Marine nationale : dissuasion, protection, intervention et partenariats extérieurs

La Marine française doit se préparer à des engagements plus durs dans une guerre imposée et probablement d’une marnière très brutale.

Son chef d’état-major, l’amiral Nicolas Vaujour, l’a expliqué lors d’une rencontre organisée, le 27 septembre 2023 à Paris, par l’Association des journalistes de défense.

L’environnement opérationnel. Le contexte mondial se caractérise d’abord par l’accélération du désordre. En cas de crise et selon l’évolution de la situation, des actions robustes et résilientes permettront de consolider une stratégie d’accès mondial. En outre, une tectonique des puissances se manifeste au large avec des débordements en mer Noire et en Asie, qu’il faut connaître, comprendre et contenir. S’y ajoutent les missions de protection des approches maritimes, comme le déminage des plages, le sauvetage en mer, la lutte contre les trafics de drogue et d’armes et la surpêche. La multiplication des usages de la mer, avec les énergies renouvelables et l’augmentation du trafic commercial, entraîne une sorte de territorialisation des mers. Les préfets maritimes assurent la coordination interministérielle sur ces usages, afin de garantir l’entraînement dans les zones d’exercices, les essais des armes, l’emploi du groupe aéronaval et les évolutions dans des endroits dangereux au large. Enfin, la guerre en cours en Ukraine s’accompagne du retour de la menace nucléaire russe, face à laquelle la Marine française doit maintenir une dissuasion crédible. La possibilité de débordement du combat en mer, réelle en mer Noire, peut survenir ailleurs. Dans cette guerre d’usure, l’Ukraine se défend en y contestant la capacité russe par des attaques de drones contre des frégates et des sous-marins à quai. Ce contournement de la bataille aéroterrestre par une puissance non navale ne constitue pas une menace immédiate. Toutefois, des organisations malveillantes pourraient déployer des essaims de drones, en vue de perturber la circulation en mer.

Les partenariats. Selon l’amiral Vaujour, la puissance navale repose sur le nombre de navires, la technologie, le savoir-faire et les partenariats. Ces derniers apportent la cohérence de la réponse et la capacité de performance dans certaines zones. L’échange d’informations permet de s’organiser entre Marines alliées, notamment avec celle des États-Unis. Toutefois, les intérêts souverains imposent parfois le recours au « caveat », à savoir la limite de la participation à certaines missions à préciser au chef militaire de la coalition sur zone. La France et la Grande-Bretagne ont développé en commun des travaux sur la force de dissuasion, les porte-avions, les sous-marins et la guerre des mines. En Méditerranée, la Marine française travaille avec ses homologues italienne, grecque et espagnole pour éviter de s’épuiser seule sur une mission. En Asie, elle coopère avec d’autres Marines pour améliorer la persistance de sa présence et sa capacité de compréhension et d’analyse, en vue d’obtenir un effet militaire supérieur. Elle dispose d’une base navale aux Émirats arabes unis d’où partent les missions « Agénor », contributions à l’initiative européenne de liberté de navigation dans le golfe Arabo-Persique. Dans le Pacifique, elle dispose de points d’appui robustes et accessibles en tout temps. L’Australie reste son principal partenaire par sa situation dans la zone stratégique d’accès et sa grande capacité d’accueil portuaire. Des partenariats spécifiques se développent avec le Japon, la Corée du Sud, Singapour, l’Indonésie, la Malaisie et les Philippines.

Loïc Salmon

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Grande-Bretagne : coopération militaire avec la France malgré le « Brexit » et l’AUKUS

La coopération bilatérale franco-britannique en matière de défense se développe sur les plans capacitaire, opérationnel et industriel, malgré les divergences politiques sur l’Europe et les conséquences de l’AUKUS.

Le colonel Bruno Cunat de la Direction générale des relations internationales et de la stratégie l’a présentée à la presse le 23 mars 2023 à Paris. L’AUKUS, accord militaire conclu en septembre 2021 entre l’Australie, la Grande-Bretagne et les États-Unis, avait entraîné l’annulation immédiate, par l’Australie, d’un grand contrat avec la France portant sur la fourniture de sous-marins à propulsion diesel-électrique.

Pilier capacitaire. Puissances nucléaires et membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, les deux pays ont une lecture proche des enjeux internationaux et une culture militaire similaire. La France a élaboré son modèle d’armée de manière autonome et la Grande-Bretagne le sien en coordination avec les États-Unis. Cette dernière dispose d’une capacité terrestre restreinte, mais a mis l’accent sur la haute technologie et le cyber. La coopération franco-britannique, qui remonte au traité de Lancaster House de 2010, évolue selon un dialogue permanent. Le traité inclut un volet sur la recherche et l’expérimentation nucléaires et la capacité, effective depuis 2020, à déployer une force expéditionnaire, commune mais non permanente, de 10.000 militaires sur un théâtre avec un état-major interarmées. Depuis 2016, la fonction d’adjoint est attribuée à un général britannique dans une division française et à un Français dans une division britannique. Les deux pays, qui ont apporté leur soutien à l’Ukraine dans sa guerre contre la Russie, développent une capacité de projection vers l’Est avec le déploiement de matériels lourds dans le cadre de l’OTAN. En 2023, la coopération inclut la logistique, le renseignement et le cyber.

Pilier opérationnel. La France et la Grande-Bretagne participent à la « Combined Maritime Force 150 », coalition multinationale de lutte contre le terrorisme dans l’océan Indien. Des patrouilles communes aériennes et maritimes, avec des ravitaillements en vol et à la mer mutualisés, sont menées dans la zone Indopacifique avec les pays riverains, dont le Japon, pour maintenir la liberté de navigation face à la Chine. Des unités britanniques ont participé à l’exercice interalliés Orion 2023, organisé en France de février à mai avec un volet spatial dénommé Aster(X).

