Le renseignement, clé pour la connaissance et l’anticipation

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Outil de sécurité et souveraineté d’un pays, le renseignement prend encore plus d’importance dans le contexte mondial actuel, particulièrement volatil, selon François Heisbourg, conseiller spécial de la Fondation pour la recherche stratégique.

Il s’est exprimé sur ce sujet lors d’une conférence et d’un débat organisés, le 24 janvier 2013 à Paris, par le Forum du futur et l’Association Minerve de l’enseignement militaire supérieur scientifique et technique. Auteur du livre « Espionnage et renseignement : le vrai dossier » (2012), il n’a jamais été engagé dans la production du renseignement, mais en a été utilisateur étatique et industriel, client, prescripteur et même… cible pendant la guerre froide.

Fonction stratégique. Les interventions en Libye (2011) et au Mali (2013) soulignent l’importance de la connaissance et de l’anticipation, grâce à des moyens de renseignements techniques et humains, avant tout engagement. Deux tendances lourdes d’évolutions techno-économiques se manifestent aujourd’hui dans la défense : la réduction des effectifs sur un seul théâtre d’opérations et la précision des armes. Ainsi, alors que les Etats-Unis ont envoyé 550.000 hommes au Viet Nam entre 1964 et 1975, ils n’en ont déployé que 150.000 en Afghanistan depuis 2001 et dans le cadre de l’OTAN. De plus, comme le coût unitaire d’une arme double à chaque changement de génération d’armement, le drone a remplacé, en partie, l’avion de combat. Enfin, à investissement constant, la capacité croissante des microprocesseurs sur une petite surface permet d’intégrer davantage d’informations dans les systèmes d’armes en vue d’affiner les tirs. Selon François Heisbourg, les capacités de renseignement de la France s’accroissent de façon remarquable à budget global constant, grâce notamment à la mutualisation des moyens techniques, mais elles accusent un retard en matière de drones. Les industriels français savent réaliser des satellites de renseignement optique et d’écoute (voir rubrique « Archives » : Renseignement militaire 21/12/2011). Mais, pour déchiffrer la production des satellites d’écoute, il faut davantage de moyens humains, capacité opérationnelle recommandée par le Livre Blanc 2008 de la défense et de la sécurité nationale. Ces mêmes industriels sont aussi compétents dans l’alerte par satellite du décollage d’une fusée et de la séparation de ses étages au cours du vol, notamment dans le cas de l’Iran et sans avoir à le demander aux Etats-Unis. Il est en effet vital pour un Etat de savoir qui tire quoi et pour aller où. Quant aux services de renseignement (SR), la Direction générale de la sécurité extérieure bénéficie d’une augmentation de ses moyens humains et financiers. La Direction du renseignement militaire dépend directement du chef d’Etat-major des armées pour ses investissements et, nouveauté, son directeur participe aux réunions des sous-chefs d’état-major des trois armées. La communauté française du renseignement, qui inclut aussi la Direction centrale du renseignement intérieur, la Direction de la protection et de la sécurité de la défense, l’Académie du renseignement et la Douane, compte 14.000 fonctionnaires et dispose d’un budget annuel de 1,4 Md€. Elle est au « seuil de crédibilité et progresse dans le domaine technique » par rapport à ses principaux alliés. Toutefois, souligne François Heisbourg, il ne faut pas demander aux SR ce qu’ils ne peuvent pas faire. Ils sont capables de percer les secrets de coffres-forts, banques de données et comptes bancaires. Mais, ils n’étaient pas équipés pour déterminer les dates de la chute de l’Union soviétique en 1991 ou des révolutions du « printemps arabe » depuis 2010. La connaissance de l’évolution des sociétés des pays concernés relève des travaux des universitaires, diplomates et journalistes sur place.

Renseignement et démocratie. L’action des SR se différencie de la recherche académique et diplomatique et du journalisme d’investigation. Ils doivent impérativement protéger leurs sources et, à l’occasion, employer des moyens peu ordinaires. Le secret est au cœur du renseignement. Pourtant, la révolution technique de l’information par l’internet accroît l’importance des sources « ouvertes » et offre le moyen de collecter des informations comparables à celles des SR. Or, pour les zones « grises » comme, par exemple, la traque de groupes terroristes, la valeur ajoutée découle de la capacité des SR à corréler les informations, souligne François Heisbourg. Cependant, les méthodes des SR sont parfois peu compatibles avec les valeurs des sociétés démocratiques, soucieuses de leurs opinions publiques. Ainsi, parallèlement au conflit afghan, les Etats-Unis mènent une guerre discrète au Pakistan. En trois ans, les drones armés de la CIA ont atteint avec succès 700 « cibles à haute valeur ajoutée »… mais avec des dégâts collatéraux ! En l’absence de tout cadre juridique, la guerre des drones, présentée comme « intelligente », suscite quand même des interrogations aux Etats-Unis, malgré les explications embarrassées de la Maison Blanche. Par ailleurs, les SR étant composés de fonctionnaires, il est donc tentant de les externaliser pour préserver la responsabilité de l’Etat, sans pour autant en mesurer les conséquences. Ainsi, pendant son intervention en Irak (2003-2011), le gouvernement américain a laissé des sociétés privées procéder à des interrogatoires pour le compte de la CIA, sapant ainsi la légitimité de l’Etat, estime François Heisbourg. Enfin, en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, les SR font l’objet d’un contrôle parlementaire depuis longtemps. En France, la Délégation parlementaire n’a vu le jour…qu’en 2007 ! Les députés et sénateurs qui en font partie sont dûment habilités, mais n’ont pas accès aux opérations des SR, afin de garantir la sécurité des agents (rubrique « Archives » : Renseignement et Parlement 01/02/2012). Au niveau du pouvoir exécutif, indique François Heisbourg, « le politique qui découvre le renseignement « fermé » se rend très vite compte de son importance ».  Au niveau international, il ajoute : « Le renseignement ne se partage pas, il s’échange ».

Loïc Salmon

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Ancien élève de l’Ecole nationale d’administration, François Heisbourg est notamment président du conseil de la Fondation du centre de politique de sécurité de Genève depuis 1998, président de l’Institut international de Londres pour les études stratégiques depuis 2001, membre de la Commission internationale sur la non-prolifération et le désarmement nucléaire et enfin conseiller du Centre d’analyse et de prévision du ministère des Affaires étrangères et de la Fondation pour la recherche stratégique, qu’il a dirigée de 2001 à 2005. Il a fait aussi partie du cabinet du ministre de la Défense (1981-1984), du comité de pilotage du Livre Blanc sur la sécurité des Français face au terrorisme (2005-2006) et de la commission du Livre Blanc sur la défense et la sécurité nationale (2007-2008). Enfin, dans le domaine industriel, il a été directeur général adjoint de Thomson International pour la coopération européenne (1984-1987) et directeur du développement stratégique de Matra Défense Espace (1992-1998).

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