L‘Égypte en révolutions

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Longtemps dépendante des États-Unis en matière d’armement, l’Égypte a pourtant commandé 24 Rafale à la France en 2015. Cette volonté de diversification n’est pas étrangère au retour au pouvoir d’un militaire, le maréchal Abdel Fattah al-Sissi, après le « printemps arabe » de 2011.

Cet ouvrage explique comment l’organisation des Frères musulmans (FM) n’a pas su profiter durablement de la révolution, qui les avait amenés à diriger l’Égypte. L’un des siens, Mohammed Morsi a été le premier civil élu président de la République au suffrage universel le 17 juin 2012, puis démis de ses fonctions le 3 juillet 2013 par le ministre de la Défense Al-Sissi, général à l’époque. La révolution résulte de cinq dynamiques distinctes : révolutionnaire, libérale, islamiste, syndicale et militaire. Lancée par une minorité d’activistes, elle est récupérée par deux institutions : les FM et les forces armées. Le pouvoir législatif, dominé par les FM et les salafistes (islamistes) après les élections de l’automne 2011, entre en conflit avec les fonctionnaires les plus puissants de l’État : les magistrats et les militaires. La révocation d’un procureur général remet en cause l’inamovibilité des juges et l’indépendance même de la justice. De même, la limitation de 19 à 11 des membres de la Cour constitutionnelle dans le projet de nouvelle constitution est perçue comme une atteinte supplémentaire à l’indépendance de la magistrature. Les juges se sentent attaqués, en tant que profession, par la présidence. Par ailleurs, voyant en l’institution militaire un pilier de la préservation de la continuité de l’État, les FM la ménagent et s’engagent, à plusieurs reprises, à respecter les accords de Camp David (1978), préliminaires au traité de paix avec Israël et conclus sous la médiation des États-Unis. Ceux-ci considèrent les militaires comme leurs vrais partenaires stratégiques et souhaitent une entente minimale entre eux et les FM. Quoique d’accord sur le plan de la sécurité intérieure, les deux parties divergent sur la sécurité nationale concernant le canal de Suez, la bande de Gaza et la frontière soudanaise. Par ailleurs, dès novembre 2012, les FM reprennent en main les mobilisations ouvrières par une criminalisation des manifestations et une tentative de contrôle des organisations syndicales. En juin 2013, l’Organisation  internationale du travail remet l’Égypte sur la liste noire des pays ne respectant pas les libertés syndicales. Parallèlement, l’orientation libérale du régime en matière économique, sa volonté de rassurer les investisseurs et les négociations en cours avec le Fonds monétaire international l’incitent au compromis avec les milieux d’affaires. Ainsi, l’entourage présidentiel compte des jeunes cadres islamistes, souvent formés aux États-Unis et au Canada et disposant de relais dans les cercles d’affaires internationaux. Par ailleurs, des dispositions sont prises pour faire pression sur les médias. Il y a plus de procès pour insulte au président de la République ou atteinte à l’islam que sous le long règne d’Hosni Moubarak, renversé par la révolution. En outre, les FM autorisent le maintien de certains réseaux des services de sécurité de l’ère Moubarak. Enfin, des groupes djihadistes, très hostiles aux accords de Camp David et à l’État répressif, sont apparus dans le Sinaï après la chute de Moubarak et ont accru leur influence.

Loïc Salmon

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« L’Égypte en révolutions », ouvrage collectif sous la direction de Bernard Rougier et Stéphane Lacroix avec le concours du Centre d’études et de documentation économiques, juridiques et sociales du Caire. Éditions PUF, 324 pages, 27 €.

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