Armement : les commandes majeures de 2023

Le 1er février 2024, la Délégation générale de l’armement (DGA) a annoncé des commandes, passées en 2023 et totalisant 20,3 Mds€, pour renouveler et moderniser les capacités aérienne, terrestre, navale, forces spéciales et missiles.

Armée de l’Air et de l’Espace. Un contrat de 42 avions Rafale en version monoplace au standard F4 a été notifié aux sociétés Dassault Aviation, Thales, Safran et MBDA. Le standard F4 comprend l’intégration du poste radio Contact, du missile Mica de nouvelle génération et du brouilleur autonome numérique intégré au système d’autoprotection Spectra. Le premier appareil sera livré en 2027. Les avions évolueront vers le standard F5 après 2030.

Armée de Terre. La société Nexter Systems, filiale du groupe franco-allemand KNDS, a reçu commande de 109 systèmes d’artillerie Caesar nouvelle génération (Mk II), dont la première livraison aura lieu en 2026. Le système Caesar se compose d’un canon de 155 mm d’une portée de 40 km et monté sur un camion 6X6 à cabine blindée. Sa mobilité lui permet d’atteindre plus de 80 km/h sur route sur une distance supérieure à 600 km. Le Caesar Mk II disposera d’une cabine au blindage renforcé contre les engins explosifs improvisés, mines, munitions de petit calibre et éclats d’artillerie. Il sera équipé d’une motorisation de 460 cv, contre 2015 cv auparavant, d’une boîte de vitesses automatiques, d’un nouveau châssis et d’un logiciel de conduite de tir de nouvelle génération. Compatible avec les munitions actuelles, il pourra utiliser les futures munitions de précision. Il sera compatible avec les matériels des programmes Scorpion interconnectés, grâce à une « vétronique » commune, à savoir l’architecture des systèmes de navigation, de contrôle, de communications, d’observation et de protection.

Marine nationale. La DGA a commandé 7 patrouilleurs hauturiers pour remplacer les patrouilleurs de haute mer basés à Brest et Toulon et les patrouilleurs de service public de Cherbourg. Leurs missions portent sur le soutien à la dissuasion nucléaire, la présence dans les zones de souveraineté et d’intérêt national, l’évacuation de personnels, l’escorte et l’intervention pour l’action de l’État en mer. Outre leur capacité de traitement de l’information et une tenue à la mer performante, ils pourront mettre en œuvre un hélicoptère ou un drone dans la durée. La première livraison aura lieu en 2026, en vue de la mise en service de 10 unités vers 2035. Naval Group a obtenu le contrat de modernisation du porte-avions Charles-de-Gaulle lors de son troisième arrêt technique majeur en 2027-2028. Les travaux porteront sur la mise en place du nouveau système de combat Setis 3.0 de Naval Group, du nouveau radar à quatre panneaux fixes Sea Fire (Thales) pour la lutte antimissile et du système de tir reconfigurable (MBDA) pour les missiles Aster. Après les Courbet et La-Fayette, la frégate Aconit a terminé sa modernisation et ses essais à la mer pour rester en service au-delà de 2030. Les travaux ont porté sur le système de combat, la veille optronique et le système de défense anti-aérienne.

Forces spéciales. La DGA a commandé 8 hélicoptères NH90 Caïman standard 2 pour remplacer les Caracal et Cougar du 4ème Régiment d’hélicoptères des forces spéciales en 2026-2029. Le standard 2 étendra les capacités d’insertion et d’extraction de commandos, d’appui-feu et de communications tactiques, grâce à une caméra infrarouge avec pointeur et désignateur laser, de nouveaux armements et un kit de communications.

Missiles. La DGA a commandé à MBDA 1.300 missiles moyenne portée Akeron et 329 missiles très courte portée Mistral 3. Outre une précision métrique et son mode « tire et oublie », l’Akeron neutralise des cibles statiques ou mobiles à 4 km, de jour comme de nuit, et conserve l’homme dans la boucle de décision. Le Mistral 3 fonctionne en « tire et oublie » contre les avions, hélicoptères, drones, missiles de croisière et munitions rôdeuses.

Loïc Salmon

Guerres : bilan 2022 et transferts mondiaux d’armements

Armement : la coalition « Artillerie pour l’Ukraine »

04ème Régiment d’hélicoptères des forces spéciales




Missiles : amélioration de la technologie de la Corée du Nord

Les essais du missile intercontinental Hwasong-15 visent à renforcer la capacité de frappe nucléaire de la Corée du Nord, dont le missile de portée intermédiaire Hwasong-12 pourrait déjà atteindre l’île américaine de Guam.

Ce thème a fait l’objet de deux notes publiées à Paris, l’une en février et l’autre en mars 2023, par la Fondation pour la recherche stratégique et rédigées par Antoine Bondaz, directeur du Programme Corée sur la sécurité et la diplomatie, Stéphane Delory, maître de recherche, et Christian Maire, chercheur associé.

Avancées réalisées. Le 18 février 2023, un missile Hwasong-15, tiré vraisemblablement depuis l’aéroport international de Pyongyang, a effectué une trajectoire « plongeante » pour vérifier tous les paramètres de propulsion. Selon l’agence de presse officielle KCNA, ce missile aurait atteint un apogée (point le plus éloigné de la terre) de 5. 768 km et une portée de 989 km pour un temps de vol de 67 minutes avec un retour précis dans une zone prédéterminée en mer. Ce troisième essai fait suite à celui du 3 novembre 2022, pour un apogée de 1.920 km, une portée de 760 km et une vitesse de 5km/s. L’essai du 29 novembre 2017 a réalisé un apogée de 4.475 km, une portée de 950 km et un vol de 53 minutes. A l’époque, Pyongyang avait déclaré que ce missile pouvait cibler tout le territoire américain, soit une portée minimale de 11.000 km…confirmée ultérieurement par les Forces américaines en Corée du Sud ! Tous les missiles nord-coréens de portées intermédiaires et intercontinentales utilisent la propulsion liquide des lanceurs spatiaux Taepodong et Unha, testés en 1999, 2006, 2009, 2012 et 2016. Ces engins dépendent d’infrastructures routières de bonne qualité pour des transits sur des distances limitées (photo). La propulsion liquide s’appuie sur la combustion de deux ergols, à savoir un comburant (peroxyde d’azote) et un carburant (kérosène), stockés dans deux réservoirs distincts et mélangés dans la chambre de combustion. La transformation structurelle de réservoirs à fonds séparés en réservoirs à fonds communs permet d’emporter jusqu’à 2.600 kg d’ergols supplémentaires, d’allonger la durée de combustion de 8 à 9 secondes et d’améliorer les performances en vol de façon sensible. L’acquisition de la technologie du moteur soviétique RD-250, qui utilise ces ergols stockables et très énergétiques, permet à la Corée du Nord de concevoir des missiles autour d’un système de propulsion de très forte poussée, indispensable pour s’affranchir de la pesanteur terrestre. Cette évolution a été démontrée avec succès lors des essais en vol des missiles à longue portée effectués à partir de 2017. Un autre enjeu technologique porte sur la forme du corps de rentrée dans l’atmosphère, soumis aux fortes contraintes des flux thermiques résultant de vitesses supérieures à 7 km/s. Le corps de rentrée du Hwasong-15 ressemble à celui du missile intercontinental américain Titan II (portée de 15.000 km) des années 1950-1960, dont la forme a évolué depuis. Mais cela a nécessité de nouveaux matériaux, dont la Corée du Nord ne maîtrise pas encore la technologie. Le corps de rentrée du Hwasong-15 lancé le 29 novembre 2017 emportait surtout des systèmes de mesures et d’instrumentation. Celui lancé le 18 février 2023 pourrait avoir emporté un lest, réplique d’une charge militaire.

