Dans la peau d’un soldat

La vie quotidienne du soldat évolue lentement au fil du temps, alors qu’armes, équipements et techniques de la guerre connaissent des mutations.

Les objets de son univers, d’abord outils de survie, deviennent des compagnons intimes et rassurants. Son vêtement, uniforme et coloré à partir du XVIIème siècle, perd son utilité d’identification et de différenciation après l’invention de la poudre sans fumée (1884), au profit de tenues plus neutres pour se camoufler. Celle dite « léopard » des parachutistes français des guerres d’Indochine et d’Algérie, interdite en métropole après le putsch des généraux d’Alger (1961), réapparaît lors de la guerre du Golfe (1991) avec des variantes pour les théâtres européens. Protégé par son casque, sa cuirasse et son bouclier, le légionnaire romain sait se servir de toutes les armes existantes. Son éthique inclut le courage, le service de l’Etat et l’obéissance (« disciplina »). Au début du Moyen-Age, le guerrier, barbare, lié par la fidélité à son clan, lui doit un service militaire gratuit. Pendant la féodalité, la guerre devient l’affaire du cavalier noble, titulaire d’un fief en échange du service « d’ost » à son suzerain. Les charges de chevaliers à la lance couchée sous le bras, avec des montures spécialement dressées, en démultiplie la puissance. Ce dispositif reste au cœur de la tactique jusqu’au milieu du XVIème siècle. Les autorités politiques créent alors une « intendance » pour assurer leur subsistance et renouveler leurs armements et chevaux pendant la durée des opérations. Parallèlement, une administration dédiée veille au bon emploi des deniers du prince. Après la disparition de la chevalerie française à Azincourt, l’ordonnance royale de 1445 instaure la solde permanente. Progressivement, s’inspirant du modèle des piquiers suisses, l’infanterie et sa tactique s’imposent au détriment de la cavalerie. Le soldat ne dépend plus d’une maison noble, il vit et combat au milieu de son unité et de ses compagnons d’armes, ses égaux. Aux XVIIème et XVIIIème siècles, il ne connaît que le capitaine de sa compagnie, qui l’entretient, et le roi auquel il est personnellement lié par un engagement volontaire. Il apprend son métier pendant les campagnes par les exercices répétés et mécaniques de gestes et de mouvements. La discipline progresse et la désertion diminue, car les conditions de vie du soldat s’améliorent. Au XIXème siècle, à partir de la guerre de Sécession américaine, la logistique devient essentielle. Le chemin de fer devient un avantage militaire, même si le soldat continue de se déplacer souvent à pied ! Pendant la première guerre mondiale, les véhicules automobiles acheminent les troupes fraîches au front et en ramènent les blessés et les unités relevées. Au cours de la seconde, 20.000 véhicules de tous types débarquent en Normandie le 6 juin 1944. Dans le camp retranché de Dien Bien Phu (1954), la destruction des pistes d’atterrissage a interrompu l’évacuation des blessés graves. Aujourd’hui, dans toute opération extérieure, la conjonction des transports automobiles et aériens permet de les rapatrier en quelques heures. Avec les affrontements dits « asymétriques, le « front » n’existe plus. L’environnement, simplement hostile, peut se transformer en champ de bataille en quelques secondes. Tout soldat, quelle que soit sa spécialité, redevient un combattant. Le soldat de demain, « augmenté » et hyper protégé, devra quand même conserver un visage et une identité vis-à-vis des populations civiles et de ses compagnons d’armes.

Loïc Salmon

Exposition « Dans la peau d’un soldat » aux Invalides

Le soldat et la putain

 

« Dans la peau d’un soldat », ouvrage collectif. Éditions Gallimard/Musée de l’Armée, 256 p., 350 illustrations, 35 €




Service de santé des armées : garantir aux blessés les meilleures chances de survie

Toutes les catégories de soignants sont projetées au plus près des opérations. L’expertise acquise donne aux forces armées françaises la capacité de s’engager en premier sur un théâtre.

Cette action du Service de santé des armées (SSA) a été présentée à la presse, le 15 juin 2017 à Paris, par les médecins-chefs Chantal Roche et Thibaut Provost-Fleury.

Retour d’expérience. L’équipe médicale, intégrée à l’unité de combat et composée d’un médecin, d’un infirmier, d’auxiliaires sanitaires, est formée au secours d’urgence et vit avec le danger. Le stress devient un gage de la rapidité de la prise en chaerge du blessé grave. Afin de faire venir un hélicoptère, le médecin décrit par radio le bilan qu’il vient d’établir : blessure physique, brûlure et/ou « blast » (effet de souffle). L’aéronef devant rester le moins de temps possible au sol, il sait que quelqu’un va appliquer les mêmes procédures d’urgence que lui pendant le transfert et que, 24-35 heures plus tard, le grand blessé arrivera en métropole à l’hôpital Percy par avion médicalisé. La chaîne de soutien médical s’échelonne sur quatre « rôles » : survie du blessé dans les zones de contact par les soins d’urgence et de réanimation ; traitement au groupement médico-chirurgical du théâtre, pour limiter les séquelles et stabiliser le blessé ; hospitalisation puis, le cas échéant, évacuation sanitaire ; soins dans un hôpital d’instruction des armées. Chaque combattant, formé au sauvetage de combat, dispose d’une trousse individuelle : un garrot tourniquet, des pansements compressifs pour arrêter l’hémorragie, une syrette de morphine, un kit de perfusion et une poche de soluté. Les trois quarts des décès au combat sont dus à une hémorragie non compressible et non garrotable, que seul un chirurgien aurait pu traiter dans la première heure. Le concept français place l’équipe médicale au plus près de la victime, alors que le concept anglo-saxon privilégie la rapidité de l’évacuation médicalisée vers les structures hospitalières. Aujourd’hui, les soldats sont surtout atteints aux membres et moins au thorax et à la tête, mieux protégés que lors des conflits précédents. L’évolution des techniques et matériels médicaux résulte d’une connaissance plus fine des blessures. Dans le cadre de l’opération « Barkhane » en cours, 200 militaires du SSA sont déployés dans la bande sahélo-saharienne, avec une capacité logistique autonome, des services hospitaliers de pointe et une recherche de l’innovation, comme le plasma lyophilisé pour s’affranchir des contraintes du froid. Le SSA prend aussi en compte les retours d’expérience des armées étrangères. Rien que pour l’armée de Terre, il suit 11.500 blessés en opération extérieure, en service commandé, pendant une formation ou par accident.