Pilier industriel. Sur la période 2021-2024, la Grande-Bretagne investit 188 Mds£ (212,2 Md$) dans la défense, dont 3 Mds£ (3,4 Mds€) dans le nucléaire et 20 Mds£ (22,6 Mds£) dans la recherche et le développement. La coopération avec la France concerne d’abord la filière missile du groupe franco-britannique MBDA. Les futurs missiles de croisière, successeurs du Scalp français et du Shadow britannique, pourraient être déclinés selon deux technologies : furtivité à une vitesse subsonique ou manœuvrabilité à des vitesses supersoniques. La famille du missile anti-aérien et antibalistique Aster (supersonique) sera modernisée : Aster 15 pour l’auto-défense antinavire et contre avions, drones et missiles de croisière ; Aster 30 pour la défense de zone et contre missiles balistiques. La coopération industrielle franco-britannique inclut divers programmes : missile air-air Meteor ; projet de drone sous-marin pour la lutte anti-mines MMCM ; canon de 40 mm monté sur véhicules blindés Jaguar français et Ajax britanniques ; armes à énergie dirigée ; maîtrise des fonds marins ; hélicoptères.

Loïc Salmon

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OTAN : actualisation du concept stratégique et complémentarité navale franco-américaine

Le resserrement du partenariat stratégique entre la Russie et la Chine est perçu par l’OTAN comme déstabilisateur de l’ordre international. Pour les Etats-Unis, l’importance de la présence navale française dans la zone indopacifique contribue de façon significative à la sécurité régionale.

Un document de l’OTAN, rendu public lors du sommet des 29-30 juin 2022 à Madrid, réactualise le concept stratégique de 2010. Le 11 juillet, une source de l’Etat-major de la Marine française a indiqué les perspectives navales avec les Etats-Unis. Le même jour, l’Etat-major des armées (EMA) a exposé la situation du conflit en Ukraine.

Situation en Ukraine. Les gains territoriaux au Nord de la Crimée et à l’Ouest du Donbass augmentent (stries rouges sur la carte). Selon l’EMA, les frappes russes (astérisques jaunes) demeurent intenses sur toute la ligne de front et dans la profondeur, surtout sur le Donbass, et ciblent à nouveau les régions de Sumy et Chernihiv. L’artillerie ukrainienne vise les dépôts logistiques russes. Sur le front Nord, les frappes ont repris au Nord-Ouest et les combats se poursuivent autour de Kharkiv (1). Sur le front Est, les forces russes poursuivent leur offensive, lente et méthodique, vers les localités de Sloviansk et Kramatorsk. Les forces ukrainiennes tiennent leurs lignes de défense (2). Sur le front Sud, la situation s’est stabilisée. Les forces ukrainiennes font face aux dernières lignes de défenses russes dans les régions de Kherson et Zaporizhia, ciblant leurs approvisionnements sur leurs arrières (3). Selon la source navale française, cette guerre permet d’exploiter les erreurs de la Russie et d’évaluer ses capacités tactiques terrestre et navale (Île aux Serpents). Elle souligne le risque de chantage alimentaire en Afrique, en raison du contrôle russe de la mer Noire. Au 11 juillet, la Russie avait tiré plus de 1.000 missiles de croisière, dont une centaine depuis la mer. En conséquence, la Marine française portera ses efforts sur la lutte contre les drones et le brouillage des communications.

Russie et Chine. Pour l’OTAN, la Russie constitue la principale menace pour la paix et la stabilité dans la zone euro-atlantique. Avec des moyens conventionnels, cyber ou hybrides, elle tente d’exercer un contrôle direct et d’établir des sphères d’influence par la coercition, la subversion, l’agression et l’annexion. Brandissant la menace nucléaire, elle modernise ses forces nucléaires et développe de nouveaux vecteurs à capacités conventionnelle et nucléaire aux effets perturbateurs. Outre la déstabilisation des pays situés à l’Est ou au Sud du territoire de l’Alliance atlantique, elle entrave la liberté de navigation dans l’Atlantique Nord, zone d’acheminement de renforts militaires vers l’Europe. Son intégration militaire avec la Biélorussie et le renforcement de son dispositif militaire en mer Baltique, mer Noire et Méditerranée sont considérés comme portant atteinte à la sécurité et aux intérêts des pays de l’Alliance atlantique. Toutefois, estimant ne pas présenter une menace pour la Russie, l’OTAN ne cherche pas la confrontation et souhaite maintenir des canaux de communications pour gérer et réduire les risques, éviter toute escalade et accroître la transparence. Par ailleurs, selon l’OTAN, la Chine renforce sa présence dans le monde et projette sa puissance par des moyens politiques, économiques et militaires. Elle cible notamment les pays de l’Alliance atlantique par des opérations hybrides ou cyber malveillantes, une rhétorique hostile et des activités de désinformation. Elle tente d’exercer une mainmise sur des secteurs économiques et industriels clés, des infrastructures d’importance critique, des matériaux (terres rares) et des chaînes d’approvisionnements stratégiques. En outre, elle sape l’ordre international fondé sur des règles, notamment dans les domaines spatial, cyber et maritime (entraves à la liberté de navigation).

NRBC, cyber, technologies, climat. Selon l’OTAN, des Etats et des acteurs non-étatiques hostiles recourent à des substances ou des armes chimiques, biologiques radiologiques ou nucléaires, qui menacent la sécurité des pays de l’Alliance atlantique. Ainsi, l’Iran et la Corée du Nord poursuivent leurs programmes d’armement nucléaire et de missiles. La Syrie, la Corée du Nord, la Russie et des acteurs non-étatiques ont déjà employé des armes chimiques. La Chine développe son arsenal nucléaire à un rythme soutenu et met au point des vecteurs de plus en plus sophistiqués. Dans le cyberespace, théâtre d’une contestation permanente, des acteurs malveillants essaient d’affaiblir la défense de l’OTAN en cherchant à endommager des infrastructures d’importance critique, perturber le fonctionnement des services publics, dérober des renseignements, voler des contenus soumis à la propriété intellectuelle ou entraver des activités militaires. En outre, des pays compétiteurs stratégiques et des adversaires potentiels de l’OTAN investissent dans des technologies émergentes ou de rupture, capables d’endommager ses capacités spatiales, et de cibler ses infrastructures civiles ou militaires. Enfin, multiplicateur de crises et de menaces, le changement climatique provoque une montée du niveau des mers et des feux de végétations, désorganisant des sociétés. Souvent appelées à intervenir en cas de catastrophe naturelle, les forces armées doivent désormais agir dans des conditions climatiques extrêmes.

