Recours à l’espace, technologie de pointe, interopérabilité et combat collaboratif constituent les objectifs des Marines. Pour éviter toute surprise stratégique, Chine, Russie, Iran et Syrie misent sur l’interdiction maritime de zones.
Ces thèmes ont été abordés au cours d’un colloque organisé, le 17 octobre 2022 à Paris, par la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) et la Sogena (Société d’organisation et de gestion d’événements navals dont le salon Euronaval à Paris). Sont notamment intervenus : Philippe Gros, maître de recherche à la FRS ; Xavier Mesnet, directeur du segment naval chez Thales ; Didier Alary, consultant et chercheur à la Chaire Sirius (droit et management du secteur spatial).
L’espace. Les constellations de satellites, reliées entre elles et aux centres de contrôle terrestres, permettent de mener une guerre avec une très forte élongation en temps réel, souligne Didier Alary. Elles intègrent la géolocalisation par ondes radio fréquences et la liaison tactique 16 de l’OTAN et peuvent envoyer des données ISR en une minute. A partir de cinq satellites connectés, il est possible de repérer un navire qui n’a pas allumé son système d’identification automatique AIS, pourtant obligatoire depuis 2007. Cryptables, les communications spatiales par laser restent difficiles à intercepter.
L’interdiction maritime. Les opérations navales prennent en compte les dimensions multi-milieux et multi-champs, explique Philippe Gros. L’interopérabilité des différentes unités navales est rendue difficile par l’hétérogénéité de la planification et de la mise en œuvre des moyens. La connectivité pourrait être améliorée sur le plan technique, mais l’écart culturel et cognitif persiste entre les personnels des différents domaines. Sur le plan stratégique au niveau international, il s’agit de faire converger les futurs « clouds de combat » (mise en réseau, facteur de la supériorité informationnelle et décisionnelle), tout en préservant sa propre base industrielle et technologique de défense. Le partage d’informations reste hautement sensible dans les opérations cyber. L’échelle du temps varie selon les opérations, de la conception à la planification et la conduite. Ainsi dans le cyber, une action défensive vise un effet immédiat, mais une action offensive recherche un effet différé pour exercer une influence. Une manœuvre navale ou terrestre dure des heures, des jours ou des semaines, mais une manœuvre aérienne des heures ou des jours. Si les contre-mesures électroniques durent de quelques minutes à plusieurs semaines, les tirs de missiles surface-surface, air-surface ou surface-air se limitent à la minute. Toutefois, un consensus se dégage sur les procédures et méthodes pour rechercher des effets conjoints et réorganiser le C2 (commandement et conduite). Cela implique d’améliorer la préparation opérationnelle commune et la planification des opérations interarmées.
La Chine. Selon Philippe Gros, la stratégie navale chinoise a évolué vers la défense au large, puis les opérations en haute mer, le contrôle de la mer de Chine et de la mer Jaune et le déni d’accès à la mer des Philippines et au-delà. Depuis 2015, elle y ajoute la protection des mers lointaines par des missions de projection à moyen terme. En cas de conflit, tous les domaines seront mis en œuvre pour des opérations de déni d’accès naval à longue distance. D’énormes moyens ISTAR (renseignement, surveillance, ciblage et reconnaissance) cibleront les unités américaines et alliées sur terre (radars transhorizon), dans les airs (avions de patrouille maritime et drones) et dans l’espace (imagerie et constellations de satellites militaires Yaogan). Les missiles balistiques antinavires MRBM DF-21D seront tirés de la terre. Le déni d’accès aérien sera assuré par les bombardiers H-6K/G, chasseurs bombardiers Flanker/JH-7 équipés de missiles supersoniques antinavires YJ-12 (portée jusqu’à 400 km), subsoniques LP YJ-100 (800 km) et peut-être hypersoniques CH-AS X-13 (4.500 km). L’action sous la mer serait réalisée par les sous-marins à propulsion diesel-électrique et quelques sous-marins nucléaires d’attaque équipés de missiles supersoniques YJ-18 ASCM. Les bâtiments de surface seraient réservés au contrôle de la mer de Chine et aux opérations autour de Taïwan. Les porte-avions, les destroyers de la classe 052D et les croiseurs « tueurs de porte-avions » 055 permettraient une projection de puissance. La coordination de l’ensemble nécessite une importante préparation opérationnelle commune.