Parcours de la réinsertion. Ensuite, le Secrétariat général pour l’administration du ministère des Armées met en œuvre un accompagnement social et juridique, des indemnisations et une aide à la reconversion professionnelle. Plus de 2.000 blessés en opérations bénéficient d’une pension militaire d’invalidité. Outre la prise en charge des blessés psychiques post-traumatiques, un « congé du blessé » a été instauré, en vue de son maintien en activité jusqu’à 18 mois au-delà des congés maladie. Puis, des associations et l’Office national de anciens combattants et victimes de guerre interviennent. Enfin, la première « journée nationale des blessés de l’armée de Terre » a eu lieu le 23 juin 2017 aux Invalides.

Loïc Salmon

Sauvetage de combat : l’apprentissage des médecins

Opex : la chaîne de santé, une course contre le temps

Blessés psychiques : agir vite, au plus près et de façon continue




France Allemagne(s) 1870-1871

« L’Année terrible » (19 juillet 1870-28 mai 1871) transforme durablement les sociétés de chaque côté du Rhin. Un empire s’effondre, un autre surgit. Paris, capitale culturelle de l’Europe, devra se relever de ses ruines. Berlin deviendra celle du IIème Reich.

Napoléon III dirige 280.000 hommes (7 corps d’armée) et la Garde impériale. Malade, il en confie le commandement au maréchal Bazaine après 25 jours de guerre. Guillaume Ier, roi de Prusse, dispose de 500.000 soldats de la Confédération de l’Allemagne du Nord (16 corps d’armée). Toutefois, il délègue la conduite des opérations à son chef d’état-major, le général von Moltke. La modernisation de son armée a permis à la Prusse de gagner les guerres précédentes contre le Danemark (1864-1865) et contre l’Autriche (1866) : augmentation des effectifs ; service militaire obligatoire de 3 ans ; armée de réserve permanente. L’armement des forces prussiennes et françaises connaît des innovations importantes : chargement du fusil par la culasse ; canon rayé qui accroît la portée et la précision du projectile ; cartouche métallique ; remplacement des boulets par des obus, explosifs ou à balles. Après la déchéance de l’Empire consécutive à la défaite de Sedan (1er septembre 1870), le Gouvernement de la défense nationale favorise la fabrication, par l’industrie privée, de mitrailleuses multitubes pour les armées de secours. Mais elles ne sont guère décisives, faute de doctrine d’emploi et de formation du personnel. Par la suite, les hauts commandements vont minimiser les innovations de l’armement et la létalité du feu et privilégier l’esprit offensif de l’infanterie. L’Empire allemand est proclamé le 18 janvier dans la galerie des glaces du château de  Versailles, suivi de l’armistice du 28 janvier mettant fin au siège de Paris. Le 13 février, la capitulation de Belfort, également assiégé, entraîne un armistice complet le 15 février. L’instauration de la Commune de Paris, le 28 mars, est suivie d’une guerre civile jusqu’au 28 mai, faisant entre 5.700 et 7.400 victimes la dernière semaine. Paris, défiguré par le feu et les massacres, voit son économie dévastée et sa population diminuée de plus de 100.000 personnes. Cette guerre bouleverse la représentation réciproque de la France et de l’Allemagne, dans laquelle la culture joue un rôle décisif. Celle-ci s’incarne dans deux compositeurs allemands qui vont chercher dans le Paris du Second Empire une reconnaissance, tremplin pour une carrière internationale : Jacques Offenbach (1819-1880) et Richard Wagner (1813-1883). Créateur de l’opérette, Offenbach réussit et prendra la nationalité française en 1860. Wagner, précurseur de la musique romantique, échoue. La guerre de 1870 place Offenbach dans une position délicate, écartelé entre son pays d’origine et  celui qu’il a adopté. En revanche, Wagner triomphera avec le festival de Bayreuth inauguré en 1876. Un tableau de l’exposition montre l’empereur Guillaume Ier chevauchant sur un champ de bataille escorté de Walkyries germaniques. Après la guerre, la IIIème République développe l’enseignement de l’histoire de France et l’éducation civique pour exalter la patrie, l’héroïsme et le sacrifice. Les monuments aux morts se multiplient pour symboliser l’esprit de résistance. Le tourisme de mémoire se développe sur les champs de bataille de l’Est et du Nord. Dans la société allemande militarisée, la rhétorique commémorative perpétue la victoire de 1870 et la fidélité à l’empereur.

Loïc Salmon

Exposition « France Allemagne (s) 1870-1871 » aux Invalides

Exposition « Images interdites de la Grande Guerre » à Vincennes

« France Allemagne(s) », ouvrage collectif. Éditions Gallimard/Musée de l’Armée, 304 pages, 35 €




Exposition « France Allemagne (s) 1870-1871 » aux Invalides

La guerre de 1870-1871 provoque le basculement de l’Europe. L’Allemagne en sort unifiée. La France va réformer ses armées en profondeur et cultiver la mémoire et l’esprit de revanche.

Le bouleversement géopolitique. La défaite de la Prusse à Iéna en 1806, face à la France, suscite un sentiment nationaliste parmi les diverses composantes du Saint-Empire romain germanique remontant à Charlemagne (800). En 1813, la défaite de la France à Leipzig, face à la coalition de la Russie, l’Autriche, la Suède, la Prusse et la Saxe, anéantit l’idée française de l’Europe et renforce le sentiment d’appartenance à la « nation allemande ». Mais le Congrès de Vienne (1814-1815) établit une « Confédération germanique » de monarchies (34) et villes libres (4) allemandes sous l’emprise de l’Empire d’Autriche. Après sa défaite à Sadowa en 1866 face à la Prusse, celui-ci se transforme en une double monarchie dénommée « Autriche-Hongrie ». Pendant cette période, la France a connu tous les régimes : Premier Empire jusqu’en 1815 ; Restauration de la monarchie absolue (1815-1830 avec l’épisode des Cent-Jours de 1815) ; Révolution de 1830 ; Monarchie constitutionnelle de Juillet (1830-1848) ; Révolution de 1848 ; IIème République (1848-1852) ; Second Empire (depuis 1852). Epoque fondatrice de la tumultueuse relation franco-allemande, la guerre de 1870-1871 met un terme à l’équilibre des puissances connu sous le nom de « Concert européen », qui repose sur la diplomatie. Les deux pays vont développer leurs empires coloniaux jusqu’à la première guerre mondiale, à l’issue de laquelle l’Alsace-Lorraine, annexée par l’Allemagne en 1871, réintègrera la France en 1919. L’Allemagne perdra toutes ses colonies et songera, à son tour, à la revanche.

