Armée de l’Air et de l’Espace : enjeux de la très haute altitude

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Des technologies, arrivées à maturité en 2035, permettront de conserver la liberté d’appréciation, d’accès et d’action par des opérations militaires dans l’espace aérien compris entre 20 km et 100 km d’altitude.

Ce thème a fait l’objet d’un colloque organisé, le 9 janvier 2023 à Paris, par le Centre d’études stratégiques aérospatiales. Y sont notamment intervenus : le général de corps aérien Frédéric Parisot, major général de l’Armée de l’Air et de l’Espace (AAE) ; Hervé Derrey, Thales Alenia Space ; Marc Vales, Dassault Aviation ; Stéphane Vesval, Airbus Defense and Space ; Nicolas Multan, société Hemeria ; l’ingénieur en chef Jean-Baptiste Paing, Direction générale de l’armement ; le général de corps aérien Philippe Morales, commandant la défense aérienne et les opérations aériennes ; Frank Lefevre, Office national d’études et de recherches aérospatiales (ONERA) ; Bertrand Le Meur, Direction générale des relations internationales et de la stratégie.

L’espace aérien supérieur. Entre 20 km et 100 km d’altitude, l’atmosphère est raréfiée. Dans cette couche, les ballons stratosphériques et planeurs hypersoniques stationnent ou se déplacent mais ne gravitent pas. Cet espace aérien supérieur constitue le lieu de passage des missiles balistiques et de certains moyens pour les opérations spéciales, rappelle le général Frédéric Parisot. L’accès des plateformes, civiles ou militaires, qui y circuleront, sera moins onéreux que celui à l’espace. Certaines nations et organisations pourraient donc se doter de ballons stratosphériques (photo) géostationnaires pendant plusieurs mois au-dessus du territoire national et y compromettre certaines activités. Sur les plans défensif et offensif, l’AAE doit affirmer sa présence dans les milieux aérien, stratosphérique et spatial avec un équilibre entre les trois. L’aérien étant déjà régi par la Convention de Chicago de 1944 et l’espace par le traité de 1967, il reste à définir les règles pour les trajectoires, entrées et sorties dans le stratosphérique. Il s’agit de connaître ce milieu, de le surveiller et de l’exploiter au titre de la souveraineté nationale pour la protection du territoire et des populations et aussi pour les opérations militaires, en cas de perturbations des activités aériennes et spatiales. Pour la défense antimissile, des ballons pourraient, par exemple, surveiller les activités balistiques de la Corée du Nord ou assurer des détections vers le sol et l’espace. La défense aérienne dans la très haute altitude prend en compte la fugacité des objets, leur vitesse et leur persistance. Contrer la menace d’armes hypersoniques volant au-delà de Mach 5 (6.174 km/h) va nécessiter des capteurs d’une allonge suffisante pour conserver la capacité de préavis. A l’été 2023, l’AAE disposera d’une feuille de route pour définir les missions et les moyens dans la très haute altitude. Celle-ci est le domaine des vitesses supersonique et hypersonique avec des applications aux missiles de croisière ou à des planeurs, explique Frank Lefevre. Entre 1960 et 1970, l’ONERA a effectué 400 tirs de fusées-sondes dans la stratosphère pour réaliser le missile nucléaire aéroporté supersonique, auquel succédera un missile hypersonique. A cette vitesse, le mobile crée une onde de choc suivie d’une température de 1.000 °C. L’ONERA travaille en laboratoire sur les matériaux de protection « numériques » d’un véhicule et sur sa navigation, son guidage, sa précision et son aérodynamique dans des souffleries jusqu’à Mach 12 (14.817 km/h).