Origines soviétiques puis chinoises. Client traditionnel de l’URSS, la Corée du Nord a bénéficié de son aide pour la conception de certains missiles à courte portée et à propulsion solide. Mais par la suite, les dimensions et la structure du Hwasong-15 présentent des analogies avec le missile chinois DF-4 à propulsion liquide, d’une portée de 5.000 km et emportant une charge utile de 2.200 kg. Le lanceur spatial chinois CZ-I dérive du DF4. La complexité des éléments d’un missile nécessite des outils industriels très spécialisés. La Corée du Nord semble en avoir acquis ainsi que les données techniques du CZ-I.

Loïc Salmon

Indo-Pacifique : éviter l’escalade nucléaire malgré la compétition stratégique accrue

Japon : protection et évacuation des ressortissants en cas de crise en Corée et à Taïwan

Corée du Nord : « royaume ermite » et facteur de crise en Asie du Nord-Est




Défense : l’innovation, pour la supériorité opérationnelle et l’autonomie stratégique

Espace, Robotique, hypervélocité et stratégie capacitaire pour la maîtrise des fonds marins sont pris en compte par le ministère des Armées dans l’hypothèse d’un engagement majeur d’ici à 2030.

Selon le « Document de référence de l’orientation de l’innovation de défense » publié le 21 juillet 2022, le ministère bénéficiera de financements dans le cadre du Plan d’investissements France de 34 Mds€ sur 5 ans, lancé en octobre 2021, et du Fonds européen de défense. Le document de référence intègre les ajustements de la loi de programmation militaire 2019-2025 en matière de cyberdéfense, défense NRBC (nucléaire, biologique, radiologique et chimique) et lutte anti-drones. Par ailleurs, le réseau de 9 « clusters » (regroupements d’entreprises) d’innovation technique de la Direction générale de l’armement démultiplie l’action de l’Agence de l’innovation de défense.

Frappe dans la profondeur. A l’horizon 2030, la principale menace porte sur la contestation d’espaces et d’accès par des moyens de défense aérienne, à savoir des radars et des systèmes surface-air intégrés en réseaux maillés, éventuellement utilisés en coordination avec une aviation de combat. Des barrières de défense navales de plusieurs centaines de kilomètres de large ou de profondeur peuvent gêner certains modes d’action offensifs et défensifs. La capacité de frapper des cibles à haute valeur ajoutée dans la profondeur du dispositif adverse, en mer ou à terre en limitant les risques, nécessite de pouvoir agir depuis le territoire national, à partir de bases aériennes projetées, d’emprises terrestres avancées ou depuis la mer. Cela implique diverses préparations : développement du futur missile antinavire et du futur missile de croisière mis en œuvre à partir de plateformes aériennes ou navales ; rénovation à mi-vie du missile de croisière naval ; mise au point de futurs matériaux énergétiques de défense ; montée à maturité des technologies des planeurs hypersoniques pour faire face à l’évolution des défenses et aux stratégies de déni d’accès de l’espace aérien ; évaluation des technologies de missiles pour répondre à la frappe sol-sol longue portée ; maintien de la capacité d’innovation dans le domaine des missiles ; développement de technologies pour l’artillerie électrique.

Systèmes spatiaux. Face aux menaces de déni d’accès (enjeu de souveraineté) et de leurrage (enjeu industriel), la navigation par satellite doit disposer de récepteurs intégrables dans les systèmes d’armes. La « Navwar », qui correspond à la maîtrise du spectre sur les bandes de fréquences de GNSS (système de positionnement par satellite d’un élément en temps réel partout dans le monde), inclut les activités suivantes : la protection pour se prémunir d’une attaque adverse et maintenir ses propres capacités de navigation ; la surveillance pour détecter, localiser et caractériser les attaques adverses ; l’action offensive pour empêcher l’utilisation des informations de GNSS par l’adversaire sur une zone donnée. Il s’agit aussi de préparer les évolutions du programme « Oméga » (opération de modernisation des équipements de radionavigation par satellite des armées) selon la menace, en améliorant les antennes et les traitements de données. Vers 2030, l’approche défensive d’Oméga sera complétée par des capacités de détection, caractérisation et localisation de la menace. Le développement d’une résilience système et un volet offensif permettront ainsi d’adapter la manœuvre opérationnelle.

Loïc Salmon

Guerre future : menaces balistiques et spatiales accrues

Stratégie : maîtrise des fonds marins, ambition et opérations

Défense : l’AID, interlocutrice des porteurs d’innovation

 




OTAN : actualisation du concept stratégique et complémentarité navale franco-américaine

Le resserrement du partenariat stratégique entre la Russie et la Chine est perçu par l’OTAN comme déstabilisateur de l’ordre international. Pour les Etats-Unis, l’importance de la présence navale française dans la zone indopacifique contribue de façon significative à la sécurité régionale.

Un document de l’OTAN, rendu public lors du sommet des 29-30 juin 2022 à Madrid, réactualise le concept stratégique de 2010. Le 11 juillet, une source de l’Etat-major de la Marine française a indiqué les perspectives navales avec les Etats-Unis. Le même jour, l’Etat-major des armées (EMA) a exposé la situation du conflit en Ukraine.

