Déjà champ d’action des opérations de brouillage dans un conflit armé, le spectre électromagnétique est devenu celui des cyberattaques dans les zones sous tensions et va renforcer celui du renseignement.
Ces thèmes ont fait l’objet d’un colloque organisé, en juin 2023 à Paris, par l’association Guerrelec avec la participation de spécialistes civils de haut niveau et des responsables militaires de rang élevé.
Le spectre électromagnétique. Pendant le salon européen Cysat sur la cybersécurité et le spatial, tenu à Paris les 26-27 avril 2023, une équipe de cybersécurité du groupe d’électronique de défense Thalès est parvenue à prendre le contrôle à distance d’un satellite de l’Agence spatiale européenne, au cours d’un exercice de simulation. Le code malveillant, qu’elle a introduit dans le système de bord, a modifié des images destinées à être transmises vers la terre et a masqué certains sites géographiques. Dès mars 2022 peu après le déclenchement de la guerre en Ukraine, des cyberattaquants russes ont perturbé le fonctionnement d’un satellite de télécommunications utilisé par les forces armées ukrainiennes. En outre, la Russie a harcelé les satellites militaires de la coalition pro-Kiev. Ainsi, son satellite espion Kosmos 2558 a attaqué à plusieurs reprises le système satellitaire français d’observation CSO (composante spatiale optique). Son mode opératoire consiste à approcher au plus près les sources d’émission de ses cibles pour en perturber les transmissions vers les stations de réception au sol. De son côté, la Chine travaille sur des techniques visant à rendre inopérants des satellites adverses en imitant leurs signaux de transmissions. Par ailleurs, selon l’association France Cyber Maritime, les cyberattaques contre le transport maritime ont considérablement augmenté depuis le début du conflit en Ukraine. Ainsi, le nombre d’incidents détectés et recensés a crû de 235 % entre 2020 et 2022. Certains correspondent à des demandes de rançons, d’autres sont dus à des hackers soupçonnés d’agir au service d’États, notamment la Russie.
Le conflit numérique des Spratleys. L’archipel de récifs et d’atolls des Spratleys en mer de Chine méridionale, zone riche en hydrocarbures et située sur la route des importations pétrolières chinoises, fait l’objet de contestations par la Chine, Taïwan, le Viêt Nam, les Philippines, la Malaisie et Brunei. La guerre numérique pourrait dégénérer en conflit de haute intensité sur et sous la mer, sur les terres émergées, dans les airs, y compris à très haute altitude, et dans l’espace. Après la collecte de renseignements à distance et les actions coordonnées cyber et guerre électronique, les menaces indirectes possibles consistent en manœuvres et déploiement de missiles balistiques, de croisière ou hypersoniques multi-milieux aux frontières de l’archipel. Les menaces directes portent sur le déni d’accès à partir du continent ou de bases insulaires, sur des actes isolés depuis des espaces maritimes non contrôlés et sur des opérations à partir de la mer, de l’air et de l’espace. En cas de conflit armé, des alliances régionales semblent probables : OTAN et ASEAN (dix pays d’Asie du Sud-Est) ; coalitions particulières ; alliance Chine-Russie avec une contribution éventuelle de la Corée du Nord. Les domaines d’intérêt stratégique sont multiples : forces adverses et leurs zones de déploiement ; bases aériennes et navales ; occupation d’atolls des Spratleys et des Paracels ; zones frontières entre la Chine, la Russie et la Corée du Nord, où sont concentrés commandement, forces et installations logistiques ; infrastructures dédiées au renseignement et à la surveillance, à savoir radars, centres de guerre électronique et d’actions cyber et enfin stations d’ancrage. Face à la Chine, la Russie et la Corée du Nord, les coalitions d’autres pays chercheront à garantir la liberté de navigation maritime et aérienne, maintenir l’accès aux ressources communes dans l’espace et le cyberespace, surveiller toute action militaire dans les différents milieux, anticiper et prévenir la montée aux extrêmes, enfin contrer par une gradation des moyens et des effets si la dissuasion s’est révélée insuffisante.