La guerre. Entre le 19 juillet et le 1er septembre 1870, les armées allemandes sous commandement prussien, plus nombreuses et mieux instruites, l’emportent sur les françaises, battues à Wissembourg, Frœschwiller-Wœrth, Rezonville-Mars-la-Tour, Gravelotte-Saint-Privat et Sedan. Soldée par 152.000 soldats mis hors de combat, cette première partie de la guerre surprend les belligérants : les Allemands par la facilité des victoires et la déliquescence de l’armée impériale ; les Français par la rapidité de l’invasion et l’enchaînement des défaites. Malgré la capitulation de Sedan et la capture de Napoléon III, la victoire allemande n’est pas encore totale. Un gouvernement provisoire, réuni à Paris, proclame la déchéance de l’Empire le 4 septembre, instaure la IIIème République et décide la poursuite des combats. Le Haut-commandement prussien envoie alors 400.000 soldats assiéger Paris dès le 20 septembre. Mais l’assaut n’aura pas lieu, en raison des solides protections de la capitale et du risque de sanglants combats de rues, face à 450.000 combattants soutenus par 1,75 million de civils. Les Parisiens en sont réduits à manger toute la faune disponible, surtout les chevaux. Les rats, bœufs et animaux exotiques du zoo de Vincennes et du Jardin des plantes ne figurent que sur les menus des restaurants. La rigueur de l’hiver affecte particulièrement les plus pauvres, qui manquent de charbon et de nourriture. La communication avec le reste du pays s’établit par des pigeons voyageurs transportant des microfilms. De nombreux ballons parviennent à quitter la capitale pour acheminer le courrier et évacuer les personnalités. La société d’armement Krupp met alors au point les premiers canons antiaériens, quoique peu efficaces en raison de l’altitude. Devant la résistance opiniâtre de la population, l’Etat-major prussien déclenche, le 5 janvier 1871, un intense bombardement sur la ville et sa banlieue, sans obtenir la reddition attendue. Cela concrétise la volonté de la Prusse d’accélérer puis de terminer la guerre, en vue de prévenir une prise de position des opinions publiques européennes en faveur de la France. En effet, la presse relaie les exactions contre les populations civiles et les dégâts des bombardements sur Strasbourg, Belfort et Paris. En outre, le nombre considérable de prisonniers dépasse les prévisions de l’Etat-major prussien : 398.000 Français pour 40.000 Allemands. Par ailleurs, chaque armée reproche à l’autre sa sauvagerie, personnifiée par le « uhlan » (lancier à cheval prussien) et le pilleur, d’un côté, et le franc-tireur et le « turco » (tirailleur algérien) de l’autre. Les armées françaises, reconstituées à partir d’unités impériales, de bataillons de la Garde nationale mobile et de volontaires, ne parviennent pas à libérer Paris et inverser le cours de la guerre, faute de cadres, d’instruction militaire et d’équipements suffisants. Finalement, le gouvernement de la Défense nationale parvient à négocier un armistice qui met fin, le 28 janvier, à un siège de 132 jours, assure le ravitaillement de la capitale et lui évite l’occupation allemande. Belfort résiste jusqu’au 13 février. Le traité de Francfort (10 mai 1871) termine cette guerre, qui aura coûté 139.000 morts et 143.000 blessés français pour 65.000 morts et 89.000 blessés allemands ainsi qu’une indemnité de guerre de 5 Mds de francs-or contre le retrait des troupes allemandes (septembre 1873).

La Commune. Le 1er mars 1871, le défilé des troupes allemandes à Paris provoque l’indignation d’une partie des habitants, qui vivent l’armistice comme une trahison. S’y ajoutent la fin du moratoire sur les loyers, qui s’envolent, et la suppression de la solde des gardes nationaux. Le 18 mars, une insurrection provoque la tenue d’élections municipales et la proclamation de la « Commune de Paris » par la Fédération républicaine de la garde nationale, suivie de celles de Lyon, Marseille et Toulouse, vite réprimées. Le gouvernement, installé à Versailles, envoie l’armée régulière reconquérir la capitale, avec l’accord de l’Allemagne qui facilite le retour des prisonniers à cet effet. La « semaine sanglante » (21-28 mai) donne lieu à de nombreuses destructions, dont l’incendie du palais des Tuileries et de l’Hôtel de Ville. Arrestations, exécutions, condamnations à la prison ou la déportation en Nouvelle-Calédonie s’ensuivent. Les « Communards » seront amnistiés en 1879 et 1880 et les victimes de la Commune réhabilitées en 2016.

Loïc Salmon

France Allemagne(s) 1870-1871

Exposition « Napoléon et l’Europe » aux Invalides

Des Aigles et des Hommes : sur les traces de la Grande Armée

L’exposition « France-Allemagne (s) » (13 avril-30 juillet 2017), organisée par le musée de l’Armée, se tient aux Invalides à Paris. Dans un angle de la cour d’honneur, est installé un « canon à balles », ancêtre de la mitrailleuse. Cette arme secrète de l’empereur Napoléon III a été sous-employée et mal utilisée pendant la guerre de 1870-1871, faute d’une formation suffisante des artilleurs. Le musée de l’Armée actuel résulte de la fusion du « musée d’Artillerie » du Second Empire et du « musée historique de l’Armée » de la IIIème République qui refondra l’outil militaire. L’Ecole supérieure de guerre sera créée en 1876 et l’Ecole supérieure de guerre navale en 1896. L’exposition présente plus de 320 objets, uniformes, armes et documents d’archives, prêtés par des institutions et musées français (35) et allemands (5) et quelques particuliers. En outre, conférences, projections de films et concerts en la cathédrale Saint-Louis des Invalides ont été programmés. Renseignements : www.musee-armee.fr




Guerres secrètes

Renseignement et actions secrètes nécessitent anticipation, investissement humain et pluridisciplinarité pour mieux comprendre un monde, imprévisible et en évolution permanente, et tenter d’y exercer une influence.