Zone indopacifique. Face à la Chine, les Etats-Unis ont besoin d’Alliés, indique la source navale française. Ils ont pris en compte l’implantation de la France dans la zone indopacifique, car ils partagent avec elle la même prudence vis-à-vis de la Chine, la nécessité de la prévention des combats dans la région et le souhait d’y limiter le développement des activités militaires. Depuis la seconde guerre mondiale, la Marine américaine domine les océans. Mais la Marine chinoise développe ses capacités de mener des opérations de coercition et de se déployer dans le monde, comme l’a démontré l’escale d’une frégate chinoise à Bata (Guinée). Elle a mis au point un porte-avions à catapulte et son avion spécifique et a loué des sous-marins nucléaires d’attaque (SNA) russes de la classe Akula. Autre alliée des Etats-Unis dans la région, l’Australie a annulé le contrat de sous-marins avec la France pour se tourner vers eux. Or le taux de remplacement dans la Marine américaine est passé de 2 unités par an à 1 par an, repoussant à 2040 la perspective pour l’Australie de prendre livraison de SNA opérationnels, à prélever sur la flotte américaine. Pour se renforcer dans le Pacifique, les Etats-Unis ont réduit de 70 % leur présence dans l’océan Indien, compensée par celle de la France, dont la posture stratégique dans la zone indopacifique complique l’analyse géopolitique de la Chine.

Interopérabilité navale. Selon la source navale française, des arrangements techniques entre les Marines américaine et française portent sur la validation, à différents niveaux, des systèmes d’informations concernant le commandement, les sous-marins et l’avion de chasse F-35 C. La 4ème génération de ce dernier en augmentera la furtivité, mais la 5ème entraînera un comportement différent, enjeu de la coordination avec le Rafale Marine

Loïc Salmon

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Ukraine : le volet français de la défense du flanc Est de l’Europe

Depuis le début du conflit entre la Russie et l’Ukraine le 24 février 2022, la France contribue à la posture défensive de l’OTAN, de la Norvège à la Bulgarie.

Les colonels Pascal Ianni (Etat-major des armées) et Stéphane Spet (armée de l’Air et de l’Espace) l’ont expliqué à la presse, le 10 mars 2022 à Paris.

Le théâtre ukrainien. La Russie prévoyait une offensive courte et rapide, souligne le colonel Ianni. Faire manœuvrer 150.000 hommes demande du temps et nécessite une logistique énorme, en essence et munitions, calculée pour la première partie de la guerre. Une progression rapide sur une longue distance consomme beaucoup de carburant. Or en Ukraine, la logistique russe, basée traditionnellement sur le chemin de fer, a dû utiliser des camions. Les troupes russes, massées à la frontière ukrainienne, l’ont franchie en totalité et doivent y acheminer leurs propres ressources. En revanche, les forces ukrainiennes se battent chez elles et continuent de leur causer des pertes sévères, estimées déjà à 4.000 morts selon les services de renseignement américains. Les chiffres diffusés par les belligérants manquent de crédibilité, car manipulés dans le cadre de la guerre de l’information. En général, l’attaquant au sol doit disposer de trois fois plus de combattants que la défense adverse pour pouvoir l’emporter. Après deux semaines de combats, la « pause opérationnelle » des troupes russes, mais pas des bombardements, doit logiquement durer jusqu’à l’arrivée des réserves sur les différents fronts.

Le dispositif français. La France apporte un soutien militaire à l’Ukraine, rappelle le colonel Ianni. Les entretiens téléphoniques du président de la République, du chef d’Etat-major des armées et de l’amiral commandant en chef pour la Méditerranée se poursuivent avec leurs homologues russes pour la « déconfliction », actions de coordination pour réduire les risques d’accidents susceptibles de conduire à une escalade militaire. Au Sud où la France dispose de sa capacité autonome d’appréciation de la situation pour affirmer sa liberté d’action, les groupes aéronavals français et américain se coordonnent en Méditerranée orientale. Conformément au dispositif de vigilance renforcée de l’OTAN, un avion d’alerte avancée E-3F Awacs, parti de la base d’Avord, effectue des missions de défense aérienne et de renseignement à la frontière bulgare. En Roumanie, la mission « Aigle » de réassurance terrestre est menée par 500 militaires issus des 27ème Bataillon de chasseurs alpins, 126ème Régiment d’infanterie, 4ème Régiment de chasseurs et 4ème Régiment d’artillerie de montagne. A la frontière polonaise, 2 avions de chasse Rafale (partis de Mont-de-Marsan) et 1 avion-ravitailleur Phénix (parti d’Istres) renforcent la défense aérienne. En Norvège, des éléments français des trois armées participent aux exercices OTAN « Brilliant Jump 22 » et « Cold Response 22 » de dissuasion et de posture défensive, prévus de longue date. En outre, la frégate multi-missions Languedoc poursuit sa patrouille en mer de Norvège. Pour protéger et contrôler l’espace aérien des Etats baltes, indique le colonel Spet, 100 militaires et 4 Mirage 2000-5 participent à police du ciel de l’OTAN. Ce dispositif alterne les semaines de permanence opérationnelle avec celles d’entraînement en Lituanie. Toutes ces missions sont pilotées par le Centre air de planification et de conduite des opérations de Lyon-Mont Verdun. Enfin, le Centre national des opérations aériennes (même base) interdit le survol de la France à tous les aéronefs civils des compagnies aériennes russes ou affrétés par des ressortissants russes.

Loïc Salmon

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Ukraine : soutiens OTAN et UE, sanctions contre la Russie

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Marine : interopérabilité et résilience, plus vite et plus fort

Avec ses innovations technologiques et ses talents, la Marine se prépare aux futures interventions en interarmées et en coalition. L’Europe va se projeter au-delà de la Méditerranée, jusqu’à l’arc Iran-Pakistan et l’Afrique.

