Afrique : perspectives économiques et nouveaux risques

Riche en métaux stratégiques, atouts majeurs pour son développement, l’Afrique doit faire face aux risques de conflits pour les ressources et de migrations massives liées au dérèglement climatique.

Ce thème a été traité lors d’un colloque organisé, le 3 octobre 2024 à Paris, par la Fondation pour la recherche stratégique (FRS). Y sont notamment intervenus : Émilie Normand, spécialiste de la géopolitique de l’énergie et des minerais critiques ; Alain Antil, chercheur et directeur du Centre Afrique subsaharienne à l’Institut français des relations internationales ; Mathieu Mérino, chercheur Afrique de l’Ouest/bande saharo-sahélienne à l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire.

Ruée vers les métaux critiques. D’après l’Agence internationale de l’énergie, la demande mondiale de cobalt devrait être multipliée par 2 et celle de lithium par 7,3 en 2050, surtout pour les technologies vertes, indique Émilie Normand. De son côté, le ministère américain de l’Énergie a publié une étude sur les risques d’approvisionnement des métaux dits critiques pour la période 2020-2025. Ils sont élevés pour le dysprosium, le cobalt, le gallium, le graphite, l’iridium et le terbium, moyens pour le lithium, le nickel, le magnésium, le platine et l’uranium, mais faibles pour le cuivre, le titanium, le silicium, le manganèse, le phosphore et l’aluminium. Selon diverses sources, l’Afrique produit 82,6 % du platine en 2022, 73 % du cobalt, 69,2 % du tantale, 65 % du manganèse, 56,3 % du chrome, 26,5 % des bauxite/aluminium, 16,4 % du graphite et 15,7 % du cuivre, mais seulement 3,4 % du nickel, 1 % du lithium et 0,9 % des terres rares. La République démocratique du Congo dispose d’importantes réserves de cobalt et l’Afrique du Sud de platine, mais attirent moins d‘investissements pour la prospection, lesquels se diversifient avec l’ouverture de mines dans une trentaine d’autres pays africains avec une prédominance de l’or, du cuivre et du diamant et une montée en puissance de l’intérêt pour les « nouveaux » minerais comme le lithium, les terres rares, le nickel et le graphite. Quoique sans expérience minière, certains pays émergent, notamment le Mali, la Côte d’Ivoire et le Sénégal. Sur la période 2009-2019, le secteur minier, artisanal à 80 %, représente 8,3 % du produit intérieur brut de l’Afrique et 51,2 % de ses exportations. Il ne génère que 8,1 % de ses revenus en raison des insuffisances de la politique fiscale, de l’administration étatique mal adaptée à la réalité du terrain pour la mise en œuvre de régimes fiscaux. De leur côté, les entreprises multinationales recourent à des experts de l’optimisation fiscale. Enfin, l’Afrique reçoit 31,7 % des investissements directs étrangers, surtout des États-Unis, de la Grande-Bretagne, du Canada, de l’Australie…et de la Chine ! Par ailleurs, souligne Émilie Normand, l’activité minière s’accompagne d’impacts sur le tissu économique et social. Les usines emploient surtout des personnels formés, binationaux ou venant d’autres régions, et mieux rémunérés que les riverains, entraînant inflation et cherté du marché immobilier urbain. Au déplacement des populations, s’ajoutent les pollutions diverses, le recul des activités traditionnelles, l’émergence du chômage et la montée des inégalités. La filière minière se décompose en extraction du minerai, concentration du minerai, transformation en produit de base, conversion en produit final et fabrication du produit fini. Actuellement concentrés sur l’amont de la chaîne, les pays africains veulent désormais développer la transformation en aval. Ils doivent alors pallier les insuffisances en énergie et infrastructures de transports et remédier à l’absence de marchés locaux.

Urbanisation et éducation. La croissance démographique a rapidement transformé le continent africain à tous les niveaux, souligne Alain Antil. Sa population aura doublé entre 2020 et 2050 et aura été multipliée par dix depuis 1950. En 2055, l’urbanisation africaine sera supérieure à celles de l’Europe et de la Russie réunies en 2024. A titre indicatif, la Mauritanie abrite 4,5 millions de personnes sur 1 Mkm2 mais sa capitale Nouakchott, née à la fin de la colonisation française, compte plus d’habitants en 2024 que tout le pays lors de son indépendance en 1960. Cette urbanisation générale va transformer les économies de divers pays, leurs domaines foncier et immobilier et le capitalisme africain. L’Afrique compte 54 pays et 8 communautés économiques régionales reconnues par l’Union africaine : Union du Maghreb arabe ; Marché commun de l’Afrique orientale et australe ; Communauté des États sahélo-sahariens ; Communauté d’Afrique de l’Est ; Communauté économique des États de l’Afrique centrale ; Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest ; Autorité inter-gouvernementale sur le développement ; Communauté de développement de l’Afrique australe. En outre, un contraste énorme existe entre la République centrafricaine, État failli, et l’Afrique du Sud, État beaucoup plus développé que la moyenne régionale. Il en est de même entre les espaces urbains et ruraux pour l’éducation. Les familles citadines ayant moins d’enfants, les municipalités investissent davantage dans ce domaine, avec des grandes différences entre la capitale et les autres villes. Dans les années 1980, de nombreux pays d’Afrique ont développé l’enseignement scolaire, secondaire et supérieur. Ils disposent aujourd’hui de plus en plus de diplômés (ingénieurs et docteurs) des meilleures universités dans le monde et donc aux mêmes niveaux que leurs homologues européens, américains et asiatiques. Toutefois, la scolarité de masse a été réalisée au détriment de la qualité de l’enseignement, faute de professeurs en nombre suffisant. Même si les entreprises recrutent des personnels très diplômés pour des postes de haut niveau, souvent des binationaux ou venus de pays voisins, le manque de techniciens, par exemple des électriciens, se manifeste. Enfin, l’Afrique subsaharienne «  décroche » par rapport à l’Asie du Sud et l’Amérique latine, zones également en développement.

Sécurité de l’environnement. La vulnérabilité de l’Afrique au changement climatique résulte de la complexité de son système climatique avec des conséquences socio-économiques, explique Mathieu Mérino. Cela menace la croissance économique et le développement durable, empêche la réduction de la pauvreté et provoque de l’insécurité. Parmi les dix pays les plus pauvres du monde, neuf se trouvent en Afrique, dont le produit intérieur brut par habitant est en moyenne près de 10 fois inférieur à celui de l’Occident et dont 40 % de la population vit en dessous du seuil international de pauvreté. Parmi les douze conflits en cours dans le monde, quatre se déroulent dans des zones de tensions en Afrique. L’État post-colonial africain soufre en général de la faiblesse de ses institutions et de son contrôle territorial. Les politiques publiques de prévention et de gestion du changement climatique s’avèrent inefficaces, notamment au Sahel, en Afrique de l’Est et dans la Corne de l’Afrique. S’y ajoute un degré élevé d’incertitude climatique. En 2050, le réchauffement climatique y sera 1,5 fois plus rapide que dans le reste du monde, rendra l’accès à l’eau plus difficile et entraînera davantage de sècheresses, d’inondations, de cyclones, de tempêtes de sable et de feux de forêts. Près d’un tiers de la superficie en Afrique est menacée de désertification et 10 % des terres sont déjà considérées comme dégradées. Entre 2010 et 2015, 14 millions d’hectares de forêts ont disparu sur le continent, notamment en République démocratique du Congo, en Tanzanie et au Zimbabwe. En outre, l’Afrique abrite le quart des 730 millions de personnes souffrant de la faim dans le monde. L’équilibre entre agriculture, sécurité alimentaire et protection de l’environnement reste inatteignable. Les pays africains hésitent à s’engager sur la dernière, estimant qu’elle occulte les réponses à apporter au développement.

Loïc Salmon

Afrique : mutations et enjeux stratégiques

Afrique : les risques de déstabilisation et de terrorisme

Afrique : zone d’intérêt stratégique accru pour la Chine




Afrique : mutations et enjeux stratégiques

Les coups d’État militaires en Guinée et aux Mali, Burkina Faso, Niger, Tchad, Gabon et Soudan entre 2020 et 2023 s’inscrivent dans un cadre géopolitique plus large, où apparaissent de nouveaux acteurs.

Ce thème a fait l’objet d’un colloque organisé, le 3 octobre 2024 à Paris, par la Fondation pour la recherche stratégique. Y sont notamment intervenus : Niagalé Bakayoko, responsable du programme Afrique à la Fondation méditerranéenne d’études stratégiques ; Élisa Domingues dos Santos, chercheuse à l’Institut français des relations internationales ; Sonia le Gouriellec, maîtresse de conférences à l’Université catholique de Lille ; Jonathan Guiffard, expert à l’Institut Montaigne.

Les échecs d’acteurs extérieurs. Le événements des quinze dernières années démontrent le peu de prise des acteurs multilatéraux sur les évolutions de l’Afrique, estime Niagalé Bakayoko. Leurs échecs portent sur les opérations de maintien de la paix, les programmes d’ingénierie institutionnelles et la politique de développement. Comme la France avec l’opération « Barkhane » au Sahel, la Russie éprouve des difficultés à changer, militairement, la situation sur le terrain au Mali, en Libye et au Mozambique, et, politiquement, à Madagascar. Toutefois, elle manifeste son efficacité en matière informationnelle partout dans le monde. Les pays ouest-européens et nord-américains semblent découvrir une réalité qu’ils n’ont pas voulu voir émerger. Les exercices navals multinationaux participent aux stratégies d’influences de la Chine et de l’Occident. Or, tout dépend du positionnement des acteurs africains. En matière de politique étrangère, souligne Niagalé Bakayoko, la stratégie consiste à s’adapter à un environnement et non pas à y venir pour y imposer un ordre.