La distinction entre paix et guerre s’efface par le biais du renseignement, aspect le plus politique de la stratégie. En outre, la guerre secrète rend poreuses les frontières entre les forces armées et le monde civil. L’efficacité des agents secrets repose surtout sur leur absence de charisme et leur physique ordinaire. Leur plus grande frustration se manifeste par l’absence d’écho de l’usage et de l’utilité de leur travail, alors qu’il présente parfois des aspects violents et dangereux. L’ouvrage « Guerres secrètes » présente quelques portraits d’hommes et femmes, célèbres, de l’ombre :  Lavrenti Beria, directeur du NKVD ; Allen Dulles, directeur de la CIA ; Stewart Menzies, directeur du MI6, André Dewavrin, dit Passy, directeur du BCRA ; Alexandre de Marenches, directeur du SDECE ; le colonel Thomas Lawrence « d’Arabie » ; Georges-Jean Painvin, décrypteur des codes allemands de la première guerre mondiale ; Richard Sorge, agent soviétique au Japon qui annonce l’imminence de l’attaque allemande contre l’URSS, dont Staline ne tiendra pas compte ; Roger Marin, dit Wybot, directeur de la DST ; Marie-Madeleine Fourcade, MI6 puis animatrice d’un réseau de résistance en France ; Jeanne Bohec, BCRA puis parachutée en France ; Robert Maloubier, SOE puis créateur de l’école des nageurs de combat du SDECE ; Harold « Kim » Philby, le plus connu des « Cinq de Cambridge » au service de l’URSS ; Youri Andropov, directeur du KGB puis président de l’URSS. L’ouvrage énumère 37 « guerres secrètes » de 1874 à 1991 avec leurs caractéristiques : renseignement, opérations clandestines, désinformation, déstabilisation et contre-espionnage. Mata-Hari sera démasquée en 1917 par le décryptage d’un télégramme, intercepté par le poste militaire de la Tour Eiffel. Pendant la seconde guerre mondiale, les agents de l’OSS américain utilisent du matériel militaire et agissent le plus souvent en uniforme, pour être traités en prisonniers de guerre en cas de capture. En revanche, ceux du SOE britannique, qui interviennent en civil avec des équipements sans marque, risquent la torture et la mort. Le BCRA emploie de nombreuses femmes à Londres, mais en envoie peu en France. Par contre, le SOE en parachutera 50, dont 39 furent arrêtées et exécutées. L’univers des guerres secrètes exige duperie et intoxication, pour abuser l’adversaire, et un cloisonnement de sa propre organisation, afin que personne ne puisse la trahir en livrant les clefs d’un seul coup. Pendant la première guerre mondiale, l’opinion publique devient un enjeu majeur pour raffermir le moral de son camp et briser l’unité nationale de l’ennemi. Au début de la seconde, la Wehrmacht est pourvue d’unités de propagande chargées de semer la discorde parmi les Alliés, en faisant croire à l’existence d’une « 5ème colonne ». La Grande-Bretagne crée alors un service équivalent avec les émissions radio de la BBC dès 1941. Les avions américains larguent 3 milliards de tracts du 6 juin 1944 au 8 mai 1945. Pendant la guerre froide, la vague de pacifisme, lancée par l’URSS dans les années 1980, n’est pas parvenue à miner ni la solidarité atlantique ni la stratégie de dissuasion nucléaire, piliers de la sécurité des pays membres de l’OTAN.

Loïc Salmon

Exposition « Guerres secrètes » aux Invalides

James Bond dans le spectre géopolitique

Espionnage : de la réalité à la fiction par l’écriture

« Guerres secrètes », ouvrage collectif. Éditions Musée de l’Armée et Somogy Éditions d’art, 368 pages, 450 illustrations, 32 €.




Exposition « Guerres secrètes » aux Invalides

Renseignement et espionnage, fantasmés par le cinéma et la littérature, font partie des modes d’actions politiques, diplomatiques et militaires des États. Les acteurs de cette réalité complexe allient souvent travail minutieux et courage anonyme.

Mécanismes de ces guerres. Pour préparer la guerre, les États constituent des services de renseignement permanents dès la fin du  XIXème siècle. La première guerre mondiale développe cryptage et décryptage, transmissions, organisation et réseaux d’espionnage. Parallèlement, les gouvernements mettent en place censure, propagande et désinformation. La « guerre secrète » commence véritablement lors du second conflit mondial avec ses modes opératoires combinés : renseignement, opérations clandestines et déstabilisation. Elle dépasse les plans militaire et technique pour atteindre les domaines politique et idéologique, avec des services de renseignement et d’action adaptés. Dès 1934, Staline (1878-1953), président du Conseil des ministres de l’URSS, fonde le NKVD que son successeur Kroutchev (1894-1971) transforme en KGB en 1954. Churchill (1874-1985), Premier ministre britannique, crée le SOE en 1940, pour agir clandestinement en Europe occupée. Le général De Gaulle (1890-1970), chef de la France Libre, constitue le BCRA en 1940 puis le SDECE en 1945. Roosevelt (1982-1945), président des États-Unis, crée l’OSS en 1942. Truman (1884-1972), son successeur, fonde la CIA en 1947. Pendant la guerre froide (1947-1991), les blocs occidental et soviétique s’opposent dans un climat de tension extrême, mais leur guerre secrète, qui recourt à des moyens techniques aux technologies modernisées en permanence (ordinateurs et satellites), se substitue à un conflit ouvert. Dans ce contexte et pour servir les intérêts spécifiques de la France, notamment en Afrique, les présidents de la Vème République, De Gaulle, Pompidou, Giscard d’Estaing et Mitterrand, ont voulu disposer de services de renseignement (SR) performants, dont l’action relève de leur « domaine réservé ». L’exposition présente aussi des entretiens filmés avec des personnalités qui ont décidé de l’organisation ou de la gestion des SR : le Premier ministre Rocard, (1986-1991), à l’origine de la Direction générale de la sécurité extérieure et interrogé le 16 janvier 2016 peu avant sa mort ; Balladur, Premier ministre (1993-1995) de « cohabitation » du président, socialiste, Mitterrand ; le Premier ministre Raffarin (2002-2005) ; le ministre de l’Intérieur (1988-1991) puis  de la Défense (1991-1993) Joxe, créateur de la Direction du renseignement militaire et du Commandement des opérations spéciales. Tous donnent leurs avis sur les SR, les raisons de leurs réformes et leurs rapports à la démocratie.

