Armée de l’Air et de l’Espace : les enjeux du spatial militaire
Le Commandement de l’espace (CDE) monte en puissance pour améliorer la surveillance de l’espace, en vue de la protection et la défense des intérêts français. Il complète ses capacités par une coopération internationale renforcée.
Son commandant, le général de division aérienne Philippe Adam l’a expliqué au cours d’une rencontre organisée, le 14 mai 2024 à Paris, par l’Association des journalistes de défense.
Les menaces. L’espace, où se croisent les mondes civil et militaire, commence à 100 km d’altitude au-dessus du niveau de la mer et continue son expansion en permanence. Même si les risques de collision entre les 2.000 satellites en orbite restent relativement faibles, ils augmentent avec l’accroissement de l’activité des opérateurs étatiques et privés, sans compter le nombre accru de débris. La compétition et la facilité d’accès à l’espace permettent d’exercer de nouvelles activités, cachées par d’autres tout à fait licites, souligne le général Adam. Les menaces existantes sont vues, observées et suivies. Il ne s’agit pas systématiquement d’actes hostiles, agressifs ou directement malveillants, mais d’activités très suspectes et préoccupantes sur ce qui pourrait se produire. Dans l’espace, elles consistent en menaces orbitales, écoute et brouillage. Les armes à énergie dirigée sont encore trop volumineuses pour être envoyées dans l’espace. Mais, du sol, le brouillage, l’illumination laser et les missiles antisatellites peuvent causer des dégâts considérables. Le sabotage menace les antennes, les centres de calcul et ceux de stockage de données, vulnérables aux attaques cyber. Les attaques, bien préparées, ne se découvrent qu’à leur déclenchement. Outre ses nombreuses cyberattaques en cours contre la France, la Russie se livre à de activités bizarres dans l’espace. Ainsi, en 2018, des satellites russes se sont rapprochés des satellites français, sans explication ni coordination ni justification. A l’époque, la ministre de la Défense Florence Parly avait dénoncé des manœuvres inamicales. L’écoute des fréquences des satellites de communications pourrait permettre d’interrompre leurs services n’importe quand. La Chine effectue des manœuvres de satellites en orbite géostationnaire avec des trajectoires compliquées, très difficiles à observer. La Russie et la Chine mélangent les activités civiles et militaires, voire entretiennent un flou permanent sur la distinction entre les deux. Enfin, le CDE doit aussi surveiller la Corée du Nord, l’Iran et quelques autres acteurs non précisés.
La défense. Comme la police du ciel dans l’espace aérien, indique le général Adam, la « défense active » consiste à détecter les situations problématiques dans l’espace, les observer et les surveiller, puis les analyser, les comprendre et agir. Il convient d’abord d’envoyer dans l’espace un moyen de récupérer des informations supplémentaires avant d’utiliser la force. La posture défensive de la France repose sur la légitime défense, comme pour toutes ses opérations militaires. Outre les grands opérateurs et industriels de l’espace connus du ministère des Armées, de nombreuses startups et beaucoup d’entreprises moyennes, actives dans d’autres domaines, s’y lancent aussi. Le CDE doit réussir à exploiter leurs bonnes idées afin d’avancer rapidement. Il dispose en propre du Laboratoire d’innovation spatiale, installé à Toulouse (voir plus loin) et qui pratique le « benchmarking », à savoir l’ensemble des actions aidant à évaluer et comparer les produits, méthodes et services d’autres acteurs, en vue de s’assurer un avantage sur eux. Selon un document du CDE, celui-ci développe les coopérations internationales avec les principaux acteurs de l’espace. En 2020, la France et l’Allemagne ont rejoint le forum « Combined Space Operations », qui regroupe les États-Unis, la Grande-Bretagne, le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Ce forum permet de discuter des sujets capacitaires, juridiques ou opérationnels, afin de coordonner les capacités alliées dans un futur proche, d’en augmenter la résilience pour assurer le soutien aux opérations multi-milieux et multi-champs, de garantir un accès libre à l’espace et d’y protéger les moyens spatiaux. En outre, la France entretient des coopérations bilatérales dans le domaine opérationnel avec les États-Unis, l’Allemagne, l’Italie, la Norvège, l’Inde, le Japon et les Émirats arabes unis. En mars 2020, elle a signé avec l’Allemagne un cadre de coopération sur la surveillance de l’espace à des fins de défense et de sécurité.