Situation en Ukraine. Les gains territoriaux au Nord de la Crimée et à l’Ouest du Donbass augmentent (stries rouges sur la carte). Selon l’EMA, les frappes russes (astérisques jaunes) demeurent intenses sur toute la ligne de front et dans la profondeur, surtout sur le Donbass, et ciblent à nouveau les régions de Sumy et Chernihiv. L’artillerie ukrainienne vise les dépôts logistiques russes. Sur le front Nord, les frappes ont repris au Nord-Ouest et les combats se poursuivent autour de Kharkiv (1). Sur le front Est, les forces russes poursuivent leur offensive, lente et méthodique, vers les localités de Sloviansk et Kramatorsk. Les forces ukrainiennes tiennent leurs lignes de défense (2). Sur le front Sud, la situation s’est stabilisée. Les forces ukrainiennes font face aux dernières lignes de défenses russes dans les régions de Kherson et Zaporizhia, ciblant leurs approvisionnements sur leurs arrières (3). Selon la source navale française, cette guerre permet d’exploiter les erreurs de la Russie et d’évaluer ses capacités tactiques terrestre et navale (Île aux Serpents). Elle souligne le risque de chantage alimentaire en Afrique, en raison du contrôle russe de la mer Noire. Au 11 juillet, la Russie avait tiré plus de 1.000 missiles de croisière, dont une centaine depuis la mer. En conséquence, la Marine française portera ses efforts sur la lutte contre les drones et le brouillage des communications.

Russie et Chine. Pour l’OTAN, la Russie constitue la principale menace pour la paix et la stabilité dans la zone euro-atlantique. Avec des moyens conventionnels, cyber ou hybrides, elle tente d’exercer un contrôle direct et d’établir des sphères d’influence par la coercition, la subversion, l’agression et l’annexion. Brandissant la menace nucléaire, elle modernise ses forces nucléaires et développe de nouveaux vecteurs à capacités conventionnelle et nucléaire aux effets perturbateurs. Outre la déstabilisation des pays situés à l’Est ou au Sud du territoire de l’Alliance atlantique, elle entrave la liberté de navigation dans l’Atlantique Nord, zone d’acheminement de renforts militaires vers l’Europe. Son intégration militaire avec la Biélorussie et le renforcement de son dispositif militaire en mer Baltique, mer Noire et Méditerranée sont considérés comme portant atteinte à la sécurité et aux intérêts des pays de l’Alliance atlantique. Toutefois, estimant ne pas présenter une menace pour la Russie, l’OTAN ne cherche pas la confrontation et souhaite maintenir des canaux de communications pour gérer et réduire les risques, éviter toute escalade et accroître la transparence. Par ailleurs, selon l’OTAN, la Chine renforce sa présence dans le monde et projette sa puissance par des moyens politiques, économiques et militaires. Elle cible notamment les pays de l’Alliance atlantique par des opérations hybrides ou cyber malveillantes, une rhétorique hostile et des activités de désinformation. Elle tente d’exercer une mainmise sur des secteurs économiques et industriels clés, des infrastructures d’importance critique, des matériaux (terres rares) et des chaînes d’approvisionnements stratégiques. En outre, elle sape l’ordre international fondé sur des règles, notamment dans les domaines spatial, cyber et maritime (entraves à la liberté de navigation).

NRBC, cyber, technologies, climat. Selon l’OTAN, des Etats et des acteurs non-étatiques hostiles recourent à des substances ou des armes chimiques, biologiques radiologiques ou nucléaires, qui menacent la sécurité des pays de l’Alliance atlantique. Ainsi, l’Iran et la Corée du Nord poursuivent leurs programmes d’armement nucléaire et de missiles. La Syrie, la Corée du Nord, la Russie et des acteurs non-étatiques ont déjà employé des armes chimiques. La Chine développe son arsenal nucléaire à un rythme soutenu et met au point des vecteurs de plus en plus sophistiqués. Dans le cyberespace, théâtre d’une contestation permanente, des acteurs malveillants essaient d’affaiblir la défense de l’OTAN en cherchant à endommager des infrastructures d’importance critique, perturber le fonctionnement des services publics, dérober des renseignements, voler des contenus soumis à la propriété intellectuelle ou entraver des activités militaires. En outre, des pays compétiteurs stratégiques et des adversaires potentiels de l’OTAN investissent dans des technologies émergentes ou de rupture, capables d’endommager ses capacités spatiales, et de cibler ses infrastructures civiles ou militaires. Enfin, multiplicateur de crises et de menaces, le changement climatique provoque une montée du niveau des mers et des feux de végétations, désorganisant des sociétés. Souvent appelées à intervenir en cas de catastrophe naturelle, les forces armées doivent désormais agir dans des conditions climatiques extrêmes.

Zone indopacifique. Face à la Chine, les Etats-Unis ont besoin d’Alliés, indique la source navale française. Ils ont pris en compte l’implantation de la France dans la zone indopacifique, car ils partagent avec elle la même prudence vis-à-vis de la Chine, la nécessité de la prévention des combats dans la région et le souhait d’y limiter le développement des activités militaires. Depuis la seconde guerre mondiale, la Marine américaine domine les océans. Mais la Marine chinoise développe ses capacités de mener des opérations de coercition et de se déployer dans le monde, comme l’a démontré l’escale d’une frégate chinoise à Bata (Guinée). Elle a mis au point un porte-avions à catapulte et son avion spécifique et a loué des sous-marins nucléaires d’attaque (SNA) russes de la classe Akula. Autre alliée des Etats-Unis dans la région, l’Australie a annulé le contrat de sous-marins avec la France pour se tourner vers eux. Or le taux de remplacement dans la Marine américaine est passé de 2 unités par an à 1 par an, repoussant à 2040 la perspective pour l’Australie de prendre livraison de SNA opérationnels, à prélever sur la flotte américaine. Pour se renforcer dans le Pacifique, les Etats-Unis ont réduit de 70 % leur présence dans l’océan Indien, compensée par celle de la France, dont la posture stratégique dans la zone indopacifique complique l’analyse géopolitique de la Chine.

Interopérabilité navale. Selon la source navale française, des arrangements techniques entre les Marines américaine et française portent sur la validation, à différents niveaux, des systèmes d’informations concernant le commandement, les sous-marins et l’avion de chasse F-35 C. La 4ème génération de ce dernier en augmentera la furtivité, mais la 5ème entraînera un comportement différent, enjeu de la coordination avec le Rafale Marine

Loïc Salmon

Union européenne : présidence française, acquis de la défense

Ukraine : hégémonie navale russe en mer Noire

Stratégie : l’action de la France dans la zone indopacifique




Missiles : conséquences de la guerre en Ukraine

 

Le maintien de l’excellence technologique en matière de missiles et de systèmes de défense anti-aérienne permettra d’apporter les solutions, au meilleur coût, pour assurer la souveraineté des Etats européens après la guerre russo-ukrainienne.

Eric Béranger, président-directeur général du groupe MBDA, l’a expliqué à la commission sénatoriale des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, le 1er juin 2022 à Paris.

A cette occasion, président de la commission, Christian Cambon, a rappelé l’importance de l’OTAN pour la défense de l’Europe, que la Suède et la Finlande ont demandé à y adhérer et que 70 postes dévolus à la France ne sont pas encore pourvus. En outre, après 44 jours de combat environ 7.000 personnes ont été tuées par des drones.