Le poids de la Turquie. Dès les années 1990, de petites et moyennes entreprises turques ont recherché des débouchés en Afrique subsaharienne, où des réseaux privés et religieux se sont développés, indique Élisa Domingues dos Santos. Puis, au début des années 2000, le gouvernement turc met en œuvre un plan d’institutionnalisation des relations avec le continent africain. Le nombre d’ambassades est passé de 12 en 2002 à 44 en 2024. Sur le plan économique, le volume des échanges commerciaux de l’Afrique, de 5 Mds$ avec la Turquie en 2003, a atteint 30,7 Mds$ en 2021, contre 58 Mds$ avec la France, 288 Mds$ avec l’Union européenne, 230 Mds$ avec la Chine, 89,5 Mds$ avec l’Inde et seulement 17,7 Mds$ avec la Russie. En outre, la Turquie implante des instituts culturels, construit des hôpitaux et finance des organisations humanitaires. Ainsi, lors de la famine de 2011 en Somalie, Ankara apporte une aide humanitaire puis une assistance technique pour renforcer les capacités de l’État et a y inauguré un centre de formation militaire en 2017. La Turquie investit aussi dans les infrastructures portuaires, aéroportuaires et ferroviaires africaines. Au Sénégal, elle va participer à la construction d’un chemin de fer entre Dakar et la ville nouvelle de Damniadio avec des entreprises françaises et locales. Elle développe aussi des partenariats de sécurité avec une vingtaine de pays africains, incluant formation, équipements et ventes d’armements (drones, avions, hélicoptères et véhicules blindés). Toutefois, la trop grande présence turque suscite des réticences dans certains pays d’Afrique, dont l’Algérie dans le secteur du fer et de l’acier et le Soudan pour une affaire de corruption. Par ailleurs, de nombreux Africains se rendent en Turquie pour des activités commerciales, ou des études. Quelque 60.000 étudiants africains sont formés dans les universités turques et ensuite, généralement, employés dans des entreprises transnationales entre la Turquie et leur pays d’origine. Mais depuis 2023, le resserrement de la politique d’immigration en Turquie dégrade leurs conditions de vie. Les contrôles, arrestations, expulsions et campagnes de discriminations sur les réseaux sociaux ternissent l’image de la Turquie parmi les populations africaines.

L’importance de la Corne de l’Afrique. La mer Rouge et le golfe d’Aden constituent le flanc Ouest d’un nouveau théâtre de compétition entre les grandes puissances dans l’océan Indien, indique Sonia le Gouriellec. Entre 16.000 et 18.000 navires y transitent chaque année, soit plus de 10 % du fret mondial. La Chine, le Japon, la Corée du Sud, l‘Inde, l’Afrique du Nord et l’Europe dépendent des échanges commerciaux qui y passent, dont le pétrole des pays du golfe Arabo-Persique. Environ 34 % du commerce extérieur de Djibouti et du Soudan transite par le canal de Suez. La région est traversée par un réseau de 17 câbles sous-marins représentant 90 % des capacités de bandes passantes entre l’Asie et l’Union européenne, dont la maintenance paraît difficile en cas d’attaque en mer. La liberté de navigation va de pair avec la protection du commerce maritime et de la mer Rouge. Djibouti accueille des contingents militaires français, allemand italien, espagnol, chinois, japonais et américain. Cette présence permet de sécuriser les flux commerciaux, menacés récemment par les attaques des rebelles Houthis au Yémen, et de lutter contre le terrorisme et les trafics de drogues et d’êtres humains. L’Arabie saoudite possède six ports de commerce, dont la moitié est gérée par des sociétés des Émirats arabes unis. Ces derniers contrôlent une grande partie des ports de la mer Rouge et jouent un rôle politique important dans la Corne de l’Afrique. Ils ont rejoint les « BRICS » en janvier 2024, comme l’Égypte, l’Éthiopie, l’Arabie saoudite et l’Iran qui occupent une place cruciale sur le littoral de la mer Rouge. L’organisation des BRICS, qui regroupait à l’origine le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud, conteste l’hégémonie des puissances occidentales, notamment celle des États-Unis dont le dollar domine le commerce mondial. De son côté, la Chine développe plusieurs projets d’infrastructures dans la région, dans le cadre de son projet des « Nouvelles Routes de la Soie » lancé en 2013.

L’influence française. La France se désengage des pays francophones de l’Afrique de l’Ouest et Centrale pour se délester du poids de l’histoire coloniale, estime Jonathan Guiffard. Cela implique de cesser de rendre coup pour coup aux attaques d’influence d’adversaires politiques stratégiques, notamment la Russie et ses alliés locaux. Or, les intérêts français et européens restent très forts en Afrique de l’Ouest. Sur le plan sécuritaire, la situation au Sahel s’est dégradée et se fragmente durablement avec des territoires qui seront contrôlés par des forces variées incapables de s’imposer les unes aux autres. Les bases militaires françaises en Côte d’Ivoire et aux Sénégal, Gabon et Tchad, devraient voir leurs effectifs diminuer et leurs missions changer. Les pays du golfe de Guinée, touchés par la menace djihadiste, deviennent les priorités de l’assistance militaire française. En outre, la France semble s’investir plutôt dans les domaines économiques et culturel. Par ailleurs, un sommet France-Afrique doit se tenir en 2026 au Kenya, manifestant ainsi une volonté de développer la coopération avec les pays l’Afrique de l’Est, où la France n’aura pas à gérer de passé colonial ni de problèmes sécuritaires. La coopération économique visera à poursuivre les échanges, notamment l’agriculture, le pétrole, les minerais, les terres rares et les nouvelles technologies, en Ouganda et en République démocratique du Congo et les développer avec le Kenya. Toutefois, le terrorisme djihadiste persiste au Nigeria, en République démocratique du Congo, en Ouganda et en Tanzanie. L’influence de la Russie se fait sentir en Ouganda, au Soudan et en Afrique du Sud. Sur le plan politique, les régimes sont contestés au Mali, au Soudan, au Kenya et au Mozambique. Selon Jonathan Guiffard, la difficulté réside dans l’impossibilité de faire abstraction des valeurs et du modèle démocratique européens face aux réalités sécuritaire et politique des pays d’Afrique de Est. Le risque existe de manquer de cohérence entre les valeurs annoncées et les actions concrètes pour des objectifs économiques.

Loïc Salmon

Afrique : golfe de Guinée, zone de coopération stratégique

Mer Rouge : trafic maritime international perturbé, riposte américano-britannique

Russie : partenariats en Afrique, son principal marché d’exportation d’armement

Turquie : recherche de puissance militaire et diplomatique




Stratégie : l’Indopacifique, vision du monde et concept militaire

Face à la montée en puissance de la Chine, les États-Unis, le Japon, la Corée du Sud l’Inde, l’Australie et la France, seule nation de l’Union européenne présente, considèrent l’Indopacifique comme un espace libre et ouvert à sécuriser. Taïwan, la Corée du Nord et la tension indo-pakistanaise constituent des points chauds.

L’Indopacifique a fait l’objet d’un colloque organisé, le 12 juin 2024 à Paris, par l’association 3AED-IHEDN en partenariat avec l’Institut des hautes études de défense nationale. Y sont notamment intervenus : Christian Lechervy, ancien ambassadeur pour le Pacifique au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères ; le capitaine de vaisseau Samuel Quéré, chargé de l’anticipation et de la synthèse, notamment pour le Proche-Orient et le Pacifique, à l’État-major des armées. A cette occasion, 3AED-IHEDN a publié un rapport intitulé « L’influence, pilier de la puissance au XXe siècle », dont une partie traite des aspects stratégiques de Taïwan et de l’Australie.

Le contexte géostratégique. Pour contenir la volonté d’expansion de la Chine, indique l’ambassadeur Lechervy, les États-Unis veulent associer l’Inde, puissance démocratique et maritime, à leur politique en Indopacifique, similaire à celle au Proche et Moyen-Orient avec Israël et les Émirats arabes unis, afin de contrôler la mer d’Arabie et le détroit d’Ormuz. Ce mécanisme, informel, ressemble à celui que la Russie a créé avec l’Iran, la Chine et la Corée du Nord pour soutenir son effort de guerre contre l’Ukraine. Aux importantes implantations de la Chine en océan Indien correspond la présence de l’Inde aux Maldives (29.000 médecins, infirmières, enseignants, ingénieurs et gestionnaires y travaillent). De son côté, la Chine a mis en place une plateforme de dialogue avec l’Afghanistan, le Népal et le Boutan, mais qui exclut l’Inde. Par ailleurs, la politique américaine s’intéresse aussi au Nord du Pacifique, théâtre possible d’une confrontation nucléaire. En outre, la sécurité de Taïwan, l’un des rares sujets consensuels entre les partis Démocrate et Républicain, s’inscrit dans la perspective d’un conflit avec la Chine. Actuellement environ 50.000 soldats américains sont répartis entre le Japon et la Corée du Sud. Par suite de la modernisation des arsenaux de la Chine et de la Corée du Nord, les États-Unis développent une coopération opérationnelle avec des pays constituant des points d’appui aériens. Ce soutien aéroportuaire s’étend du Pacifique insulaire à l’Asie du Sud-Est et à l’Afrique. Pour empêcher un blocus de Taïwan par la Chine, les États-Unis renforcent leurs moyens d’intervention aux Philippines, avec qui existe un traité de défense mutuelle (comme avec le Japon, la Corée du Sud, l’Australie et la Thaïlande). Les missiles balistiques nord-coréens étant susceptibles de frapper leur territoire, les États-Unis concentrent le tiers de la capacité de leurs sous-marins nucléaires lanceurs d’engins dans la région. De son côté, la France poursuit le dialogue avec des pays de l’Indopacifique qui ne veulent pas d’alliance totale avec les États-Unis ni de partenariat stratégique avec la Chine. Ce mécanisme inclut des rencontres annuelles avec les ministres des Affaires étrangères des États membres de l’Union européenne. Par ailleurs, la Nouvelle Calédonie et la Polynésie française se trouvent au centre du câblage sous-marin entre l’Asie du Sud-Est et l’Amérique du Sud, enjeu militaire et industriel majeur pour le transit des données et la protection des télécommunications. Ces projets nécessitent des financements publics multilatéraux, notamment français et européens. Or Google, grand producteur américain privé de services informatiques, y est devenu le principal investisseur.

