Palais privé, le Grand Trianon aura assuré la permanence du pouvoir en France à travers les monarchies : absolue avec Louis XIV et Louis XV, impériale avec Napoléon 1er, constitutionnelle avec Louis-Philippe, et… républicaine depuis le général De Gaulle !
Fastes des amours royales. En 1668, Louis XIV rachète le village de Trianon, le rase et le transforme en jardin pour l’enclore dans le parc de Versailles. La résidence royale de Versailles, en cours d’agrandissement, ne méritera véritablement son nom qu’à partir de 1682. En attendant, l’architecte Louis Le Vau édifie à Trianon un petit château pour abriter les amours du Roi-Soleil avec la marquise de Montespan. Ce sera le « palais de Flore », ainsi surnommé car les travaux, commencés à l’hiver 1670, se terminent au printemps suivant. Quoiqu’appelé aussi, « Trianon de porcelaine », il est en fait recouvert de faïences bleues et blanches, commandées aux manufactures de Delft, Rouen, Lisieux et Nevers et inspirées des porcelaines chinoises… matière que les Européens ne savent pas encore fabriquer ! La faïence est partout : à l’intérieur et à l’extérieur du château et même comme simple « verny » (terme de l’époque) sur les pots et caisses des jardins. Ceux-ci, tracés par un neveu d’André Le Nôtre, le grand jardinier de Versailles, comprennent des plates-bandes plantées de fleurs rares, commandés en France et en Europe : anémones, lys, cyclamens, tulipes (très chères à l’époque), jacinthes et jonquilles. Ces jardins parfumés renforcèrent le nom de « Flore » du premier Trianon, dont le décor peint, inspiré des Métamorphoses du poète latin Ovide, montre des déesses transformées en fleurs. Par ailleurs, l’exposition présente un tableau intitulé « Apollon et Thétys », particulièrement révélateur. Apollon, dieu du soleil dans la mythologie grecque, rend visite à sa maîtresse, la nymphe marine Thétys, mère d’Achille, l’un des héros de l’Illiade, que vénérait Alexandre le Grand. Or, à cette époque, le Roi-Soleil voue une grande admiration au conquérant, dont l’épopée figure sur les plafonds de la galerie des glaces du château de Versailles et sur des tapisseries conservées à la manufacture des Gobelins à Paris. Trianon devient donc le château des amours du Roi, contrairement à Versailles qui célèbre sa gloire. Très fragile en raison des hivers rigoureux du XVIIème siècle, le Trianon de porcelaine nécessite un entretien constant. Il ne survit pas à la disgrâce de Madame de Montespan, compromise dans l’affaire dite des « Poisons ». Une enquête de police, entreprise de 1679 à 1682, révèle que deux femmes, dont une dénommée « La Voisin », auraient fourni de quoi empoisonner leur mari à des dames de la haute aristocratie, notamment Madame de Vivonne, belle-sœur de la marquise. Celle-ci est directement mise en cause pour avoir obtenu de La Voisin des poudres susceptibles de lui ramener l’amour du Roi. Celui-ci l’avait alors délaissée pour Madame de Maintenon, gouvernante des six enfants… qu’il avait eus avec Madame de Montespan ! La marquise de Maintenon, qui épouse le Roi en 1683 après la mort de la Reine Marie-Thérèse, refuse d’habiter le palais de Flore. Louis XIV le fait alors démolir en 1687 et remplacer par le château de Trianon actuel, édifié par Jules Hardouin-Mansart puis transformé par Robert de Cotte. Ce « Trianon de marbre », en raison du marbre recouvrant la partie principale (photo), comprend notamment un appartement pour le Roi, qui y dort pour la première fois en 1692. Après 1704, chaque membre de la famille royale y dispose de son propre logement : le duc d’Orléans, frère du Roi, et son épouse, la princesse Palatine ; le Grand Dauphin ; les filles du Roi et de Madame de Montespan ; le duc de Bourgogne, son petit-fils, et son épouse Marie-Adelaïde de Savoie, mère de Louis XV. Un tableau en pied met à l’honneur celle qui donne un « coup de jeune » à la Cour du vieux Roi, qui l’apprécie beaucoup. Pourtant, après sa mort en 1712, la découverte de lettres compromettante de la Maison de Savoie, parfois en guerre contre la France, fait dire à Louis XIV avec amertume : « La coquine nous trompait » ! Trianon reste un château très privé, où seules les dames de la Cour sont conviées aux fêtes et spectacles. L’appartement de Madame de Maintenon, qui donne sur le jardin du Roi, sera repris en 1750 par…la marquise de Pompadour, favorite de Louis XV ! Ce dernier y fait tracer le jardin à la française et construire le « Petit Trianon ». Le Trianon de marbre prend alors le nom de « Grand Trianon », qui perdure.