Premiers enseignements. L’attaque de la Russie contre l’Ukraine le 24 février a provoqué une prise de conscience collective européenne en termes de souveraineté, rappelle Eric Béranger. Cette dernière repose sur la liberté d’appréciation de situation, celle de la décision et celle de l’action, en vue de protéger un modèle de société. Cela implique une liberté totale pour employer des armements, les exporter ou les céder à des nations partenaires. La guerre en Ukraine utilise la technologie de pointe et la masse avec environ 2.500 munitions tirées par jour. Dès le 17 mars 2021, la ministre des Armées, Florence Parly, avait signalé une accélération des nouvelles menaces, y compris de haute intensité, à la même commission sénatoriale. En mars 2022, la « boussole stratégique » européenne a souligné la volonté d’encourager les achats d’équipements de défense au sein de l’Union, grâce au Fonds européen de défense. En France, cela nécessite une planification des ressources industrielles et financières, établie en concertation avec la Direction générale de l’armement et les armées, afin de déterminer les capacités et les moyens. La loi de programmation militaire 2019-2025 privilégie un modèle d’armée complet, face à toutes les menaces, et fixe l’objectif de 2 % du produit intérieur brut pour la défense en 2025.

Anticipation et contre-attaque. Il s’agit de combler les lacunes capacitaires d’ici à 2030 et s’adapter pour répondre aux menaces nouvelles et rapidement évolutives, souligne Eric Béranger. Celles-ci incluent les missiles hypersoniques (qui ralentissent à l’approche de leur cible), les cyberattaques, les essaims de drones pour saturer la défense anti-aérienne, et les attaques combinées. La lutte anti-drones comprend le détecteur (radar) et les effecteurs (projectiles, laser et drones tueurs par collision). En France, un industriel peut seulement stocker les éléments constitutifs des munitions. Aucun composant d’armement français ne vient de Chine. La dépendance en composants américains, graduée selon les programmes, est inexistante dans les programmes les plus sensibles. Les Etats-Unis ont établi un ordre de priorité des approvisionnements des matières premières pour l’industrie de défense et tentent de tirer profit du réarmement européen, notamment de l’Allemagne. Toutefois, la France maintient une capacité d’influence au sein de l’OTAN avec le Commandement suprême allié de la transformation (poste N°2) et la présence de 600 Français. Par ailleurs, l’industrie de défense doit rester vigilante face aux organisations non gouvernementales qui veulent la discréditer, vis-à-vis de divers comités de la Commission européenne, des banques et des jeunes talents. Mais leurs critiques se sont atténuées avec la guerre en Ukraine.

Loïc Salmon

Défense antimissiles : surtout protection des forces, moins celle des populations

MBDA : coopération industrielle européenne pour les missiles

Ukraine : stabilisation du front, défense sol/air française en Roumanie, vers une adhésion à l’OTAN des Suède et Finlande




Ukraine : stabilisation du front, défense sol/air française en Roumanie, vers une adhésion à l’OTAN des Suède et Finlande

Les forces armées russes contrôlent l’Est et le Sud de l’Ukraine. La France fournit un système sol/air Mamba à la Roumanie. Suède et Finlande décident d’adhérer à l’OTAN. La Belgique va acheter 9 canons Caesar à longue portée.

L’Etat-major des armées (EMA) a présenté la situation au 25 mai 2022 (voir carte). Le 19 mai à Paris, il a annoncé le renforcement de la mission « Aigle », déployée en Roumanie. Le 15 mai, la Suède a déposé une demande d’adhésion à l’OTAN et la Finlande le 16 mai. Elles renoncent ainsi à leur neutralité traditionnelle, la première depuis 1814 et la seconde depuis 1948.

Le conflit sur le terrain. La carte de l’EMA présente : en rouge, la zone sous contrôle militaire russe ; en stries rouges, les gains territoriaux russes. Sur le front Est, les forces armées russes tiennent fermement leurs positions au Nord et à l’Est de Kharkiv. En outre, les forces armées ukrainiennes auraient transféré une partie de leurs troupes dans l’Est du Donbass, afin de s’opposer à l’avancée des unités russes (1). Par ailleurs la ville de Lyman subit toujours d’importants tirs d’artillerie, prélude probable à l’assaut russe (2).

La mission « Aigle » renforcée. En 2007, la France a conclu un partenariat stratégique avec la Roumanie, notamment dans la défense sol/air. Le 16 mai 2022, elle y a installé le système Mamba et un centre de management de la défense dans la 3ème dimension. Mis en œuvre par une centaine de militaires de l’armée de l’Air et de l’Espace, le Mamba assure une bulle de protection au profit des forces opérant dans la zone de couverture. Via une liaison de données tactiques, il est connecté et intégré au système de défense aérienne roumain et à celui de l’OTAN. Le Mamba est équipé de 8 missiles Aster 30 montés sur camions. L’Aster 30 compte deux étages et présente les caractéristiques suivantes : vitesse mach 4,5 (5.556 km/h) en 3,5 secondes ; portée supérieure à 100 km ; longueur, 4,90 m ; poids 465 kg. Dans le cadre de la mission « Aigle », des unités françaises ont été déployées en Roumanie le 26 février 202,2 soit deux jours après le déclenchement de l’attaque de la Russie contre l’Ukraine. La France assure le commandement du bataillon d’alerte de la force de réaction rapide de l’OTAN, déployé en urgence à cette occasion. Depuis le 1er mai, ce bataillon multinational, qui inclut une compagnie d’infanterie belge, constitue le « Battle Group forward presence » (BG FP), dont la France est nation-cadre. Basé à terme à Cincu, (centre de la Roumanie), le BG FP intégrera une compagnie belge ou néerlandaise en alternance. En outre, l’OTAN a déployé trois autres bataillons en Slovaquie, Hongrie et Bulgarie pour la défense du flanc oriental de l’Europe.

Des canons Caesar pour la Belgique. Le partenariat stratégique « CaMo » entre la France et la Belgique est entré en vigueur en 2019. Selon le ministère des Armées, la Belgique va acquérir 9 systèmes d’artillerie sol/sol Caesar de 155 mm, montés sur camions et d’une portée de 4,5 km à plus de 50 km. Ces systèmes info-valorisés, livrables en 2027, compléteront la chaîne d’artillerie belge, à savoir les Griffon véhicules d’observations d’artillerie et les Griffon engins poste de commandement, déjà commandés. Le contrat d’acquisition, qui sera notifié dans les prochaines semaines, sera piloté par la Direction générale de l’armement française et la Direction générale des ressources matérielles belge. Le CaMo prévoit des entraînements communs et une formation intégrée entre unités de combat françaises et belges.