L’action de la France. En 2024, la zone Indopacifique, centre de gravité du monde, représente 60 % de sa population et 60 % de son produit inséreur brut, rappelle le capitaine de vaisseau Quéré. Les cinq pays membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU et détenteurs reconnus de l’arme nucléaire, y maintiennent une présence, à savoir les États-Unis, la Russie, la Chine, la France et la Grande-Bretagne (île de Diego Garcia). S’y ajoutent l’Inde, le Pakistan et la Corée du Nord, également détenteurs de l’arme nucléaire. La stratégie de la France se décline de manière régionale avec quatre sous-régions : le Nord de l’océan Indien ; le Sud de l’océan Indien ; le Pacifique-Sud ; le Nord-Est de la mer de Chine avec Taïwan. Elle vise à protéger ses territoires d’outre-mer, ses ressortissants (1,6 million), ses voies de communication, y compris numériques (câbles sous-marins). Elle contribue à la liberté de navigation maritime et aérienne ainsi qu’à la lutte contre la prolifération d’armes de destruction massive. La France a entamé des négociations avec le Japon, l’Indonésie et l’Inde sur l’accès réciproque aux ports et aéroports permettant un soutien aux forces armées. Les visites ministérielles, le dialogue stratégique, les réunions des états-majors et surtout l’activité de ses forces crédibilise la stratégie d’influence de la France, perçue comme une puissance légitime d’équilibre et d’initiatives en Indopacifique. Dans un contexte de rivalité sino-américaine, de risque de montée rapide aux extrêmes et de possibilité importante d’être instrumentalisée, la France développe ses capacités d’appréciation autonome de la situation par une présence régulière dans la zone pour pouvoir sentir l’ambiance et voir comment les dynamiques évoluent. Cela nécessite des moyens de renseignement et justifie des points d’appui réguliers dans la zone. Il convient de suivre les évolutions des crises en cours, notamment les guerres en Ukraine et au Proche-Orient, qui donneront plus ou moins la liberté d’intervenir éventuellement et selon un cadre juridique à définir. Outre les essais de son troisième porte-avions, la Chine a montré sa capacité de grands déploiements par des exercices navals et aériens autour de Taïwan, notamment lors de l’investiture du nouveau président Lai Tching-té en mai 2024. La France ne pourrait résoudre une crise seule, mais ses moyens aériens, amphibies et terrestres restent crédibles pour protéger ses intérêts et sa souveraineté et aussi rassurer ses partenaires dans des zones d’instabilité. Avec l’Allemagne, la Grande-Bretagne, l’Australie, le Canada, la Coré du Sud, le Japon et la Nouvelle-Zélande, elle participe à la mission de l’ONU sur l’embargo contre la Corée du Nord en identifiant les manœuvres d’approvisionnement à couple entre navires marchands suspects et navires nord-coréens, quand les quotas d’importation de pétrole, de charbon et d’acier sont dépassés. Enfin, la mission annuelle « Pégase » de l’armée de l’Air et de l’Espace en Indopacifique complète les déploiements ponctuels du Groupe aéronaval ou de la mission « Jeanne d’Arc » (porte-hélicoptères amphibie et frégate) de la Marine nationale en Indopacifique.

Taïwan et l’Australie. Selon le rapport de 3AED-IHEDN, la Chine pourrait déployer ses forces armées vers le Pacifique à partir de l’île de Taïwan. Déjà, elle parvient à susciter l’intérêt des micro-États en Océanie, afin de limiter les influences de la France et de l’Australie et constituer un front anti-Taïwan dans le Pacifique-Sud. Dans la perspective d’un affrontement avec la Chine en cas de tentative de reconquête de Taïwan par la force, les États-Unis ont signé, en 2021, l’accord de coopération militaire « ANKUS » avec la Grande-Bretagne et l’Australie. Cet accord permettra à l’Australie de se doter de sous-marins à propulsion nucléaire (mais sans armes nucléaires) à long rayon d’action et très discrets. L’Australie pourra alors jouer un rôle plus actif dans la région avec les autres pays membres du « QUAD », à savoir un dialogue quadrilatéral pour la sécurité entre l’Inde, le Japon, les États-Unis et l’Australie. L’AUKUS vise ainsi à empêcher une hégémonie régionale de la Chine. Celle-ci annexe des îlots et des hauts-fonds en mer de Chine méridionale, pour les transformer en bases militaires, accroître sa zone économique exclusive, au détriment de la Malaisie, de Brunei, du Viêt Nam et des Philippines, et enfin étendre son influence jusqu’au détroit de Malacca.

Loïc Salmon

Stratégie : l’action de la France dans la zone indopacifique

Armée de l’Air et de l’Espace : « Pégase 24 » en Indopacifique

Grande-Bretagne : coopération militaire avec la France malgré le « Brexit » et l’AUKUS




Stratégie : influence et puissance

Fonction stratégique, l’influence d’une nation consiste à promouvoir ses atouts auprès des autres pays et ainsi les convaincre de sa puissance. Elle repose sur des acteurs, des techniques et des vecteurs dans le champ des perceptions.

Ce concept complexe a fait l’objet d’un colloque organisé, le 12 juin 2024 à Paris, par l’association 3AED-IHEDN en partenariat avec l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN). Y sont notamment intervenus : le général de corps d’armée Bruno Durieux, président de l’Académie de défense de l’École militaire ; le général de brigade (2S) François Chauvancy, rédacteur en chef de la revue Défense de l’Union des associations de l’IHEDN ; Charles Thépaut, diplomate spécialisé sur la région Afrique du Nord-Moyen-Orient au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères.

Tentatives de définition. L’influence vise à amener les autres à faire, refuser de faire ou les empêcher de faire quelque chose, explique le général Durieux. Elle consiste à infléchir leur comportement sans contrainte et sans qu’ils en aient conscience. Il faut donc bien les connaître, notamment pour les exportations d’armement. Dans ce domaine, les déboires résultent probablement d’une mauvaise compréhension du marché, du client et de son contexte. Les auditeurs de l’IHEDN réfléchissent sur la défense nationale à travers quatre cercles concentriques. Le premier concerne la défense militaire, à savoir la contrainte physique et l’effort de volonté, domaine de la guerre et de la paix où l’influence n’y joue pas un rôle clé. Le deuxième cercle, plus large que celui de la défense nationale et qui intègre le premier, consiste à protéger la population contre toutes les menaces, militaires ou non, qui portent atteinte aux intérêts de la France en tant que puissance dans les domaines de l’économie, de la société, par la subversion, et de la diplomatie. La défense nationale, souligne le général Durieux, ne vise pas à afficher sa volonté mais à affaiblir la puissance de l’adversaire ou, éventuellement, infléchir son influence. Le troisième cercle, qui englobe les deux précédents, porte sur la sécurité nationale et, en ajoutant les risques liés par le champ d’influence, s’étend à la sécurité internationale. Aujourd’hui, le champ politique international a perdu de sa visibilité du temps de la guerre froide (1947-1991) et ouvre un champ plus vaste à l’influence. Il va s’agir de créer des coalitions de circonstance, de rallier des partenaires, y compris dans le champ industriel. En outre, depuis quelques années, la place du secteur privé, à savoir individus, groupes ou grandes entreprises, s’agrandit. Toutefois, le rôle des États conserve son importance primordiale avec des moyens d’influence, qui incluent l’usage du numérique. Il s’agit de savoir comment et pourquoi une influence s’exerce. Cela repose d’abord sur la compréhension de la situation, la connaissance de l’environnement et celle de la « cible ». Ensuite, il faut la volonté d’agir, par exemple en communiquant, et, surtout, de bien élaborer le message à faire passer. C’est vrai dans le débat démocratique, le champ d’influence et celui de la compétition internationale. Il s’agit d’être capable de distinguer la guerre de la paix, les faits de l’opinion sur les faits, l’intérieur de la nation de l’extérieur. Le développement de la pensée stratégique, estime le général Durieux, repose sur une vision à long à terme et la connaissance précise des objectifs à atteindre contre quoi ou vis-à-vis de qui.

Rapports de force. Les États n’ont que des intérêts qu’ils doivent défendre, rappelle le général Chauvancy. Le monde connaît à nouveau la réalité de la guerre, à savoir celle de l’Ukraine contre la Russie depuis le 22 février 2022 et celle d’Israël contre l’organisation islamiste Hamas à Gaza depuis le 7 octobre 2023, ainsi qu’une forme d’insurrection internationale contre l’Occident. Ce discours anti-occidental, comparable à celui de la guerre froide et fortement renouvelé, réactive la guerre informationnelle, stratégie des États communistes pour contourner la lutte armée. Ce bouleversement implique deux impératifs concomitants. Le premier concerne la conception et la promotion des idées et des valeurs de l’Occident ainsi que son action politico-militaire. Le second investit le champ des perceptions sur les plans des valeurs et des émotions pour soutenir la parole publique, tout en participant à la déconstruction des narratifs des pays compétiteurs. L’influence, sixième fonction stratégique après la connaissance-compréhension-anticipation, la dissuasion, la protection-résilience, la prévention et l’intervention, se décline selon quatre axes majeurs. Le premier consiste à concevoir et expliquer les positions politico-militaires énoncées par les autorités étatiques. Le deuxième axe mobilise les différents cercles militaires pour construire des coalitions au sein de l’OTAN ou de l’Initiative européenne d’intervention. Le troisième garantit la circulation de l’information sur l’action en cours et la récupération des analyses des pays partenaires. Il entretient le dialogue avec les pays compétiteurs et les groupes infra-étatiques qui passent par des États tiers. L’influence se diffuse par des réseaux institutionnels, dont les attachés de défense face à la déstabilisation de la France à l’étranger, au sein des organisations internationales et via la recherche stratégique par la connaissance académique. L’influence d’un pays reflète sa puissance, constituée par une économie capable d’infliger des sanctions à l’adversaire, un outil militaire crédible, une culture, résultant d’une langue et d’une histoire communes, et enfin des institutions solides non remises en cause. Il convient d’agir avec détermination et une force mesurée, en évitant de donner des leçons. La guerre redevient une option, notamment contre l’agression des frontières nationales, après une longue période de diplomatie.

