Armée de l’Air et de l’Espace : les enjeux du spatial militaire

Le Commandement de l’espace (CDE) monte en puissance pour améliorer la surveillance de l’espace, en vue de la protection et la défense des intérêts français. Il complète ses capacités par une coopération internationale renforcée.

Son commandant, le général de division aérienne Philippe Adam l’a expliqué au cours d’une rencontre organisée, le 14 mai 2024 à Paris, par l’Association des journalistes de défense.

Les menaces. L’espace, où se croisent les mondes civil et militaire, commence à 100 km d’altitude au-dessus du niveau de la mer et continue son expansion en permanence. Même si les risques de collision entre les 2.000 satellites en orbite restent relativement faibles, ils augmentent avec l’accroissement de l’activité des opérateurs étatiques et privés, sans compter le nombre accru de débris. La compétition et la facilité d’accès à l’espace permettent d’exercer de nouvelles activités, cachées par d’autres tout à fait licites, souligne le général Adam. Les menaces existantes sont vues, observées et suivies. Il ne s’agit pas systématiquement d’actes hostiles, agressifs ou directement malveillants, mais d’activités très suspectes et préoccupantes sur ce qui pourrait se produire. Dans l’espace, elles consistent en menaces orbitales, écoute et brouillage. Les armes à énergie dirigée sont encore trop volumineuses pour être envoyées dans l’espace. Mais, du sol, le brouillage, l’illumination laser et les missiles antisatellites peuvent causer des dégâts considérables. Le sabotage menace les antennes, les centres de calcul et ceux de stockage de données, vulnérables aux attaques cyber. Les attaques, bien préparées, ne se découvrent qu’à leur déclenchement. Outre ses nombreuses cyberattaques en cours contre la France, la Russie se livre à de activités bizarres dans l’espace. Ainsi, en 2018, des satellites russes se sont rapprochés des satellites français, sans explication ni coordination ni justification. A l’époque, la ministre de la Défense Florence Parly avait dénoncé des manœuvres inamicales. L’écoute des fréquences des satellites de communications pourrait permettre d’interrompre leurs services n’importe quand. La Chine effectue des manœuvres de satellites en orbite géostationnaire avec des trajectoires compliquées, très difficiles à observer. La Russie et la Chine mélangent les activités civiles et militaires, voire entretiennent un flou permanent sur la distinction entre les deux. Enfin, le CDE doit aussi surveiller la Corée du Nord, l’Iran et quelques autres acteurs non précisés.

La défense. Comme la police du ciel dans l’espace aérien, indique le général Adam, la « défense active » consiste à détecter les situations problématiques dans l’espace, les observer et les surveiller, puis les analyser, les comprendre et agir. Il convient d’abord d’envoyer dans l’espace un moyen de récupérer des informations supplémentaires avant d’utiliser la force. La posture défensive de la France repose sur la légitime défense, comme pour toutes ses opérations militaires. Outre les grands opérateurs et industriels de l’espace connus du ministère des Armées, de nombreuses startups et beaucoup d’entreprises moyennes, actives dans d’autres domaines, s’y lancent aussi. Le CDE doit réussir à exploiter leurs bonnes idées afin d’avancer rapidement. Il dispose en propre du Laboratoire d’innovation spatiale, installé à Toulouse (voir plus loin) et qui pratique le « benchmarking », à savoir l’ensemble des actions aidant à évaluer et comparer les produits, méthodes et services d’autres acteurs, en vue de s’assurer un avantage sur eux. Selon un document du CDE, celui-ci développe les coopérations internationales avec les principaux acteurs de l’espace. En 2020, la France et l’Allemagne ont rejoint le forum « Combined Space Operations », qui regroupe les États-Unis, la Grande-Bretagne, le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Ce forum permet de discuter des sujets capacitaires, juridiques ou opérationnels, afin de coordonner les capacités alliées dans un futur proche, d’en augmenter la résilience pour assurer le soutien aux opérations multi-milieux et multi-champs, de garantir un accès libre à l’espace et d’y protéger les moyens spatiaux. En outre, la France entretient des coopérations bilatérales dans le domaine opérationnel avec les États-Unis, l’Allemagne, l’Italie, la Norvège, l’Inde, le Japon et les Émirats arabes unis. En mars 2020, elle a signé avec l’Allemagne un cadre de coopération sur la surveillance de l’espace à des fins de défense et de sécurité.

La préparation opérationnelle. L’expertise dans le domaine spatial nécessite des entraînements militaires à différents niveaux. Le document du CDE en présente quatre exemples internationaux : « Schriever Wargame », exercice politico-stratégique multinational ; « Global Sentinel », exercice de niveaux tactique et opératif multinational dédié à la surveillance de l’espace ; « Sprint Advanced Concept Training », exercice destiné au développement technologique pour la surveillance de l’espace dans un environnement très concurrentiel avec une cinquantaine d’opérateurs commerciaux ; « AsterX », exercice d’entraînement tactique et opératif organisé par la France depuis 2021. L’édition 2024 s’est déroulée à Toulouse du 4 au 15 mars avec un scénario géopolitique inspiré des menaces actuelles et futures sur l’ensemble du spectre de la guerre spatiale. Organisée par le CDE avec 7 partenaires industriels français et 15 partenaires étrangers, elle a mobilisé 140 participants civils et militaires, 27 joueurs étrangers et 30 observateurs étrangers. En outre, 4.000 objets spatiaux, 23 événements simulés, 14 menaces différentes, 11 systèmes missions et 1 supercalculateur ont été mis en œuvre. Visant une combinaison des effets planifiés, « AsterX » a été conduit par : les unités du CDE (voir plus loin) ; les composantes des armées Terre, Air, Marine et Cyber ; la Direction du renseignement militaire (DRM) et la Direction interarmées des réseaux d’infrastructures et des systèmes d’information ; le Centre national d’études spatiales ; le Centre d’excellence de l’OTAN pour l’espace, implanté à Toulouse, et le Centre français de recherche aérospatiale.

Les unités du CDE. Le Commandement de l’espace compte trois unités et en disposera d’une quatrième centrée sur l’intelligence artificielle en 2025. A Paris, le Centre de commandement et de contrôle des opérations spatiales permet d’établir la situation spatiale et d’effectuer des analyses de niveau opératif au profit des autorités de niveau stratégique. Il conduit les opérations nationales, souvent en coopération multinationale, par l’orientation de capteurs, l’analyse de la situation spatiale et le renseignement d’intérêt spatial. Il assure l’appui aux opérations en fournissant la météorologie solaire, la précision du signal GPS et celle du survol des satellites. Enfin, il concourt à la diffusion de l’alerte lors des rentrées atmosphériques à risque. A Creil, le Centre militaire d’observation par satellites (CMOS) garantit l’accès permanent du ministère des Armées à l’imagerie spatiale. Il maintient les liens et transmet les données requises pour assurer le service entre : les utilisateurs en France ; les pays partenaires du Musis (système multinational d’imagerie spatiale pour la surveillance, la reconnaissance et l’observation), à savoir l’Allemagne, la Belgique, l’Italie et la Suède, ainsi que ceux des systèmes Cosmo-Skymed (Italie) et Sar-Lupe (Allemagne) ; les contrôleurs opérationnels charge utile (DRM) et plateforme (CDE) ; les centres de maintien à poste des satellites. Le CMOS rejoindra les nouvelles installations du CDE à Toulouse en 2025. A Lyon-Mont-Verdun, le Centre opérationnel de surveillance militaire des objets spatiaux(Cosmos) maintient une situation spatiale autonome de référence. Il détecte et analyse tout évènement spatial menaçant. Il assure la capacité d’alerte avec les pays alliés et apporte un soutien spatial aux opérations. Le Cosmos rejoindra Toulouse en 2024. Toulouse abrite déjà le Laboratoire d’innovation spatiale des armées, chargé de favoriser l’émergence de solutions pour les besoins du CDE.