Loïc Salmon

Ukraine : risques nucléaire, biologique et chimique

Ukraine : conflit reconfiguré et vu d’Asie et du Moyen-Orient

Baltique : Suède et Finlande, de la neutralité à l’engagement




Défense : tir réussi de l’ASMPA rénové et contrat ONERA

Le 23 mars 2022, le tir de qualification du missile stratégique ASMPA rénové a été réalisé avec succès au-dessus de l’Atlantique. Le 3 mars à Paris, le ministère des Armées et l’ONERA ont conclu un contrat d’objectifs et de performance sur cinq ans.

Modernisation des FAS. Le missile ASMPA (air-sol moyenne portée amélioré) rénové est destiné à équiper les Rafales biplaces des Forces aériennes stratégiques (FAS) de l’armée de l’Air et de l’Espace et les Rafales monoplaces de la Marine nationale embarqués sur le porte-avions à propulsion nucléaire Charles-de-Gaulle.  L’ASMPA actuel, entré en service en 2009-2010, a une portée d’environ 500 km à haute altitude et emporte une tête nucléaire de 300 kt. Le tir de qualification de la version rénovée fait partie d’un programme sous maîtrise d’ouvrage de la Direction générale de l’armement (DGA). Effectué par un Rafale de la base aérienne de Cazaux, il a été suivi pendant toute sa phase de vol par les moyens de DGA Essais de missiles à Biscarosse, Hourtin et Quimper et le bâtiment d’essais et de mesures Monge avec la participation de DGA Essais en vol. Outre le groupe européen MBDA, Dassault Aviation et l’Office national d’études et de recherches aérospatiales (ONERA) sont impliqués dans l’ASMPA rénové.

Partenariat ONERA-Armées. Le contrat d’objectifs et de performance (COP) couvre la période 2022-2026. Il résulte des travaux entrepris avec l’Agence de l’innovation défense et les partenaires institutionnels, académiques ou privés de l’ONERA. Il fixe une trajectoire financière d’équilibre visant à conforter l’assise économique de l’ONERA, à garantir l’embauche d’une cinquantaine de personnes dès 2023, sa dynamique contractuelle et sa capacité à investir. Cet équilibre repose la subvention pour charges de service public annuelle de 110 M€ dès 2022 et sur le financement de projets d’investissement à hauteur de 30,80 M€, notamment pour la modernisation des moyens de télédétection aéroportée ou de calcul intensif et pour l’activité de défense. Par ailleurs, le COP porte sur neuf objectifs opérationnels : mise en œuvre des feuilles de route déclinant les priorités thématiques poursuivies par l’ONERA ; réponses aux besoins d’expertise et d’essais ; développement de l’excellence scientifique pour relever le défi des ruptures en protégeant les savoirs et savoir-faire ; exploitation de la complémentarité de l’ONERA et du Centre national d’études spatiales ; renforcement des liens avec les universités et les écoles ; mise en place de nouveaux modes de valorisation de la recherche ; accroissement du rayonnement et du positionnement à l’international ; finalisation du regroupement géographique en Île-de-France et des autres grands chantiers, dont le projet ATP au profit des grandes souffleries ; établissement d’une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. Dans le domaine de la défense et de la sécurité, la mission de l’ONERA s’articule autour de cinq programmes : dissuasion ; systèmes de défense ; connaissance et anticipation ; systèmes de combat aérien ; sécurité. Dans le domaine de l’aéronautique, sa mission porte sur les avions, les appareils à voilure tournante, la propulsion et l’environnement, le système de transport aérien, les drones et la plateforme logicielle elsA. Dans le domaine spatial, sa mission porte sur les lanceurs et les systèmes orbitaux. Sous tutelle du ministère des Armées, l’ONERA emploie environ 2.000 personnes et dispose d’un budget de 237 M€, dont plus de la moitié provient de ses contrats commerciaux.

Loïc Salmon

Dissuasion nucléaire : modernisation de la composante aéroportée

Marine nationale : le fait nucléaire, dissuasion politique et actions militaires

Défense : l’ONERA, acteur majeur de l’innovation




Guerre future : menaces balistiques et spatiales accrues

La manœuvrabilité et la vitesse accrues des missiles balistiques rendront leur interception de plus en plus complexe par les dispositifs de défense, qui utiliseront l’intelligence artificielle pour modéliser leurs trajectoires.

Ronan Moulinet, expert radar au groupe Thales (électronique de défense), l’a expliqué au cours d’une visioconférence organisée, le 9 avril 2021 à Paris, par l’association Les jeunes IHEDN.

Missiles balistiques. Porteurs de plusieurs têtes (armes nucléaires ou charges conventionnelles), les missiles intercontinentaux (ICBM) peuvent parcourir jusqu’à 10.000 km à raison de 7 km/seconde, soit la vitesse d’un satellite en orbite à 400 km d’altitude. D’une grande manœuvrabilité, ils positionnent une ou plusieurs têtes sur une ou plusieurs trajectoires et sont lancés en nombre pour saturer les défenses adverses. La phase « propulsée » dure de 3 à 6 minutes, la phase balistique proprement dite 25 minutes et la phase de rentrée atmosphérique environ 5 minutes à partir de 3 km d’altitude. Une trajectoire tendue à faible altitude réduit les délais de détection et de déclenchement d’alerte. La propulsion « liquide » facilite le contrôle de la poussée initiale, mais présente des contraintes de manipulation des ergols (comburant et carburant) toxiques et inflammables, de leur stockage sur une longue durée et de leur chargement dans le missile (plusieurs heures). Une propulsion « solide » rend son entreposage plus aisé, facilite la manipulation du missile et permet un lancement rapide (moins de 15 minutes), mais nécessite un contrôle plus contraignant de la poussée. Les missiles à courte portée (moins de 1.000 km), les plus nombreux, volent 5-6 minutes, les missiles intercontinentaux (plus de 5.500 km) environ 30 minutes et ceux lancés de sous-marins (de moins de 1.000 km à 11.000 km) 5-6 minutes pendant la phase propulsée. Les types de porteurs ou de lanceurs varient : silos terrestres ou sur lanceurs mobiles à roues pour les ICBM ; trains avec wagons aménagés ; avions de chasse ou bombardiers ; navires porte-conteneurs ou plates-formes navales reconverties ; sous-marins nucléaires lanceurs d’engins dits SLBM. Les Etats-Unis (450 ICBM et 200 SLBM) et la Russie (375 ICBM et 200 SLBM) disposent de 90 % du potentiel stratégique nucléaire mondial, mais la Chine monte en puissance. Les nations émergentes renforcent leurs arsenaux de missiles à portées moyennes (1.000-3.000 km) et intermédiaires (3.000-5.500 km). Quoique de nombreux missiles soient à propulsion liquide, la propulsion solide se développe et les lanceurs mobiles s’améliorent. Environ 150 missiles ont été lancés en 2018, dont 90 à courtes portées et 60 à moyennes et longues portées.