L’amiral Pierre Vandier, chef d’état-major de la Marine (CEMM), l’a expliqué au cours d’une rencontre organisée, le 8 mars 2022 à Paris, par l’Association des journalistes de défense.

Bouleversement géopolitique. Le monde vient d’entrer dans une logique de puissance remettant en cause l’architecture de sécurité internationale, souligne le CEMM. L’intervention russe en Ukraine ne constitue pas une crise, comme au Proche-Orient, mais un changement profond sur les plans militaire et économique affectant les approvisionnements en pétrole, gaz (russe) et blé (russe et ukrainien). Elle ne se réduit pas à la mer Noire, mais s’inscrit dans un ensemble cohérent du port de Sébastopol (Crimée) à celui de Mourmansk (Nord du cercle polaire arctique). Déployé en Méditerranée orientale en support de la mission OTAN, le groupe aéronaval lance deux patrouilles de chasseurs Rafale et une de l’avion de guet aérien Hawkeye chaque jour. Un Rafale peut effectuer un aller-retour jusqu’en Roumanie en 1h30. Un sous-marin nucléaire d’attaque se trouve en océan Indien et la frégate de surveillance Vendémiaire en mer de Chine. Selon le document Brèves Marines (octobre 2021) du Centre d’études stratégique de la marine, des Etats historiquement maritimes renforcent leurs capacités en sous-marins et navires de surface et de débarquement. Plusieurs puissances émergentes, dont la Turquie, acquièrent des capacités de protection, d’intervention et parfois de projection océanique. En outre, l’Asie rassemble 55 % des sous-marins en service dans le monde, d’abord en Chine, au Japon, en Corée du Sud, en Australie, en Inde et au Pakistan, puis au Viêt Nam, en Birmanie, en Thaïlande et au Bangladesh. Faute de pouvoir mettre en œuvre un porte-avions, des Etats se dotent de bâtiments d’assaut amphibies.

Combat aéromaritime. L’exercice « Polaris 2021 » a permis de renforcer les capacités en combat aéromaritime de haute intensité. Du 18 novembre au 3 décembre 2021 sur les façades méditerranéenne et atlantique, il a mobilisé plus de 6.000 militaires français (130 soldats de l’armée de Terre) et étrangers et, notamment, le porte-avions nucléaire Charles-de Gaulle et le porte-hélicoptères amphibie Tonnerre. « Polaris 21 » a provoqué un changement de la manière de penser, estime le CEMM. Il a mis en œuvre deux forces symétriques, qui ont dû gérer leurs ressources en pétrole et en munitions et innover sur le plan tactique. Les commandants d’unités ont dû utiliser de nouvelles technologies et de nouveaux concepts, afin de surprendre l’adversaire pour conserver leur liberté d’action. Habitué à se préparer à la guerre selon une doctrine et par l’entraînement, le chef d’aujourd’hui doit faire face à l’incertitude, l’imprévu et la vulnérabilité consécutive à une perte de communication par satellite ou un dysfonctionnement du GPS, indispensables aux missiles de croisière. Il s’agit de maintenir le combat au même niveau, mais en mode dégradé, grâce à la résilience globale où chaque opérateur doit pouvoir être remplacé par un autre. Des marins « ambassadeurs internes » expliquent à d’autres marins comment changer de métier en cours de carrière. Sur le plan technique, le drone naval mode hélicoptère, véritable œil déporté, sera expérimenté mi-avril pendant la mission « Jeanne d’Arc 2022 ».

Loïc Salmon

Ukraine : soutiens OTAN et UE, sanctions contre la Russie

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Ukraine : soutiens OTAN et UE, sanctions contre la Russie

Suite à l’attaque de la Russie contre l’Ukraine le 24 février 2022, la France, l’OTAN et l’Union européenne (UE) ont apporté leur soutien à cette dernière, sauf l’envoi de troupes au sol, et pris des sanctions économiques contre la Russie. L’Allemagne a décidé de se réarmer.

La France. Le 28 février, le président de la République, Emmanuel Macron, a demandé aux armées de faire preuve d’une « grande vigilance » et de la « retenue nécessaire lors des possibles interférences ». Il s’agit d’éviter un incident mal maîtrisé et mal interprété. En effet, depuis une décennie, les avions à long rayon d’action, les bâtiments de surface et les sous-marins russes fréquentent les zones d’intérêt français, près du territoire national, en Atlantique, en Méditerranée et en Manche. Depuis l’engagement direct de la Russie dans la guerre civile en Syrie en 2015, les bâtiments et aéronefs français engagés dans l’opération « Chammal » contre Daech en Irak se coordonnent avec les autres unités militaires sur zone pour éviter des situations à risque élevé. En Afrique, des sociétés militaires privées, dont Wagner (russe) que Moscou ne reconnaît pas officiellement, sont présentes en Centrafrique et au Mali, où sont engagées les forces armées françaises. Par ailleurs, selon le ministère des Armées, dès le début du conflit russo-ukrainien, la France a livré à l’Ukraine des casques, gilets pare-balles et appareils de déminage. D’autres équipements à vocation défensive, létaux et non létaux, seront prochainement livrés. Entre 2011 et 2020, la France a conclu avec l’Ukraine des contrats d’armements d’un montant de 124 M€ et incluant 20 patrouilleurs garde-côtes, en service en mer Noire, et des missiles défensifs à très courte portée pour les corvettes ukrainiennes. La France, qui préside le Conseil de l’UE pour le premier semestre 2022, se félicite de la décision de l’UE de financer des équipements militaires pour l’Ukraine jusqu’à 500 M€ (voir plus loin).