La préparation opérationnelle. L’expertise dans le domaine spatial nécessite des entraînements militaires à différents niveaux. Le document du CDE en présente quatre exemples internationaux : « Schriever Wargame », exercice politico-stratégique multinational ; « Global Sentinel », exercice de niveaux tactique et opératif multinational dédié à la surveillance de l’espace ; « Sprint Advanced Concept Training », exercice destiné au développement technologique pour la surveillance de l’espace dans un environnement très concurrentiel avec une cinquantaine d’opérateurs commerciaux ; « AsterX », exercice d’entraînement tactique et opératif organisé par la France depuis 2021. L’édition 2024 s’est déroulée à Toulouse du 4 au 15 mars avec un scénario géopolitique inspiré des menaces actuelles et futures sur l’ensemble du spectre de la guerre spatiale. Organisée par le CDE avec 7 partenaires industriels français et 15 partenaires étrangers, elle a mobilisé 140 participants civils et militaires, 27 joueurs étrangers et 30 observateurs étrangers. En outre, 4.000 objets spatiaux, 23 événements simulés, 14 menaces différentes, 11 systèmes missions et 1 supercalculateur ont été mis en œuvre. Visant une combinaison des effets planifiés, « AsterX » a été conduit par : les unités du CDE (voir plus loin) ; les composantes des armées Terre, Air, Marine et Cyber ; la Direction du renseignement militaire (DRM) et la Direction interarmées des réseaux d’infrastructures et des systèmes d’information ; le Centre national d’études spatiales ; le Centre d’excellence de l’OTAN pour l’espace, implanté à Toulouse, et le Centre français de recherche aérospatiale.
Les unités du CDE. Le Commandement de l’espace compte trois unités et en disposera d’une quatrième centrée sur l’intelligence artificielle en 2025. A Paris, le Centre de commandement et de contrôle des opérations spatiales permet d’établir la situation spatiale et d’effectuer des analyses de niveau opératif au profit des autorités de niveau stratégique. Il conduit les opérations nationales, souvent en coopération multinationale, par l’orientation de capteurs, l’analyse de la situation spatiale et le renseignement d’intérêt spatial. Il assure l’appui aux opérations en fournissant la météorologie solaire, la précision du signal GPS et celle du survol des satellites. Enfin, il concourt à la diffusion de l’alerte lors des rentrées atmosphériques à risque. A Creil, le Centre militaire d’observation par satellites (CMOS) garantit l’accès permanent du ministère des Armées à l’imagerie spatiale. Il maintient les liens et transmet les données requises pour assurer le service entre : les utilisateurs en France ; les pays partenaires du Musis (système multinational d’imagerie spatiale pour la surveillance, la reconnaissance et l’observation), à savoir l’Allemagne, la Belgique, l’Italie et la Suède, ainsi que ceux des systèmes Cosmo-Skymed (Italie) et Sar-Lupe (Allemagne) ; les contrôleurs opérationnels charge utile (DRM) et plateforme (CDE) ; les centres de maintien à poste des satellites. Le CMOS rejoindra les nouvelles installations du CDE à Toulouse en 2025. A Lyon-Mont-Verdun, le Centre opérationnel de surveillance militaire des objets spatiaux(Cosmos) maintient une situation spatiale autonome de référence. Il détecte et analyse tout évènement spatial menaçant. Il assure la capacité d’alerte avec les pays alliés et apporte un soutien spatial aux opérations. Le Cosmos rejoindra Toulouse en 2024. Toulouse abrite déjà le Laboratoire d’innovation spatiale des armées, chargé de favoriser l’émergence de solutions pour les besoins du CDE.
Loïc Salmon
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