Loïc Salmon

Espace : composante clé dans un conflit de haute intensité

Espace : résurgence de la menace antisatellites

Armée de l’Air et de l’Espace : enjeux de la très haute altitude

 




Armée de l’Air et de l’Espace : encourager l’innovation pour vaincre et convaincre

Dans le domaine aérien, l’innovation donne un temps d’avance sur l’adversaire, pour conserver la supériorité opérationnelle dans un contexte international marqué par une instabilité et des tensions croissantes avec des ruptures technologiques exigeant rapidité d’adaptation et agilité.

L’innovation a fait l’objet d’un colloque organisé, le 18 janvier 2024 à Paris, par le Centre d’études stratégiques aérospatiales. Y sont notamment intervenus : le général de brigade aérienne Arnaud Gary, directeur du Centre d’expertise aérienne militaire ; le général de brigade aérienne Jean-Patrice Le Saint, chef d’état-major du commandement des Forces aériennes stratégiques ; le général de brigade aérienne Jean-Luc Daroux, commandant la Brigade des forces spéciales Air ; l’astronaute Claudie Haigneré, ancienne ministre déléguée à la Recherche et aux Nouvelles Technologies.

Un état d’esprit. Pour faciliter l’innovation et consolider la position de la France, estime le général Gary, il convient de briser les barrières pour encourager les échanges, détecter les opportunités du monde extérieur aux armées et en favoriser l’adoption rapide. L’innovation, qui stimule la créativité, consiste en la capacité à résoudre des problèmes concrets, améliorer les procédures existantes et envisager de nouvelles approches et utilisations. Via une plateforme, le Centre d’expertise aérienne militaire s’est doté d’un système de remontée des projets innovants, qui lui permet de connaître les idées du terrain, de les répartir dans des axes prioritaires d’innovation ouverte, puis d’en financer les plus utiles. Ainsi, deux dispositifs financiers ont été mis en place pour soutenir l’industrialisation des projets. Les « labels », espaces d’innovation, visent à structurer les idées pour donner vie aux concepts. Il s’agit, d’intégrer l’innovation, dont le domaine numérique, sous ses formes organisationnelle, opérationnelle, stratégique, institutionnelle, sociétale et même environnementale. Les changements et la transformation imposés par les nouvelles technologies du numérique, dont l’intelligence artificielle et le « cloud » (centre de données connecté à internet), amplifient considérablement les opportunités de progrès à tous les niveaux. En 2016, rappelle le général Gary, le ministère américain de la Défense a constaté un retard des forces armées par rapport aux grandes entreprises du numérique. Outre l’encouragement à l’innovation de terrain et la recherche de la primauté des forces armées dans ce domaine, il recommande de lutter contre l’immobilisme de son organisation qui résiste au changement. Le ministère a donc créé le « Defence Innovation Board » constitué d’une douzaine de dirigeants des GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) et de scientifiques de haut niveau, qui observent, donnent des recommandations et accompagnent les forces armées dans la durée pour modifier les structures et les règlements, identifier les nouveaux métiers et disposer de financements. L’innovation, souligne le général Gary, ne doit pas rester l’apanage de quelques dirigeants visionnaires et du personnel créatif sur le terrain, car l’ampleur des changements en cours et les conséquences des nouvelles technologies, remettant en question les processus et structures, nécessitent d’élever le niveau de connaissance de tous les acteurs. Il s’agit donc de former des personnels à la prise de risques et au traitement de la donnée par l’intelligence artificielle.

Les Forces aériennes stratégiques. Selon le général Le Saint, la dissuasion nucléaire aéroportée présente une double singularité par sa finalité de la défense de l’Europe et son cadre flou, car elle est entourée de mystère. Entre le test réussi de la bombe atomique française en 1960 et la mise à l’eau du sous-marin nucléaire lanceur d’engins Le-Foudroyant en 1974, de nombreuses innovations scientifiques, techniques, industrielles et opérationnelles ont été déployées. La dissuasion nucléaire, rappelle le général, consiste d’abord en une dialectique politique, technique et opérationnelle, afin de garantir une montée en puissance dans la cuirasse adverse et produire l’effet militaire souhaité sur l’objectif désigné. Cela repose sur un système militarisé : le missile à tête nucléaire qui allonge la portée du chasseur bombardier qui le transporte ; des infrastructures et des moyens de transmission spécifiques. L’innovation présente trois caractéristiques. La première porte sur la rupture dans la conception d’un nouveau système nucléaire à l’horizon d’une vingtaine d’années, comme le montre l’évolution entre l’avion Mirage IV, le missile de croisière, le réacteur du missile ASMP, le Mirage 2000N rénové en Rafale et le futur système de 5ème génération prévu en 2035. La deuxième caractéristique, dite innovation « systémique » (ensemble complexe d’interactions), concerne un système livré au meilleur état de l’art et de la performance et qui sera modernisé au cours de sa vie opérationnelle par les industriels et les armées dans une organisation très structurée. La troisième caractéristique porte sur le financement, la tenue des délais et les spécifications de performances. Il s’agit d’enjeux de crédibilité et de sûreté. Des réflexions sont en cours sur la 5ème génération, les futurs standards du Rafale, l’évolution du concept de mise en œuvre et la maintenance.

Les forces spéciales. Selon le général Daroux, l’état d’esprit des forces spéciales (FS) trouve son origine dans l’application sur le terrain des opportunités de laboratoire. Il consiste à penser et agir autrement. Les FS doivent trouver des solutions alternatives pour sortir des « angles morts ». La compétition leur impose d’innover pour survivre, là où les forces conventionnelles ne vont pas. Pour réussir leur évolution, elles doivent impérativement être en avance sur le mode opératoire et le plan technologique. Selon le principe de subsidiarité, la capacité à innover au quotidien est déléguée jusqu’au niveau le plus bas, à savoir le jeune caporal-chef commando. S’y ajoute la transversalité en interarmées entre aviateurs, marins, terriens et personnels du Service de santé des armées. Les solutions innovantes permettent de répondre en temps réel aux demandes du chef d’État-major des armées. Depuis leur création après la guerre du Golfe (1991), les FS ont capitalisé sur un vivier, en interne et dans les armées, d’opérateurs sélectionnés et en compétition qui favorise l’émulation et l’innovation. Ainsi, le Service de santé des armées a constitué une banque de données, qui se transmet de génération en génération. L’exposition aux risques, caractéristique majeure des opérations spéciales notamment pour la libération d’otages, implique un entraînement collectif où tous se connaissent. Le partage d’expériences garantit la réussite de la mission en petites unités et dans des temps très contraints. L’identité des opérateurs et leurs méthodes doivent rester secrètes.

Le spatial civil. L’astronaute Claudie Haigneré définit l’innovation comme un mélange de curiosité à découvrir l’inconnu avec une ouverture d’esprit au changement et un appétit d’apprendre en continu dans un monde en évolution constante et rapide. L’innovation implique une écoute ouverte et critique des concepts alternatifs ou de perceptions culturelles ouvertes. Sur un plan collectif comme l’aventure spatiale, l’innovation consiste à se fixer ensemble l’objectif de réussir la mission ou de résoudre un problème en s’appuyant sur cette intelligence collective et diversifiée. Dans le milieu spatial, l’innovation devient foisonnante, car immense. Les pouvoirs publics en ont encouragé les multiples interactions créatrices. Il convient d’identifier davantage les nouveaux partenaires du spatial privé. En outre, la réduction des coûts a favorisé la miniaturisation des plateformes et la réutilisation des vecteurs. Sur un plan plus général, la créativité peut aussi permettre de sortir des incertitudes. Enfin, conclut Claudie Haigneré, le progrès n’est que l’accomplissement des utopies.