L’OTAN. Le 25 février, le président de la République a annoncé le renforcement de la présence militaire de la France sur le flan Est de l’OTAN. Le déploiement, déjà prévu, d’avions de chasse dans les Etats baltes (Estonie, Lettonie et Lituanie) sera accéléré et renforcé à des fins de protection et de défense. Depuis le 24 février, des patrouilles parties de France, assurent la défense aérienne du territoire polonais. Dès la mi-mars, 4 Mirage 2000-5 et une centaine de personnels de l’armée de l’Air et de l’Espace seront déployés en Estonie ainsi que 200 militaires d’un sous-groupement terrestre aux côtés des détachements danois et britannique. En Roumanie, la France va projeter un premier groupement tactique interarmes d’environ 500 militaires, issu du bataillon « Spearhead » de la Force à très haut niveau de réactivité de l’OTAN, actuellement commandée par la France. En effet, le Commandement suprême des forces alliées en Europe a demandé d’y déployer le bataillon «Spearhead ». La France s’est engagée à y tenir le rôle de nation-cadre. Déjà, depuis 2014, à la suite de l’annexion russe de la Crimée, non reconnue par la communauté internationale, les forces armées françaises participent à des missions de réassurance. Dans le cadre de la « présence avancée renforcée », un détachement de 300 militaires, de chars Leclerc et de véhicules blindés de combat d’infanterie, présent en Estonie depuis plus d’un an, est, alternativement, intégré à un bataillon britannique en Estonie et à un bataillon allemand en Lituanie. Dans les Etats baltes, la France contribue régulièrement à la police du ciel avec des avions de chasse, de guet aérien AWACS et de surveillance maritime pour des missions de surveillance et de renseignement. Elle envoie régulièrement des moyens navals en mer Noire, dont la frégate multi-missions Auvergne en janvier 2022. Par ailleurs, elle contribue à la sécurité aux abords de l’Europe par le déploiement du groupe aéronaval en Méditerranée et la participation à l’exercice « Naval 22 » en Norvège. Suite à un dialogue amorcé après l’effondrement de l’URSS en 1991, l’OTAN a accru son soutien au développement de l’Ukraine à partir de 2014 et a renforcé sa présence en mer Noire. Elle a ainsi intensifié sa coopération maritime avec l’Ukraine et la Géorgie, dont les provinces d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud ont proclamé leur indépendance que la Russie a reconnue en 2008. En 2017, le Parlement ukrainien a adopté une loi portant sur l’adhésion à l’OTAN, objectif de politique étrangère et de sécurité inscrit dans la constitution en 2019.

Les sanctions économiques. Selon le Groupe d’études géopolitiques, au 26 février 2022, Biélorussie, Syrie, Birmanie et Venezuela ont soutenu l’intervention russe en Ukraine. Tous les pays occidentaux l’ont condamnée. Le 2 mars, l’assemblée générale de l’ONU a adopté une résolution déplorant « l’agression » de la Russie et exigeant le retrait immédiat de ses forces armées : 141 votes pour ; 5 votes contre (Russie, Biélorussie, Erythrée, Corée du Nord et Syrie) ; 35 abstentions. Le 26 février, selon la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, les pays occidentaux ont décidé d’exclure de nombreuses banques russes, y compris la Banque centrale, de la plateforme interbancaire Swift, pour réduire le financement de la guerre en Ukraine. Swift permet le transit des ordres de paiement entre banques, de transfert de fonds, d’achat et de vente de valeurs mobilières. Selon l’association nationale russe Rosswift, la Russie en est le 2ème utilisateur après les Etats-Unis avec environ 300 banques et institutions, soit plus de la moitié de ses organismes de crédit. Toutefois, Moscou met en œuvre ses propres infrastructures pour les paiements (carte bancaire Mir), la notation (agence Akra) et les transferts (système SPFS). Le Conseil européen a décidé de geler les avoirs du président Vladimir Poutine, du ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov, des membres du Conseil national de sécurité et des députés russes ayant soutenu la reconnaissance des républiques séparatistes de Donetsk et de Louhansk en Ukraine. D’autres sanctions portent sur les finances, l’énergie, les transports, la technologie et les visas. La Suisse, qui a endossé toutes les sanctions prises par l’UE, a gelé les avoirs, estimés à 21,4 Mds$, de riches hommes d’affaires russes. Environ 80 % du négoce de pétrole et de gaz russes se fait en Suisse. Le 2 mars, l’Allemagne a abandonné le projet de gazoduc Nord Stream 2, long de 1.230 km en mer Baltique, la reliant à la Russie et propriété du groupe russe Gazprom.

Les conséquences militaires induites. Le 27 février, Josep Borrell, Haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, a annoncé une aide de 450 M€ à l’Ukraine pour l’achat d’équipements militaires létaux, dont des avions de chasse, et une autre de 50 M€ pour des matériels non létaux. L’Allemagne va livrer 1.000 lance-roquettes et 500 missiles sol-air à l’Ukraine. Elle a augmenté immédiatement son propre budget militaire de 100 Mds€ et l’accroîtra chaque année, afin qu’il dépasse 2 % de son produit intérieur brut. La construction des futurs chars et avions de combat avec les pays de l’UE, dont la France, devient une « priorité absolue », selon le chancelier Olaf Scholtz.

Loïc Salmon

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OTAN : la France a repris toute sa place sur le plan opérationnel

Union européenne : la sécurité et la défense après le « Brexit »




Marine : « Jeanne d’Arc 2022 », océan Indien et golfe de Guinée

Le groupe « Jeanne d’Arc » effectue une mission de cinq mois dans les océans Indien et Atlantique, au profit des officiers-élèves de l’Ecole navale.

Parti de Toulon le 18 février 2022 pour un retour prévu en juillet, il se compose du porte-hélicoptères amphibie Mistral et de la frégate Courbet, qui embarquent 637 marins, dont 159 officiers-élèves, un groupement tactique de l’armée de Terre de 120 militaires et un hélicoptère Dauphin de la flottille 35 F.