Les projets en cours. Les « avions spatiaux » peuvent atteindre la vitesse de 8 km/seconde avec des moteurs de fusées et doivent évoluer dans l’atmosphère sans se transformer en boule de feu, indique Marc Vales. Complémentaires des lanceurs et des satellites, ils apportent une réutilisation, une souplesse d’emploi et une fiabilité héritée de l’aéronautique. Dassault Aviation a réalisé le démonstrateur Space Rider qui a volé en 2015. En association avec des partenaires dont Thales Alenia Space, il développe une famille de véhicules hypersoniques (drones ou habités), destinée à l’Union européenne spatiale civile et, sur le plan militaire, pour la surveillance stratégique de son territoire, de l’Afrique et du Moyen-Orient. De son côté, Thalès Alenia Space propose le Stratobus, dirigeable gonflé à l’hélium, géostationnaire dans la stratosphère et sélectionné fin 2022 par le Fonds européen de défense. Selon Hervé Derrey, il sera placé à 19 km d’altitude pour couvrir une zone d’un diamètre de 1.000 km pendant un an. Équipé d’une propulsion électrique alimentée par l’énergie solaire, il pourra emporter des charges utiles de 250 kg et 5 kW de puissance, notamment des radars à longue portée et des moyens de télécommunications civiles ou militaires ou encore des antennes étendues pour la guerre électronique. Réalisé avec coopération avec l’Espagne, un démonstrateur du Stratobus devrait voler au-dessus des Canaries en 2025 avec des démonstrateurs allemand et italien. Airbus Defense and Space, qui a développé le projet Balman avec Hemeria (photo), a fait voler le drone stratosphérique Zéphyr 8 pendant 64 jours en 2022. Selon Stéphane Vesval, Balman et Zéphyr 8 ont vocation à servir en réseau entre eux et avec des systèmes spatiaux. Capable de pénétrer des espaces aériens interdits grâce à sa faible signature radar, Zéphyr 8 transmet, par laser optique, une observation imagerie et vidéo sur 1 km2 avec une résolution de 18 cm. Pour anticiper les investissements dans la stratosphère, la Direction générale de l’armement a procédé à des études technico-opérationnelles dès 2018. Selon Jean-Baptiste Paing, elle a choisi le ballon manœuvrant et le dirigeable pour disposer d’une observation radar pendant une longue durée et indépendante des conditions météorologiques et des effets jour et nuit. Il reste à relever les défis technologiques portant sur les capacités industrielles en termes de matériaux des structures et de qualité des capteurs.

Stratégie de défense. L’espace aérien supérieur, en plein développement, présente les mêmes caractéristiques que les grands fonds marins avec de nouvelles technologies, des enjeux de compétition et une lisibilité assez faible, estime Bertrand Le Meur. La surveillance des objets hypersoniques ou à déplacement lent va nécessiter une capacité globale, car ils pourront venir de n’importe où. Des partenariats internationaux permettraient de développer des moyens défensifs et éventuellement offensifs. De son côté, le général Philippe Morales anticipe une certaine forme d’« arsenalisation » de l’espace aérien supérieur, consécutive à la démocratisation de son accès et à la compétition stratégique accrue. Il faut d’abord développer les connaissances des objets qui y évoluent : caractéristiques ; autonomie ; performances ; d’où et comment ils partent ; nature militaire, civile ou duale. Il faut ensuite identifier, caractériser et attribuer une action suspecte, inamicale, illégale, dangereuse ou hostile. Ensuite, il faut disposer de moyens d’interdiction proportionnels aux actes suspects, à savoir contre-mesures, actions de rétorsion ou neutralisation des vecteurs eux-mêmes. Cet espace est utilisable pour les opérations de défense contre tout ennemi potentiel ou pour la projection de puissance. Drones et ballons stratosphériques permettront d’améliorer la surveillance d’un théâtre d’opérations plus vaste que celui de l’Ukraine, sachant qu’un ennemi potentiel fera de même. Déjà le Commandement de la défense aérienne et des opérations aériennes et le Commandement de l’espace établissent des scénarios avec des questions et réponses pour un entraînement coordonné.

Loïc Salmon

Selon son directeur général Nicolas Multan, la société Hemeria produit une gamme de 10 ballons gonflés à l’hélium pour des missions scientifiques du Centre national d’études spatiales depuis 25 ans. Grâce à son expérience des opérations en vol, elle développe le programme « Balman », ballon stratosphérique manœuvrant en orbite (photo). Capable de rester stable sur zone pendant plusieurs mois, Balman pourrait remplir des missions civiles ou militaires à partir de 2026.

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