Le continent africain constitue une cible privilégiée dans la stratégie mondiale de la Chine dans les domaines économique, de sécurité élargie et d’influence.
Ce thème a fait l’objet d’une conférence organisée, le 7 juin 2023 à Paris, par l’association 3 AED- IHEDN. Le colonel Frédéric Gauthier, sous-directeur « Afrique » de la Direction de la coopération de sécurité et de défense au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, est intervenu. Le même jour, 3 AED-IHEDN a rendu public un rapport intitulé « Renouveau des puissances, quelle défense ? », dont un chapitre présente les ambitions de la Chine en Afrique.
Le nouveau contexte stratégique. L’annonce, en 2022, de l’évolution de la politique et du dispositif militaire de la France en Afrique francophone, à l’issue de l’opération « Barkhane » au Sahel, a changé la donne stratégique, estime le colonel Gauthier. La Chine a alors proposé aux pays africains francophones de coopérer davantage à leur développement à la place de la France. Cela a décidé les États-Unis à s’y impliquer aussi. Jusqu’alors, ils aidaient la France dans ses opérations dans la région par du renseignement et de la logistique. Ils se contentaient de dialoguer avec les pays anglophones, notamment le Ghana, le Nigeria, l’Ouganda, le Kenya et l’Afrique du Sud, et avaient une compréhension de l’Afrique différente de celle de la France et des pays d’Asie. Par ailleurs, le positionnement des pays africains sur la guerre en Ukraine et son évolution donne des indications sur ce qui pourrait arriver en cas de durcissement du conflit. A l’ONU, ils ont manifesté, en majorité, une neutralité quant à l’agression de la Russie contre l’Ukraine, mais en subissent directement deux conséquences, à savoir la forte hausse des coûts des denrées agricoles au sens large et la diminution massive de l’aide européenne. Auparavant, l’Afrique qui bénéficiait de 80 % de celle-ci, n’en reçoit plus que 20 %. En revanche, l’Ukraine reçoit une aide considérable de la communauté internationale, tandis que certains pays en Afrique, dont la Namibie, le Burkina Faso et ceux des Grands Lacs confrontés à des difficultés, certes différentes, en reçoivent beaucoup moins. Ce discours de double standard continue d’empoisonner les relations entre certains pays d’Afrique et les États occidentaux. De son côté, à part l’intervention de la société militaire privée Wagner en Afrique francophone, la Russie, agit dans le champ informationnel sur les réseaux sociaux, essentiellement pour dénigrer la France. Or les populations africaines, hyperconnectées au monde, voient ce qui est diffusé sur les réseaux sociaux. En outre, la Russie dispose de moyens considérables de formation dans le cadre de coopérations dans les domaines militaire, sanitaire et agricole. Par exemple, quand la France forme un spécialiste africain, la Russie en forme 300. De son côté, la Chinepropose une coopération industrielle en finançant des grands projets d’infrastructures, mais également en vue d’obtenir les ressources et les denrées qui lui manquent. Selon le colonel Gauthier, la Russie et la Chine mettent en œuvre la même politique de prédation des ressources naturelles en Afrique et, de préférence, des matières premières brutes exportées hors douane Ainsi, les pays africains disposant de réserves de bauxite, dont la Guinée, n’encaissent que le prix de la bauxite brute à la tonne au lieu d’exporter de l’aluminium produit localement. Aujourd’hui, la France veut établir un nouveau partenariat avec ses partenaires africains, tout en conservant ses valeurs au cœur des relations, ce qu’excluent la Russie et la Chine. Or, même les pays anglo-saxons placent leurs intérêts devant leurs valeurs, souligne le colonel.