Les missions. En fonction du contexte opérationnel national ou international, le chef d’Etat-major des armées peut redéployer le groupe « Jeanne d’Arc » et ses moyens amphibies, terrestres et aériens à tout moment, notamment pour porter assistance aux populations en cas de catastrophes naturelles. Le voyage doit normalement durer 145 jours, dont 108 à la mer, avec neuf escales : Aqaba (Jordanie) ; Djibouti ; Goa (Inde) ; Ile de La Réunion ; Le Cap (Afrique du Sud) ; Douala (Cameroun) ; Libreville (Gabon) ; Fortaleza (Brésil) ; Fort-de-France (Martinique) ; Lisbonne (Portugal). Vecteur de coopération interarmées et interalliés, la mission « Jeanne d’Arc » participe à des manœuvres et exercices navals avec les Marines égyptienne (« Passex »), indienne (« Varuna 22 »), brésilienne et des pays riverains du golfe de Guinée et des Caraïbes. Sont prévus les exercices amphibies « Wakri » à Djibouti et « Papangue 22 » à l’Ile de La Réunion. L’exercice « Imex 2022 », portant sur l’assistance humanitaire, constitue le premier du genre au profit de membres de l’IONS (Symposium des Marines riveraines de l’océan Indien), dont la France a pris la présidence en juin 2021 pour deux ans. En outre, le groupe « Jeanne d’Arc » doit participer à la sécurité maritime en soutien direct à l’opération européenne « Atalante » de lutte contre la piraterie en océan Indien et à la française « Corymbe » dans le golfe de Guinée. Dans le passé, il a participé aux opérations humanitaires après l’ouragan « Irma » (Atlantique Nord, 2017) et le cyclone « Idaï » (Sud-Ouest de l’océan Indien, 2019). En 2020, il a porté assistance aux populations de Mayotte et de La Réunion (Covid-19). En 2021, il a contribué à la lutte contre le narcotrafic dans le Nord de l’océan Indien avec la CTF 150 (8,2 t de stupéfiants saisis).

L’école d’application. Pendant la mission « Jeanne d’Arc 2022 », les officiers-élèves sont formés aux spécialités auxquelles ils pourront prétendre : détecteur ; lutte sous la mer ; aéronautique navale ; commando Marine ; plongeur démineur ; canonnier ; système d’information et de communication ; énergie ; énergie nucléaire. Pour la mission 2022, ils se répartissent ainsi : 80 enseignes de vaisseau de l’Ecole navale ; 52 officiers sous contrat long ; 1 élève issu de l’Ecole polytechnique ; 1 élève française en formation à l’Ecole navale allemande ; 7 officiers-élèves issus d’un cursus Master ; 10 commissaires-élèves des armées d’ancrage Marine ; 37 stagaires du Service de santé des armées, des Affaires maritimes et de l’EDHEC Business School ; 8 officiers-élèves étrangers, venus d’Egypte, du Maroc, des Philippines, de Belgique et des Pays-Bas. Par ailleurs, 30 instructeurs de l’Ecole navale assurent une partie des enseignements dispensés à bord ainsi que le suivi et l’évaluation des élèves. En outre, 16 intervenants civils dispensent, éventuellement en visioconférences, des enseignements complémentaires. Enfin, les équipages du Mistral (230 marins) et de la frégate Courbet (200 marins) partagent leurs savoir-faire et expériences. Le détachement terrestre entretient sa capacité amphibie.

Loïc Salmon

Marine : missions « Clemenceau 2021 » pour le GAN et « Jeanne d’Arc 2021 » pour le GEAOM

Océan Indien : espace de coopération internationale

Afrique : golfe de Guinée, zone de coopération stratégique




Armée de l’Air et de l’Espace : l’Escadron franco-allemand de transport tactique C-130J

Première unité aérienne européenne, l’Escadron franco-allemand de transport tactique (EFATT), hébergé sur la base 105 d’Evreux, disposera de 10 avions C-130J Super Hercules en 2024.

La colonelle Solène Le Floch, commandant la base 105, le lieutenant-colonel français, commandant l’escadron, et son adjoint allemand l’ont présenté à la presse le 3 février 2022.

Besoin capacitaire partagé. L‘accord intergouvernemental d’avril 2017 a débouché sur la création, le 1er septembre 2021, d’une unité binationale de transport tactique en vue de se porter mutuellement assistance en cas de crise et de créer une culture opérationnelle commune, rappelle la colonelle Le Floch. L’EFATT a emménagé en janvier 2022 et accueillera son premier avion allemand en février. La formation des équipages commencera début 2024 avec deux simulateurs, l’un de vol pour les pilotes (deux par avion) et l’autre de soute pour les mécaniciens. Lors de sa pleine capacité opérationnelle en 2024, l’EFATT comptera 5 appareils C-130J-30 et 5 KC-130J (ravitailleurs), Les équipages ayant suivi une formation sur C-13OJ aux Etats-Unis, l’anglais est devenu la langue de travail. Le commandant de l’escadron est français et le commandant adjoint allemand, mais les directions des opérations et de la maintenance tournent. Les équipages sont mixtes pour les missions communes, mais conservent la possibilité du cadre national autonome, chaque partie disposant de sa propre cellule de planification et de conduite. L’EFATT comptera 4 avions français, dont 2 C-130J-30 déjà livrés, et 6 allemands. Le C-130J assure des missions de protection, d’intervention et de soutien logistique : transport et largage de personnel et de fret ; recherche et sauvetage ; évacuation sanitaire ; extraction de personnel en zone de menace ; avitaillement au sol ; pour les KC-130J, ravitaillement en vol d’hélicoptères Caracal (forces spéciales) et d’avions de chasse. Il présente les caractéristiques suivantes : envergure, 40,4 m ; longueur, 34,4 m ; hauteur, 11,8 m ; poids au décollage, 74,4 t ; vitesse 860 km/h ; altitude, presque 11 km. En 2024, la flotte commune (260 militaires, dont 130 Allemands) devra effectuer 6.000 heures de vol par an. En 2021, un avion de l’EFATT, disponible à 83 % à Niamey (Niger) en soutien de l’opération « Barkhane », a transporté 11.533 passagers et 2.640 t de fret et largué 268 t de fret en 1.925 heures de vol. Deux équipes ont été mises en alerte pour préparer une évacuation de 600 personnes de Kaboul (Afghanistan).