Loïc Salmon

Défense : l’innovation numérique à tous les niveaux

Marines : innovations et ruptures capacitaires

Forces spéciales : l’innovation pour une plus grande efficacité




Cyber : enjeux de la technologie de la base de données « blockchain »

Pour l’emporter dans un environnement hautement contesté, les forces armées doivent pouvoir défendre leurs systèmes d’information et leurs données contre la malveillance et la manipulation. La « blockchain », utilisable dans le spatial civil, en constitue l’un des moyens.

Nathalie Devillier, chercheuse associée, l’explique dans une note publiée, le 4 mars 2024 à Levallois-Perret (banlieue parisienne), par la Fondation pour la recherche stratégique.

La « blockchain ». La technologie « blockchain » (chaîne de blocs), base de données distribuée et décentralisée, permet de stocker et transmettre des informations codées sans organe central de contrôle. Elle compte un très grand nombre d’ordinateurs dans le monde. Les algorithmes de consensus rendent difficile la manipulation du système sans l’autorisation de la majorité du réseau. Comme toutes les transactions sont liées entre elles de façon cryptée, toute modification d’une transaction se répercuterait sur la chaîne entière et serait donc immédiatement détectée. La blockchain correspond au « Web 3.0 », troisième génération d’internet. La première, « Web 1.0 », a permis la consultation de l’information. La deuxième, « Web 2.0 », y a jouté la création et le partage de l’information. La « Web 3.0 » donne la possession de l’information en s’émancipant des GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft). Elle donne accès à la cryptomonnaie « Bitcoin » et au protocole d’échanges informatiques « Ethereum » permettant de vérifier ou de mettre en application un contrat mutuel dit « intelligent ». Elle facilite la création d’objets NFT (acronyme anglais pour non fongible), c’est-à-dire non interchangeables car uniques, comme un jeton spécifique ou une œuvre d’art. En outre, la blockchain s’étend à l’identité, à la santé, aux sciences, aux monnaies réelles, aux actifs numériques et à la preuve numérique. Or sa démocratisation a fait naître des scénarios de menaces cyber, encore inconnues, si elle se combine avec les autres technologies émergentes et de rupture. Parmi ces dernières, figurent : les systèmes généraux d’intelligence artificielle (IA) ; les systèmes autonomes ; les systèmes hypersoniques ; l’IA générative ; la 5 G (réseau de téléphonie mobile à gros débits évitant le risque de saturation lié à l’augmentation des usages numériques) ; la 6 G (technologie en cours de développement et supérieure à la 5 G) ; les technologies quantiques relatives aux atomes et aux particules élémentaires ; le renforcement humain et biotechnologique.

La cybersécurité. Parmi les principales menaces, l’Agence de l’Union européenne pour la cybersécurité mentionne la perturbation de la chaîne d’approvisionnements, les campagnes de désinformation, les attaques contre les appareils connectés à internet et l’utilisation de l’IA. En effet, celle-ci peut servir à collecter des informations biométriques et d’autres données sensibles et à créer de la désinformation, des contenus erronés et des courriels automatiques d’hameçonnage. Sur le plan militaire, les technologies numériques modifient les armes et les tactiques. Ainsi, des essaims ou flottes de milliers de drones aériens, terrestres et maritimes pourraient se cordonner de manière autonome, en vue de se déployer sur un territoire entier. La cybersécurité de la blockchain est montée en puissance (voir encadré). Pour les communications militaires, elle doit garantir l’intégrité et la confidentialité des messages, empêcher leur interception ou leur modification non autorisée et renforcer la sécurité des données de renseignement et d’autres informations sensibles. Pour des documents comme les ordres de mission, elle doit en garantir l’authentification. Pour les systèmes de commandement militaire, elle doit garantir la sécurité et la résilience des réseaux et des données. La blockchain se décline aussi pour la gestion et la logistique. Elle garantit la traçabilité, la transparence et la sécurité des produits et pièces de rechange tout au long de leur cycle de vie, grâce à la visibilité de l’identité de l’acheteur et de l’historique des transactions, afin de réduire les risques de contrefaçon et de fraude. Seules les personnes autorisées ont accès aux ressources sensibles. Les véhicules, armes et équipements sont convertis en actifs non sensibles (« tokens » dans une blockchain) pour faciliter leur utilisation et leur maintenance. Les contrats « intelligents », basés sur la blockchain, automatisent le paiement d’une clause pénale, afin de réduire les risques de non-respect des accords et donc de litiges et de coûts administratifs qui en découlent. Inviolable, la blockchain stocke de données sécurisées de façon cryptée et qui ne peuvent être modifiées une fois enregistrées. Sa décentralisation permet à la blockchain de résister aux pannes et aux attaques par « déni de service ». Google en a été victime le 1 er juin 2022. Ses infrastructures et services ont été perturbés quand l’attaquant a utilisé plusieurs adresses pour générer plus de 46 millions de requêtes par seconde, soit 76 % de plus que le record précédemment signalé. Toutefois, l’émergence de l’informatique quantique remet en cause les caractéristiques de la blockchain, souligne Nathalie Devillier. La sécurité des algorithmes de la blockchain repose sur la difficulté à résoudre certains problèmes mathématiques Or, les ordinateurs quantiques pourraient les résoudre beaucoup plus rapidement que les ordinateurs ordinaires. En conséquence, les signatures numériques, actuellement considérées comme sécurisées, pourraient être falsifiées par des cyberattaques quantiques, mettant en péril les éléments intégrés dans la blockchain.

Le spatial. La « tokenisation » permet aux entreprises privées de protéger leurs données sensibles en les transformant en données non sensibles ou « tokens ». Ce processus, utilisable dans une blockchain, peut s’appliquer au domaine spatial et concerner les satellites, orbites, appareils, débris spatiaux , astéroïdes ou autres objets. Les satellites peuvent stocker des données ou en valider d’autres. Les réseaux satellitaires peuvent ainsi devenir des infrastructures de stockage de données pour effectuer des transactions sécurisées. En 2017, la société canadienne Blockstream a lancé un satellite utilisant la blockchain pour distribuer le Bitcoin dans le monde entier. En 2018, la startup singapourienne Space Chain a conçu une blockchain basée sur un satellite. En 2023, elle a rejoint le programme de Google pour développer des applications de traitement sécurisé de données à bord de satellites en orbite basse et pour les futurs lancements de satellites emportant des charges utiles. De son côté, en 2018, la société américaine de blockchain ConsenSys a racheté la société minière Planetary Resources, également américaine, en vue de l’extraction future des terres rares présentes dans les astéroïdes.

Le cadre juridique. La blockchain s’infiltre dans toutes les activités, grâce à un cadre juridique favorable dans quelques pays : Salvador, Singapour, Slovénie, Suisse, Allemagne, Estonie, Pays-Bas, Malte, Portugal et Canada. Les États-Unis reconnaissent les financements par cryptomonnaies. En Chine, Hong Kong est devenue une plateforme d’échanges pour les actifs numériques. L’Union européenne construit une infrastructure de blockchain pour renforcer l’efficacité des services publics transfrontaliers d’ici à 2030.

Loïc Salmon

Plusieurs grandes entreprises se sont spécialisées dans la cybersécurité. Les États-Unis en comptent 4 : Boeing, IBM, Galaxy Digital et Microsoft Azure Blockchain. La Chine en dispose déjà de 7 : 360 Total Security, Alibaba, China Aerospace Corporation, China Electronics Corporation, China Information Technology Security Evaluation Center, Tencent et Zhongan Technology. L’Union européenne en compte 7 : Airbus, Distributed Ledger Technology Malta, Guardtime, Leonardo, NXTsoft, Thales Group et Vottun. La Russie en dispose de 4 : Bitfury Group, Kaspersky Lab, National University of Science and Technology « Misis » et RusBITex.