Contre-ingérence. Activités hostiles, agressions et polémiques d’origines étrangères dans les pays démocratiques constituent les symptômes de la transformation du champ informationnel au cours des dix dernières années et ouvre des espaces de conflictualité, indique Charles Thépaut. La stratégie d’influence montre la capacité de « rendre des coups », à savoir comprendre la situation puis proposer des options de réponses pertinentes et susceptibles d’exercer des effets dans le champ médiatique. Le ministère des Affaires étrangères a renforcé ses réseaux de veille existantes pour obtenir des remontées beaucoup plus rapides sur les signaux faibles et les dynamiques possibles dans des écosystèmes étrangers, afin d’informer les autorités politiques de ce qui se prépare à l’étranger et risquant de bousculer l’ordre public international. Dénoncer une ingérence étrangère nécessite la connaissance de la menace et la possession de leviers de communication, pour élaborer une explication vis-à-vis de la presse, et non pas des manœuvres de réponses aux contenus erronés sur les réseaux sociaux. Il ne s’agit pas de casser la « viralité » (diffusion rapide et imprévisible de photos et vidéos sur internet) d’une information authentique, mais de partager avec le public un niveau de connaissance de réseaux sociaux qui vont l’induire en erreur ou le manipuler. La seule parole de l’État ne suffit pas à créer de la crédibilité et de la confiance. Mais le partage de données brutes sur des valeurs démocratiques pendant plusieurs semaines permet de valider, de manière indépendante par d’autres États, l’enquête qui sera rendue publique par l’autorité politique. Ainsi dès octobre 2021, les États-Unis ont sensibilisé l’opinion publique internationale par le partage d’analyses et de renseignements sur l’attaque probable de la Russie contre l’Ukraine en 2022. La Commission européenne a élaboré un règlement sur les services numériques, entré en vigueur en août 2023, pour réagir aux menaces et lutter contre la désinformation. Toutefois, la mobilisation dans le champ informationnel, renforcée techniquement par l’intelligence artificielle, ne réduit pas la négociation diplomatique.

Loïc Salmon

Défense : lutte informatique d’influence et respect du droit

Cyber : champ de lutte informatique et d’influence

Etats-Unis : influence religieuse sur la politique étrangère




La Colombie : un pays en quête de paix et de justice

En Colombie, des zones pacifiées et prospères côtoient des territoires aux conditions de sécurité et de développement économique fortement dégradées. Les militaires doivent y combattre les groupes dissidents des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) et les narco-trafiquants.

Une douzaine de membres de l’Association des auditeurs de l’Institut national des hautes études de défense nationale l’ont constaté lors d’un voyage d’études du 19 au 29 mai 2024 et au cours de rencontres avec des responsables civils et militaires, des journalistes et des diplomates.

Une histoire unique en Amérique latine. La constitution de 1991, particulièrement progressiste et adoptée par référendum, se voulait un « modèle », mais le pays n’a pas eu les moyens de ses ambitions. La réforme agraire n’a pas été promulguée, l’éducation gratuite et l’amélioration du système de santé restent à l’état de promesses. Pourtant, la population aspire à vivre et travailler en paix. Depuis son indépendance de l’Espagne en 1819, la Colombie n’a pas connu de coups d’État militaires, sauf pendant quatre ans dans les années 1950. La population, instruite, est attachée à la démocratie et les militaires doivent uniquement protéger le territoire et la nation. Le fonctionnement institutionnel et le développement économique se fondent sur des principes démocratiques stables, où le respect de l’état de droit a toujours été recherché. Toutefois, une recrudescence des actes criminels, sans pourtant de référence idéologique systématique, est constatée et à laquelle s’ajoute le narcotrafic, source inépuisable de revenus.

Le combat contre le narcotrafic. La Colombie ne dispose pas de cadastre, la terre appartenant à de grands propriétaires. Le gouvernement actuel s’est engagé à distribuer 16 millions d’hectares de terre aux paysans, afin de les inciter à produire et commercialiser autre chose que la seule feuille de coca. Cette réforme, jugée trop lente et insuffisante, permettrait de réduire le narcotrafic et la guérilla…qui y trouve une partie de son financement !

Les responsabilités des armées. Configuration inédite, les forces armées colombienne sont parmi les rares au monde à combattre sur leur propre territoire depuis plusieurs décennies. L’armée de Terre assume l’essentiel de la sécurité intérieure sur l’ensemble du territoire, en sus de sa mission fondamentale de défense des intérêts souverains et vitaux du pays vis-à-vis de menaces extérieures. La police relevant du ministère de la Défense, l’armée de Terre assure donc les missions de sécurité extérieure et intérieure, notamment dans les nombreuses zones isolées et/ou en état de guerre. Selon un général, « les priorités sont d’assurer la sécurité de la population, de réduire la menace, de protéger les instances de gouvernance de l’État et également de renforcer les moyens nécessaires aux forces armées ». De son côté, la Marine doit assurer la sécurité extérieure et intérieure sur 2.900 km de côtes sur l’océan Pacifique et la mer des Caraïbes, un million de km² de la Zone économique exclusive et 2.000 km de fleuves et rivières. A la protection du territoire maritime et des infrastructures critiques du pays, s’ajoutent des actions auprès d’autres acteurs de l’État et de la société, à savoir pouvoirs publics centraux et locaux, services étatiques, entreprises publiques et privées, organisations sociales non gouvernementales (communautés religieuses, fondations et associations).

La construction de la paix. En 2016, les accords conclus avec les FARC et d’autres organisations armées prévoyaient plusieurs étapes jusqu’au cessez-le-feu définitif et au désarmement de toutes les forces non-gouvernementales. Cependant, la société civile a rejeté ces accords. En 2018, les activités violentes des factions dissidentes des FARC et celles, illégales, des groupes mafieux alimentés par le trafic de drogue ont repris. La crise sanitaire du Covid-19 a réduit l’efficacité des actions de l’Etat et des opérations militaires et a favorisé une remontée en puissance des groupes armés, plus nombreux et plus déterminés. Le trafic de drogue, celui de migrants et l’extraction illégale de l’or génèrent des sommes importantes et donnent aux trafiquants un grand pouvoir d’intimidation et de coercition. Mais ces diverses activités permettent de donner du travail aux populations locales, qui se soumettent à la loi du plus fort. Au cours des cinq premiers mois de l’année 2024, 210 tonnes de cocaïne ont été saisies, soit une hausse de 36 % par rapport à la même période en 2023. Cependant, le processus de construction de la paix reste au centre de la vie politique colombienne depuis de nombreuses années. Les accords de paix de 2016, malgré des difficultés d’application, constituent la base du projet actuel de reconstruction de la société colombienne. La nouvelle présidence de 2022 s’est engagée à faire appliquer les accords de paix de 2016 sur six points : réforme agraire complète ; participation de tous à la vie politique ; fin du conflit ; solution au problème des drogues illicites ; accord sur les victimes du conflit ; mécanismes de vérification des plaintes mettant en place la « Juridiction spéciale pour la paix ». Trois institutions composent le « Système intégré pour la vérité », car sans elle, il n’y a pas de réconciliation possible et le risque d’une reprise des combats par les FARC persiste. Pendant quatre ans, une commission, dite de la « vérité », a recueilli les témoignages de 30.000 personnes et étudié 1.236 dossiers de diverses organisations pour comprendre les faits et les motifs d’une guerre de près de 60 ans. Son rapport final de 900 pages, publié en juin 2022, met en évidence les principales caractéristiques du conflit et formule des recommandations pour un avenir plus serein. Il est divisé en 10 volumes : 6 à caractère général sur les droits de l’Homme, le droit international humanitaire et le droit de la Guerre appliqués à la Colombie ; 4 sur les ethnies, les jeunes (garçons et filles), les femmes et l’exil. La Commission estime à 700.000 les homicides sur un total de 9 millions de morts dus au conflit entre 1964 et 2019, dont 80 % de civils non-combattants. En outre, la « Juridiction spéciale pour la Paix », instance judiciaire, vise à redonner confiance dans les institutions. Elle diffère de la « Commission de la Vérité » et de « l’Unité de recherche des disparus », processus extrajudiciaires à caractère humanitaire. Il s’agit en effet d’un tribunal colombien autonome et non d’une juridiction internationale. Elle doit satisfaire les droits des victimes et dispose de 38 juges et d’une unité d’enquête. Même les auteurs des crimes participent à la recherche grâce à la justice transitionnelle, dite « restaurative » et qui établit un dialogue entre les accusés et les victimes. Par ailleurs, conformément à l’article 6.3.3 de l’accord de paix de 2016, le conseil de sécurité de l’ONU a mis en place une « Mission de vérification des nations unies en Colombie » avec un mandat initial de 12 mois, renouvelable tous les trois ans et dont le dernier remonte à octobre 2023. En outre, le 29 juin 2024, le chef de l’État Gustavo Petro et le groupe dissident des FARC « Segunda Marquetalia» ont signé un accord sur un cessez-le-feu unilatéral dès l’entrée en vigueur du décret présidentiel sur les opérations militaires offensives. Les deux parties doivent établir le calendrier de la désescalade et l’identification des projets sociaux. Le lien entre amélioration socio-économique et stabilisation politico-militaire y est à nouveau souligné. Une véritable réforme agraire avec une répartition équitable des terres, accompagnée de projets de développement menés par l’Etat dans toutes les parties du territoire, permettrait une reconstruction du lien social et diminuerait l’emprise des trafiquants. En dépit de longues années de guerre civile, la Colombie a réussi à préserver ses institutions, basées sur des principes démocratiques et une diversité de partis politiques. Malgré les difficultés restant à surmonter, une pacification totale et la reconstruction d’une Colombie stable et réconciliée apparaît comme un projet ambitieux mais pas utopique.

Hélène Mazeran

Mexique : ambition économique mais violence récurrente

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Lutte contre le trafic de drogue : réponse internationale




Afrique : zone d’intérêt stratégique accru pour la Chine

Le continent africain constitue une cible privilégiée dans la stratégie mondiale de la Chine dans les domaines économique, de sécurité élargie et d’influence.

Ce thème a fait l’objet d’une conférence organisée, le 7 juin 2023 à Paris, par l’association 3 AED- IHEDN. Le colonel Frédéric Gauthier, sous-directeur « Afrique » de la Direction de la coopération de sécurité et de défense au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, est intervenu. Le même jour, 3 AED-IHEDN a rendu public un rapport intitulé « Renouveau des puissances, quelle défense ? », dont un chapitre présente les ambitions de la Chine en Afrique.

