Le sous-marin à propulsion nucléaire d’attaque (SNA), capable de rester longtemps sur un théâtre lointain, est un projecteur de puissance contre la terre avec le missile de croisière naval et un projecteur de forces pour les opérations spéciales.
Le SNA peut aussi sécuriser un porte-avions et son escorte, devenus trop rapides pour les sous-marins à propulsion diesel-électrique, qui restent quand même une menace sérieuse. Son évolution future a fait l’objet d’une table ronde organisée, le 18 décembre 2012 à Paris, par le Centre d’études supérieures de la marine. Y ont notamment participé : le vice-amiral d’escadre Charles-Edouard de Coriolis, commandant des Forces sous-marines et de la Force océanique stratégique ; les ingénieurs en chef de l’Armement Christian Dugué et Yannick Le Yaouanc de la Délégation générale de l’armement ; le capitaine de vaisseau Marc Ginisty de l’état-major de la Marine ; Christian Dufour du groupe d’armement naval DCNS.
L’opérationnel et le technique. La Russie envoie des SNA dans le Pacifique. L’Inde a loué deux SNA russes de type « Akula » et prépare un projet national. La Chine a construit une nouvelle base navale dans l’île de Haïnan pour que les siens aient accès aux eaux profondes. La Marine française souhaite des « modules » pour ses SNA, en vue de s’adapter à l’évolution des menaces et d’avoir la capacité de s’en prémunir. Ainsi, pour arriver en océan Indien, il faut 17 jours à un SNA de type « Rubis » conçu, pendant et pour la guerre froide (1947-1991), pour la lutte anti-sous-marine et anti-navire de surface ainsi que le renseignement. Sa puissance repose sur sa capacité à durer sur zone, sa capacité de feu, la qualité de ses capteurs, sa capacité à communiquer et agir dans un cadre interallié. Sa capacité à durer dépend de sa coque, son énergie électrique, son réacteur nucléaire et sa faible vulnérabilité. La capacité de feu du SNA français va augmenter avec l’élargissement du panel de ses armes : aujourd’hui les torpilles et l’embarquement de forces spéciales, demain les drones et le missile de croisière naval pour des frappes en profondeur contre la terre. Or, ces armes, même prévues, vont évoluer selon leur propre cycle de vie. Les capteurs et moyens de communication sont modifiés en permanence et consomment beaucoup d’électricité pour être efficaces et discrets. Ainsi, le sonar, destiné à l’origine à la détection de bâtiments, sous-marins et mines ainsi qu’au guidage des torpilles, intervient aussi dans la navigation en zone littorale peu profonde. Les « mâts » du SNA ne sont plus constitués d’un simple périscope, mais abritent plusieurs capteurs (antennes, radar et caméras numérique et infrarouge) et les systèmes de pointage. D’un poids total de près d’une tonne à hisser de 5 à 10 m discrètement pour ne pas être repérés, ils doivent programmer, capter et analyser en quelques secondes. En fin de compte, les SNA français se sont révélés des outils adaptables et d’emploi flexible sur le long terme. Vu que la durée de vie d’un bâtiment en général peut dépasser celle d’une entreprise ou du moins de sa stratégie, un ingénieur en verra peut-être deux au cours de sa carrière, mais n’en construira qu’un ! En conséquence, il s’agit de prévoir des marges d’évolution des matériels qui, de plus, ne dureront pas de la même façon à bord.
Le programme Barracuda. En vue de déploiements lointains de longue durée, les SNA français devront accroître leur autonomie et la redondance de leurs équipements et aussi regrouper leurs périodes de maintenance. Leur vie passera de 35 ans pour ceux du type Rubis (74 m de long, 2.600 t) à plus de 40 ans pour ceux du type Barracuda (100 m, 5.000 t). Le premier SNA de nouvelle génération entrera en service actif en 2017 et le sixième le quittera… vers 2070 ! Chacun sera équipé d’une liaison tactique performante, dérivée de celle des nouvelles frégates multi-missions et adaptée à ses antennes pour le débit (système de données) et les vacations (réception des informations). Afin de pouvoir embarquer des équipements plus grands, l’équipage sera restreint à 60 hommes au lieu de 70 actuellement. Comme les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins de la Force océanique stratégique, chaque Barracuda pourra partir 90 jours d’affilée et disposera de deux équipages qui se relaieront, non au port d’attache, mais dans un port d’appui. Le futur SNA pourra ainsi être projeté très loin pendant six mois. En outre, il aura la capacité d’embarquer 15 passagers, dont deux équipes de nageurs de combat avec leurs propulseurs sous-marins pour effectuer des opérations spéciales à terre. Il sera équipé de mines, du missile anti-navire SM 39, de la prochaine torpille lourde F21 et du futur missile de croisière naval d’environ 1.000 km de portée. Le programme Barracuda, lancé par la Direction générale de l’armement en 1998, est en cours de réalisation par le groupe naval DCNS, qui y mobilise 2.000 personnes dans ses différents sites : Cherbourg pour la coque et la structure d’intégration d’ensemble ; Indret pour la chaufferie et l’appareil moteur ; Toulon pour le système de combat ; Ruelle pour les mécaniques d’armes et de conduite. Les quatre sites participent à l’ingénierie. Le groupe industriel Areva traite la partie nucléaire. Les travaux ont déjà commencé sur la première série de trois submersibles dénommés Suffren, Duguay-Trouin et Tourville. Enfin, le SNA, qui doit aller là où il se passe quelque chose, souligne l’amiral de Coriolis, occupe une fonction stratégique pour la connaissance et l’anticipation. Il recueille en effet des renseignements d’origines acoustique, électromagnétique et optique, fusionne les données dans la durée et les synthétisent. Il se positionne au plus près des sources, sans que sa présence les alerte et modifie leurs comportements. Ainsi, lors de l’intervention de l’OTAN en Libye en 2011, un SNA français est resté 95 % du temps en immersion périscopique, en zone littorale et par petit fond.
Loïc Salmon
Même si elle ne dispose que de SNA, la France a construit pour l’exportation des sous-marins à propulsion diesel-électrique (SMD) du type « Scorpène » : 4 au Brésil, 2 au Chili, 6 en Inde et 2 en Malaisie. Leur propulsion indépendante de l’air (AIP) leur permet des plongées plus longues et améliore leurs performances : vitesse maximale, 20 à 21 nœuds (37/38 km/h) ; autonomie à 19 ou 20 nœuds, 2 à 3 heures ; autonomie à 3 ou 4 nœuds, 15 à 20 jours au lieu de 5/6 j pour les SMD dépourvus d’AIP ; distances franchissables à 8 ou 9 nœuds, 12.000 milles nautiques (plus de 22.000 km). Un SMD AIP, parti de France, peut rallier la Libye en 6 jours, la Syrie en 13 j et la Somalie (environ 3.000 milles) en 24 j et rester 15 j environ sur zone. Par contre, un SNA de type « Rubis », actuellement en service, atteint la Libye en 5 j, la Somalie en 11 j et le détroit de Malacca (6.000 milles) en 17/18 j et reste environ 30 j sur zone. Le futur SNA de type « Barracuda » arrivera dans le golfe Arabo-Persique (5.000 milles) en 10 j et en mer de Chine (7.000 milles) en 19/20 j et pourra rester plus de 40 j sur zone. Enfin, il bénéficiera des dernières études réalisées pour le Scorpène en matière d’invulnérabilité acoustique.