La coopération entre la Russie et les pays africains porte sur la sécurité, la défense et les ressources stratégiques. Elle s’inscrit dans une opposition commune aux pays occidentaux soupçonnés de « néo-colonialisme », notamment lors des coups d’État militaires au Mali (2021), au Burkina Faso (2022) et au Niger (2023).
Les relations russo-africaines ont fait l’objet de deux notes d’analyse : l’une sur la coopération proprement dite, publiée en juillet 2023 à Paris par Djenabou Cisse, chargée de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique ; l’autre intitulée « Ventes d’armes russes en Afrique, les effets contrariés des sanctions occidentales », publiée le 31 mai 2023 à Bruxelles par Agatha Verdebout du Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité (GRIP).
Partenariats anciens réactivés. Dès la fin du XVIIIème siècle, la Russie ouvre deux consulats en Égypte (Alexandrie et Le Caire), rappelle Djenabou Cisse. En 1898, elle établit des relations diplomatiques avec l’Éthiopie et la République sud-africaine (Transvaal) et ouvre un consulat général au Maroc. Après la révolution bolchévique de 1917, la Russie attire de nombreux activistes africains, désireux d’y acquérir une formation politique. Pendant la guerre froide (1947-1991), l’Union soviétique soutient les mouvements indépendantistes contre les puissances coloniales occidentales, à savoir en Guinée et au Mali contre la France et au Ghana contre la Grande-Bretagne. Dans les années 1970, elle signe des accords de coopération avec l’Algérie, la Libye, le Mali, le Kenya et la Somalie. Outre la vente d’armes, elle apporte une assistance économique, sous formes de prêts, crédits et programmes de bourses d’études, et forme des milliers d’Africains dans ses universités, académies politiques et écoles militaires. Toutefois, Moscou n’est pas parvenu à transformer la plupart de ses partenariats africains en alliances stratégiques solides, en raison du nombre croissant d’États africains non-alignés. La dissolution de l’URSS, fin 1991, entraîne la fermeture de ses points d’appui militaires et de certaines représentations diplomatiques et culturelles en Afrique. La Russie abandonne même son projet d’aide au complexe sidérurgique d’Ajaokuta au Nigeria, pourtant construit à à 98 %. En 1993, la part africaine des échanges est tombée à 2 % de son commerce extérieur. Le retour de la Russie en Afrique, amorcé entre 2004 et 2008, s’accélère après son annexion de la Crimée en 2014, début des tensions avec l’Occident. Sa nouvelle politique d’influence met en avant son absence de passé colonial en Afrique et inclut l’offre de son expérience opérationnelle, acquise lors de son intervention en Syrie à partir de septembre 2015. Depuis 2017, Moscou a signé une vingtaine d’accords bilatéraux de défense, avec des pays africains (voir encadré). Un premier sommet entre la Russie et une quarantaine de pays africains est organisé à Sotchi, au bord de la mer Noire, en octobre 2019. En Centrafrique et au Mali, la Russie est devenue le principal partenaire de sécurité des régimes en place, isolés sur la scène internationale. De leur côté, les pays africains veulent diversifier leurs partenariats pour réduire leurs dépendances à certains alliés occidentaux, dans un contexte de réduction de l’aide publique européenne depuis plusieurs décennies. Actuellement, de nombreux pays africains maintiennent une coopération avec la Russie, mais aussi avec la Chine et quelques pays occidentaux.