Le nouveau contexte stratégique. L’annonce, en 2022, de l’évolution de la politique et du dispositif militaire de la France en Afrique francophone, à l’issue de l’opération « Barkhane » au Sahel, a changé la donne stratégique, estime le colonel Gauthier. La Chine a alors proposé aux pays africains francophones de coopérer davantage à leur développement à la place de la France. Cela a décidé les États-Unis à s’y impliquer aussi. Jusqu’alors, ils aidaient la France dans ses opérations dans la région par du renseignement et de la logistique. Ils se contentaient de dialoguer avec les pays anglophones, notamment le Ghana, le Nigeria, l’Ouganda, le Kenya et l’Afrique du Sud, et avaient une compréhension de l’Afrique différente de celle de la France et des pays d’Asie. Par ailleurs, le positionnement des pays africains sur la guerre en Ukraine et son évolution donne des indications sur ce qui pourrait arriver en cas de durcissement du conflit. A l’ONU, ils ont manifesté, en majorité, une neutralité quant à l’agression de la Russie contre l’Ukraine, mais en subissent directement deux conséquences, à savoir la forte hausse des coûts des denrées agricoles au sens large et la diminution massive de l’aide européenne. Auparavant, l’Afrique qui bénéficiait de 80 % de celle-ci, n’en reçoit plus que 20 %. En revanche, l’Ukraine reçoit une aide considérable de la communauté internationale, tandis que certains pays en Afrique, dont la Namibie, le Burkina Faso et ceux des Grands Lacs confrontés à des difficultés, certes différentes, en reçoivent beaucoup moins. Ce discours de double standard continue d’empoisonner les relations entre certains pays d’Afrique et les États occidentaux. De son côté, à part l’intervention de la société militaire privée Wagner en Afrique francophone, la Russie, agit dans le champ informationnel sur les réseaux sociaux, essentiellement pour dénigrer la France. Or les populations africaines, hyperconnectées au monde, voient ce qui est diffusé sur les réseaux sociaux. En outre, la Russie dispose de moyens considérables de formation dans le cadre de coopérations dans les domaines militaire, sanitaire et agricole. Par exemple, quand la France forme un spécialiste africain, la Russie en forme 300. De son côté, la Chinepropose une coopération industrielle en finançant des grands projets d’infrastructures, mais également en vue d’obtenir les ressources et les denrées qui lui manquent. Selon le colonel Gauthier, la Russie et la Chine mettent en œuvre la même politique de prédation des ressources naturelles en Afrique et, de préférence, des matières premières brutes exportées hors douane Ainsi, les pays africains disposant de réserves de bauxite, dont la Guinée, n’encaissent que le prix de la bauxite brute à la tonne au lieu d’exporter de l’aluminium produit localement. Aujourd’hui, la France veut établir un nouveau partenariat avec ses partenaires africains, tout en conservant ses valeurs au cœur des relations, ce qu’excluent la Russie et la Chine. Or, même les pays anglo-saxons placent leurs intérêts devant leurs valeurs, souligne le colonel.

L’emprise économique chinoise. La Chine exploite des gisements de pétrole et de gaz, des mines, des forêts et des terres agricoles en Afrique pour ses besoins en matières premières, indique le rapport de 3AED-IHEDN. Elle importe de la bauxite de Guinée, du Ghana et de Sierra Leone, de l’uranium et du thorium de Namibie, du cuivre, du nickel, du cobalt et du manganèse d’autres pays. L’Angola lui fournit 70 % de sa production pétrolière. En 2000, la Chine a créé le Forum de la coopération sino-africaine (FCSA), où 53 pays africains et l’Union africaine sont représentés. Elle leur propose des prêts importants pour la construction de leurs infrastructures. Avec ces fonds, des entreprises chinoises ont modernisé et construit plus de 10.000 km de voies ferrées, environ 1.000 ponts, 100 ports et 66.000 km de lignes de transmission et de distribution d’électricité. Elles ont participé à la construction de moyens de production d’électricité de 120 millions de kW, d’un réseau de communication de base de 150.000 km et d’un service de réseaux couvrant près de 700 millions de terminaux d’utilisateurs. Un plan de 2020 prévoit la construction de 30.000 km de routes d’ici à 2030. Elle a établi 25 zones de coopération économique et commerciale dans 16 pays d’Afrique. En une vingtaine d’années, elle est devenue le premier pays pourvoyeur de prêts à l’Afrique subsaharienne, dont la dette envers la Chine est passée de 3,1 % de leur dette totale en 2000 à 62,1 % en 2020. Sur la période 2000-2019, les prêts les plus importants ont été attribués à l’Angola, à l’Éthiopie, à la Zambie, au Kenya, au Nigeria, au Cameroun et au Soudan. Selon le Fonds monétaire international (FMI), la Chine détenait 15 % de la dette extérieure de l’Afrique en 2021 et lui a accordé environs les deux tiers des nouveaux prêts au cours des années 2020-2022. Cela lui permet d’orienter des décisions politiques favorables aux intérêts chinois et d’exercer une influence, voire des pressions, sur le pays emprunteur. Par ailleurs, une partie significative de ces prêts n’est pas signalée au FMI ni à la Banque mondiale. Les entreprises chinoises chargées de réaliser les projets ainsi financés reçoivent les fonds directement, sans qu’ils transitent par le pays africain concerné.

La sécurité chinoise élargie. Depuis 2009, la Chine s’intéresse à la défense de ses intérêts hors du territoire national et à la sécurité en mer, indique le rapport de 3 AED-IHEDN. Sa stratégie maritime, dite du « collier de perles », consiste à installer des points d’appui commerciaux et miliaires pour ses marines marchande et militaire. En 2018, le FCSA a reconnu les objectifs de la Chine en matière de sécurité sur le continent africain. Il s’agit d’abord d’assurer la protection des milliers de travailleurs chinois employés dans les constructions d’infrastructures, financées par Pékin, et de 10.000 entreprises chinoises réparties le long des nouvelles « Routes de la soie » entre la Chine et l’Europe. Ensuite, il convient de lutter contre le terrorisme et la piraterie. Cette stratégie de défense élargie se réalise surtout dans un cadre bilatéral avec une coopération militaire approfondie dans plusieurs domaines. Toutefois, il ne semble pas y avoir d’accords formels de sécurité avec des pays africains. Enfin, une loi de 2017 oblige les entreprises chinoises à collecter du renseignement à l‘étranger dans le cadre du « pilier civilo-militaire ». Ce dernier permet au monde civil et aux armées d’utiliser en commun des technologies, procédés de fabrication, équipements, personnels et installations.

Les opérations d’influence chinoises. Le FCSA cadre l’action diplomatique de la Chine en Afrique : non-ingérence dans les affaires intérieures ; solidarité Sud-Sud ; coopération sans conditions sociétales préalables. Les 61 Instituts Confucius, promeuvent la culture et la langue chinoise et, indique le rapport 3 AED-IHEDN, pratiqueraient l’espionnage et l’influence auprès des décideurs politiques et économiques, opérations facilitées par la faiblesse des structures administratives et la corruption élevée en Afrique. Enfin, la Chine a accordé, aux médias d’Afrique subsaharienne, des financements pour les technologies de l’information et de la communication supérieurs à l’ensemble de ceux des agences multilatérales et des principales démocraties réunies. Elle leur fournit aussi gratuitement des articles sur les thématiques sino-africaines.

Loïc Salmon

Chine : l’instrumentalisation de l’Afrique et ses conséquences

Afrique : nouvelle frontière de la Chine avec des enjeux stratégiques

Russie : partenariats en Afrique, son principal marché d’exportation d’armement




Corée du Sud : BITD performante, quasi-autosuffisance en armement et succès à l’exportation

Recherche et développement, autonomie industrielle, partenariats internationaux et soutien à l’exportation permettent à la Corée du Sud de produire des matériels militaires de technologies moyennes mais de hautes qualités et à des prix compétitifs.

Patrick Michon, ingénieur général de l’armement retraité devenu consultant, a présenté la base industrielle et technologique de défense (BITD) de la Corée du Sud au cours d’une visioconférence organisée, le16 mai 2023 à Paris, par l’association 3AED-IHEDN et l’Association de l’armement terrestre.

Les forces armées. L’armée de Terre sud-coréenne a entamé sa numérisation et met en place un système de recueil du renseignement électromagnétique. Elle dispose de 400 chars K1A1 de 54 t, version améliorée du K1 (51 t), et de 68 canons automoteurs K9 Thunder de 155 mm. Elle a mis en service le char K2 Black Panther (56 t), de nouveaux systèmes antiaériens et des missiles à courte et moyenne portée. L’armée de l’Air a commandé une quarantaine de chasseurs F-35 et 4 AWACS (systèmes de détection et de commandement aéroportés) aux États-Unis. Avec l’assistance technique de l’avionneur américain Lockheed, la Corée du Sud a développé et produit les avions de chasse légers et d’entraînement TA-50 et FA-50 Golden Eagle. Elle a fait de même avec le constructeur européen Airbus Helicopters pour l’hélicoptère de transport tactique Surion et l’hélicoptère d’attaque léger LAH. En partenariat avec l’Indonésie, elle développe l’avion de combat multi-rôles de 5ème génération KF-21 Boramae, dont le prototype a effectué son premier vol en 2022. L’entrée en service du Boramae, prévue en 2026, permettra de remplacer ses F-4 Phantom II et F-5E/F Tiger II américains. La Marine dispose de 3 sous-marins à propulsion diesel-électrique avec une capacité de lancement de missiles mer-sol, 5 destroyers KDX-2 de 4.000 t, 3 destroyers KDX-3 de 7.000 t et de 3 porte-hélicoptères de 13.000 t. Elle a sélectionné le chantier sud-coréen Daewoo Shipbuilding pour la conception et la construction de trois « navires arsenaux » Joint Firepower Ships transportant chacun plus de 80 missiles balistiques nouveaux.