Soldat de la cyberguerre

Technologie : guerre électronique, cyber et renseignement

Cyber : prise de conscience du risque et perspectives (2030)




Espace : composante clé dans un conflit de haute intensité

En élevant le niveau de compréhension de la situation complexe d’un théâtre, l’outil spatial prend une part déterminante dans la prise d’initiative et la conservation de la liberté d’action, grâce à l’intégration, l’interopérabilité et la coopération.

La troisième édition de l’exercice spatial Aster(X) s’est articulée, pour la première fois, avec l’exercice interarmées Orion simulant un engagement de haute intensité. Elle s’est déroulée du 21 février au 10 mars 2023 sur le site du Centre national d’études spatiales (CNES) à Toulouse. Le général de division aérienne Philippe Adam, commandant de l’Espace, les a présentés le 16 mars à Paris.

Aster(X). La guerre en Ukraine a commencé par une attaque massive de ses moyens spatiaux par la Russie. Unique en Europe, l’exercice spatial militaire français Aster (X) a été créé en 2021. L’édition 2023 a mobilisé 200 participants civils et militaires et 30 observateurs étrangers. Aster (X) vise d’abord à entraîner les unités du Commandement de l’espace à la surveillance de l’espace et la protection des satellites français par la simulation de 5.000 objets spatiaux, dont 20 capteurs dédiés à l’appui spatial aux opérations pour faire face à 10 types de menaces différentes. En outre, il teste la structure et la connectivité du futur C2 (commandement et conduite) des opérations spatiales militaires dans un contexte multi-milieux (terre, air, mer et cyber) et multi-champs (électromagnétique et informationnel) au moyen de 23 événements, dont 17 coordonnés avec Orion (voir plus loin). De plus, Aster (X) valide les concepts d’emploi et la coordination entre le CNES et neuf partenaires industriels, dont Airbus, ArianeGroup (lanceurs spatiaux), MBDA (missiles) et l’Office national des études et recherches aérospatiales. Enfin, il développe et renforce les coopérations opérationnelles avec l’OTAN, les États-Unis, l’Allemagne, la Belgique et l’Italie. Selon le scénario d’une situation géopolitique inspirée de menaces spatiales réelles et avérées, Aster(X) a déployé des réseaux de communications classifiés en coordination avec la Direction du renseignement militaire et la Direction interarmées des réseaux d’infrastructures et des systèmes d’information. Le temps d’exercice d’Aster(X) correspond à celui d’Orion.

Orion. Le scénario de l’exercice de grande ampleur Orion part d’une situation comparable à la guerre en Ukraine, déclenchée par la Russie le 24 février 2022. Inspiré des exercices OTAN mais avec 9 pays sous commandement français, Orion se déroule en 4 phases sur le territoire national (20 départements) et en Méditerranée occidentale du 21 février au 5 mai 2023, après une planification opérationnelle de mai 2022 au 20 février 2023 (phase 1). Outre 13 directions, services et organismes interarmées, il met en œuvre : 1 division à 3 brigades (2 simulées), 2.300 véhicules (400 de combat), 40 hélicoptères et 100 drones pour l’armée de Terre ; 30 navires, dont 1 porte-avions et 2 porte-hélicoptères amphibies, et 50 aéronefs pour la Marine ; 10 bases, 80 aéronefs, 2 drones moyenne altitude longue endurance, 6 systèmes de défense sol-air et 20 capteurs spatiaux pour l’armée de l’Air et de l’Espace. Afin d’éviter une dégradation de la situation (phase 2), la France déploie en premier son échelon national d’urgence interarmées du 21 février au 11 mars avec 7.000 militaires (terre, air, mer, forces spéciales, cyber, spatial et logistique) pour une opération aéromaritime dans un contexte de déni d’accès. Il s’ensuit une gestion de crise politico-militaire (phase 3) par 5 groupes de travail et de réflexion (Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale, états-majors et acteurs ministériels), qui présentent leurs propositions aux hautes autorités civiles et militaires fin mars. Puis une coalition, sous mandat ONU et OTAN, mène une vaste opération aéroterrestre du 22 avril au 5 mai avec 12.000 militaires (phase 4). Évaluation et retour d’expérience suivront.

Loïc Salmon

Espace : résurgence de la menace antisatellites

Espace : dangerosité du milieu et défense en coopération

Armée de l’Air et de l’Espace : enjeux de la très haute altitude




Espace : résurgence de la menace antisatellites

Le développement d’armes antisatellites aux effets potentiellement coercitifs permet à la Russie de manifester sa capacité de nuisance vis-à-vis des nombreux satellites en orbite basse.

Christian Maire, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique, l’explique dans une note publiée le 15 décembre 2022 à Paris.

Les orbites. En orbite basse jusqu’à 2.000 km d’altitude, les satellites tournent autour de la terre à la vitesse d’environ 8 km/seconde et ne restent que quelques minutes en visibilité d’un point donné. La Station spatiale internationale se trouve à 400 km d’altitude et la constellation américaine privée Starlink à 550 km. Sur cette orbite, les satellites assurent trois types de missions : civiles à buts technologiques, scientifiques, d’observation et de communications ; militaires pour l’observation, l’écoute et la météorologie ; duales pour l’observation et les communications. En orbite moyenne à plus ou moins 20.000 km d’altitude, les constellations d’au moins 24 satellites de navigation offrent une couverture mondiale permanente aux grandes puissances : Glonass (19.100 km) pour la Russie ; GPS (20.200 km) pour les Etats-Unis ; Galileo (23.222 km) pour l’Union européenne ; Beidou/Compass (27.878 km) pour la Chine. En orbite géostationnaire à 36.000 km au-dessus de l’équateur, les satellites tournent à la vitesse de la terre et restent fixes par rapport au sol. Les satellites civils relaient les télécommunications (télédiffusion directe, téléphonie et internet) et recueillent des données météorologiques. Les satellites militaires remplissent des missions d’alerte précoce, de communications, d’écoute, de météorologie, d’observation et de détection d’explosions nucléaires. Ceux à vocation duale servent à la navigation et aux communications. L’application militaire des satellites de navigation concerne notamment les missiles balistiques, les armes de précision et les planeurs hypersoniques. Entre janvier et septembre 2022, 68 satellites de toutes catégories ont été lancés par les Etats-Unis, 44 par la Chine, mais seulement 11 par la Russie.

Les armes antisatellites. Connues depuis les années 1960, les armes antisatellites se répartissent ainsi : celles à ascension directe ; celles à charge nucléaire ; celles à énergie dirigée, basées au sol ou dans l’espace ; brouillage électronique ; moyens cybers. Il n’y a pas encore eu d’essais de destruction de cibles dans les orbites moyenne et géostationnaire. L’orbite basse, plus accessible sur les plans technique et temporel par les armes antisatellites à ascension directe (DA-ASAT), reste la plus fréquentée et donc la plus vulnérable (voir encadré). Toutefois, l’espacement entre satellites constitue une contrainte pour une DA-ASAT qui, en outre, mettrait plusieurs heures à atteindre sa cible, donnant ainsi un préavis important au pays menacé. En 1985, les États-Unis effectuent le premier essai de DA-SAT avec un missile ASM-135 tiré depuis un avion de chasse F-15A modifié, qui a détruit un satellite à 555 km d’altitude. En 2007, la Chine détruit un satellite météorologique à 865 km d’altitude, provoquant la projection de plusieurs milliers de débris en orbite basse. En 2019, l’Inde détruit un satellite en orbite très basse, pour limiter la production de débris de longue durée de vie. En 2021, la Russie détruit un vieux satellite militaire d’écoute électronique de 1.750 kg à environ 465 km d’altitude. Elle a utilisé un missile antibalistique Nudol, à charge non nucléaire et équipé d’un vecteur terminal montant jusqu’à 850 km. Ce dernier aurait été muni d’un véhicule « tueur » avec une charge militaire à fragmentation ou un dispositif d’amélioration de la létalité ou bien encore sa précision aurait suffi pour percuter le satellite. Par ailleurs, la Russie dispose du système mobile de défense atérienne et antimissile S-400, supérieur au MIM-104 Patriot américain. Elle développe son successeur, le S-500, qui serait doté de l’intercepteur extra-atmosphérique 77NG-N1 capable de détruire missiles balistiques et satellites. A la fin des années 1980, le Nariad, vecteur dérivé du missile balistique intercontinental SS-19 tiré d’un silo, avait été conçu pour cibler des satellites en orbites de 150 km à 40.000 km. Après trois essais en 1990, 1991 et 1994, il a été transformé en lanceur de satellites en orbite basse et renommé Rokot. Le système DA-ASAT Burevestnik 14K168, inspiré du missile 78M6 Kontakt avec un véhicule tueur, est aérotransportable par l’avion de chasse MiG-31BM. Enfin, les systèmes antimissiles exo-atmosphériques soviétiques à charge nucléaire Galosh et Gorgon auraient pu constituer des DA-ASAT. Mais ils ont été démantelés, car une charge nucléaire explosant dans l’espace aurait affecté tous les satellites.