L’emprise économique chinoise. La Chine exploite des gisements de pétrole et de gaz, des mines, des forêts et des terres agricoles en Afrique pour ses besoins en matières premières, indique le rapport de 3AED-IHEDN. Elle importe de la bauxite de Guinée, du Ghana et de Sierra Leone, de l’uranium et du thorium de Namibie, du cuivre, du nickel, du cobalt et du manganèse d’autres pays. L’Angola lui fournit 70 % de sa production pétrolière. En 2000, la Chine a créé le Forum de la coopération sino-africaine (FCSA), où 53 pays africains et l’Union africaine sont représentés. Elle leur propose des prêts importants pour la construction de leurs infrastructures. Avec ces fonds, des entreprises chinoises ont modernisé et construit plus de 10.000 km de voies ferrées, environ 1.000 ponts, 100 ports et 66.000 km de lignes de transmission et de distribution d’électricité. Elles ont participé à la construction de moyens de production d’électricité de 120 millions de kW, d’un réseau de communication de base de 150.000 km et d’un service de réseaux couvrant près de 700 millions de terminaux d’utilisateurs. Un plan de 2020 prévoit la construction de 30.000 km de routes d’ici à 2030. Elle a établi 25 zones de coopération économique et commerciale dans 16 pays d’Afrique. En une vingtaine d’années, elle est devenue le premier pays pourvoyeur de prêts à l’Afrique subsaharienne, dont la dette envers la Chine est passée de 3,1 % de leur dette totale en 2000 à 62,1 % en 2020. Sur la période 2000-2019, les prêts les plus importants ont été attribués à l’Angola, à l’Éthiopie, à la Zambie, au Kenya, au Nigeria, au Cameroun et au Soudan. Selon le Fonds monétaire international (FMI), la Chine détenait 15 % de la dette extérieure de l’Afrique en 2021 et lui a accordé environs les deux tiers des nouveaux prêts au cours des années 2020-2022. Cela lui permet d’orienter des décisions politiques favorables aux intérêts chinois et d’exercer une influence, voire des pressions, sur le pays emprunteur. Par ailleurs, une partie significative de ces prêts n’est pas signalée au FMI ni à la Banque mondiale. Les entreprises chinoises chargées de réaliser les projets ainsi financés reçoivent les fonds directement, sans qu’ils transitent par le pays africain concerné.
La sécurité chinoise élargie. Depuis 2009, la Chine s’intéresse à la défense de ses intérêts hors du territoire national et à la sécurité en mer, indique le rapport de 3 AED-IHEDN. Sa stratégie maritime, dite du « collier de perles », consiste à installer des points d’appui commerciaux et miliaires pour ses marines marchande et militaire. En 2018, le FCSA a reconnu les objectifs de la Chine en matière de sécurité sur le continent africain. Il s’agit d’abord d’assurer la protection des milliers de travailleurs chinois employés dans les constructions d’infrastructures, financées par Pékin, et de 10.000 entreprises chinoises réparties le long des nouvelles « Routes de la soie » entre la Chine et l’Europe. Ensuite, il convient de lutter contre le terrorisme et la piraterie. Cette stratégie de défense élargie se réalise surtout dans un cadre bilatéral avec une coopération militaire approfondie dans plusieurs domaines. Toutefois, il ne semble pas y avoir d’accords formels de sécurité avec des pays africains. Enfin, une loi de 2017 oblige les entreprises chinoises à collecter du renseignement à l‘étranger dans le cadre du « pilier civilo-militaire ». Ce dernier permet au monde civil et aux armées d’utiliser en commun des technologies, procédés de fabrication, équipements, personnels et installations.
Les opérations d’influence chinoises. Le FCSA cadre l’action diplomatique de la Chine en Afrique : non-ingérence dans les affaires intérieures ; solidarité Sud-Sud ; coopération sans conditions sociétales préalables. Les 61 Instituts Confucius, promeuvent la culture et la langue chinoise et, indique le rapport 3 AED-IHEDN, pratiqueraient l’espionnage et l’influence auprès des décideurs politiques et économiques, opérations facilitées par la faiblesse des structures administratives et la corruption élevée en Afrique. Enfin, la Chine a accordé, aux médias d’Afrique subsaharienne, des financements pour les technologies de l’information et de la communication supérieurs à l’ensemble de ceux des agences multilatérales et des principales démocraties réunies. Elle leur fournit aussi gratuitement des articles sur les thématiques sino-africaines.
Loïc Salmon
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