Défense antimissile. Depuis les années 1980, Etats-Unis, Russie et Chine développent des boucliers antimissiles. Israël a mis au point le sien après la guerre du Golfe (1991), où il avait subi les attaques de missiles Scud irakiens. Le principe repose sur une interception à une altitude variant de quelques milliers de mètres à des centaines de kilomètres. Dans l’espace, elle se fait par impact direct du vecteur « tueur ». Dans l’atmosphère, ce vecteur atteint directement le missile ou déclenche une explosion à quelques mètres de lui. En rentrant dans l’atmosphère, les missiles manœuvrent à 30 km d’altitude pour changer de zone, afin de contourner la « bulle » d’un diamètre de 10-20 km de la défense terrestre. Les systèmes d’interception intègrent des senseurs électro-optiques et des radars pour les détecter le plus rapidement possible. Dimensionnés pour une menace simple, ils doivent perpétuellement s’améliorer pour contrer l’évolution des missiles balistiques intercontinentaux.

Missiles « hypervéloces ». Etats-Unis, Russie, Chine, Inde, Grande-Bretagne et France développent des missiles balistiques dit « hypervéloces », dont la vitesse dépasse Mach 5 (1.715 m par seconde), indique Ronan Moulinet. Certains seront opérationnels en 2025. Ces sortes de navettes spatiales rebondissent comme des planeurs sur la couche dense de l’atmosphère pour atteindre leurs cibles initiales. Afin d’éviter de consommer trop d’énergie, des rétrofusées équilibrent la trajectoire de ces planeurs. Leur grande manœuvrabilité, programmée à l’avance, rend moins prédictible la détermination des zones attaquées. Elle réduit ainsi le préavis de détection par l’adversaire et évite certaines « couches » de défense antimissile dans différents endroits du globe. Le lancement, réussi, du missile russe air-sol hypervéloce KH47M2 Kinjal à haute précision, d’un poids de 4 t et porté par un avion de chasse MiG31K, a été annoncé par Moscou en 2018. Les missiles hypervéloces russes et chinois atteindront leur maturité vers 2028, Taïwan dispose déjà de moyens américains de défense antimissile.

Menaces extra-atmosphériques. L’altitude de 100 km marque la frontière entre l’espace dit « endo-atmosphérique », en dessous, et celui dit « extra-atmosphérique », au-dessus, rappelle Ronan Moulinet. Ce dernier espace est encombré de 20.000 objets (satellites et débris divers) avec les risques de collisions, intentionnelles ou non. S’y ajoutent les menaces cyber, de brouillage intentionnel ou non et les armes antisatellites à vocation de nuisance permanente ou temporaire. En orbite basse, les satellites militaires peuvent capter les communications ou paralyser les liaisons de systèmes GPS et mener des actions hostiles avec une grande réactivité. La Chine développe des satellites, dont les bras attrapent un satellite adverse pour modifier son orbite ou le rapporter sur terre. La Russie met au point  des « satellites mères », qui en placent d’autres en orbite. Des radars d’alerte avancée, évolutifs, surveillent l’espace pour détecter des manœuvres hostiles.

Loïc Salmon

Selon Ronan Moulinet, 16 Etats et entités disposent d’au moins une dizaine de satellites opérationnels : Etats-Unis, 549 ; Chine, 142 ; Russie, 131 ; entreprises multinationales, 108 ; Japon, 55 ; Grande-Bretagne, 39 ; Inde, 31 ; Canada, 27 ; Agence spatiale européenne, 24 ; Allemagne, 23 ; Luxembourg, 19 ; Espagne, 15 ; Israël, 12 ; Arabie saoudite, 11 ; France, 10 ; Pays-Bas, 10. Par ailleurs, 45 pays disposent de missiles balistiques, mais en majorité des Scud C à charge conventionnelle et de portée maximale de 600 km. Voici la répartition de la prolifération par zones géographiques : Amériques, Etats-Unis, Cuba, Equateur, Pérou et Argentine ; Extrême-Orient, Corée du Nord, Corée du Sud, Chine, Taïwan et Viêt Nam ; Afrique, Algérie, République démocratique du Congo, Angola, Libye, Egypte, Soudan et Ethiopie ; Proche-Orient, Syrie et Israël ; Moyen-Orient, Iran, Arabie saoudite, Emirats arabes unis, Yémen et Bahreïn ; Asie du Sud, Afghanistan, Pakistan et Inde ; Asie centrale, Kazakhstan, Arménie, Azerbaïdjan, Turkménistan et Géorgie ; Europe, Grande-Bretagne, France, Italie, Serbie, Turquie, Pologne, Ukraine, Bosnie-Herzégovine, Grèce, Roumanie, Bulgarie, Belarus et Russie. Selon l’Arms Control Association, 9 pays possèdent environ 13.500 têtes nucléaires, dont 9.500 en service opérationnel en 2020 et 4.000 en instance de démantèlement : Russie, 6.375 ; Etats-Unis, 5.000 ; France, 290 ; Grande-Bretagne, 215 ; Pakistan, 160 ; Inde, 150 ; Chine, 120 ; Israël, 50 ; Corée du Nord, entre 30 et 40.

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Missiles balistiques : limitation, mais prolifération quand même




Asie du Sud : Inde et Pakistan se veulent des puissances nucléaires responsables

Vecteurs de leur armes nucléaires, les missiles balistiques de l’Inde et du Pakistan affectent la sécurité régionale. La maîtrise des armements, réelle au niveau bilatéral, reste faible quant aux instruments juridiques internationaux.

Seule l’Inde a adhéré, en 2016, au Code de conduite de La Haye contre la prolifération des missiles balistiques (HCoC, voir encadré). Emmanuelle Maitre et Lauriane Héau, chargées de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique, ont présenté la situation en Asie du Sud dans une note publiée à Paris en mars 2021.