Les conséquences stratégiques. Depuis la guerre du Golfe (1990-1991), les capacités spatiales assurent la collecte de renseignements et apportent aussi un soutien direct aux forces militaires engagées sur un théâtre d’opérations. Avec le Nudol, la Russie peut cibler la plupart des satellites militaires, météorologiques et de communications à 500 km d’altitude avec un préavis de quelques minutes. Déjà, la Station internationale et de nombreux satellites, dont ceux de la société privée américaine Starlink, ont dû manœuvrer pour éviter les débris consécutifs à l’essai de 2021. En complément du Nudol, le système aéroporté Burevestnik apporterait une souplesse opérationnelle accrue. En outre, le risque existe que les débris deviennent des projectiles susceptibles d’entrer en collision avec les objets à proximité, provoquant une réaction en chaîne. Par ailleurs, l’identification de l’agresseur, facile à déterminer depuis une base de lancement fixe, sera plus difficile à partir d’un lanceur mobile au sol ou aéroporté. Dans ce contexte, un État qui se sentirait menacé pourrait adopter des postures d’escalade miliaire pour compenser l’effet redouté. Selon une analyse du think tank américain Rand Corporation, publiée en octobre 2022, la Russie et la Chine ressentent les activités spatiales américaines comme une menace pour leur dissuasion nucléaire et veulent s’en protéger. Les Etats-Unis développent des contre-mesures portant sur la furtivité, le durcissement des systèmes de communications et la constitution de constellations. L’intelligence artificielle va aider à la prise de décision, grâce aux bibliothèques de caractéristiques de la menace et à l’analyse des informations des senseurs, des trajectoires de vol et des données de ciblage et de navigation.

Loïc Salmon

En août 2022, le système américain de surveillance de l’espace a dénombré 25.556 objets (taille supérieure à 10 cm) en orbite : 9.201 satellites opérationnels ou inactifs ; 16.355 débris des corps de propulsion et des résidus de satellites. En juin 2022, il a compté 5.465 satellites opérationnels, dont 86 % en orbite basse, 2.6 % en orbite moyenne et 10,3 % en orbite géostationnaire. A cette date, la répartition s’établit ainsi : 3.433 satellites opérationnels dont 123 militaires pour les Etats-Unis ; 156 satellites pour la Russie (56 satellites militaires) ; 536 pour la Chine (nombre de satellites militaires inconnu). Enfin, la société américaine privée Starlink, qui a lancé plus de 2.500 satellites depuis 2018, disposait de 2.219 satellites opérationnels en juin 2022.

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Armée de l’Air et de l’Espace : enjeux de la très haute altitude

Des technologies, arrivées à maturité en 2035, permettront de conserver la liberté d’appréciation, d’accès et d’action par des opérations militaires dans l’espace aérien compris entre 20 km et 100 km d’altitude.

Ce thème a fait l’objet d’un colloque organisé, le 9 janvier 2023 à Paris, par le Centre d’études stratégiques aérospatiales. Y sont notamment intervenus : le général de corps aérien Frédéric Parisot, major général de l’Armée de l’Air et de l’Espace (AAE) ; Hervé Derrey, Thales Alenia Space ; Marc Vales, Dassault Aviation ; Stéphane Vesval, Airbus Defense and Space ; Nicolas Multan, société Hemeria ; l’ingénieur en chef Jean-Baptiste Paing, Direction générale de l’armement ; le général de corps aérien Philippe Morales, commandant la défense aérienne et les opérations aériennes ; Frank Lefevre, Office national d’études et de recherches aérospatiales (ONERA) ; Bertrand Le Meur, Direction générale des relations internationales et de la stratégie.

L’espace aérien supérieur. Entre 20 km et 100 km d’altitude, l’atmosphère est raréfiée. Dans cette couche, les ballons stratosphériques et planeurs hypersoniques stationnent ou se déplacent mais ne gravitent pas. Cet espace aérien supérieur constitue le lieu de passage des missiles balistiques et de certains moyens pour les opérations spéciales, rappelle le général Frédéric Parisot. L’accès des plateformes, civiles ou militaires, qui y circuleront, sera moins onéreux que celui à l’espace. Certaines nations et organisations pourraient donc se doter de ballons stratosphériques (photo) géostationnaires pendant plusieurs mois au-dessus du territoire national et y compromettre certaines activités. Sur les plans défensif et offensif, l’AAE doit affirmer sa présence dans les milieux aérien, stratosphérique et spatial avec un équilibre entre les trois. L’aérien étant déjà régi par la Convention de Chicago de 1944 et l’espace par le traité de 1967, il reste à définir les règles pour les trajectoires, entrées et sorties dans le stratosphérique. Il s’agit de connaître ce milieu, de le surveiller et de l’exploiter au titre de la souveraineté nationale pour la protection du territoire et des populations et aussi pour les opérations militaires, en cas de perturbations des activités aériennes et spatiales. Pour la défense antimissile, des ballons pourraient, par exemple, surveiller les activités balistiques de la Corée du Nord ou assurer des détections vers le sol et l’espace. La défense aérienne dans la très haute altitude prend en compte la fugacité des objets, leur vitesse et leur persistance. Contrer la menace d’armes hypersoniques volant au-delà de Mach 5 (6.174 km/h) va nécessiter des capteurs d’une allonge suffisante pour conserver la capacité de préavis. A l’été 2023, l’AAE disposera d’une feuille de route pour définir les missions et les moyens dans la très haute altitude. Celle-ci est le domaine des vitesses supersonique et hypersonique avec des applications aux missiles de croisière ou à des planeurs, explique Frank Lefevre. Entre 1960 et 1970, l’ONERA a effectué 400 tirs de fusées-sondes dans la stratosphère pour réaliser le missile nucléaire aéroporté supersonique, auquel succédera un missile hypersonique. A cette vitesse, le mobile crée une onde de choc suivie d’une température de 1.000 °C. L’ONERA travaille en laboratoire sur les matériaux de protection « numériques » d’un véhicule et sur sa navigation, son guidage, sa précision et son aérodynamique dans des souffleries jusqu’à Mach 12 (14.817 km/h).