L’industrie d’armement. Outre le soutien de la BITD par tous les gouvernements depuis 1976 (encadré), la Corée du Sud augmente régulièrement son budget pour la recherche et le développement, passé de 4 % de son produit intérieur brut en 2018 à 5 % en 2020. En 2006, Le ministère de la Défense, qui disposait de huit agences d’acquisition d’équipements militaires, les a remplacées par la DARPA (Defense Acquisition Program Administration), inspirée de la Délégation générale de l’armement française avec un budget annuel de 10 Mds$. En outre, dans le domaine spatial, le KARI (Institut coréen de recherche aérospatiale), fondé en 1989, correspond à la NASA américaine ou, en France, à l’Office national d’études et de recherches aérospatiales et au Centre national d’études spatiales réunis. Ses premières activités ont porté sur les fusées KSR-1 et KSR-2 à un ou deux étages puis sur le développement d’un moteur à oxygène liquide et kérosène. Pour accélérer le processus, il s’est associé à des partenaires russes pour réaliser la fusée KSLV, inspirée du lanceur russe Angara, mais dont les deux tirs ont échoué. Toutefois, le KARI a développé divers satellites : KOMPSAT Arirang (observation de la terre) ; COMS (météorologie) ; STSAT (expérimentations scientifiques).

La politique d’exportation. La Corée du Sud, qui a déjà gagné des contrats d’armements importants à l’exportation, vise 5 % du marché mondial d’ici à 2030. Ainsi, elle a réussi à vendre à la Malaisie des véhicules de combat d’infanterie KIFV (dérivés du M113 américain), mais pas de chars K1. Elle a vendu la licence du canon automoteur K9 Thunder à la Turquie et lui a transféré les technologies du char K2 Black Panther pour le développement du nouveau char turc Altay. Elle a conclu des options d’achats avec la Pologne se montant à 14 Mds€ et incluant une coopération industrielle et des transferts de technologies dont : 2,5 Mds€ pour la commande de 48 avions FA-50 Golden Eagle ; 2,25 Mds€ pour 180 chars K2 Black Panther avec une option sur 400 unités supplémentaires d’ici à 2030 ; 3 Mds€ pour 670 châssis de canons K9 Thunder. Ce dernier (ou sa licence de fabrication) a été aussi vendu à l’Australie, l’Inde, l’Égypte, l’Estonie, la Finlande et la Norvège. Dans le domaine naval, outre la construction d’une frégate de 2.300 t pour le Bengladesh, la Corée du Sud a vendu : plusieurs patrouilleurs côtiers à la Malaisie ; un bâtiment amphibie et un pétrolier-ravitailleur au Venezuela ; des chasseurs de mines à l’Inde avec une compétition en cours pour des sous-marins ; plusieurs bâtiments amphibies et 3 sous-marins avec une option sur 3 de plus à l’Indonésie. Dans le domaine aéronautique, la Corée du Sud a vendu : des avions d’entraînement KT1 et TA-50 à l’Indonésie ; des TA-50 version attaque au sol aux Philippines ; 40 KT1 à la Turquie ; 10 KT1 au Pérou. S’y ajoutent des commandes de FA-50 pour la Colombie, l’Irak et les Émirats arabes unis et de TA-50 pour le Sénégal, qui lui a acheté des KT1. Elle ne vend pas à des pays en guerre.

L’acquisition de connaissances. En 2023, la Corée du Sud dispose de bases industrielles civile, spatiale et de défense. En une cinquantaine d’années, elle est presque parvenue à la souveraineté dans ces domaines, dont elle maîtrise les technologies. Selon Patrick Michon, ces succès reposent sur l’éducation de masse et le confucianisme, qui régit les relations sociales et où la copie d’un « bon » maître est encouragée. Ainsi, le projet de réalisation « nationale » d’un sous-marin d’attaque à propulsion diesel-électrique en constitue une application. L’Inde puis la Corée du Sud ont décidé de le réaliser, à partir de la technologie du submersible allemand de la classe 209. La Corée du Sud y est parvenue en 2020, mais l’Inde pas encore. Tout commence en 1981, quand la Marine indienne achète quatre sous-marins 209/1500, dont deux sont construits au chantier allemand HDW et deux au chantier indien MDL dans le cadre d’un transfert de technologie, et les met en service entre 1986 et 1994 sous le nom de la classe Shishumar. A la suite de l’accord de 2005 avec la France, la Marine indienne a commandé six sous-marins conventionnels Scorpène (2.000 t en plongée), livrables entre 2017 et 2023, au chantier Naval Group. En 2022, ce dernier se retire de l’appel d’offres de la Marine indienne portant sur la construction, par MDL, de six unités anaérobies (autonomie de plongée accrue par rapport au unités conventionnelles grâce à la pile à combustibles), plus grandes que le Scorpène mais avec un nouveau transfert de technologie destiné au projet indien 75-i. De son côté mais en 1987, la Corée du Sud a acheté à l’Allemagne trois sous-marins 209/1300 (reclassés Chang Bogo). Ensuite, en 1993, la Marine sud-coréenne a commandé neuf sous-marins Chang Bogo construits sous licence au chantier sud-coréen Daewoo, tous livrés en 2001. Le programme national sud-coréen, lancé en 2007, porte sur la construction de neuf sous-marins de 3.000 t entre 2021 et 2029.

Loïc Salmon

La base industrielle et technologique de défense de la Corée du Sud repose sur des entreprises spécialisées, filiales des grands groupes industriels dénommés « Chaebols »  : domaine naval, Hyundai Heavy Industries, Hanjin Heavy Heavy Industries, Daewoo Shipbuilding et Wia ; aéronautique, Korean Aerospace Industries (KAI), Korean Air Lines (KAL), Hanwha Defence et Wia ; équipements terrestres, Hanwha Defence, Doosan, Rotem et Wia ; missiles, KAI, Hanwha Defence, Next One Future, Hanwha (pour les explosifs) et Poogham (munitions) ; électronique pour les trois armées, Hanhwa Defence et Next One Future ; drones, KAL, Uconsystem (RemoEye, drone léger à usages civil et militaire) et KAI (drone Night Intruder 300 pour l’observation, la reconnaissance et la surveillance du territoire). Enfin, STX Engine développe des moteurs pour les navires et les véhicules terrestres.

Industrie de défense : émergence de la Corée du Sud et de la Turquie à l’exportation

Missiles : amélioration de la technologie de la Corée du Nord

Corée du Nord : « royaume ermite » et facteur de crise en Asie du Nord-Est

Japon : protection et évacuation des ressortissants en cas de crise en Corée et à Taïwan




Russie : partenariats en Afrique, son principal marché d’exportation d’armement

La coopération entre la Russie et les pays africains porte sur la sécurité, la défense et les ressources stratégiques. Elle s’inscrit dans une opposition commune aux pays occidentaux soupçonnés de « néo-colonialisme », notamment lors des coups d’État militaires au Mali (2021), au Burkina Faso (2022) et au Niger (2023).

Les relations russo-africaines ont fait l’objet de deux notes d’analyse : l’une sur la coopération proprement dite, publiée en juillet 2023 à Paris par Djenabou Cisse, chargée de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique ; l’autre intitulée « Ventes d’armes russes en Afrique, les effets contrariés des sanctions occidentales », publiée le 31 mai 2023 à Bruxelles par Agatha Verdebout du Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité (GRIP).

Partenariats anciens réactivés. Dès la fin du XVIIIème siècle, la Russie ouvre deux consulats en Égypte (Alexandrie et Le Caire), rappelle Djenabou Cisse. En 1898, elle établit des relations diplomatiques avec l’Éthiopie et la République sud-africaine (Transvaal) et ouvre un consulat général au Maroc. Après la révolution bolchévique de 1917, la Russie attire de nombreux activistes africains, désireux d’y acquérir une formation politique. Pendant la guerre froide (1947-1991), l’Union soviétique soutient les mouvements indépendantistes contre les puissances coloniales occidentales, à savoir en Guinée et au Mali contre la France et au Ghana contre la Grande-Bretagne. Dans les années 1970, elle signe des accords de coopération avec l’Algérie, la Libye, le Mali, le Kenya et la Somalie. Outre la vente d’armes, elle apporte une assistance économique, sous formes de prêts, crédits et programmes de bourses d’études, et forme des milliers d’Africains dans ses universités, académies politiques et écoles militaires. Toutefois, Moscou n’est pas parvenu à transformer la plupart de ses partenariats africains en alliances stratégiques solides, en raison du nombre croissant d’États africains non-alignés. La dissolution de l’URSS, fin 1991, entraîne la fermeture de ses points d’appui militaires et de certaines représentations diplomatiques et culturelles en Afrique. La Russie abandonne même son projet d’aide au complexe sidérurgique d’Ajaokuta au Nigeria, pourtant construit à à 98 %. En 1993, la part africaine des échanges est tombée à 2 % de son commerce extérieur. Le retour de la Russie en Afrique, amorcé entre 2004 et 2008, s’accélère après son annexion de la Crimée en 2014, début des tensions avec l’Occident. Sa nouvelle politique d’influence met en avant son absence de passé colonial en Afrique et inclut l’offre de son expérience opérationnelle, acquise lors de son intervention en Syrie à partir de septembre 2015. Depuis 2017, Moscou a signé une vingtaine d’accords bilatéraux de défense, avec des pays africains (voir encadré). Un premier sommet entre la Russie et une quarantaine de pays africains est organisé à Sotchi, au bord de la mer Noire, en octobre 2019. En Centrafrique et au Mali, la Russie est devenue le principal partenaire de sécurité des régimes en place, isolés sur la scène internationale. De leur côté, les pays africains veulent diversifier leurs partenariats pour réduire leurs dépendances à certains alliés occidentaux, dans un contexte de réduction de l’aide publique européenne depuis plusieurs décennies. Actuellement, de nombreux pays africains maintiennent une coopération avec la Russie, mais aussi avec la Chine et quelques pays occidentaux.