Le métier d’agent secret. Les agents de renseignement agissent à l’étranger dans la plus grande discrétion. S’ils sont démasqués, ceux sous statut diplomatique seront expulsés du pays d’accueil. En revanche, ceux qui y travaillent clandestinement risquent parfois leur vie. Les SR préparent les interventions des agents, civils ou militaires, mettent au point leurs matériels et analysent les informations recueillies. Les agents doivent surtout constituer un réseau de « sources », issues de milieux sociaux et professionnels divers mais avec un accès privilégié à certaines informations sensibles par leur travail ou leur entourage. Les motivations de ces  « sources » se résument par l’acronyme anglais « MICE » : Money, argent ; Ideology, patriotisme, convictions politiques ou religieuses ; Compromission, chantage (personnel ou familial), menaces ou tortures ; Ego, volonté de se mettre en avant, frustration de ne pas se voir reconnu. Le terme français « SANSOUCIS » y ajoute des nuances : Solitude, Argent, Nouveauté, Sexe, Orgueil, Utilité, Contrainte, Idéologie et Suffisance. La carrière des agents ne résulte pas toujours d’une vocation et leur parcours varie. Avant la seconde guerre mondiale, les armées forment les attachés militaires. Mais dès 1940, BCRA, SOE et OSS doivent former, pendant plusieurs mois, des volontaires, très souvent ignorants de la guerre secrète. En Grande-Bretagne, des écoles spéciales dispensent un entraînement physique avec sauts en parachute et cours de filature, sabotage codage et transmissions radio. Pendant la guerre froide, certains pays, dont les États-Unis et la France, en ouvrent également avec d’anciens agents comme instructeurs. La CIA recrute ses futurs agents au sein des universités. Dès 1952, dans une base secrète de l’État de Virginie, elle forme, aux opérations clandestines et à l’art du recrutement des « sources », ceux qui partiront à l’étranger. SOE et l’OSS disposent d’ateliers techniques pour doter les agents de moyens spécifiques à leurs missions clandestines, par exemple pistolets à silencieux ou cachés dans une cigarette ou un baton de rouge à lèvres, dagues dissimulées dans une chaussure ou une ceinture. A partir des années 1960, les SR américains, britanniques, français et soviétiques mettent au point appareils photos et enregistreurs camouflés en objets d’usage courant, pour la recherche et la transmission de documents sur de très petits supports.

De l’ombre à la lumière. Si les réussites restent souvent cachées, certains échecs s’étalent au grand jour, avec de graves conséquences. Quelques trahisons au profit de l’empire russe puis soviétique sont devenues célèbres : le colonel autrichien Redl en 1913 ; les Britanniques George Blake (1961) et les « 4 de Cambridge » (1979, le 5ème en 1990) ; le Français Georges Pâques (1963). En France, « l’affaire Farewell », avec l’expulsion de 47 diplomates soviétiques (1983), aura été précédée de « l’affaire Ben Barka » (1966) puis suivie de « l’affaire Greenpeace » (1985). Le mot de la fin revient à James Woolsey, directeur de la CIA (1993-1995) : « Nous avons combattu un gros dragon pendant 45 ans. Nous l’avons tué, puis nous nous sommes retrouvés dans une jungle pleine de serpents venimeux. »

Loïc Salmon

Guerres secrètes

Renseignement : opérations alliées et ennemies pendant la première guerre mondiale

Renseignement : recomposition des services au début de la guerre froide (1945-1955)

L’exposition « Guerres secrètes » (12 octobre 2016-29 janvier 2017), organisée par le musée de l’Armée, se tient aux Invalides à Paris. Elle présente plus de 400 objets et documents d’archives du Second Empire (1852-1870) à la fin de la guerre froide (1991), prêtés notamment par :  la Direction générale de la sécurité extérieure, ex-SDECE dont un propulseur électrique sous-marin des années 1970  pour les nageurs de combat de son service action (photo) ; le Combined Military Museum, la British Library et le National Archives (Grande-Bretagne) ; le Service historique de la défense ; la Direction générale de la sécurité intérieure ; les Archives nationales ; le Mémorial de Caen ; le MM Park de La Wantzenau ; le Museum in der « Runden Ecke » (Leipzig) ; l’Alliermuseum (Berlin) ; EON Productions, (Londres), producteur des films de James Bond ; le musée Gaumont (Neuilly-sur-Seine), producteur des films OSS 117 ; Mandarin Production, producteur de la série télévisée « Au Service de la France ». Ont également été programmés des conférences en novembre 2016, des projections de films en novembre et décembre et des concerts en la cathédrale Saint-Louis des Invalides jusqu’en janvier 2017. Renseignements : www.musee-armee.fr




Exposition « Napoléon à Sainte-Hélène » aux Invalides

Napoléon, empereur vaincu et déchu, a remporté sa dernière bataille, celle de sa légende, sur une île perdue de l’Atlantique Sud où il a façonné son exil.

L’exposition retrace sa vie, de la défaite de Waterloo le 18 juin 1815 à sa mort le 5 mai 1821. Chateaubriand, son adversaire politique et écrivain de renom, lui rendra cet hommage posthume dans ses « Mémoires d’outre-tombe » publiés en 1845-1850 : « Enfin  le 5 à six heures et moins onze du soir, au milieu des vents, de la pluie et du fracas des flots, Bonaparte rendit à Dieu le plus puissant souffle de vie qui jamais anima l’argile humaine ».