La Russie. La fortification du littoral jusqu’à 1.000 km au large et le déni d’accès des approches maritimes se trouvent au cœur de la stratégie navale russe, explique Philippe Gros. Il s’agit de protéger les bases de la Force océanique stratégique dans le Nord et le Pacifique et de soutenir les engagements en mer Noire et en Méditerranée. L’aviation navale ou les forces aérospatiales (créées en 2015) assurent en priorité le déni d’accès. La défense côtière repose sur des flottilles de corvettes et frégates et des missiles antinavires basés à terre. Toutefois, la Russie n’a pas développé de capacités de ciblage au-delà de 500 km. La guerre en Ukraine a entraîné un usage intensif de missiles, dont les stocks se reconstituent mal en raison des sanctions occidentales qui affectent l’industrie de défense russe. Par ailleurs, la mer Noire joue un rôle crucial dans le conflit : contrôle naval par la Russie ; défense aérienne du flanc Sud-Ouest du théâtre ; missiles Kalibr, tirés de navires de surface ou de sous-marins sur le territoire ukrainien ; menace d’une opération amphibie russe contre le port ukrainien d’Odessa. La flotte côtière ukrainienne a été anéantie. Mais la force navale russe a subi des revers : croiseur Moskva coulé ; 3 à 7 navires amphibies détruits ou endommagés ; 5 patrouilleurs coulés. Ces pertes sont dues aux drones ukrainiens armés TB2 et aux tirs d’artillerie depuis le territoire ukrainien.
L’Iran. Selon Philippe Gros, les moyens navals iraniens se répartissent entre la Marine conventionnelle et la Garde côtière du Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI). Il s’ensuit un grave déséquilibre face à la supériorité des flottes conventionnelles américaine et alliées présentes. La stratégie du CGRI porte sur la dissuasion par l’interdiction maritime via la guerre hybride jusqu’à l’engagement de haute intensité, avec des sous-marins de poche, des dizaines de bateaux rapides équipés de missiles et des centaines d’embarcations rapides légèrement armées. En outre, le CGRI dispose de forces aérospatiales équipées de missiles antinavires, de moyens ISR (renseignement, surveillance et reconnaissance), de drones armés, de munitions rôdeuses (drones suicides) jusqu’à quelques centaines de km et de lance-roquettes multiples à courte portée Exercices et infrastructures durcies et enterrées complètent le dispositif.
La Syrie. La Méditerranée, zone instable, se trouve sous la menace probable de « l’arc de résistance chiite », dirigé par l’Iran et la Syrie, et éventuellement d’autres puissances régionales, indique Philippe Gros. Moyens ISR, drones armés et missiles antinavires constituent une ligne de défense de plusieurs centaines de km, suffisante pour gêner une opération amphibie. Plus tard, la menace sera accrue par diverses proliférations : moyens de saturation des systèmes de missiles terrestres ; liaisons satellitaires commerciales de plus longue portée ; missiles hypervéloces ; nouveaux missiles antinavires. Enfin, d’autres pays de la région pourraient étendre un déni d’accès à plus de 1.000 km avec des moyens aériens.
Loïc Salmon
Le combat naval collaboratif implique le développement des drones armés et des armes à énergie dirigée, indique Xavier Mesnet. Il nécessite aussi la sécurisation du drone (cyberattaques) et de la transmission des bonnes informations qui doivent arriver au commandement au bon moment (capacité de calcul). Dans la lutte anti-sous-marine, la miniaturisation des sonars immergés à grande profondeur, réalisée grâce à la technologie quantique, réduit leur consommation d’énergie.
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