Sécurité contre ressources stratégiques. La Russie, indique Djenabou Cisse, ne dispose pas de base militaire permanente en Afrique mais a conclu, avec le Soudan en 2020, un projet de construction d’un « point d’appui technique et matériel » à Port-Soudan, qui lui offrira un accès au golfe d’Aden et à la mer Rouge. Conformément à sa doctrine de non-ingérence dans les affaires intérieures des États souverains, la Russie ne déploie pas de forces armées régulières en Afrique mais recourt à des sociétés militaires privées, dont le groupe Wagner. La République centrafricaine (RCA) a servi de laboratoire à Wagner, qui assure la sécurité du régime en place en échange d’un accès direct aux ressources minières (diamants et or). Le groupe se déploie dans les pays où la Russie a des intérêts et où une crise politique et sécuritaire survient. Son intervention en Libye, en 2019, permet à la Russie de pérenniser sa présence au Soudan et en RCA. Au Mali, la junte militaire a sollicité Wagner pour lutter contre les groupes armés terroristes, après le départ des troupes françaises en 2016, et lui fournit des moyens logistiques (vivres, carburant et matériels). Actif dans l’orpaillage artisanal, Wagner y a créé deux sociétés minières en vue d’exploiter les mines d’or du pays, pour pallier les difficultés de paiement de la junte malienne. En outre, Wagner participe à la guerre informationnelle de la Russie en Afrique, basée sur une rhétorique anticoloniale, anti-occidentale et panafricaniste. Au réseau diplomatique et de coopération internationale de la Russie, s’ajoutent les médias Sputnik et Russia Today à l’audience significative dans de nombreux pays. Par ailleurs, l’entreprise d’exploration géologique russe Rosgeo a conclu un mémorandum d’accord avec le ministère malgache des Mines, de l’Industrie et du Pétrole en 2018. Dans le nucléaire civil, la Russie a signé des protocoles d’accord avec 18 pays africains, dont l’Éthiopie, le Nigeria, le Rwanda et la Zambie. En juin 2022, l’entreprise publique russe Rosatom a commencé la construction de la première centrale nucléaire d’Égypte pour un coût de 30 Mds$, financé à 85 % par un prêt russe.

Effets des sanctions occidentales. Selon Agatha Verdebout, la portée géographique des sanctions contre la Russie, prises à la suite de son attaque contre l’Ukraine en 2022, reste limitée. La Russie les contourne par des mécanismes d’importation via des pays tiers, de réexportation directe ou indirecte, de revente en cours de route ou de faux transits, notamment en Arménie et au Kazakhstan. En quelques mois, elle a ainsi rétabli ses approvisionnements en micro-puces et semi-conducteurs, indispensables à son industrie militaire. Elle en a aussi acquis en Chine, son principal fournisseur avant la guerre, et a lancé, en avril 2022, un plan massif d’investissement dans la production locale (38,6 Mds$ sur 8 ans). En outre, dans le cadre de son projet d’un ordre mondial multipolaire et pour briser son isolement économique et diplomatique, la Russie a réitéré ses propositions de ventes d’armement aux pays africains…qui disposent de 54 sièges à l’ONU ! Toutefois, souligne Agatha Verdebout, les États africains entendent maintenir une neutralité sur la question ukrainienne et préserver leurs intérêts stratégiques par des achats d’armement aux pays leur offrant les conditions les plus favorables.

Loïc Salmon

Selon l’Institut international de Stockholm de recherche sur la paix et pour la période 2018-2022, 40 % des importations africaines d’armes lourdes proviennent de la Russie, 16 % des États-Unis, 9,8 % de la Chine et 7,6 % de la France. La Russie vend des armes à 18 pays, dont l’Algérie, l’Égypte et l’Angola. En Afrique sub-saharienne, la part russe est passée de 23 % en 2013-2017 à 26 % en 2018-2022. Fournisseur des flottes aériennes de plusieurs pays africains depuis les années 1970, la Russie leur propose de réparer ou de remplacer leurs avions. Depuis 2017, elle a livré au Mali des hélicoptères de combat Mi-35, Mi-171 et Mi-8 ainsi que des avions de combat Su-25 et d’entraînement Albatros L-39. En 2019, elle a vendu 12 chasseurs Su-30K d’un montant d’un milliard de dollars à l’Angola, qui souhaite pouvoir assembler des matériels russes sur son territoire. Par ailleurs, selon le GRIP, la Russie a signé ou renouvelé des accords de coopération : en 2017 avec le Tchad, le Niger, le Nigeria, la Zambie et le Mozambique ; en 2018 avec la Guinée, le Soudan, l’Éthiopie, la Centrafrique, la République démocratique du Congo, le Botswana et Madagascar ; en 2019 avec le Mali, le Congo et l’Angola ; en 2021 avec la Mauritanie et le Gabon.

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Japon : stratégie de défense et de sécurité et programmation militaire renforcées

Conséquence de la guerre en Ukraine, le Japon a décidé de se doter des capacités de dissuasion d’une invasion de son territoire et de sa défense en première ligne. Toutefois, il doit trouver un équilibre entre les États-Unis, son protecteur militaire, et la Chine, son premier partenaire économique, dont la rivalité devrait s’exacerber dans les dix prochaines années.

Dans une note publiée le 24 mars 2023 en région parisienne par la Fondation pour la recherche stratégique, Valérie Niquet, maître de recherche, analyse la nouvelle stratégie de sécurité et de défense du Japon et son programme militaire 2023-2027.

Augmentation des capacités militaires. Dès 2027, le Japon veut pouvoir répondre efficacement à une invasion ennemie avec le soutien des États-Unis, conformément au traité bilatéral de sécurité de 1951 qui autorise la présence de forces armées américaines sur son territoire. A l’horizon 2030, il compte pouvoir repousser une attaque plus tôt et plus au large. Cela nécessite d’abord de développer des capacités dans sept domaines prioritaires : tirs à distance de sécurité ; renforcement de la défense anti-aérienne et antimissiles ; développement d’une force de drones ; renforcement de la synergie entre les opérations dans les milieux terrestre, aérien, maritime et spatial ; le cyber ; le commandement et la conduite des opérations (renseignement, déploiement et mobilité) ; l’action militaire dans la durée et la résilience. Par ailleurs, le Japon compte porter le budget de sa défense à 2 % de son produit intérieur brut en 2027 (voir encadré) et acquérir plusieurs centaines de missiles de croisière américains Tomahawk de 1.500 km de portée, afin de contre-attaquer jusque dans le territoire ennemi. Vers 2030, le Japon devrait étendre la portée de ses propres missiles antinavires T12 à 1.000 km, soit la distance le séparant de la Corée du Nord. Combinée à la défense anti-missiles, cette allonge vise à dissuader une attaque de l’ennemi par missiles balistiques, de croisière ou hypersoniques ou à l’empêcher de lancer une seconde frappe. Il s’agit de ralentir sa décision et de compliquer son calcul du bénéfice escompté par rapport au coût induit. Tout cela implique un partage du renseignement avec les États-Unis. Dès septembre 2022, les deux pays ont décidé d’analyser conjointement les informations fournies par les drones américains MQ9 Reaper. En novembre, les forces navales d’autodéfense japonaises ont procédé, au large de l’archipel d’Hawaï, à des tirs d’essais de missiles Aegis SM3 block IB et SM3 block IIA, développés en commun par les États-Unis et le Japon. Ce dernier va renforcer ses moyens satellitaires de renseignements optiques et coordonner leur exploitation. Aujourd’hui, seuls les États-Unis peuvent lui fournir les renseignements nécessaires au ciblage d’objectifs ennemis et aux frappes à longues distances.

Menaces en Extrême-Orient. Le Japon est d’abord préoccupé par l’activité de Chine dans la région, qui n’hésite pas à recourir à la force ou à la coercition pour modifier une situation. En effet, elle manifeste une présence navale constante devant les îles japonaises de Senkaku et multiplie les intimidations militaires autour de Taïwan, tout en prônant une réunification pacifique. En outre, elle accroît ses capacités militaires par l’intégration des technologies civiles et le développement de missiles hypersoniques, qui réduisent l’efficacité des systèmes japonais de défense antimissiles. Selon Tokyo, sa stratégie de déni d’accès vise à dissuader ou à ralentir l’intervention de puissances étrangères dans sa zone d’action potentielle, notamment face à Taïwan et au Japon. Toutefois, les intérêts économiques du Japon restent considérables en Chine, où sont installées plus de 40.000 de ses entreprises et où ses investissements représentent 16,9 % du total des investissements directs étrangers. La volonté de réduction de cette dépendance économique se heurte à l’impossibilité d’un découplage. Outre l’importance du marché chinois, les entreprises japonaises rentabilisent leurs investissements par la capacité de la Chine à produire de façon réactive à des prix encore compétitifs. Quoique 63 % des entreprises japonaises estiment que le rivalité Chine-États-Unis constitue un risque pour le monde, elles sont 30 % à l’imputer à la Chine et 70 % aux États-Unis, dont les règles de contrôle des investissements et des exportations sont perçues comme de entraves. Cette vision rejoint celle de l’Union européenne. Toutefois, comme les Pays-Bas, le Japon a décidé de ne pas fournir à la Chine les technologies de production de semi-conducteurs de dernière génération. Par ailleurs, la Corée du Nord reste la deuxième menace pour le Japon, en raison de la multiplication de tirs de missiles dans la mer du Japon de la perspective d’un nouvel essai nucléaire. La Russie arrive en troisième position, par suite de son rapprochement avec la Chine et de l’organisation d’exercices militaires communs au large du Japon, notamment dans le détroit de Tsushima séparant les îles de Honshu et de Hokkaïdo. Pour Tokyo, le conflit russo-ukrainien apparaît comme un signal d’alarme du risque de guerre imminente, avec la similitude des situations de l’Union européenne et du Japon face aux menaces russes et chinoises.

Coopérations interalliées accrues. Vu le contexte régional tendu, le Japon entend renforcer son alliance avec les États-Unis et profiter de sa dissuasion nucléaire. Lui-même s’interdit de posséder, d’importer ou d’introduire des armes nucléaires sur son territoire…depuis1967 ! De leur côté, les États-Unis attendent de lui un plan d’action en cas de conflit dans le détroit de Taïwan. Actuellement, les forces américaines stationnées au Japon ne peuvent intervenir à partir de leurs bases qu’avec l’autorisation de Tokyo. Le conflit russo-ukrainien a donné au Japon l’occasion de se ranger du côté de l’Occident, de fournir une aide économique et du matériel paramilitaire défensif à l’Ukraine et d’accueillir certains de ses ressortissants, qualifiés de « personnes déplacées » et non pas de « réfugiés » pour éviter de créer un précédent. Cette guerre souligne l’importance des stocks de munitions, des drones et de l’interaction entre le cyber, la guerre informationnelle et l’espace, domaines au centre de la réflexion stratégique de l’alliance nippo-américaine. Au début des années 2010, des accords de coopération en matière de transferts d’équipements et de logistique ont été conclus avec les États-Unis, l’Australie, la Grande-Bretagne, l’Inde et la France. En outre, le Japon a signé des « accords d’accès réciproques » avec la Grande-Bretagne en janvier 2022 et avec l’Australie en janvier 2023, autorisant des exercices militaires communs de grande ampleur.

