, à savoir le bien et le mal ou le vrai et le faux. Le puritanisme d’origine considère l’Amérique comme une nation exceptionnelle, élue de Dieu et qui doit imposer son modèle de vie. Enfin, les prophéties de la Bible annoncent la fin des temps et la proximité du retour du Christ, prélude à l’établissement du Royaume de Dieu. A part ces dogmes, chaque obédience peut choisir son organisation matérielle. L’évangélisme n’ayant ni magistère ni autorité centrale, aucune instance ne valide les études de théologie du candidat pasteur, qui peut constituer une église à partir de 2.000 fidèles. Il doit ensuite la gérer comme une entreprise, dans le monde concurrentiel de la religion aux Etats-Unis. L’évangélisme condamne la modernité culturelle, mais pas le progrès technique. Dès le XIXème siècle, ses adeptes organisent des spectacles avec des grandes réunions accompagnées de musique et de chants, pour mobiliser les foules. Le financement provient de dons des fidèles, de levées de fonds par des fondations, d’incitations sur écrans de télévision pendant les services religieux ou de la publicité proposant des bons de réduction chez certains commerçants.
Ingérence politique. La théologie évangélique induit des visées politiques et économiques. Ses adeptes constituent l’une des bases les plus fidèles du courant ultra conservateur du Parti républicain, avec pour objectif de rechristianiser la société américaine et d’évangéliser le reste du monde. Pourtant, ils n’en ont jamais été les alliés naturels. Ainsi, au XIXème siècle, ils avaient soutenu l’abolition de l’esclavage, la défense des droits des femmes et la lutte contre la prostitution. Délaissant la politique dans les années 1920, ils y reviennent 50 ans plus tard. Ils soutiennent le démocrate Jimmy Carter (1977-1981), dont la politique jugée trop laxiste sur les droits de l’homme les déçoit. Ils apportent alors une aide électorale et financière à Ronald Reagan (1981-1989) et s’allient au Parti républicain. En 2000, 78 % d’entre eux votent pour George W.Bush (2001-2009) et, en 2016, 81 % pour Donald Trump, qu’ils défendent systématiquement. Les personnalités évangéliques tentent d’influencer le Congrès, mais leur absence de compétences permet aux personnels politiques professionnels de les reléguer au rôle de pourvoyeurs de voix. Toutefois, W.Bush, « born again » (né à nouveau après sa conversion), n’a guère tenté de les manipuler. Les Partis démocrate et républicain incluent toutes les tendances, facilitant les compromis.
Prosélytisme à l’étranger. Depuis Richard Nixon (1969-1974), le président des Etats-Unis s’entoure d’un conseiller spirituel, qui influence indirectement sa politique étrangère. Les évangéliques, qui perçoivent le monde comme un champ de bataille, ont infiltré le Conseil national de sécurité, le Pentagone et la CIA. Via des « think tanks », ils préconisent activisme missionnaire, aides humanitaires et actions d’organisations non gouvernementales. Au Moyen-Orient, leur influence s’étend de l’Egypte, au Liban, à la Syrie, à la Jordanie et à l’Irak, même avant l’invasion américano-britannique de 2003. Depuis 2004, des membres de rang élevé du gouvernement américain soutiennent leurs campagnes d’évangélisation en Irak, en Afghanistan et dans les pays où se trouvent des unités américaines. Allié traditionnel des Etats-Unis, Israël bénéficie, depuis les années 1980, de l’appui des dogmes évangéliques en référence à l’Ancien Testament : la création même de cet Etat en 1947 prouve que Dieu a tenu sa promesse de donner une terre au peuple juif ; leur soutien à Israël évitera aux Etats-Unis la malédiction divine ; le retour des juifs sur leur terre annonce la fin des temps (voir plus haut) avec Jérusalem comme centre du monde. Cela entraîne le rejet de la partition de Jérusalem revendiquée comme capitale par Israël et la Palestine, dont l’existence en tant qu’Etat se trouve elle aussi rejetée. Mais cela implique aussi l’obligation de reconnaître le Christ comme le Messie, qu’excluent les juifs américains et la plupart des Israéliens. Le transfert de l’ambassade des Etats-Unis de Tel-Aviv à Jérusalem en 2017, émanation du militantisme pro-Israël au sein de la « droite chrétienne » américaine, permet à Trump de tenir une promesse de campagne faite à sa base électorale évangélique. L’extrême-droite israélienne et les évangéliques coopèrent dans la lutte contre l’islam. Depuis Reagan, Etats-Unis et Iran s’accusent mutuellement de visées démoniaques pour faire prévaloir leurs intérêts nationaux. En Chine, le gouvernement américain et les organisations évangéliques envoient des bibles et des missionnaires, qui auraient déjà converti 60 millions de personnes.
Loïc Salmon
La religion a donné naissance aux Etats-Unis, estime le philosophe politique français Alexis de Tocqueville (1805-1859) dans son ouvrage « De la démocratie en Amérique »…paru en 1835 ! Le pasteur évangélique Billy Graham (1918-2018) a été l’un des premiers à utiliser les nouveaux médias, de la télévision à internet. Il a entretenu des rapports privilégiés avec douze présidents américains, d’Harry Truman (1945-1953) à Barack Obama (2009-2017), et s’est rendu deux fois en Corée du Nord à l’invitation du président Kim Il-sung (1972-1994). Considéré comme l’évangélique le plus influent, James Dobson (né en 1936) a mobilisé le « vote chrétien » pour George W.Bush (2001-2009). Prédicatrice « télévangélique », Paula White (née en 1966) a participé à la campagne électorale de Donald Trump (en fonction depuis 2017), dont elle est la conseillère pour les affaires religieuses.
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