Projection et sûreté aériennes. La base 105 abrite des unités opérationnelles (2.100 personnels) et de soutien (350 personnels). Ainsi, la 64ème Escadre de transport met en œuvre des appareils de transport tactique C-160R Transall et CN-235 Casa, de recueil de renseignement C-160 Gabriel et des avions légers de surveillance et de reconnaissance ALSR Vador. L’Escadre aérienne de commandement et de conduite projetable détecte la menace en cas d’événement en métropole. En opération extérieure, elle donne aux forces spéciales et aux forces interarmées la capacité d’entrer en premier sur un théâtre, grâce aux moyens techniques acheminés par avion gros porteur, type Antonov ukrainien ou Galaxy américain : radar ; système C2 Giraffe ; station satellite à haut débit tactique ; radar multi-missions GM200 ; centre opérationnel des services de circulation aérienne déployable ; faisceau hertzien IP. Les effectifs en mission varient de 10 à 60 personnes.

Loïc Salmon

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Armées de l’Air et de Terre : interopérabilité en transport tactique et aérolargage




Marine nationale : « Clemenceau 22 », la TF 473 en Méditerranée

Le déploiement de la Task Force (TF) 473 en Méditerranée (1er février-avril 2022) vise à appuyer l’effort de défense européen et renforcer l’interopérabilité avec les Marines alliées et partenaires.

Le vice-amiral d’escadre Gilles Boidevezi, préfet maritime et commandant de la zone maritime Méditerranée, l’a présenté à la presse le 20 janvier 2022 à Paris.

Outil politique et militaire. La TF (force d’intervention) 473, constituée autour de Groupe aéronaval (GAN), comprend : le porte-avions Charles-de-Gaulle et son groupe aérien embarqué ; les frégates multi-missions Alsace et Normandie ; la frégate de défense aérienne Forbin ; un sous-marin nucléaire d’attaque ; le pétrolier-ravitailleur Marne et son hélicoptère Alouette III (34F). Un avion de patrouille maritime Atlantique 2, basé en Crète ou à Chypre, renforce le dispositif. En outre, plusieurs unités étrangères s’intègrent, totalement ou en partie, au GAN : le destroyer américain Ross ; la frégate espagnole anti-aérienne Juan-de-Borbon ; une frégate et un sous-marin grecs ; un hélicoptère belge de manœuvre et d’assaut NH90. L’état-major du GAN compte aussi trois officiers étrangers (allemand, canadien et italien). Acteur de la crédibilité militaire et stratégique de la France vis-à-vis de ses partenaires et de ses adversaires éventuels, le GAN contribue à sa souveraineté par l’emport, jamais précisé, de la force aéronavale nucléaire. Intégré au dispositif « Chammal », volet français de l’opération américaine « Inherent Resolve » au large de la Syrie, il doit contribuer à la lutte contre Daech en soutien des forces irakiennes au sol. En complément de la participation de l’armée de l’Air et de l’Espace, les missions du GAN portent sur le renseignement, le contrôle aérien, la défense aérienne, l’appui-feu et les frappes contre la terre. La TF 473 doit participer aux opérations européennes « Irini » (respect de l’embargo sur les armes destinées à la Libye) et « Althea » (Adriatique, stabilisation de la Bosnie-Herzégovine) en partenariat avec l’OTAN. Le GAN doit s’entraîner avec les porte-avions américain Harry-Truman et le porte-aéronefs italien Cavour. En outre, ses avions et une frégate française participeront à des exercices communs avec la Marine roumaine en mer Noire, zone de tension entre l’Ukraine et la Russie. Enfin, le Charles-de-Gaulle et l’état-major du GAN répondent aux critères d’interopérabilité avec la Force de réaction rapide de l’OTAN, déployable en cinq jours n’importe où dans le monde pendant trente jours.

Zone sous tensions. Pour l’Union européenne, la Méditerranée constitue un carrefour économique avec 25 % du trafic mondial de fret et 65 % de ses flux énergétiques via, notamment, les gazoducs actifs avec l’Afrique du Nord et en projet avec la Russie et les Proche et Moyen-Orient. Chaque jour, 310 navires franchissent le détroit de Gibraltar et 50 celui du Bosphore. Fréquenté par 60 navires/jour, le canal de Suez assure 12 % du commerce mondial et 30 % du trafic mondial de porte-conteneurs. Outre le conflit israélo-palestinien et les tensions entre l’Algérie et le Maroc, la zone est le théâtre des ambitions des Etats-Unis et de la Russie ainsi que des contentieux entre Etats riverains et puissances régionales, consécutifs aux découvertes gazières en Méditerranée orientale. Une frégate française patrouille près du canal de Suez pour une appréciation autonome de la situation. L’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes Frontex surveille les trafics de stupéfiants du Maroc et de migrants vers l’Espagne, l’Italie et la Grèce.

Loïc Salmon

Marine : missions « Clemenceau 2021 » pour le GAN et « Jeanne d’Arc 2021 » pour le GEAOM

Marine nationale : l’aéronavale, tournée vers les opérations

Marine nationale : mission « Arromanches 3 » du GAN en Méditerranée orientale

 




Union européenne : une diplomatie en progression lente

L’autonomie stratégique de l’Union européenne (UE), prise en compte par ses 27 Etats membres juste après le vote du « Brexit » (2016), n’affecte en rien le lien avec les Etats-Unis. Elle se concrétise par un « partage du fardeau » notamment en Indopacifique et au Sahel.

La diplomatie de l’UE et son action extérieure ont fait l’objet d’un colloque organisé, le 18 octobre 2021 à Paris, par les associations EuroDéfense-France et EUROPE IHEDN, l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) et la Revue Défense nationale. Y sont notamment intervenus : le général de corps d’armée Benoît Durieux, directeur de l’IHEDN ; l’ambassadeur François Laumonier ; l’administrateur général Pierre Mayaudon, ancien ambassadeur de l’UE ; le vice-amiral d’escadre Hervé Bléjean, directeur général de l’état-major de l’UE ; l’ingénieur général de l’armement Jean Fournet, ancien secrétaire général adjoint de l’OTAN.