Un exil à l’antique. Le 21 juin 1815, pour protéger la France d’une invasion imminente, Napoléon abdique en faveur de son fils, le roi de Rome âgé de 5 ans, et propose de redevenir simple général. Fouché, son ancien ministre de la Police limogé en 1810 et qui a constitué un gouvernement provisoire, lui indique la route de l’exil. L‘Empereur signe son acte d’abdication le lendemain. Il réunit une suite de quelques personnes et envisage de partir pour l’Amérique. Vêtements, vaisselle et argenterie sont empaquetés au hasard des trouvailles. Toutefois, le soutien populaire que suscite sa présence à Paris inquiète le gouvernement. Il se poursuit le long de son trajet jusqu’au port de Rochefort. Là, Napoléon dispose de deux frégates, mais la rade est bloquée par une escadre anglaise aux ordres du capitaine de vaisseau Maitland, commandant le navire de ligne Bellerophon. Fouché a promis des sauf-conduits…qui n’arrivent pas ! Le lieutenant de vaisseau Besson, attaché à l’état-major de Rochefort, propose à l’Empereur un plan d’évasion pour forcer le blocus de nuit, en se cachant à bord du navire marchand La-Magdalena qui transporte de l’eau-de-vie. Toutefois, Napoléon refuse de fuir en catimini. Il veut conserver la dignité de son rang, à savoir celui d’un chef d’État qui a marqué d’une empreinte durable villes, lois et religions, a possédé 47 palais et allié les siens aux plus grandes familles d’Europe. Né en 1769 pendant le « Siècle des Lumières », Napoléon s’inspire des grands personnages de l’Antiquité. Il compare alors son sort à celui du stratège athénien Thémistocle qui, banni de son pays, trouva asile auprès du roi de Perse Artaxerxès 1er, fils de Xerxès qu’il avait vaincu à Salamine (480 avant J.-C.). Le 14 juillet, il signe sa reddition au prince-régent d’Angleterre, futur George IV, et embarque avec sa suite sur le Bellerophon. Arrivé au port de Plymouth, Napoléon se promène sur le pont du navire, car aucun Français ne peut descendre à terre. Des centaines de curieux se rassemblent pour apercevoir « l’homme au petit chapeau ». Dans la presse britannique fascinée, les avis sont partagés : les uns veulent anéantir « l’Ogre », les autres invoquent « l’Habeas Corpus », institution anglo-saxonne qui garantit, depuis 1679, à tout citoyen de savoir pourquoi il a été arrêté, afin d’éviter les détentions arbitraires. Le 31 juillet, Napoléon apprend sa destination finale : l’île de Sainte-Hélène. Transféré sur le Northumberland, il ne garde que sept personnes auprès de lui : le comte Bertrand, grand maréchal du Palais ; les généraux Gourgaud et Montholon, aides de camp ; le comte de Las Cases, chambellan ; les serviteurs Marchand, Ali et Cipriani ; le docteur irlandais O’Meara, chirurgien du Bellerophon devenu son médecin personnel.

Une captivité contrastée. L’exposition fait entrer dans l’intimité de celui qui entend rester « l’Empereur Napoléon 1er » et que les Anglais traitent en simple « général Buonaparte ». Des dispositifs en 3 D permettent de découvrir sa résidence, la ferme de Longwood Old House. Ses appartements occupent 180 m2 sur une surface totale de près de 1.000 m2. Une véranda et un vestibule ont été ajoutés à l’entrée. Les communs ont été prolongés pour loger sa suite… et l’officier de liaison britannique. Insalubre, la maison a été meublée par des récupérations auprès des notables locaux et des achats aux bateaux de passage. Cette rusticité côtoie les vestiges des palais impériaux apportés dans les bagages : son épée portée à Austerlitz (1805) ; pendule ; service à déjeuner rappelant ses campagnes et sa gloire passée ; couverts en vermeil à ses armes ; lavabo en argent sur trépied à cols de cygne ; portraits miniatures de sa mère Maria-Letizia, de sa première épouse Joséphine et de son fils. Le gouverneur de l’île, Hudson Lowe, lui donnera un globe céleste, avec étoiles et nébuleuses, et un autre terrestre présentant les routes des grands navigateurs du XVIIIème siècle, La Pérouse, Vancouver et Cook. Ce sera sa seule délicatesse, car ses rapports avec Napoléon deviendront exécrables, en raison des vexations qu’il lui inflige. Ce dernier exige le respect de l’étiquette impériale pour son service, reçoit ses visiteurs dans sa salle de billard, s’informe par les journaux venus par bateau et fait passer des messages à l’insu du gouverneur. Dans son jardin où il prend un peu de fraicheur, il effectue lui-même des travaux et échappe à la surveillance des sentinelles. Des passants tentent de l’y apercevoir. Il se pose ainsi en successeur du général romain Cincinnatus (519-430 avant J.-C.), qui avait renoncé au pouvoir pour cultiver la terre. Toutefois, souffrant d’hépatite, sa santé se dégrade dès 1817. Il s’éteint sur un lit de fer, utilisé lors de ses plus grandes victoires. Dans son testament rédigé les 15 et 16 avril 1821, il évoque son legs moral et politique à la France et aux générations futures. Un codicille exprime son désir de reposer « sur les bords de la Seine au milieu de ce peuple français (qu’il a) tant aimé ».

Une légende voulue. Sa mort sera vue comme un événement politique, qu’il avait préparé par l’écriture. « Je veux écrire les grandes choses que nous avons faites ensemble », avait-il dit à ses grognards lors de son départ pour l’île d’Elbe en 1814. Il s’y met à Sainte-Hélène et dicte beaucoup, de jour comme de nuit, à son entourage : Bertrand, Gourgaud, Las Cases père ou fils, Montholon et O’Meara. Prenant exemple sur Alexandre le Grand et César, il détaille et explique les événements de sa propre carrière, en vue d’une œuvre d’histoire. Le texte est relu et amendé plusieurs fois, jusqu’à ce que l’Empereur se déclare satisfait. Les publications se multiplient, avec succès, après sa mort : « Napoléon en exil » d’O’Meara (1822), « Le Mémorial de Sainte-Hélène » de Las Cases (1823) et les « Mémoires » de Bertrand (1949) et de Marchand (1955). L’engouement napoléonien perdure depuis le « Retour des Cendres » aux Invalides en 1840 !