Arsenaux balistiques. L’Inde a procédé avec succès à l’explosion d’un premier engin nucléaire en 1974 et le Pakistan en1998. Tous deux ont développé des technologies balistiques dès les années 1960. L’acquisition de missiles balistiques a été motivée par le statut et le prestige qui en résultent, la capacité d’infliger des dommages considérables, par l’emport d’armes de destruction massive (nucléaires, chimiques ou biologiques), et l’effet psychologique associé à une frappe éventuelle. Les tensions entre l’Inde et le Pakistan et entre l’Inde et la Chine ont contribué au développement des arsenaux dans la zone Asie-Pacifique. Parallèlement à la recherche et au développement dans le domaine spatial, l’Inde a lancé des programmes de missiles dans les années 1970 et 1980. Dans la catégorie des missiles balistiques à courte portée (SRBM, jusqu’à 1.000 km), elle a mis au point, à partir de 1988, les Prithvi-I, II et III, Agni-1 et Dhanush et développe le Prahar. Elle dispose aussi du missile Agni-2 à moyenne portée (MRBM, de 1.000 à 3.000 km). Les missiles Agni-3 et 4 ont des portées intermédiaires (IRBM, de 3.000 à 5.000 km). Les Agni- 5 et 6, en développement, entrent dans la catégorie des missiles intercontinentaux (ICBM, au minimum 5.500 km). Le Sagarika K-15, réalisé, et le Sagarika K-4, en développement, pourront être tirés d’un sous-marin (SLBM, plus de 5.500 km). En outre, l’Inde a lancé un programme de défense anti-missile. De son côté, le Pakistan a poursuivi simultanément ses recherches spatiales et balistiques. Dès 1989, il a commencé les essais des SRBM Haft-1 et 2, suivis de ceux des Haft-3, 4 et 9. Dans la catégorie des MRBM, il dispose des Haft-5 et 6 et met au point les Ababeel et Shaheen 3. En outre, il développe plusieurs IRBM avec l’aide de la Corée du Nord (technologie Nodong) et de la Chine (achat de missiles M-11). De plus, il investit dans le système chinois LY 80 de défense aérienne à basse et moyenne altitudes et aurait acquis des « MIRV », à savoir des ogives de missiles capables d’emporter plusieurs bombes nucléaires et de les envoyer sur diverses cibles parfois distantes de centaines de km les unes des autres. Par ailleurs, dans la catégorie des missiles de croisière, l’Inde développe les BrahMos et Nirbay et le Pakistan les Ra’ad et Babur. Tous seront capables d’emporter une arme nucléaire ou une charge militaire conventionnelle.

Domaine spatial. A l’exception des Maldives, tous les Etats d’Asie du Sud possèdent au moins un satellite ou participent à sa mise en œuvre. Ainsi, l’Inde a construit le centre spatial Satish Dharwan à Sriharikola et la station équatoriale de lancement de fusées à Thumbo-Thiruvananthapuram. Sa présence s’affirme sur l’ensemble du spectre du domaine spatial : lanceur ; fusée sonde ; satellite de communications ; satellite d’observation terrestre ; satellite à vocation scientifique ; satellite militaire ; vol interplanétaire. Le Pakistan s’en rapproche : fusée sonde ; satellite de communications ; satellite d’observation terrestre ; satellite à vocation scientifique. Le Sri Lanka exploite des satellites de communications et à vocation scientifique. Le Bangladesh se limite aux satellites de communications ou à vocation scientifique. Actuellement, les satellites à vocation scientifique suffisent au Népal et au Bhoutan et ceux de communications à l’Afghanistan. L’exploitation pacifique des satellites porte notamment sur l’agriculture ou la réponse aux catastrophes naturelles. Toutefois, l’essai réussi d’une arme antisatellite par l’Inde en 2019 inquiète la communauté internationale, car tout nouvel essai d’une telle arme rendrait l’espace dangereux pour les entreprises civiles. Avec l’émergence du « New Space », industrie spatiale née aux Etats-Unis, des entités privées peuvent en effet utiliser des constellations de petits satellites en vue de développer des produits commerciaux. En conséquence, des petits systèmes de lancement pourraient envoyer dans l’espace des objets, dont certains risqueraient d’être confondus avec des missiles.

Freins limités à la prolifération. Afghanistan, Bangladesh, Bhoutan, Inde, Maldives, Népal, Pakistan et Sri Lanka ont ratifié (ou adhéré à) la Convention internationale sur les armes chimiques et à celle sur les armes biologiques. Tous ont envoyé un rapport initial au « Comité 1540 », créé en application de la Résolution 1540 du Conseil de sécurité de l’ONU, adoptée à l’unanimité le 28 avril 2004. Cette résolution stipule « que tous les États doivent s’abstenir d’apporter un appui, quelle qu’en soit la forme, à des acteurs non étatiques qui tenteraient de mettre au point, de se procurer, de fabriquer, de posséder, de transporter, de transférer ou d’utiliser des armes nucléaires, chimiques ou biologiques ou leurs vecteurs, en particulier à des fins terroristes. » Toutefois, aucun n’a soumis au Comité 1540 de plan national de mesures de prévention de la prolifération de ces armes et de leurs vecteurs. Par ailleurs, l’Inde et le Pakistan n’ont pas ratifié le Traité sur la prolifération des armes nucléaires ni le Traité d’interdiction complète des essais nucléaires et ni le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires. Cependant, l’Inde a signé un protocole additionnel avec l’Agence internationale de l’énergie atomique, ouvrant la voie à un accord de coopération avec les Etats-Unis en 2006. Quant à la lutte contre la prolifération de missiles balistiques, le Pakistan s’abstient systématiquement lors des votes des résolutions bi-annuelles de l’ONU en faveur du HCoC. Toutefois, l’Inde et le Pakistan ont conclu un accord en 2005, prolongé en 2011 et portant sur un préavis de 72 heures des essais en vol de missiles balistiques, en fixant des limites géographiques et des trajectoires claires pour ces essais.

Loïc Salmon

Seul instrument multilatéral centré sur les vecteurs d’armes de destruction massive, le Code de conduite de La Haye contre la prolifération des missiles balistiques (HCoC), créé en 2002, compte 143 Etats signataires en décembre 2020. Ceux-ci s’engagent à : respecter les traités de l’ONU et les conventions internationales sur la sécurité spatiale ; soumettre une déclaration annuelle sur leurs capacités en matière de missiles balistiques et leur politique nationale sur la non-prolifération et le désarmement ; envoyer des notifications préalables à tout lancement de missile balistique ou de lanceurs spatial. L’Autriche, qui assure le contact central immédiat du HCoC, met ces informations en ligne sur une plateforme réservée aux Etats signataires. Ceux-ci s’engagent à la plus grande retenue dans le développement de leurs capacités balistiques, sans pour autant y renoncer. Le HCoC permet d’accroître la transparence, d’éviter tout malentendu et de développer pacifiquement des activités spatiales.

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Missiles balistiques : limitation, mais prolifération quand même

Malgré l’adoption d’un code international de conduite visant à limiter leur nombre, les missiles balistiques font l’objet de transferts par les pays déjà constructeurs, tandis que d’autres développent leur capacité nationale de production.

Ces missiles, vecteurs d’armes conventionnelles ou de destruction massive (ADM, nucléaire, radiologique, biologique et chimique), ont fait l’objet de notes publiées, en septembre et octobre 2020, par Emmanuelle Maitre et Laurianne Héau de la Fondation pour la recherche stratégique.