Le renseignement du futur. L’Agence de l’innovation de défense (AID) a tiré des enseignements de l’emploi du numérique dans la guerre en Ukraine. Alors que le système français Atlas de gestion et de transmissions automatiques d’informations, transmises par les équipes d’un régiment, donne l’ordre d’un tir d’artillerie en 1 minute 30 secondes, le logiciel ukrainien GIS-Art le déclenche…en 30 secondes ! Outre la diversité de ses recherches (voir encadré), l’AID s’intéresse au renseignement de demain. Le spectre électromagnétique évolue par suite de l’imbrication des usages des radars et des moyens de communication, de l’hybridation de ses emplois civils et militaires, de la généralisation du chiffrement et de l’agilité des émetteurs. Des opportunités apparaissent avec la miniaturisation des récepteurs et la polyvalence des senseurs. De nouvelles possibilités se présentent dans le domaine du renseignement pour la conception et l’exploitation de systèmes combinant les capacités étatiques et privées. Ainsi, des services spatiaux commerciaux proposent des imageries visible, infrarouge et de radar à synthèse d’ouverture (images en deux dimensions ou reconstitutions tridimensionnelles de paysages). D’autres collectent des fréquences radio et des signaux AIS (systèmes d’identification automatique entre navires de nuit, par temps de brume ou de faiblesse des échos radars). L’exploitation de ces données se fera par leur traitement massif à base d’intelligence artificielle et par l’augmentation des puissances de calcul. Il s’agit de développer, en synergie, les capacités en renseignement d’origine électromagnétique, guerre de la navigation (NAVMAR), cyber et autoprotection. La surveillance du spectre électromagnétique bénéficiera de divers développements : technologies quantiques, à savoir capteurs ultra-sensibles, simulateurs de comportements de systèmes, protection d’une information transmise par fibre optique et calculateurs hyperperformants ; future génération de capteurs spatiaux d’imageries visible et infrarouge ; imagerie hyper-spectrale à la résolution très supérieure à l’imagerie spatiale. Cela implique de préparer et d’optimiser les moyens de traitement et d’exploitation des données recueillies. L’AID a établi des feuilles de route au sein des domaines d’innovation. L’une concerne la persistance renforcée des capteurs, leur couverture géographique et l’extension de leurs fréquences au moyen de vecteurs autonomes, de drones et de constellations de nanosatellites. Une autre porte sur les traitements de plusieurs capteurs et de diverses sources par le développement d’outils de sources ouvertes et par la détection, la localisation et la caractérisation des interférences GNSS (positionnement par satellites). L’accélération de la boucle OODA (observer, orienter, décider et agir) permettra de produire du renseignement et de l’exploiter plus rapidement que l’adversaire. La multiplication de capteurs d’opportunités remplacera le petit nombre de capteurs spécialisés. Enfin, il faudra savoir traiter les flux de données et les partager par la connectivité. L’AID a mis en œuvre une « Red Team » regroupant des auteurs de science-fiction, qui imaginent de nouvelles menaces. Un scénario propose un casque de réalité virtuelle permettant à un pilote de drones d’observation de contrôler mentalement plusieurs engins et d’agréger les connaissances obtenues en temps réel, grâce à des filtres de synthèse cognitive pour traiter les flux de données.
Loïc Salmon
L’Agence de l’innovation de défense aborde un large éventail de domaines : études opérationnelles et technico-opérationnelles ; socle des technologies émergentes de défense ; supériorité informationnelle ; espace ; cyberdéfense et NAVMAR (guerre de la navigation) ; combat naval et lutte sous la mer ; combat aérien et frappe air-sol ; combat terrestre ; armes non cinétiques ; recherche académique, captation d’innovations et innovations d’usage.
La guerre électronique : nouvel art de la guerre
Défense : le cyber, de la conflictualité à la guerre froide
Indo-Pacifique : éviter l’escalade nucléaire malgré la compétition stratégique accrue