La sécurisation des océans : un impératif mondial

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L’avenir du monde dépend des océans, dont la conquête raisonnée de leurs ressources est un enjeu politique, économique, social et sécuritaire majeur. La liberté de circulation et d’exploitation des mers, de plus en plus menacée, repose sur la surveillance et le contrôle que peuvent exercer les Etats.

C’est ce qu’ont expliqué trois présidents-directeurs généraux d’entreprises en rapport avec la mer, au cours d’une table ronde tenue le 24 octobre 2012 au salon Euronaval 2012 du Bourget (banlieue parisienne) : Patrick Boissier (DCNS, armement naval), Philippe Louis-Dreyfus (Louis-Dreyfus Armateurs, transport maritime) et Jean-Michel Malcor (CGG Veritas, recherche sismique). Avec 11 Mkm2, la France dispose de la deuxième zone économique exclusive (ZEE) du monde après les Etats-Unis.

Les vulnérabilités. La Convention des Nations unies sur le droit de la mer limite à 12 milles (22 km) les eaux territoriales, où un pays riverain exerce sa pleine souveraineté. Or, la course aux ressources maritimes, à l’origine de compétitions acharnées, se répercute sur la délimitation des ZEE qui marque une tendance à la « territorialisation » des mers jusqu’à  200 milles (370 km) au large, déjà source de tensions en mer de Chine (Chine, Japon, Taïwan, Viet Nam, Malaisie, Brunei et Philippines), dans l’océan Arctique (Russie, Canada et Etats-Unis) et en Méditerranée orientale (Chypre, Turquie et Grèce). Les routes maritimes, de plus en plus denses, deviennent aussi des lieux de tensions, surtout dans les détroits et zones côtières, où se produisent  des modes d’actions « asymétriques ». Un Etat doté de moyens militaires technologiquement avancés peut être gêné par les attaques d’un adversaire beaucoup moins armé et parfois difficile à identifier avec certitude. Des dispositifs étatiques de contrôle des activités en mer se mettent en place, mais l’immensité des océans ne permet pas de les maîtriser à distance. « Les radars et les caméras de surveillance n’ont jamais rendu inutiles les gendarmes et les policiers armés », souligne Patrick Boissier. La piraterie remet en cause la sécurité des personnes et des biens et va causer de graves difficultés économiques à terme, estime Philippe Louis-Dreyfus. Elle change quantitativement (actes de plus en plus nombreux) et qualitativement (nouvelles filières économiques) en océan Indien et bientôt à proximité de l’Amérique du Sud. Certains bâtiments, lents et peu manœuvrants en raison même de leurs activités, deviennent des proies idéales : bateaux de pêche et navires de recherche sismique pour la prospection pétrolière en mer dans des fonds supérieurs à 3.000 m, secteur en pleine croissance. Les pirates sont de plus en plus audacieux et capables d’agir à grande distance. Ainsi, des pirates somaliens ont capturé un roulier thaïlandais, qui leur a servi de « navire-mère » pour attaquer des navires civils au large de l’Inde. Les navires de recherche sismique sont particulièrement tentants pour les pirates, en raison de la valeur de leurs équipements, qui peuvent se revendre sur le marché international, et de leurs équipages pléthoriques, qui constituent autant d’otages potentiels et donc de rançons. En effet, un navire de recherche sismique navigue à 5 nœuds (9 km/h) et tire une ou plusieurs « flûtes (câbles) sismiques » (coût unitaire 30 M$ ou environ 23 M€) longues chacune d’environ 1 km, à 10 km du navire et jusqu’à 3 km de profondeur. En outre, il embarque un équipage de 50 à 60 personnes (personnel scientifique compris). Accompagné d’une unité de soutien, il est en service 24h sur 24 pendant environ 340 jours/an. Son exploitation coûte de 150.000 à 250.000 $/jour (monnaie de référence dans le domaine maritime civil). Sa capture par des pirates, d’une durée plus ou moins longue jusqu’à sa libération à l’issue de négociations laborieuses avec ou sans intervention  militaire, entraînerait des pertes financières considérables pour son opérateur. Par ailleurs, selon Jean-Michel Malcor, les contraintes techniques d’exploitation d’un navire de recherche sismique pose la question de sa sécurité (arraisonnement éventuel) dans une zone frontalière litigieuse, comme en mer de Chine (Chine/Viet Nam). S’y ajoute la complexité du cadre légal de recherche : « Nous avons des permis de prospection délivrés par les Etats, mais qui peuvent varier d’un Etat à l’autre ». Tout cela constitue des entraves à la liberté d’exploitation des océans, qu’il convient de sécuriser.

La puissance maritime. Face à la piraterie, certaines compagnies maritimes et des opérateurs de plates-formes de production pétrolière en mer recourent à des sociétés militaires privées. Philippe Louis-Dreyfus estime que cette protection doit rester du ressort de l’Etat. « Ces équipes embarquées, qui n’ont pas toujours la qualification nécessaire, devraient être certifiées, dit-il, ou composées d’anciens militaires habilités à assurer la sécurité de nos navires ». Il recommande que des décisions en ce sens soient prises de concert dans les instances internationales. Par ailleurs, la haute mer constitue un théâtre de manœuvre des forces aéromaritimes et sous-marines. La Marine de guerre a toujours été considérée comme un instrument de puissance et de pouvoir, attributs majeur du statut international d’un Etat dans le cadre d’une stratégie à long terme. L’appropriation des espaces maritimes ne peut être l’objet ultime d’une politique, estime Patrick Boissier, mais leur contrôle constitue une condition indispensable de la puissance. Tous les pays émergents l’ont bien compris et se dotent d’une Marine de haute mer pour défendre leurs intérêts. Eux et même leurs voisins engagent d’importants programmes d’extension ou de renouvellement de leurs flottes militaires, alors que les nations européennes ne parviennent pas à définir une politique maritime ambitieuse. La voie maritime et le statut de la haute mer, ouverte à tous, facilitent l’entrée de bâtiments militaires sur un théâtre de crise. « Les stratèges, souligne Patrick Boissier, s’orientent  de plus en plus vers des actions de la mer vers la terre, qui mettent en avant les forces aéronavales interarmées sous mandat international et donnent une résonnance nouvelle à la notion de pré-positionnement ».

Loïc Salmon

Les zones de production sont installées de préférence sur des voies navigables ou à proximité du littoral maritime, où se concentre la majorité de la population mondiale. Les océans recèlent des ressources considérables déjà exploitées : pétrole, gaz, énergie éolienne, pêche et aquaculture. Demain, s’y ajouteront l’énergie hydrolienne, les minerais, les terres rares et les médicaments et, dans un avenir plus lointain, l’énergie thermique et la biomasse. Aujourd’hui, ces activités représentent une valeur ajoutée de 1.500 Md€ par an dans le monde, soit le deuxième secteur économique après l’agroalimentaire. Pourtant, les activités maritimes sont affectées par les conflits des eaux frontalières et surtout par la piraterie (voit revue téléchargeable de  mars 2011 p.9-16).

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