Simplicité post-révolutionnaire. Trianon devient ensuite la résidence de deux souverains montés sur le trône de France à l’issue de révolutions : Napoléon 1er, après celle de 1789-1799, et Louis-Philippe après celle de 1830. Après son divorce avec Joséphine de Beauharnais, l’Empereur s’y installe en 1810 avec sa nouvelle épouse, Marie-Louise d’Autriche, nièce de la Reine Marie-Antoinette, qui avait fait du Petit Trianon son univers intime et éloigné de la Cour de Versailles. Napoléon ne change guère l’aspect du Grand Trianon, qui conserve l’esprit de l’Ancien Régime. Toutefois, il aménage les anciens appartements de Louis XV et de Madame de Pompadour et y crée son cabinet particulier, seule pièce à décor Empire du palais. C’est à Trianon qu’il organise une grande fête à l’occasion de la naissance de son fils, le Roi de Rome, en août 1811. L’Empereur n’y revient que deux ans plus tard, pour reconstituer la Grande Armée après la désastreuse campagne de Russie. Après 1815, la Restauration se contente d’ôter les tableaux napoléoniens du Grand Trianon et de détruire les symboles impériaux. Toutefois, un décor peint représentant Napoléon à la chasse a échappé à sa vindicte. Pour célébrer son couronnement, Charles X organise un grand bal à Trianon le 19 juin 1825. Le 30 juillet 1830, il y tient son dernier conseil des ministres avant de s’enfuir en Écosse. Son cousin et successeur, Louis-Philippe, fils du duc d’Orléans et révolutionnaire Philippe-Égalité, prend le titre de « Roi des Français ». Soucieux de la réconciliation nationale, il organise le retour des cendres de Napoléon de Sainte-Hélène aux Invalides à Paris en 1840 et transforme le château de Versailles en musée de l’Histoire de France. Surnommé le « roi-bourgeois », il s’installe à Trianon en 1835 avec sa nombreuse famille (6 garçons et 4 filles). Deux ans plus tard, il y marie sa fille Marie d’Orléans, au talent artistique reconnu, au duc de Wurtemberg. Comme Charles X, il repasse par Trianon avant de s’exiler en Angleterre, chassé par la Révolution de 1848. Transformé ensuite en musée hétéroclite, le Grand Trianon sera restauré en 1960 par le général De Gaulle, à l’instigation de son ministre de la Culture, André Malraux.
Loïc Salmon
Exposition « Napoléon et l’Europe » aux Invalides
Des Aigles et des Hommes : sur les traces de la Grande Armée
Expositions « D’or et d’argent » et…d’autres raretés au château de Chantilly
L’exposition « De Louis XIV à De Gaulle » (18 juin-8 novembre 2015), organisée par le musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, se tient au Grand Trianon à Versailles. Elle présente tableaux, gravures, dessins, meubles et objets sur quatre siècles. Un second volet, prévu en 2016, retracera l’histoire du Grand Trianon depuis 1960, époque où il deviendra la résidence des hôtes de marque de la France. Pour tous renseignements : www.chateauversailles.fr