Afrique : golfe de Guinée, zone de coopération stratégique

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Présence de Marines non africaines et montée en puissance des capacités navales des pays riverains assurent la liberté de la navigation dans le golfe de Guinée, espace riche, à risques et sujet à une instabilité politique endémique.

La situation dans cette zone a été présentée au cours de deux interventions à Paris : le 4 novembre 2021 devant la presse, par le vice-amiral d’escadre Olivier Lebas, préfet maritime et commandant de la zone et de l’arrondissement maritime Atlantique (CECLANT) ; le 24 novembre, par le contre-amiral Xavier Petit, en charge des opérations de la Marine, lors d’une conférence organisée par le Centre d’études stratégiques de la Marine.

Intérêt international croissant. Outre la présence navale de la France par l’opération « Corymbe » depuis les années 1990, indique l’amiral Lebas, le golfe de Guinée est régulièrement fréquenté par des bâtiments militaires de l’Espagne, du Portugal, de l’Italie, de la Grande-Bretagne, du Danemark, du Brésil, des Etats-Unis et, récemment, de la Turquie et de la Russie. D’une superficie de 2,35 Mkm2, le golfe de Guinée se trouve en effet à la croisée des grandes routes maritimes et abrite d’importantes ressources pétrolières, halieutiques et minérales (voir encadré). Enjeu majeur pour l’Afrique de l’Ouest, la pêche illicite constitue la première menace de la zone. De plus, les actes de brigandage, dans les ports, et de piraterie, en haute mer, peuvent perturber la navigation commerciale et mettre en danger la vie des équipages et des passagers. Par ailleurs, le terrorisme, qui sévit dans le Nord, n’a aucun lien avec le brigandage et la piraterie des côtes. Les pirates s’équipent grâce aux recettes des trafics d’armes et de drogue et aux rançons versées par les armateurs. Surtout originaires du Nigeria, ils se replient jusqu’à 200 milles marins (370 km) vers le Sud, car l’adaptation de l’arsenal juridique à la piraterie réduit l’impunité et rend cette activité plus difficile. La coopération internationale doit permettre d’éradiquer cette menace.

Drogue, flux migratoires et piraterie. Selon l’amiral Petit, l’Afrique est devenue une zone de transit des narcotrafics de l’Amérique du Sud vers l’Europe et subit une forte consommation locale. Parti de Colombie, de Bolivie, du Pérou et du Brésil, le trafic de cocaïne circule par le Nigeria, le Bénin, le Togo, le Ghana, la Guinée, la Guinée-Bissau, le Sénégal, le Mali, le Niger, la Mauritanie, l’Algérie et la Libye. Les saisies de cocaïne en mer sont passées de 3,3 t (157 kg pour l’Afrique de l’Ouest) en 2017 à 5,6 t (278 kg) en 2018 et 20 t (16 t) en 2019. Les flux migratoires de l’Afrique, qui déstabilisent les Etats locaux, ont été multipliés par huit en six ans. Même si 90 %, soit 7,6 millions de personnes en 2020, restent internes, ceux vers l’Europe augmentent globalement. Les flux par terre sont tombés de 11.624 personnes en 2015 à 1.535 en 2020, mais ceux par mer sont passés de 5.312 personnes en 2015 à 40.326 en 2020. Quoiqu’en décroissance, les actes de piraterie et de brigandage se poursuivent. Selon le MICA Center, 200 actes de piraterie et de brigandage ont été signalés dans le monde en 2020. Le nombre de navires piratés dans le golfe de Guinée se monte à 71 (35 % du total), à savoir 42 au Nigeria, 16 au Ghana et 13 au Bénin. En 2020, ont été signalés : 45 vols dans les ports ; 114 actes de piraterie (approches, attaques et navires piratés) ; 142 enlèvements en mer (90 % du total mondial). Les pirates, armés de fusils d’assaut AK47, modifient leur mode d’action selon les saisons et disposent de moyens de ravitaillement pour agir au large. Quoique violents, ils prennent vite la fuite. La sécurité maritime repose sur la stratégie commune de l’architecture interrégionale de Yaoundé de 2013.

