Stratégie : maîtrise des fonds marins, ambition et opérations

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La connaissance des fonds marins jusqu’à 6.000 m permettra à la France de mieux les connaître, en vue de garantir sa liberté d’action de ses forces, de protéger les zones d’intérêt national et, éventuellement, d’agir militairement.

Le 14 février 2022 à Paris, Florence Parly, ministre des Armées, et le général Thierry Burkhard, chef d’Etat-major des Armées (CEMA), ont présenté ce projet stratégique et sa feuille de route.

Les enjeux. La ministre a rappelé que, pour les besoins industriels, des drones et robots télé-opérés sont capables de mener des opérations militaires à plusieurs kilomètres de profondeur. La compétition dans les grands fonds marins résulte d’abord de la raréfaction des ressources terrestres en pétrole et gaz et métaux rares pour les technologies numériques, laquelle pousse à en rechercher au fond des mers. Il s’ensuit des tensions géopolitiques, notamment en mer de Chine méridionale et en Méditerranée. En outre, de grandes puissances militaires et les GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft), explorent les fonds marins avec une certaine ambivalence des objectifs, civils ou militaires, en raison de l’emploi de moyens à double usage. Enfin, le droit de la mer se trouve contourné par la conjugaison d’activités secrètes, commerciales, scientifiques et militaires, avec des actions au seuil de la conflictualité, difficiles à caractériser et attribuer. Par ailleurs, les 450 câbles sous-marins véhiculant 99 % des données numériques constituent des infrastructures sensibles que certaines nations pourraient surveiller ou dégrader. L’absence de surveillance incite tôt ou tard à piller ou contester. Selon Florence Parly, il s’agit de garantir la liberté d’action des armées, protéger les infrastructures sous-marines et faire peser une menace crédible sur les pays tentés de s’en prendre aux intérêts de la France, dans son espace maritime, ou de ses partenaires stratégiques. La doctrine dans ce domaine évoluera au gré des avancées technologiques et des préoccupations des pays alliés et de l’OTAN, conclut la ministre des Armées.

Les opérations. Face à la stratégie hybride d’actions difficilement attribuable, explique le CEMA, il faut pouvoir peser sur le rapport de force pour éviter le fait accompli. Cela implique d’anticiper et de faire connaître sa capacité à réagir de façon indépendante avec les ressources nécessaires. Les moyens de surveillance de la Marine nationale, de la surface à quelques centaines de mètres actuellement, seront portés à 6.000 m de profondeur. Le système de lutte anti-mines marine futur (SLAMF, voir plus loin) utilisera l’intelligence artificielle, les drones et les robots. En synergie avec la Direction générale de l’armement (DGA), le Service hydrographique et océanographique de la Marine (Shom) utilisera les données des sous-marins et des navires de surface pour améliorer la cartographie des fonds destinée aux forces navales. En 2023, la Marine nationale disposera d’une capacité d’exploration des grands fonds par le couple drone-robot. La future doctrine interarmées, interalliés et avec les industriels visera à : protéger les approches des eaux territoriales et les zones économiques exclusives (ZEE) ; maintenir la souveraineté dans les Outre-mer ; disposer de moyens projetables et aérotransportables pour renforcer la défense des côtes.

L’environnement. Selon le ministère des Armées, les sous-marins étrangers doivent naviguer en surface dans les eaux territoriales. Des entreprises étrangères peuvent poser des câbles et des pipelines dans les ZEE. Au-delà de 6.000 m de profondeur (17 % des fonds marins), la « zone hadale » se trouve dans l’obscurité totale et le froid. La pression de l’eau équivaut à 1 t/cm2. Les ondes acoustiques y passent, mais pas les ondes électromagnétiques. Les GAFAM financent 50 % des câbles de communication par internet. Les fonds marins intéressent également la Chine, la Russie, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, l’Australie, l’Italie, l’Inde et le Japon. Dans son Plan d’investissement 2020-2030, la France prévoit 300 M€ pour mieux les connaître et les exploiter. Elle dispose du Shom, de l’Ifremer (Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer) et de la capacité d’archéologie sous-marine. Elle coopère avec les pays étrangers pour l’échange d’informations et de technologie, en vue d’améliorer les moyens existants. Le ministère des Armées s’appuie sur les technologies civiles qui bénéficient d’investissements très importants. Un amiral assurera la coordination des actions dans ce domaine. A l’Etat-major des armées, un groupe de travail réunit des représentants du Shom, de la Direction générale des relations internationales et de la stratégie, de la DGA et des services de renseignement. L’épave du sous-marin Minerve, disparu en Méditerranée en1968, a été retrouvée en 2019 en cinq jours à 2.350 m de profondeur par un navire norvégien de travaux sous-marins. En décembre 2021, un avion de chasse britannique F-35B, abîmé en Méditerranée, a été récupéré en trois semaines. Un F-35C américain, qui s’est écrasé en mer de Chine en janvier 2022, fait l’objet de recherches.

Les moyens techniques. La guerre des mines nécessite navires de surface, sonars remorqués robots télé-opérés et plongeurs démineurs et, demain, des drones de surface pilotés depuis la terre ou la mer et des drones sous-marins autonomes. Le bâtiment de guerre des mines prépare la mission et engage les moyens. Trois groupes de plongeurs démineurs (40-60 hommes), basés à Cherbourg, Brest et Toulon avec leur bâtiment base, peuvent agir jusqu’ à 80 m. Les sonars remorqués détectent, classifient et localisent les mines. Les robots télé-opérés les identifient et les neutralisent jusqu’à 150 m. Le centre de commandement traite les images par l’intelligence artificielle. Le SLAMF (système de lutte anti-mines futur) inclura des « bâtiments-mères » mettant en œuvre : un drone de surface pour envoyer des informations en temps réel ; un drone sous-marin pour des images haute résolution et multi-angles jusqu’à 300 m. La Marine nationale dispose du robot Ulisse qui descend jusqu’à 1.000 m et du robot Diomede jusqu’à 2.000 m. En 2023, le ministère des Armées devrait acquérir deux « couples robots-drones » civils, capables d’atteindre des profondeurs de 3.000 à 6.000 m. D’ici à 2030, La DGA et les industriels français auront développé des unités capables de très grandes précision et rapidité de transmission.

Loïc Salmon

Les fonds marins s’étendent sur 361 Mkm2 à une profondeur moyenne de 3.800 m. La connaissance métrique ne porte que sur 2 % de leur surface. Environ 75 % de ce fonds se situent à des profondeurs supérieures à 3.000 m. Des moyens d’intervention et de surveillance jusqu’à 6.000 m de fond permettront de les rendre accessibles à 97 %. Selon la Convention de Montego Bay en vigueur depuis 1994, la souveraineté des Etats, de la surface au sous-sol marin s’étend à 22,22 km (12 milles marins) et la zone économique exclusive (ZEE) à des fins d’exploitation à 370,4 km (200 milles) avec possibilité d’extension dans la continuité du plateau continental jusqu’à 500 km, après arbitrage international. Au-delà des ZEE, les eaux internationales sont définies comme le patrimoine commun de l’humanité.

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