Intérêt croissant. Un missile balistique lance une ou plusieurs armes en leur donnant une trajectoire influencée uniquement par la gravité et la vitesse acquise par l’accélération initiale. Tous les Etats détenteurs de l’arme nucléaire disposent des capacités de production de missiles balistiques, à savoir les Etats-Unis, la Russie, la Grande-Bretagne, la France, la Chine, Israël et la Corée du Nord. Vu que d’autres Etats ont acquis des missiles balistiques, une trentaine de pays dans le monde s’en trouvent aujourd’hui dotés. Plus faciles à mettre en œuvre qu’une force aérienne, ces engins sont difficiles à détecter, à détruire avant leur lancement ou à intercepter totalement en cas de salves successives, même par les Etats ayant développé ou acquis de coûteux systèmes antimissiles balistiques (Etats-Unis, Russie, Chine, Inde, Japon, Corée du Sud et Israël). Les missiles balistiques, même les plus anciens dérivés du Scud soviétique, jouissent d’un prestige certain en raison de leur effet dissuasif, dû aux dommages réels qu’ils peuvent infliger. Couplés à des ADM, ils peuvent déstabiliser l’adversaire. La brièveté du temps de vol, surtout sur un théâtre d’opérations restreint, réduit le temps de prise de décision lors des frappes. Dans la crainte d’une destruction ultérieure de ses missiles par un adversaire éventuel, un Etat agresseur pourrait les utiliser de manière précoce, déclenchant l’escalade d’un conflit. Enfin, le développement, le déploiement ou l’utilisation des missiles balistiques peut entraîner une réaction en chaîne déstabilisatrice, accentuée par la dualité de leurs ogives, conventionnelles ou ADM.

Productions et transferts. Les Etats-Unis vendent, à leurs alliés dans le monde entier, des roquettes lourdes guidées, assimilées à des systèmes balistiques tactiques. Ainsi, la Turquie a acheté l’ATacMS à courte portée (300 km) en 1996, suivie de la Grèce (1997), de la Corée du Sud (2002), des Emirats arabes unis (2010) et de Bahreïn (2019). La Russie a développé l’Iskander-E (280 km), acquis par l’Arménie (2016) et l’Algérie (2017). La Corée du Nord a développé des systèmes à combustible liquide ou solide ainsi que des missiles à portées courte (inférieure ou égale à 1.000 km), moyenne (1.000-3.000 km) et longue (supérieure à 3.000km) avec des précision et fiabilité accrues. Entre 1990 et 2000, elle aurait vendu à l’Egypte des Scud-B (300 km), des composants et capacités de production du Scud-C (600 km) et peut-être la technologie du Nodong (1.200-1.500 km). Pendant la même période, elle a vendu à la Libye des composants du Scud, la technologie du Nodong ainsi que les plans et matériaux destinés à la ligne d’assemblage. Entre 1990 et 2003, elle a vendu au Yémen des Hwason-6 (500 km). Depuis les années 1990, elle vend au Pakistan la technologie du Nodong et des composants liés au combustible solide. De même, elle aurait vendu à l’Iran une centaine de Scud-B, Scud-C et Nodong, une usine de production de missiles et les plans du Musudan (2.500-3.000 km). Depuis 1991, elle vend à la Syrie des Scud-C (600 km) et des équipements pour sa production ainsi que des Scud-D (700 km). De son côté et peut-être depuis 2008, l’Iran vend à la Syrie la capacité de production du Fateh-110A (300 km). Depuis 2000, celle-ci aurait vendu des Scud B, C ou D et des M-600 (300 km) à l’organisation islamiste Hezbollah, qui aurait aussi reçu de l’Iran des Scud-D, Fateh-110A et des Zelzal 1 (160 km) et 2 (210 km). Enfin, vers 2015, l’Iran a fourni des missiles Qiam-1 (800 km) aux Houthis, organisation armée yéménite. Ceux-ci ont frappé l’Arabie saoudite avec des Burkan 1 (800 km) et 2 (jusqu’à 1.000 km), dérivés du Qiam-1. Cependant, depuis 2000, les transferts de missiles ont été freinés par : une application plus stricte des règles de contrôle des exportations ; une volonté politique de la plupart des Etats de mettre fin à ces transferts ; des initiatives de lutte contre la prolifération ; l’interruption de la plupart des programmes clandestins d’ADM. En outre, les transferts de missiles sur de très longues distances deviennent plus difficiles, en raison du risque de détection et d’interception par les patrouilles maritimes. Toutefois, les réseaux de transferts de technologie contribuent à la prolifération.

Limitation juridique. A la fin de la guerre froide (1991), des accords internationaux ont été adoptés pour réduire la menace nucléaire et limiter les arsenaux des Etats-Unis et de la Russie. Dès 1987, la question des vecteurs avait été traitée en partie avec la création du Régime de contrôle de la technologie des missiles (MTCR, 35 pays partenaires). En 1998, le survol du Japon par un missile nord-coréen à longue portée conduit, l’année suivante, les partenaires du MTCR à chercher à établir une norme universelle pour endiguer la prolifération des systèmes de missiles balistiques. Leurs efforts débouchent sur le Code de conduite de La Haye contre la prolifération des missiles balistiques (HCoC), adopté en 2002 par 143 Etats. Il établit un mécanisme visant à éviter les erreurs d’interprétation entre les tirs de lanceurs spatiaux, les essais de missiles et les frappes balistiques. Il impose aux détenteurs de missiles un ensemble d’exigences en termes de comportement et de transparence. Accord non contraignant, le HCoC n’a pas connu d’avancées depuis son adoption, en raison des tensions internationales croissantes et du refus de transparence de certains Etats. Il n’inclut pas missiles de croisière et autres systèmes utilisés sur le champ de bataille, car de nombreux Etats auraient refusé de partager des informations sur leurs déploiements ou essais.

Loïc Salmon

Depuis 2009, la Fondation pour la recherche stratégique mène un projet sur le Code de conduite de La Haye contre la prolifération des missiles balistiques (HCoC) dans le cadre de la mise en œuvre de la stratégie de l’Union européenne contre la prolifération des armes de destruction massive. Il s’agit : de sensibiliser l’opinion aux risques liés à la prolifération de missiles balistiques ; d’accroître l’efficacité des instruments multilatéraux de lutte contre la prolifération ; d’aider les pays intéressés à renforcer leurs régimes nationaux de contrôle des exportations et à améliorer les échanges d’informations. Le projet est divisé en quatre types d’actions : organisation et mise en œuvre d’événements à New York et à Vienne, en marge des réunions internationales, et dans les pays non signataires du HCoC ; publication de documents de recherche sur la prolifération balistique ; préparation et distribution de matériels de communication et d’information ; création d’un site internet sur la promotion du HCoC et les activités organisées dans le cadre du projet.

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