Sécurité contre ressources stratégiques. La Russie, indique Djenabou Cisse, ne dispose pas de base militaire permanente en Afrique mais a conclu, avec le Soudan en 2020, un projet de construction d’un « point d’appui technique et matériel » à Port-Soudan, qui lui offrira un accès au golfe d’Aden et à la mer Rouge. Conformément à sa doctrine de non-ingérence dans les affaires intérieures des États souverains, la Russie ne déploie pas de forces armées régulières en Afrique mais recourt à des sociétés militaires privées, dont le groupe Wagner. La République centrafricaine (RCA) a servi de laboratoire à Wagner, qui assure la sécurité du régime en place en échange d’un accès direct aux ressources minières (diamants et or). Le groupe se déploie dans les pays où la Russie a des intérêts et où une crise politique et sécuritaire survient. Son intervention en Libye, en 2019, permet à la Russie de pérenniser sa présence au Soudan et en RCA. Au Mali, la junte militaire a sollicité Wagner pour lutter contre les groupes armés terroristes, après le départ des troupes françaises en 2016, et lui fournit des moyens logistiques (vivres, carburant et matériels). Actif dans l’orpaillage artisanal, Wagner y a créé deux sociétés minières en vue d’exploiter les mines d’or du pays, pour pallier les difficultés de paiement de la junte malienne. En outre, Wagner participe à la guerre informationnelle de la Russie en Afrique, basée sur une rhétorique anticoloniale, anti-occidentale et panafricaniste. Au réseau diplomatique et de coopération internationale de la Russie, s’ajoutent les médias Sputnik et Russia Today à l’audience significative dans de nombreux pays. Par ailleurs, l’entreprise d’exploration géologique russe Rosgeo a conclu un mémorandum d’accord avec le ministère malgache des Mines, de l’Industrie et du Pétrole en 2018. Dans le nucléaire civil, la Russie a signé des protocoles d’accord avec 18 pays africains, dont l’Éthiopie, le Nigeria, le Rwanda et la Zambie. En juin 2022, l’entreprise publique russe Rosatom a commencé la construction de la première centrale nucléaire d’Égypte pour un coût de 30 Mds$, financé à 85 % par un prêt russe.
Effets des sanctions occidentales. Selon Agatha Verdebout, la portée géographique des sanctions contre la Russie, prises à la suite de son attaque contre l’Ukraine en 2022, reste limitée. La Russie les contourne par des mécanismes d’importation via des pays tiers, de réexportation directe ou indirecte, de revente en cours de route ou de faux transits, notamment en Arménie et au Kazakhstan. En quelques mois, elle a ainsi rétabli ses approvisionnements en micro-puces et semi-conducteurs, indispensables à son industrie militaire. Elle en a aussi acquis en Chine, son principal fournisseur avant la guerre, et a lancé, en avril 2022, un plan massif d’investissement dans la production locale (38,6 Mds$ sur 8 ans). En outre, dans le cadre de son projet d’un ordre mondial multipolaire et pour briser son isolement économique et diplomatique, la Russie a réitéré ses propositions de ventes d’armement aux pays africains…qui disposent de 54 sièges à l’ONU ! Toutefois, souligne Agatha Verdebout, les États africains entendent maintenir une neutralité sur la question ukrainienne et préserver leurs intérêts stratégiques par des achats d’armement aux pays leur offrant les conditions les plus favorables.
Loïc Salmon
Selon l’Institut international de Stockholm de recherche sur la paix et pour la période 2018-2022, 40 % des importations africaines d’armes lourdes proviennent de la Russie, 16 % des États-Unis, 9,8 % de la Chine et 7,6 % de la France. La Russie vend des armes à 18 pays, dont l’Algérie, l’Égypte et l’Angola. En Afrique sub-saharienne, la part russe est passée de 23 % en 2013-2017 à 26 % en 2018-2022. Fournisseur des flottes aériennes de plusieurs pays africains depuis les années 1970, la Russie leur propose de réparer ou de remplacer leurs avions. Depuis 2017, elle a livré au Mali des hélicoptères de combat Mi-35, Mi-171 et Mi-8 ainsi que des avions de combat Su-25 et d’entraînement Albatros L-39. En 2019, elle a vendu 12 chasseurs Su-30K d’un montant d’un milliard de dollars à l’Angola, qui souhaite pouvoir assembler des matériels russes sur son territoire. Par ailleurs, selon le GRIP, la Russie a signé ou renouvelé des accords de coopération : en 2017 avec le Tchad, le Niger, le Nigeria, la Zambie et le Mozambique ; en 2018 avec la Guinée, le Soudan, l’Éthiopie, la Centrafrique, la République démocratique du Congo, le Botswana et Madagascar ; en 2019 avec le Mali, le Congo et l’Angola ; en 2021 avec la Mauritanie et le Gabon.
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