Loïc Salmon

Selon l’organisme « Global Firepower », qui classe 145 pays selon leurs capacités militaires conventionnelles (hors armements nucléaires), le Japon occupe le 8ème rang mondial en 2023 après les États-Unis, la Russie, la Chine, l’Inde, la Grande-Bretagne, la Corée du Sud et le Pakistan. Il dispose de 1.400 aéronefs, 36 frégates dont 8 équipées du système d’armes naval américain Aegis (radars et missiles antinavires et anti-aériens), 21 sous-marins et 2 porte-aéronefs. En cas de crise, le ministère de la Défense exerce un contrôle direct sur les garde-côtes, qui dépendent du ministère des Territoires, des Infrastructures et du Tourisme. Partage d’informations et rapprochement opérationnel ont déjà eu lieu. Le ministère de la Défense devrait prendre à sa charge une partie du budget des garde-côtes. Par ailleurs, il pourra participer au financement de la recherche et du développement du pays en général et à celui des infrastructures publiques. En décembre 2022, le gouvernement japonais a décidé de porter le budget de la défense à 2 % du produit intérieur brut d’ici à 2027, pour donner suite aux demandes répétées des États-Unis et correspondant à l’objectif de l’OTAN. Le budget de la loi de programmation militaire 2023-2027 atteindra alors 315 Mds$. Celui de l’année fiscale 2023-2024 (avril-mars) se monte à 51 Mds$ avec une hausse annuelle de 26,3 %, la plus élevée depuis 1952.

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Inde : actualisation du partenariat stratégique avec la France

La stabilité de la zone Indo-Pacifique et sa sécurité maritime constituent les principaux objectifs du partenariat stratégique franco-indien, en vigueur depuis 1998 et dont le développement va du fond des mers au domaine spatial en passant par le cyberespace.

Olivia Penichou, déléguée à l’information et à la communication de la défense, et le général de division Patrik Steiger, chef du service des affaires de sécurité internationales de la Direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS), ont présenté la coopération de défense entre la France et l’Inde, lors d’un point de presse le 6 juillet 2023 à Paris.

Enjeux et souvenirs communs. Puissance nucléaire, l’Inde est devenue un acteur majeur dans la zone Indo-Pacifique et la France le seul pays européen à y disposer d’une présence militaire permanente, rappelle Olivia Penichou. La stratégie française dans la région définit cinq objectifs principaux : la protection des intérêts français ; la promotion d’une coopération au profit de la sécurité de la région ; la préservation de l’accès aux espaces communs ; la promotion du multilatéralisme pour le maintien de la paix et de la stabilité ; la lutte contre le changement climatique. En raison de l’importance du partenariat stratégique entre les deux pays, le Premier ministre indien Narendra Modi a été invité à assister au défilé militaire du 14 juillet à Paris. Les participations de 240 soldats des forces armées indiennes et de 3 avions Rafale indiens ont permis d’honorer la mémoire des 74.000 soldats indiens morts pendant la première guerre mondiale.

Dialogues de hauts niveaux. Le partenariat stratégique entre la France et l’Inde se caractérise par une relation de confiance et une cinquantaine d’actions de coopération, dont la moitié porte sur le domaine maritime, souligne le général Steiger. Le dialogue initial, mené par le président de République, se décline chaque année au niveau du ministre des Armées avec l’aide du haut comité de défense, dont font partie la directrice générale de la DGRIS et le ministère indien de la Défense. En parallèle ou en même temps, un sous-comité militaire du niveau de l’État-major des armées travaille avec un sous-comité armement pour préparer les décisions du dialogue annuel de défense. Tout ceci est accompagné ou précédé par des réunions d’états-majors de chaque armée. Ce dispositif décline les orientations et les décisions prises au niveau politique. Dans l’autre sens, il a vocation à nourrir et à contribuer au dialogue des autorités. Cette relation bilatérale, renforcée par des visites ministérielles réciproques, est portée sur le terrain par les missions de défense de l’ambassade de France en Inde, deuxième en importance du réseau diplomatique français après celle aux États-Unis. Au niveau régional, les autorités militaires commandant de zones, à savoir l’émiral « Alindien » pour l’océan Indien et l’amiral « Alpaci » pour le Pacifique, animent ce dialogue à leur niveau dans un cadre bilatéral ou multilatéral comme l’Indian Ocean Naval Symposium (IONS, Symposium naval de l’océan Indien). Ce dernier permet de coopérer avec les pays de la zone pour le secours aux populations et la lutte contre les catastrophes naturelles. Soutenue par l’Inde, la France a obtenu la présidence de l’IONS de 2021 à 2023 et a organisé, en 2022, l’exercice « Imex » qui a réuni 16 nations sur des scénarios de réponse à des catastrophes naturelles. L’IONS permet de réunir, autour d’une même table, les Marines de l’Iran, de la Grande-Bretagne, de l’Australie, des Émirats arabes unis, de la France et de l’Inde et, ainsi, de maintenir un contact entre ces pays. Par ailleurs, dans le domaine spatial, la France accompagne le programme indien depuis 1964. En juin 2023, toutes deux ont lancé un dialogue sur la sécurité spatiale. Dans le cyber, la feuille de route franco-indienne de 2019 sur la sécurité numérique a donné lieu à cinq réunions bilatérales et interministérielles avec les ministères de l’Europe et des Affaires étrangères, des Armées et de l’Intérieur et l’Agence nationale de sécurité des systèmes d’information.

Déclinaisons militaires

Selon le général Steiger, le partenariat stratégique franco-indien se traduit par la réalisation d’exercices militaires conjoints, de nombreuses visites d’autorités militaires et des échanges dans le domaine de la formation et de l’enseignement militaire supérieur. Comme lors de la présidence française de l‘Union européenne au premier semestre 2022, celle de l’IONF a mis en avant le partenariat avec l’Inde, notamment par la co-organisation d’un forum sur la sécurité et la coopération dans l’Indo-Pacifique au niveau politique. En océan Indien, la dimension maritime se décline selon trois axes. Le premier concerne les séquences d’entraînement bilatéral lors des escales de la mission « Jeanne d’Arc » (École d’application des élèves officiers de marine) et du groupe aéronaval avec des exercices, échanges d’experts et actions de soutien. Le deuxième axe porte sur les activités bilatérales dans la zone Sud de l’océan Indien, à partir de La Réunion, avec des patrouilles coordonnées entre les unités indiennes et françaises. Le troisième consiste en l’organisation d’échanges quotidiens d’informations maritimes à la suite de l’accord de mars 2018, renforcé par l’affectation d’un officier de liaison français au Centre de fusion des informations maritimes de la Marine indienne à New Delhi depuis 2019. A titre indicatif, sept escales françaises ont eu lieu en Inde depuis septembre 2022 : frégate Aconit en novembre 2022 ; porte-avions Charles-de-Gaulle et deux frégates en janvier 2023 ; porte-hélicoptères amphibie Dixmude(mission « Jeanne d’Arc) en mars ; frégate La-Fayette en mars ; bâtiment hydrographique Beautemps-Beaupré en juin ; frégate Surcouf en juin ; frégate multi-missions Lorraine en juillet. L’accord de soutien logistique mutuel, conclu en mars 2018, facilite l’accès aux ports militaires indiens et français. Par ailleurs, plusieurs exercices navals majeurs se sont déroulés au cours du premier semestre 2023. En janvier, l’exercice bilatéral « Varuna », dont la première édition remonte à 2001, a mis en œuvre le groupe aéronaval, des bâtiments de la Marine indienne et des aéronefs indiens. En mars, outre la mission « Jeanne d’Arc » avec des bâtiments indiens, le grand exercice international « La Pérouse » a inclu les participations de l’Inde, de la France, des États-Unis, du Japon et de l’Australie dans le golfe du Bengale. Dans le domaine terrestre, la coopération devrait se développer. Actuellement, elle s’articule autour de missions d’expertise, comme le combat en montagne et la lutte contre les engins explosifs improvisés, et l’exercice biannuel « Shakti » au niveau section, dont la huitième édition est prévue en octobre 2023. En outre, l’exercice « Frinjex » s’est tenu en marge de l’escale de la mission « Jeanne d’Arc », en raison de la présence d’un groupement tactique embarqué à bord du porte-hélicoptères amphibie Dixmude. La coopération aérienne militaire est organisée autour de l’exercice bilatéral franco-indien « Garuda » et la mission « Pégase » de projection de puissance en Indo-Pacifique par des avions de l’armée de l’Air et de l’Espace partis de France et d‘autres pays de la zone. Elle se renforce à la faveur de la montée en puissance des avions Rafale de l’armée de l’Air indienne. Dans cette perspective, quatre Rafale indiens ont participé à l’exercice bilatéral « Volfa », qui a été intégré à l’exercice interarmées de haute intensité « Orion ». Les missions ont porté sur la défense aérienne et l’attaque au sol. L’intégration des Rafale indiens a permis d’optimiser les procédures de coopération. Les 36 avions Rafale, commandés en France en 2016 pour 8 Mds€, ont tous été livrés, malgré la pandémie de Covid-19 (2020-2021). Enfin, dans le domaine de l’enseignement militaire supérieur, un officier indien suit la scolarité de l’École de guerre à Paris, laquelle devrait en accueillir deux en 2025. Du côté français, le futur attaché de défense suit celle du « National Defence College » (son équivalent) à New Delhi.

Loïc Salmon

Indo-Pacifique : éviter l’escalade nucléaire malgré la compétition stratégique accrue

Océan Indien : espace de coopération internationale

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