Les projets en cours. Les « avions spatiaux » peuvent atteindre la vitesse de 8 km/seconde avec des moteurs de fusées et doivent évoluer dans l’atmosphère sans se transformer en boule de feu, indique Marc Vales. Complémentaires des lanceurs et des satellites, ils apportent une réutilisation, une souplesse d’emploi et une fiabilité héritée de l’aéronautique. Dassault Aviation a réalisé le démonstrateur Space Rider qui a volé en 2015. En association avec des partenaires dont Thales Alenia Space, il développe une famille de véhicules hypersoniques (drones ou habités), destinée à l’Union européenne spatiale civile et, sur le plan militaire, pour la surveillance stratégique de son territoire, de l’Afrique et du Moyen-Orient. De son côté, Thalès Alenia Space propose le Stratobus, dirigeable gonflé à l’hélium, géostationnaire dans la stratosphère et sélectionné fin 2022 par le Fonds européen de défense. Selon Hervé Derrey, il sera placé à 19 km d’altitude pour couvrir une zone d’un diamètre de 1.000 km pendant un an. Équipé d’une propulsion électrique alimentée par l’énergie solaire, il pourra emporter des charges utiles de 250 kg et 5 kW de puissance, notamment des radars à longue portée et des moyens de télécommunications civiles ou militaires ou encore des antennes étendues pour la guerre électronique. Réalisé avec coopération avec l’Espagne, un démonstrateur du Stratobus devrait voler au-dessus des Canaries en 2025 avec des démonstrateurs allemand et italien. Airbus Defense and Space, qui a développé le projet Balman avec Hemeria (photo), a fait voler le drone stratosphérique Zéphyr 8 pendant 64 jours en 2022. Selon Stéphane Vesval, Balman et Zéphyr 8 ont vocation à servir en réseau entre eux et avec des systèmes spatiaux. Capable de pénétrer des espaces aériens interdits grâce à sa faible signature radar, Zéphyr 8 transmet, par laser optique, une observation imagerie et vidéo sur 1 km2 avec une résolution de 18 cm. Pour anticiper les investissements dans la stratosphère, la Direction générale de l’armement a procédé à des études technico-opérationnelles dès 2018. Selon Jean-Baptiste Paing, elle a choisi le ballon manœuvrant et le dirigeable pour disposer d’une observation radar pendant une longue durée et indépendante des conditions météorologiques et des effets jour et nuit. Il reste à relever les défis technologiques portant sur les capacités industrielles en termes de matériaux des structures et de qualité des capteurs.

Stratégie de défense. L’espace aérien supérieur, en plein développement, présente les mêmes caractéristiques que les grands fonds marins avec de nouvelles technologies, des enjeux de compétition et une lisibilité assez faible, estime Bertrand Le Meur. La surveillance des objets hypersoniques ou à déplacement lent va nécessiter une capacité globale, car ils pourront venir de n’importe où. Des partenariats internationaux permettraient de développer des moyens défensifs et éventuellement offensifs. De son côté, le général Philippe Morales anticipe une certaine forme d’« arsenalisation » de l’espace aérien supérieur, consécutive à la démocratisation de son accès et à la compétition stratégique accrue. Il faut d’abord développer les connaissances des objets qui y évoluent : caractéristiques ; autonomie ; performances ; d’où et comment ils partent ; nature militaire, civile ou duale. Il faut ensuite identifier, caractériser et attribuer une action suspecte, inamicale, illégale, dangereuse ou hostile. Ensuite, il faut disposer de moyens d’interdiction proportionnels aux actes suspects, à savoir contre-mesures, actions de rétorsion ou neutralisation des vecteurs eux-mêmes. Cet espace est utilisable pour les opérations de défense contre tout ennemi potentiel ou pour la projection de puissance. Drones et ballons stratosphériques permettront d’améliorer la surveillance d’un théâtre d’opérations plus vaste que celui de l’Ukraine, sachant qu’un ennemi potentiel fera de même. Déjà le Commandement de la défense aérienne et des opérations aériennes et le Commandement de l’espace établissent des scénarios avec des questions et réponses pour un entraînement coordonné.

Loïc Salmon

Selon son directeur général Nicolas Multan, la société Hemeria produit une gamme de 10 ballons gonflés à l’hélium pour des missions scientifiques du Centre national d’études spatiales depuis 25 ans. Grâce à son expérience des opérations en vol, elle développe le programme « Balman », ballon stratosphérique manœuvrant en orbite (photo). Capable de rester stable sur zone pendant plusieurs mois, Balman pourrait remplir des missions civiles ou militaires à partir de 2026.

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Marines : défense et déni d’accès

Recours à l’espace, technologie de pointe, interopérabilité et combat collaboratif constituent les objectifs des Marines. Pour éviter toute surprise stratégique, Chine, Russie, Iran et Syrie misent sur l’interdiction maritime de zones.

Ces thèmes ont été abordés au cours d’un colloque organisé, le 17 octobre 2022 à Paris, par la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) et la Sogena (Société d’organisation et de gestion d’événements navals dont le salon Euronaval à Paris). Sont notamment intervenus : Philippe Gros, maître de recherche à la FRS ; Xavier Mesnet, directeur du segment naval chez Thales ; Didier Alary, consultant et chercheur à la Chaire Sirius (droit et management du secteur spatial).

L’espace. Les constellations de satellites, reliées entre elles et aux centres de contrôle terrestres, permettent de mener une guerre avec une très forte élongation en temps réel, souligne Didier Alary. Elles intègrent la géolocalisation par ondes radio fréquences et la liaison tactique 16 de l’OTAN et peuvent envoyer des données ISR en une minute. A partir de cinq satellites connectés, il est possible de repérer un navire qui n’a pas allumé son système d’identification automatique AIS, pourtant obligatoire depuis 2007. Cryptables, les communications spatiales par laser restent difficiles à intercepter.

L’interdiction maritime. Les opérations navales prennent en compte les dimensions multi-milieux et multi-champs, explique Philippe Gros. L’interopérabilité des différentes unités navales est rendue difficile par l’hétérogénéité de la planification et de la mise en œuvre des moyens. La connectivité pourrait être améliorée sur le plan technique, mais l’écart culturel et cognitif persiste entre les personnels des différents domaines. Sur le plan stratégique au niveau international, il s’agit de faire converger les futurs « clouds de combat » (mise en réseau, facteur de la supériorité informationnelle et décisionnelle), tout en préservant sa propre base industrielle et technologique de défense. Le partage d’informations reste hautement sensible dans les opérations cyber. L’échelle du temps varie selon les opérations, de la conception à la planification et la conduite. Ainsi dans le cyber, une action défensive vise un effet immédiat, mais une action offensive recherche un effet différé pour exercer une influence. Une manœuvre navale ou terrestre dure des heures, des jours ou des semaines, mais une manœuvre aérienne des heures ou des jours. Si les contre-mesures électroniques durent de quelques minutes à plusieurs semaines, les tirs de missiles surface-surface, air-surface ou surface-air se limitent à la minute. Toutefois, un consensus se dégage sur les procédures et méthodes pour rechercher des effets conjoints et réorganiser le C2 (commandement et conduite). Cela implique d’améliorer la préparation opérationnelle commune et la planification des opérations interarmées.

La Chine. Selon Philippe Gros, la stratégie navale chinoise a évolué vers la défense au large, puis les opérations en haute mer, le contrôle de la mer de Chine et de la mer Jaune et le déni d’accès à la mer des Philippines et au-delà. Depuis 2015, elle y ajoute la protection des mers lointaines par des missions de projection à moyen terme. En cas de conflit, tous les domaines seront mis en œuvre pour des opérations de déni d’accès naval à longue distance. D’énormes moyens ISTAR (renseignement, surveillance, ciblage et reconnaissance) cibleront les unités américaines et alliées sur terre (radars transhorizon), dans les airs (avions de patrouille maritime et drones) et dans l’espace (imagerie et constellations de satellites militaires Yaogan). Les missiles balistiques antinavires MRBM DF-21D seront tirés de la terre. Le déni d’accès aérien sera assuré par les bombardiers H-6K/G, chasseurs bombardiers Flanker/JH-7 équipés de missiles supersoniques antinavires YJ-12 (portée jusqu’à 400 km), subsoniques LP YJ-100 (800 km) et peut-être hypersoniques CH-AS X-13 (4.500 km). L’action sous la mer serait réalisée par les sous-marins à propulsion diesel-électrique et quelques sous-marins nucléaires d’attaque équipés de missiles supersoniques YJ-18 ASCM. Les bâtiments de surface seraient réservés au contrôle de la mer de Chine et aux opérations autour de Taïwan. Les porte-avions, les destroyers de la classe 052D et les croiseurs « tueurs de porte-avions » 055 permettraient une projection de puissance. La coordination de l’ensemble nécessite une importante préparation opérationnelle commune.