De l’euroscepticisme au réalisme. En dix ans, l’opinion publique en France a évolué, explique le général Durieux. Elle a pris conscience de la dégradation rapide de l’environnement international, du monde numérique et de l’utilisation de la force dans ce qui est extraterritorial. Des actes terroristes et des trafics en tous genres se produisent sur le territoire de l’UE. La démocratie est contestée et vilipendée. Mais l’UE intervient à l’extérieur en coordination avec l’ONU. Elle dispose de capacités pour agir sur tout le spectre de la menace, à condition d’être claire sur ce qu’elle veut en termes d’indépendances militaire, industrielle et technologique. Elle a un rôle à jouer, quoique le multilatéralisme soit mis à rude épreuve. Cela implique une plus grande convergence dans la formation des élites militaires pour la gestion commune de crise et la résilience. L’UE a institué le Fonds européen de défense, a réalisé des progrès en cybersécurité et a développé des partenariats en diplomatie.

Avancer de façon pragmatique. L’Europe n’est plus le centre du monde et son poids s’est affaibli par rapport aux géants (Etats-Unis et Chine) et aux pays émergents (Moyen-Orient et Asie-Pacifique), rappelle l’ambassadeur Laumonier. L’UE s’est bâtie sur un projet économique, sans idée de souveraineté. Son Haut-représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité doit exercer une diplomatie de compréhension et d’écoute dans le cadre de la PESC (politique étrangère et de sécurité commune, traité de Maastricht 1992). Le Conseil européen (chefs d’Etat et de gouvernement des Etats-membres) travaille et prend les décisions sur le commerce, la finance, la technologie, les normes juridiques et la sécurité. L’UE, dont la voix porte de plus en plus, représente une communauté de valeurs, à savoir respect, dignité, dialogue et absence de régimes autoritaires. Elle est devenue le premier donateur d’aide au développement et remporte des succès technologiques comme le système mondial de positionnement Galileo. Avec la volonté de vivre en paix, elle influence sans contraindre ni chercher à déstabiliser d’autres pays. Les échanges entre universités européennes créent des liens entre chercheurs et scientifiques qui, à leur retour, influencent leur propre pays. Une vision stratégique globale émerge sur une politique de voisinage (Russie) et un partenariat oriental (Asie-Pacifique). Toutefois, il existe des divergences sur les priorités stratégiques entre les pays du Nord de l’UE et ceux du Sud et entre ceux de l’Est et ceux de l’Ouest.

A l’épreuve du terrain. Par le traité de Lisbonne (2009), le délégué diplomatique de l’UE a été élevé au rang d’ambassadeur, rappelle Pierre Mayaudon qui l’a été en Afghanistan de 2017 à 2020. L’UE est alors perçue comme acteur de premier plan, en ce qui concerne la peine de mort ou les droits de l’homme. Son action en matière d’actions humanitaires et de recherche se monte à 90 Mds€ sur 7 ans, soit dix fois celle de la France dans un pays donné. Cela crée une influence qu’illustre sa participation à une cinquantaine de missions d’observateurs des processus électoraux. Par ailleurs, l’accès d’un pays tiers au marché européen sans droit de douane constitue un élément fort de l’action bilatérale de l’UE. Toutefois, la création d’un lien entre aide au développement et influence politique se heurte à la fierté de la souveraineté du pays bénéficiaire, qui risque de s’adresser…à la Chine ! Il s’agit de trouver un équilibre entre devoir d’assistance et réalisme commercial.

Opérations, la paix comme objectif. Bras armé du Conseil européen, l’état-major de l’UE constitue son seul organisme militaire, indique l’amiral Bléjean. Ses 200 membres travaillent au profit du Service (diplomatique) européen pour l’action extérieure et font bénéficier la Commission européenne de leurs expertises. L’état-major inclut une direction des capacités et de la planification, à laquelle la Grande-Bretagne s’opposait systématiquement jusqu’au « Brexit ». Depuis 2017, il connaît un nouvel élan avec la génération de forces militaires de l’UE pour répondre à une situation de crise, à la demande d’Etats qui ne veulent pas d’une relation avec un seul pays. Des missions de formation et de protection ont ainsi été envoyées dans quatre pays : Centrafrique, avec la participation de 8 Etats membres atteinte à 80 % ; Somalie, 5 Etats membres, 70 % ; Mozambique, 12 Etats membres, 70 % ; Mali, 25 Etats membres, 95 %. Au Mali, l’environnement politique et sécuritaire est rendu compliqué par deux coups d’Etat militaires en 2020 et 2021 (la force d’intervention européenne « Takuba » monte en puissance). La force de l’UE, limitée à 60 personnes pourrait être renforcée par 90 militaires en cas d’opération. Les investissements militaires de l’UE sont financés par le Fonds européen de défense pour 7 Mds€ en 2021…con2re 0 € en 2018 ! Un document intitulé « Boussole stratégique », en cours d’élaboration par les services de renseignement des 27 Etats membres, sera publié en mars 2022. Il porte sur l’évaluation des menaces étatiques, hybrides et environnementales.

Utiliser la « para-diplomatie ». Vers la fin de la guerre froide (1947-1991), les scientifiques de l’URSS et des pays de l’OTAN s’entretenaient, de façon informelle, des questions d’environnement et d’influence, indique l’ingénieur général Fournet. Aujourd’hui, militaires en opérations, ingénieurs de l’armement, scientifiques et journalistes parlent de sujets d’intérêt commun avec leurs homologues étrangers. Leur expérience de terrain pourrait être utilisée comme celle des expatriés et des retraités résidant à l’étranger. Cette multiplicité des acteurs pourrait travailler en concertation et coordination. Elle constitue un réseau de confiance, à réaliser dans la durée, et qui devrait s’accompagner d’un suivi des carrières des expatriés pour valoriser leurs compétences à leur retour. Jean Fournet donne quelques conseils à ces « para-diplomates » : apprendre l’histoire des peuples des pays de résidence ; se méfier des « faux amis » linguistiques ; éviter l’humour, qui ne se partage pas ; ne pas chercher à convaincre, mais plutôt écouter et proposer ensuite. Selon lui, l’UE ne sait pas communiquer sur ses succès ni mettre en valeur ses aides, pour les transformer en avantages politiques.

Loïc Salmon

Union européenne : la sécurité et la défense après le « Brexit »

Europe : l’autonomie stratégique, réflexion et construction d’une capacité

Europe : dynamique de défense et coopération en Centrafrique