Les conflits en cours au Moyen-Orient résultent de l’affrontement politique entre l’Iran, république chiite, et les monarchies sunnites du golfe Arabo-Persique, riches en ressources énergétiques. L’antagonisme religieux sert à mobiliser les foules.
Telle est l’opinion du professeur Bernard Hourcade, directeur de recherche au CNRS et aux « think tanks » américains Global Fellow et Wilson Center. Il s’est exprimé au cours d’une conférence-débat organisée, le 28 mai 2015 à Paris, par le Forum du futur et l’association Minerve EMSST.
La République islamique. A Téhéran, tout bascule en 1979. L’arrivée au pouvoir du clergé chiite transforme en république la plus vieille monarchie du monde, liée aux pays occidentaux. Après avoir pris en otages les diplomates de l’ambassade américaine, l’Iran est qualifié « d’État terroriste ». En voulant exporter sa révolution, il menace l’équilibre traditionnel au Moyen-Orient. En 1979, éclate également sa guerre contre l’Irak, qui va durer 9 ans et causer 45.000 morts parmi une armée populaire. Le combat au front forge une solidarité durable entre les anciens combattants, alors que les religieux, restés à l’arrière, envoient leurs fils « faire des affaires », indique le professeur Hourcade. La Perse, devenue Iran en 1935 et dont la population n’est ni arabe ni turque, n’a plus entrepris de conquêtes extérieures depuis les guerres médiques (Vème siècle avant J.C.). A partir du XVIème siècle, devenue très nationaliste, elle pratique une stratégie de sanctuarisation du territoire national. En 1991, la guerre du Koweït entraîne l’installation de troupes américaines au Qatar… que l’Iran perçoit comme une menace directe d’encerclement. Son armée de 50.000 hommes, dépourvue de moyens antiaériens, ne peut se projeter plus de 15 jours au-delà de 50 km. Mais sa langue, parlée parmi les communautés chiites au Liban et en Afghanistan, va lui permettre d’atteindre ses adversaires derrière leurs lignes. Au Liban, Téhéran utilise le Hezbollah, parti de gouvernement dont seule la branche armée est considérée comme terroriste. En 1986, les attentats contre la France étaient motivés par son soutien à Saddam Hussein pendant la guerre contre l’Irak. En Afghanistan, l’Iran a reconnu le régime des talibans. En Syrie, il a soutenu le régime de Bachar El Assad pour contrer la faction pro-saoudienne, active à Damas. De même, il est présent au Yémen pour contrebalancer l’influence de l’Arabie Saoudite. Très rationnel en ce qui concerne sa sécurité, l’Iran a acquis la capacité scientifique et technologique de l’arme nucléaire, comme l’Allemagne, la Suède, le Japon et le Brésil. Mais, souligne le professeur, il lui faudra des décennies pour la réaliser. En 2015, l’Iran constate qu’il n’a pas pu exporter sa révolution et change de politique. Il a pris conscience de son affaiblissement économique et de sa perte d’influence politique, face à l’expansion extraordinaire des monarchies du golfe Arabo-Persique.
Les monarchies pétrolières. Au Moyen-Orient, les républiques (Iran, Afghanistan, Liban, Israël, Irak, Syrie et Yémen) disposent d’une importante population et d’une classe moyenne nombreuse, qui veut s’ouvrir au monde. Elles côtoient des monarchies (Arabie saoudite, Jordanie, Qatar, Bahreïn, Émirats arabes unis), peu peuplées et à la main d’œuvre étrangère abondante. Celles-ci n’ont pas connu le printemps arabe de 2010-2011, mais pourraient s’effondrer comme les régimes tunisien et égyptien, estime le professeur Hourcade. L’Arabie saoudite prône un islam sunnite « wahhabite » très centré sur les mœurs, mais peu politique. En 1979, lors de l’invasion de l’Afghanistan par les troupes soviétiques, les djihadistes sunnites les plus radicaux sont allés les combattre, dont le Saoudien Oussama Ben Laden, futur organisateur des attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis. A partir de 1986, des fondations islamiques entreprennent une vaste campagne de scolarisation extérieure, financée non par l’État mais par de riches familles saoudiennes. Les écoles se multiplient des Philippines à l’Afrique subsaharienne, notamment au Niger où les imams sont formés à Niamey. L’organisation terroriste « Boko Haram », qui sévit au Niger et au Nigeria, se réclame de l’islam wahhabite. Ce même islam favorise l’influence de l’Arabie Saoudite, de l’émirat de Dubaï, qui dispose du plus important aéroport mondial, et du Qatar, devenu un acteur majeur sur le plan financier. Tous profitent de la disparition de l’Iran de la scène internationale. Lors de leur 2ème guerre en Irak en 2003, les États-Unis renversent le régime de Saddam Hussein, donnent le pouvoir à la minorité chiite, pour contrôler le pays, et licencient les officiers de l’armée irakienne. Ceux-ci, aguerris par le conflit contre l’Iran, iront encadrer les troupes de l’organisation djihadiste sunnite Daech, renforcées également par les anciens combattants d’Afghanistan. Daech, financée au début par l’Arabie saoudite et le Qatar, conquiert une partie de la Syrie début 2014 et veut prendre le pouvoir à Bagdad. Après la déroute de l’armée irakienne pourtant appuyée par une coalition internationale, elle se finance par les ventes d’antiquités, pillées dans les musées irakiens, et surtout de pétrole et de gaz aux agences internationales, via la Turquie. Inquiet, l’Iran arme les milices chiites irakiennes en lutte contre Daech. Son budget de défense est le dixième de celui de l’Arabie Saoudite.
Les autres acteurs. Israël, tenté de déclencher une guerre préventive en Syrie pour détruire les missiles du Hezbollah fournis par l’Iran, obtient des États-Unis les armements sophistiqués, jusqu’alors refusés. Les États-Unis souhaitent se désengager du Moyen-Orient et laisser leurs entreprises commercer avec l’Iran, lassé par 35 ans d’hostilités. Selon le professeur Hourcade, la dynamique en cours dépasse l’accord sur le nucléaire iranien, négocié par six grandes puissances. La France maintient une politique arabe forte par des accords de défense avec Abou Dhabi et le Qatar, qui ne sont pas inféodés aux États-Unis. La Turquie apparaît comme seule capable de faire la jonction entre l’Iran et l’Arabie Saoudite et conserver des contacts avec la Russie et les États-Unis, en vue d’assurer la sécurité dans la région. Vu la difficulté à y établir un équilibre entre l’Iran et les monarchies pétrolières, une guerre froide devrait s’y installer.
Loïc Salmon
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D ’une superficie de 1,64 Mkm2 et peuplé de 77 millions d’habitants, l’Iran est le deuxième producteur mondial de pétrole et dispose de la plus grande réserve en gaz naturel du monde. Seul État musulman officiellement chiite, l’Iran est une théocratie, dirigée par le clergé. Ainsi, selon la Constitution de 1979, le « Guide de la Révolution personnalité obligatoirement religieuse, est responsable de la politique générale de la « République islamique d’Iran ». Commandant en chef des forces armées, il contrôle le renseignement militaire et les opérations de sécurité et peut, seul, déclarer la guerre. Élu pour une durée indéterminée par l’Assemblée des experts, il a droit de veto sur tout. Le président de la République, les députés et les membres de l’Assemblée des experts sont élus au suffrage universel, mais selon un processus qui n’admet que les candidats des diverses factions islamiques.