La Russie. La fortification du littoral jusqu’à 1.000 km au large et le déni d’accès des approches maritimes se trouvent au cœur de la stratégie navale russe, explique Philippe Gros. Il s’agit de protéger les bases de la Force océanique stratégique dans le Nord et le Pacifique et de soutenir les engagements en mer Noire et en Méditerranée. L’aviation navale ou les forces aérospatiales (créées en 2015) assurent en priorité le déni d’accès. La défense côtière repose sur des flottilles de corvettes et frégates et des missiles antinavires basés à terre. Toutefois, la Russie n’a pas développé de capacités de ciblage au-delà de 500 km. La guerre en Ukraine a entraîné un usage intensif de missiles, dont les stocks se reconstituent mal en raison des sanctions occidentales qui affectent l’industrie de défense russe. Par ailleurs, la mer Noire joue un rôle crucial dans le conflit : contrôle naval par la Russie ; défense aérienne du flanc Sud-Ouest du théâtre ; missiles Kalibr, tirés de navires de surface ou de sous-marins sur le territoire ukrainien ; menace d’une opération amphibie russe contre le port ukrainien d’Odessa. La flotte côtière ukrainienne a été anéantie. Mais la force navale russe a subi des revers : croiseur Moskva coulé ; 3 à 7 navires amphibies détruits ou endommagés ; 5 patrouilleurs coulés. Ces pertes sont dues aux drones ukrainiens armés TB2 et aux tirs d’artillerie depuis le territoire ukrainien.

L’Iran. Selon Philippe Gros, les moyens navals iraniens se répartissent entre la Marine conventionnelle et la Garde côtière du Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI). Il s’ensuit un grave déséquilibre face à la supériorité des flottes conventionnelles américaine et alliées présentes. La stratégie du CGRI porte sur la dissuasion par l’interdiction maritime via la guerre hybride jusqu’à l’engagement de haute intensité, avec des sous-marins de poche, des dizaines de bateaux rapides équipés de missiles et des centaines d’embarcations rapides légèrement armées. En outre, le CGRI dispose de forces aérospatiales équipées de missiles antinavires, de moyens ISR (renseignement, surveillance et reconnaissance), de drones armés, de munitions rôdeuses (drones suicides) jusqu’à quelques centaines de km et de lance-roquettes multiples à courte portée Exercices et infrastructures durcies et enterrées complètent le dispositif.

La Syrie. La Méditerranée, zone instable, se trouve sous la menace probable de « l’arc de résistance chiite », dirigé par l’Iran et la Syrie, et éventuellement d’autres puissances régionales, indique Philippe Gros. Moyens ISR, drones armés et missiles antinavires constituent une ligne de défense de plusieurs centaines de km, suffisante pour gêner une opération amphibie. Plus tard, la menace sera accrue par diverses proliférations : moyens de saturation des systèmes de missiles terrestres ; liaisons satellitaires commerciales de plus longue portée ; missiles hypervéloces ; nouveaux missiles antinavires. Enfin, d’autres pays de la région pourraient étendre un déni d’accès à plus de 1.000 km avec des moyens aériens.

Loïc Salmon

Le combat naval collaboratif implique le développement des drones armés et des armes à énergie dirigée, indique Xavier Mesnet. Il nécessite aussi la sécurisation du drone (cyberattaques) et de la transmission des bonnes informations qui doivent arriver au commandement au bon moment (capacité de calcul). Dans la lutte anti-sous-marine, la miniaturisation des sonars immergés à grande profondeur, réalisée grâce à la technologie quantique, réduit leur consommation d’énergie.

Marines : se préparer au combat naval de haute intensité

Marines : outils de sécurité, du Moyen-Orient à l’océan Indien

Chine : risque de conflit armé dans le détroit de Taïwan




Défense : l’innovation, pour la supériorité opérationnelle et l’autonomie stratégique

Espace, Robotique, hypervélocité et stratégie capacitaire pour la maîtrise des fonds marins sont pris en compte par le ministère des Armées dans l’hypothèse d’un engagement majeur d’ici à 2030.

Selon le « Document de référence de l’orientation de l’innovation de défense » publié le 21 juillet 2022, le ministère bénéficiera de financements dans le cadre du Plan d’investissements France de 34 Mds€ sur 5 ans, lancé en octobre 2021, et du Fonds européen de défense. Le document de référence intègre les ajustements de la loi de programmation militaire 2019-2025 en matière de cyberdéfense, défense NRBC (nucléaire, biologique, radiologique et chimique) et lutte anti-drones. Par ailleurs, le réseau de 9 « clusters » (regroupements d’entreprises) d’innovation technique de la Direction générale de l’armement démultiplie l’action de l’Agence de l’innovation de défense.

Frappe dans la profondeur. A l’horizon 2030, la principale menace porte sur la contestation d’espaces et d’accès par des moyens de défense aérienne, à savoir des radars et des systèmes surface-air intégrés en réseaux maillés, éventuellement utilisés en coordination avec une aviation de combat. Des barrières de défense navales de plusieurs centaines de kilomètres de large ou de profondeur peuvent gêner certains modes d’action offensifs et défensifs. La capacité de frapper des cibles à haute valeur ajoutée dans la profondeur du dispositif adverse, en mer ou à terre en limitant les risques, nécessite de pouvoir agir depuis le territoire national, à partir de bases aériennes projetées, d’emprises terrestres avancées ou depuis la mer. Cela implique diverses préparations : développement du futur missile antinavire et du futur missile de croisière mis en œuvre à partir de plateformes aériennes ou navales ; rénovation à mi-vie du missile de croisière naval ; mise au point de futurs matériaux énergétiques de défense ; montée à maturité des technologies des planeurs hypersoniques pour faire face à l’évolution des défenses et aux stratégies de déni d’accès de l’espace aérien ; évaluation des technologies de missiles pour répondre à la frappe sol-sol longue portée ; maintien de la capacité d’innovation dans le domaine des missiles ; développement de technologies pour l’artillerie électrique.

Systèmes spatiaux. Face aux menaces de déni d’accès (enjeu de souveraineté) et de leurrage (enjeu industriel), la navigation par satellite doit disposer de récepteurs intégrables dans les systèmes d’armes. La « Navwar », qui correspond à la maîtrise du spectre sur les bandes de fréquences de GNSS (système de positionnement par satellite d’un élément en temps réel partout dans le monde), inclut les activités suivantes : la protection pour se prémunir d’une attaque adverse et maintenir ses propres capacités de navigation ; la surveillance pour détecter, localiser et caractériser les attaques adverses ; l’action offensive pour empêcher l’utilisation des informations de GNSS par l’adversaire sur une zone donnée. Il s’agit aussi de préparer les évolutions du programme « Oméga » (opération de modernisation des équipements de radionavigation par satellite des armées) selon la menace, en améliorant les antennes et les traitements de données. Vers 2030, l’approche défensive d’Oméga sera complétée par des capacités de détection, caractérisation et localisation de la menace. Le développement d’une résilience système et un volet offensif permettront ainsi d’adapter la manœuvre opérationnelle.