Concentration des moyens de lutte. Dans le golfe de Guinée, la France dispose des deux entités militaires pour le soutien logistique des opérations « Barkhane » et « Takuba » (opération européenne) au Sahel, à savoir les Forces françaises en Côte d’Ivoire (950 militaires) et les Eléments français au Sénégal (400 militaires et civils). Sur le plan maritime, indique l’amiral Lebas, CECLANT déploie, selon les cas, un patrouilleur de haute mer, un porte-hélicoptères amphibie, une frégate de surveillance ou un avion de surveillance maritime Falcon 50 M basé à Dakar. Dans le cadre de « Corymbe », la Marine nationale aura effectué, en 2021, de 20 à 30 patrouilles opérationnelles dites « Sagne » avec des bâtiments de surface, et près de 50 avec le Falcon 50 M, en coopération avec les Marines riveraines et les centres nationaux des opérations maritimes. L’année 2021 aura donné lieu à 25 exercices : 1 GANO (Grand African Nemo) ; 2 African Nemo (plus restreints) ; 4 Euromarsec (exercices européens de sécurité maritime) ; 18 Passex (exercices navals bilatéraux). Pour l’analyse et l’évaluation de la situation sécuritaire maritime, les centres britannique UKMTO et français MICA Center mettent en œuvre, depuis 2016, le mécanisme de signalement et d’alerte « MDAT-GoG » au profit des navires marchands qui le souhaitent. Depuis 2015, la France organise un symposium annuel des chefs d’état-major des Marine du golfe de Guinée pour le partage des retours d’expérience et de bonnes pratiques. Elle soutient l’Institut de sécurité maritime interrégional d’Abidjan (Côte d’Ivoire) et l’Ecole nationale à vocation régionale de Tica (Guinée équatoriale). Le 10 juin 2021, avec la Côte d’Ivoire, elle a inauguré l’Académie internationale de lutte contre le terrorisme. Avec l’Union européenne (UE), la France participe au mécanisme « Présences maritimes coordonnées » concernant les moyens navals déployés et les actions de coopération. Dans le cadre de l’Initiative européenne d’intervention, le Danemark a lancé, en 2020, un groupe de travail sur la coopération opérationnelle entre les pays européens impliqués dans la région, en dehors du cadre de la Politique de défense et de sécurité commune. Enfin, le forum international « G7++ Friends of the Gulf of Guinea », composé de l’UE et des 19 Etats riverains, met en œuvre la coordination des actions internationales dans la région. La France et le Ghana l’ont présidé en 2019, suivis des Etats-Unis et du Gabon en 2020 et de la Grande-Bretagne et du Sénégal en 2021.

Loïc Salmon

Les routes maritimes du golfe de Guinée acheminent 10 % de la production mondiale de marchandises, 15 % du pétrole et 30 % de l’uranium. Elles permettent 90 % des échanges des 19 Etats riverains par des trafics mêlant haute mer et cabotage sur 5.700 km de côtes. Le golfe de Guinée dispose de 4.000 milliards de m3 de réserve de gaz naturel et abrite environ 50 % de la production pétrolière du continent africain (10 % du total mondial), dont 40.000 barils/jour sont perdus à cause des actes illicites. Chaque année, la pêche se monte à 1 million de tonnes, dont 40 % proviennent de la pêche illicite représentant une perte 1,5 Md$ pour les Etats de la zone. Le golfe de Guinée abrite 80.000 ressortissants français (en progression de 5 % à 10 % depuis 2010) et 400.000 Européens, surtout des personnels des grandes entreprises des secteurs pétrolier, bancaire, des télécommunications et de l’audiovisuel. Y transitent 12 % du pétrole importé en France et 10 % à 12 % de celui destiné à l’Union européenne.

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