Loïc Salmon

L’exposition « Napoléon à Sainte-Hélène, la conquête de la mémoire » (6 avril-24 juillet 2016), organisée par le musée de l’Armée, se tient aux Invalides à Paris. Outre des gravures, tableaux, documents, armes et objets, elle présente le mobilier qui entourait l’Empereur à sa mort. Ces meubles ont été restaurés, grâce aux efforts de la Fondation Napoléon, du ministère des Affaires étrangères, des Domaines nationaux de Sainte-Hélène, du ministère de la Culture, du musée national des Châteaux de Malmaison et Bois-Préau, du gouvernement de Sainte-Hélène et de souscripteurs particuliers. Ont également été programmés des conférences en mai 2016, des projections de films en juin et des concerts en la cathédrale Saint-Louis des Invalides jusqu’en juin. Renseignements : www.musee-armee.fr




L’ONAC-VG : 100 ans au service du monde combattant

L’Office national des anciens combattants et victimes de guerre (ONAC-VG) a célébré son centième anniversaire, le 6 mai 2016, dans le grand salon de l’Hôtel de Ville de Paris. L’événement s’est terminé en musique avec le « Chant des partisans », entonné par le chœur Hugues Reiner (photo) devant une assistance debout !

Mémoire et solidarité. Paris sait ce qu’il doit aux anciens combattants et à ceux d’aujourd’hui avec l’opération « Sentinelle », a rappelé Catherine Vieu-Charier, adjointe à la maire de Paris, chargée de la mémoire et du monde combattant, correspondant défense. « L’actualité récente, avec les attentats odieux qui ont frappé Paris en 2015, mais je veux penser aussi à Bruxelles, Madrid, Londres, Copenhague, Bamako, Tunis et tant d’autres lieux, montre bien, hélas, que le monde n’a tiré aucune leçon du passé », ajoute-t-elle. La Ville de Paris apporte diverses formes de soutien à l’action de solidarité de l’ONAC-VG ainsi qu’à celle de la mémoire. La capitale et sa proche banlieue comptent trois hauts lieux de mémoire : celui de la France combattante au Mont-Valérien ; celui de  la guerre d’Algérie et des combats de Tunisie et du Maroc au quai Branly ; celui des martyrs de la déportation sur l’île Saint-Louis. En outre, la construction en 2018 d’un monument des Parisiens morts pendant la Grande Guerre sera financée par souscription. L’ONAC-VG, qui relève du ministère de la Défense, est géré par les représentants des associations et ceux de l’État à parité. En 2016, il assure 105 services de proximité (un par département de métropole et d’outre-mer) et entretient 9 hauts lieux de mémoire et 256 nécropoles nationales. Il gère 9 écoles de reconversion professionnelle, 1 centre de pré-orientation et 8 établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes. Il suit trois millions de personnes, hommes, femmes et enfants, qui bénéficient de l’aide sociale et d’appuis divers. Les nouveaux « anciens combattants » existent, rappelle sa directrice générale, Rose-Marie Antoine. « Ce sont, dit-elle, les nouvelles générations du feu, ceux qui ont participé aux opérations extérieures, le Liban, la guerre du Golfe, l’ex-Yougoslavie, l’Afghanistan, la Côte d’Ivoire, la Centrafrique, le Mali. Ils sont parfois très jeunes. Tous sont engagés volontaires, puisque le service militaire n’existe plus ».

Témoignages. Divers bénéficiaires des prestations de l’ONAC-VG se sont confiés au cours d’une « table ronde ». Une Résistante de 96 ans continue de parler de ce que qu’elle a vécu : « On voit l’intérêt des jeunes qui croient en ce qu’on pouvait faire ». Un rescapé du camp de la mort de Dachau explique que pour « survivre là-bas, il fallait avoir de la chance » et que « les jeunes écoutent ». Un appelé du contingent, âgé de 20 ans pendant la guerre Algérie, déclare : A l’époque, on était mineur (la majorité était fixée à 21 ans), il m’a fallu un an pour m’en remettre ». Un harki avoue qu’il « est très difficile d’en parler à des jeunes, car on risque un mauvais accueil. Les harkis sont mal vus ». La veuve d’un combattant en opération extérieure indique que ses cinq enfants ont été adoptés par l’État, statut unique au monde ! Un pupille de la nation, qui termine ses études d’ingénieur, ajoute : « A l’école, on est quelqu’un à part entière, dont le passé est reconnu. En parler permet de mieux se relever ». Un survivant de l’attentat terroriste de l’hyper cacher (Paris, 13 novembre 2015) reconnaît que s’exprimer sur le sujet constitue une thérapie : « Il faut en parler dans les écoles pour qu’il n’y ait plus jamais ça ». Par la qualité de son accueil et sa disponibilité, l’ONAC-VG reste pour eux…une famille.