Loïc Salmon

Guerre future : menaces balistiques et spatiales accrues

Stratégie : maîtrise des fonds marins, ambition et opérations

Défense : l’AID, interlocutrice des porteurs d’innovation

 




Union européenne : présidence française, acquis de la défense

L’engagement écrit de nouveaux financements pour l’acquisition de capacités de défense, obtenu lors de la présidence de la France au premier semestre 2022, manifeste le réveil stratégique de l’Union européenne (UE).

Ce dernier et la « boussole stratégique », actualisée en cohérence avec le nouveau concept stratégique de l’OTAN, ont été présentés à la presse, le 7 juillet 2022 à Paris, par Alice Guitton, directrice générale des relations internationales et de la stratégie du ministère des Armées.

L’Europe puissance. Véritable Livre blanc de la défense de l’UE à l’horizon 2030, la boussole stratégique a été adoptée par les 27 Etats membres. L’invasion de l’Ukraine, le 22 février, a rendu nécessaires la crédibilité de l’OTAN et sa coordination avec l’UE pour dissuader la Russie d’attaquer l’un des membres de l’Alliance atlantique. La boussole stratégique sera mise en œuvre et déclinée en liaison étroite avec la République tchèque puis la Suède, qui succèdent à la France à la tête du Conseil européen jusqu’au 30 juin 2023. Elle porte d’abord sur une capacité de déploiement rapide, adossée à des processus de décision plus flexibles, plus réactifs et plus adaptés aux besoins des pays partenaires. Les missions PSDC (politique de sécurité et de défense commune) seront rénovées pour permettre des coopérations structurelles, plus en soutien des besoins de souveraineté des partenaires de l’UE et des modalités d’actions. Un investissement de l’ensemble des Etats membres doit garantir un accès sûr à l’espace, au cyber et à la haute mer, domaines contestés, avec les lancements d’une présence maritime coordonnée dans l’océan Indien et d’une stratégie spatiale avec l’exercice Aster X, tenu à Toulouse le 4 mars. Outre la zone indopacifique, l’accent a été mis sur les Balkans et l’Afrique. Le dialogue entre l’UE et les Etats-Unis a repris en matière de sécurité et de défense. Conçue pour la gestion de crise dans les Balkans ou en Afrique, la « Facilité européenne pour la paix », instrument extrabudgétaire créé en 2021, visait d’abord à financer les équipements et armements des troupes des EUTM (missions de formation de l’armée d’un pays tiers). Depuis, elle a été mobilisée pour fournir des armes à l’Ukraine pour un montant de 2 Mds€.

La BITD européenne. Des réponses urgentes ont été apportées pour combler les lacunes capacitaires. Lors de sa réunion des 24 et 25 mars et avant même l’adoption de la boussole stratégique, le Conseil des chefs d’Etat et de gouvernement a demandé à la Commission européenne et à l’Agence européenne de défense de proposer des solutions de court et moyen termes pour soutenir et renforcer la base industrielle et technologique de défense (BITD) européenne. En outre, il a décidé de créer un « hub » (plateforme) en charge de l’innovation au sein de l’Agence européenne de défense. Par ailleurs et sur sa demande, la Commission européenne a proposé la création de deux nouveaux instruments d’incitation à l’acquisition conjointe d’équipements militaires. Le premier est un plan d’urgence pour réapprovisionner les stocks de matériels pour un montant de 500 M€ sur 2022-2024, soutenu par le budget de l’UE. Le second consiste en un programme européen d’investissements de défense pour faciliter l’achat conjoint, via des exemptions de taxe à la valeur ajoutée et des flexibilités réglementaires. Il offre la possibilité de mobiliser des financements du budget de l’UE pour renforcer la BITD. Même après la guerre en Ukraine, les dépenses de défense devraient continuer à augmenter de façon significative, estime Alice Guitton.

Loïc Salmon

OTAN : actualisation du concept stratégique et complémentarité navale franco-américaine

Océan Indien : espace de coopération internationale

Armée de l’Air et de l’Espace : imaginer et mettre en œuvre une défense spatiale




Espace : dangerosité du milieu et défense en coopération

Enjeu de rivalités de puissances, l’espace constitue un théâtre de conflictualité où se défendre est légitime. Au-delà de la surveillance, la coopération entre Etats s’inscrit dans une logique de poursuite.

Le général de brigade aérienne Thierry Blanc, adjoint au commandant de l’Espace, l’a expliqué lors d’une conférence organisée, le 5 avril 2022 à Paris, par l’Association des auditeurs IHEDN région Paris Ile-de-France.

Prolifération. Défini comme au-delà de 100 km de la surface de la terre, l‘espace est un milieu hostile où la température varie de + 250° C le jour à – 350° C la nuit. Quelque 35.000 débris de plus de 10 cm s’y déplacent à 7 km/seconde, effectuant le tour de la terre en 90 minutes. S’y ajoutent 600 t d’objets en orbite, dont 500 satellites présentant des risques de fragmentation. Tout objet dans l’espace peut devenir une arme, estime le général Blanc. Chaque jour, le Commandement de l’espace reçoit 70.000 informations sur les risques de collision. Il n’existe pas encore de texte juridiquement contraignant dans ce domaine. Le traité de 1967 sur l’espace interdit la mise en orbite d’armes de destruction massive capables de faire le tour de la terre et ne s’applique donc pas aux missiles balistiques nucléaires. Au cours des 15 dernières années, les dépenses consacrées à l’espace ont doublé. En 2020, 1.300 satellites opérationnels de 80 pays se trouvent en orbite, soit dix fois plus qu’en 2010. De nouveaux acteurs, privés, en disposent. Ainsi, le 5 avril 2022, le groupe américain Amazon a conclu un contrat avec trois sociétés spatiales portant sur 83 lancements, en 5 ans, de la majeure partie de son futur réseau « Kuiper » de 3.236 satellites en orbite basse (600 km) pour la diffusion d’internet. Il s’agit de : Arianespace avec la fusée Ariane 6, à partir du Centre spatial de Kourou (Guyane) ; Blue Origin avec le lanceur New Glenn et United Launch Alliance avec la fusée Vulcan Centaur, à partir de Cap Canaveral (Floride). Afin de dépasser les Etats-Unis en 2049, la Chine développe ses capacités spatiales, dont le budget devrait passer de 400 Mds$ en 2019 à 4.000 Mds$ en 2040. Par ailleurs, la guerre en Ukraine démontre l’importance militaire de l’espace. La Russie dispose de « satellites mères » capables de larguer des petits satellites avec une trajectoire particulière et une appartenance difficile à déterminer. Ces satellites pourraient disperser des débris ou percuter un autre satellite. Enfin, les cyberattaques présentent un risque majeur pour les futurs systèmes spatiaux.

Opérations. Une constellation de satellites contribue à la surveillance de l’espace par l’envoi de données traitées au sol pour déterminer les trajectoires en orbite, indique le général Blanc. Les Etats-Unis vont déployer 20.000-30.000 constellations de microsatellites, en complément de leur réseau de radars. Outre les missiles antisatellites et le brouillage de satellites de communications, la Russie développe des satellites saboteurs pour empêcher d’autres satellites d’accomplir leurs missions. Depuis 2012, la Chine a regroupé ses forces spatiales et cyber avec celles de la guerre électronique. En 2021, la Grande-Bretagne a créé un Commandement interarmées de l’espace rattaché à l’armée de l’Air, comme la France. La même année, celle-ci a rejoint le Centre d’opérations spatiales combinées, partenariat stratégique entre les Etats-Unis, le Canada, la Grande-Bretagne, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Afin de protéger ses satellites militaires, la France va lancer le patrouilleur spatial « Yoda » en 2023, en vue de la mise en orbite d’engins opérationnels d’ici à 2030.

Loïc Salmon

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