Loïc Salmon

11 novembre 2015 : la croix de Guerre à l’Arc de Triomphe

Lieutenants en Afghanistan, retour d’expérience




Napoléon à Sainte-Hélène, la conquête de la mémoire

« C’est un tombeau, une tombe, une pyramide, un cimetière, un sépulcre, une catacombe, un sarcophage, un minaret et un mausolée » ! Sainte-Hélène, ainsi décrite en 1839 par le naturaliste anglais Charles Darwin, est une île volcanique de 122 km2, située à 2.000 km du Sud de l’Angola et découverte par les Portugais en 1502. Cette « maison à mi-chemin au beau milieu du grand océan » sur la route commerciale des Indes, sera annexée par l’English East India Company en 1659. Inhabitée, elle sera colonisée par des civils britanniques, des esclaves africains et une population chinoise. A partir de 1815, Napoléon vient y vivre ses dernières années. Sous la pression des autres capitales européennes, Londres ne pouvait lui accorder en Angleterre l’asile politique qu’il espérait, car sa présence risquait d’attirer la curiosité et même la sympathie de l’opinion publique britannique. Il fallait le couper du monde dans un endroit isolé, où les nouvelles de son activité ne pourraient filtrer jusqu’en France. Choisie pour prévenir toute possibilité d’évasion, l’île de Sainte-Hélène voit la défense de ses côtes renforcée. Chaleureusement accueilli dans le domaine des Briars le 16 octobre, l’Empereur doit emménager le 10 décembre dans une ferme bâtie sur le plateau de Longwood, l’endroit le moins ensoleillé et le plus humide de l’île où le brouillard et le vent dominent, même l’été. Cette résidence (150 m2 pour lui-même), dénommée « Old » House, sera remplacée par une demeure plus vaste, en éléments préfabriqués en provenance d’Angleterre, et connue sous le nom de « New » House. Celle-ci ne sera achevée qu’en décembre 1820, mais Napoléon, malade, ne sera plus en état de déménager. Au début, les dépenses de Longwood étaient à la charge exclusive du gouvernement britannique, notamment l’entretien des 40 à 50 personnes qui y vivent ou y travaillent. Mais à l’automne 1816, le nouveau gouverneur Hudson Lowe exige que l’Empereur contribue à ses dépenses, jugées excessives. La destruction ostentatoire d’une partie de l’orfèvrerie, dont les aigles sont ôtées et les armes martelées, puis la fonte d’une partie de l’argenterie donnent une publicité éclatante à la mesquinerie du gouverneur, qui réduit également la domesticité. Il n’aura rencontré son illustre prisonnier que les 17 avril, 30 avril, 15 mai, 20 juin, 16 juillet et 18 août 1816 en tout…et toujours de façon orageuse ! Par la suite, Napoléon refusera de le recevoir. « A la postérité de juger », finira-t-il par dire. Celle-ci n’épargnera pas le « geôlier de l’Empereur ». Les mémorialistes Las Cases, Gourgaud, O’Meara, Montholon, Marchand et Saint-Denis, dit le « mamelouk Ali », tireront sur lui à boulets rouges. Même le duc de Wellington, le vainqueur de Waterloo (1815), dira de lui avec mépris : « Lowe n’était pas un gentleman ». Puis, de mois en mois, l’ennui et la promiscuité conduisent les compagnons de l’Empereur à quitter Sainte-Hélène les uns après les autres. La réclusion, même volontaire, le temps qui s’écoule lentement et la moiteur du lieu aggravent la situation. Pourtant, malgré leurs incessantes disputes, ceux qui restent, neuf à la mort de l’Empereur le 5 mai 1821, l’auront protégé des atteintes à son rang et à sa mémoire. En 1868, Napoléon III rachète la maison de Longwood et la vallée du Géranium, où avait été enterré son oncle. En mai 2016, l’ouverture d’un aéroport à Sainte-Hélène devrait y favoriser le tourisme… surtout à Longwood !

Loïc Salmon

Exposition « Napoléon à Sainte-Hélène » aux Invalides

« Napoléon à Sainte-Hélène », ouvrage collectif. Éditions Gallimard/Musée de l’Armée, 304 pages, 35 €




D’Azincourt à Marignan, Chevaliers & Bombardes

La France et l’Angleterre, passées du Moyen-Age lors de la bataille d’Azincourt (1415) à la Renaissance avec celle de Marignan (1515), ont connu les mutations de l’art de la guerre.

A Azincourt, leur supériorité numérique a conforté les Français dans la conviction d’une victoire bientôt acquise. Ce sentiment était renforcé par le mépris de leur chevalerie à l’égard de la « piétaille » anglaise, qui osait la défier. Leur défaite s’explique notamment par l’inadaptation de la cavalerie lourde face à la mobilité de l’infanterie et la profusion des hommes au regard de l’étroitesse du terrain. Par la suite, le modèle des fantassins suisses, en rangs serrés et équipés de longues piques, sera imité dans toute l’Europe. Cette émergence de l’infanterie favorise la promotion sociale par le métier des armes. Par ailleurs, l’artillerie, apparue dès 1338 en France pour la défense des villes et châteaux, s’améliore au cours du siècle suivant : canons en fer ou en bronze, boulets métalliques et affuts sur roues. Pendant la trêve de la guerre avec l’Angleterre entre 1444 et 1449, Charles VII constitue une armée permanente payée chaque mois. Il crée d’abord 15 « compagnies d’ordonnance » de 100 « lances » chacune, soit environ 6.000 combattants. Une lance compte un « homme d’armes », cavalier lourd en armure, et quelques piétons et cavaliers légers en nombre variable. Le roi institue ensuite les « francs-archers », soit 8.000 hommes recrutés parmi les roturiers. Chaque paroisse doit désigner un habitant, en principe volontaire, qui, exempté de l’impôt de la taille, doit s’équiper et s’exercer régulièrement au tir à l’arc et à l’arbalète. Il doit répondre à l’appel en cas de conflit et reçoit une rémunération pour la durée de son service actif. Le roi crée aussi « l’arrière-ban », à savoir un service militaire réorganisé des nobles qui doivent s’équiper d’une armure, d’armes et d’un cheval et se préparer à la guerre selon leur statut et leur fief. En raison de leurs compétences financière, administrative et militaire, les frères Bureau modernisent l’artillerie royale, qui devient plus nombreuse et mobile avec le recrutement ponctuel de charretiers et de pionniers. La garde du corps du roi, où prédominent les archers écossais, assure sa protection rapprochée et prend part au conflit en cas de besoin. Lors de sa longue guerre contre Charles le Téméraire, Louis XI développe le camp militaire mobile, car la capture ou le pillage du camp de l’ennemi demeure un enjeu tactique. Ordonné avec rues et quartiers autour d’une place d’armes pour le rassemblement des fantassins et des cavaliers, il est clos par des palissades et des chariots avec un fossé où les pièces d’artillerie légère prennent position. Les chevaux de combat sont utilisés d’abord pour la reconnaissance, le harcèlement, la poursuite et les expéditions en pays ennemi (« chevauchées »). En bataille rangée, la cavalerie sert surtout à prendre l’ennemi à revers (Castillon, 1453) et charge rarement de front (Marignan, 1515). Le nombre de chevaux d’attelage suit l’accroissement des effectifs des armées, des vivres, des bagages, du nombre de pièces d’artillerie et de la masse des munitions. Quoique fier de son artillerie lourde et de sa cavalerie, François Ier prévoit de les renforcer par 42.000 piquiers et hallebardiers et 12.000 arquebusiers et d’appliquer une discipline très sévère. Pourtant, ses successeurs devront longtemps recruter des mercenaires pour disposer d’une infanterie de qualité.

Loïc Salmon

Exposition « D’Azincourt à Marignan » aux Invalides

Histoires d’armes

« D’Azincourt à Marignan, Chevaliers & Bombardes 1415-1515 », ouvrage collectif. Éditions Gallimard/Musée de l’Armée, 272 pages, 35 €