L’Union européenne (UE), réduite à 27 Etats membres, élabore une stratégie portant sur la réponse aux conflits et crises externes, le renforcement de ses capacités militaires et la protection de son territoire et de sa population.
L’équipe « B2 » (cinq auteurs) l’explique dans l’ouvrage intitulé « La boîte à outils de la défense européenne Nouveautés 2020-2021 », publié à Bruxelles aux éditions du Villard en mai 2021.
Les risques et menaces. La Russie multiplie les actes d’intimidation contre l’UE. Ont été attribués à ses services de renseignement : la cyberattaque contre le Bundestag (Parlement fédéral) allemand en 2015 ; l’agression chimique en mars 2018 contre l’ancien agent russe Sergueï Skripal, réfugié en Grande-Bretagne ; des explosions dans des entrepôts en République tchèque en 2014 ; l’accueil hostile, le 3 février 2021 à Moscou, réservé au Haut représentant de l’UE venu plaider la libération de l’opposant Alexeï Navalny. Depuis 2019, la Turquie se confronte aux pays européens. En Méditerranée orientale, elle effectue des forages d’hydrocarbures dans les zones maritimes considérées comme chypriotes ou grecques. Elle a conclu un accord avec la Libye sur une zone économique exclusive empiétant sur celles de l’Italie, de Chypre et de la Grèce. Elle en conclu un second de nature militaire avec l’envoi de soldats et de matériels. Lors de la guerre dans le Haut-Karabagh (27 septembre-10 novembre 2020), elle a soutenu l’Azerbaïdjan par l’envoi d’hommes et de matériels. Elle maintient une présence en Somalie et dans les Balkans. La Chine est perçue par l’UE comme rivale, partenaire et concurrente, qui affiche sa souveraineté très au-delà de son environnement proche. Elle intervient jusqu’en Europe par le développement des « Nouvelles routes de la Soie », l’acquisition de biens économiques souverains ou sa « diplomatie des vaccins ». Outre le terrorisme interne ou externe, les Etats membres de l’UE font l’objet de tentatives de déstabilisation par des groupuscules militarisés ou des mouvements séparatistes, notamment en Espagne (Catalogne et Pays basque). D’anciennes menaces réapparaissent : armes chimiques ou bactériologiques ; espionnage politique ou industriel ; pressions sur les approvisionnements en énergie. Conséquences des technologies émergentes, de nouvelles menaces surgissent, à savoir la désinformation, l’ingérence électorale et les cyberattaques.
L’analyse géopolitique et spatiale. Depuis novembre 2020, la menace est évaluée par le Centre unique d’analyse du renseignement (SIAC, sigle anglais), qui regroupe le centre de renseignement militaire de l’Etat-major de l’UE et le centre de situation et de renseignement du Service européen pour l’action extérieure (SEAE), placé sous l’autorité du Haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité. Le SIAC reçoit des informations des services de renseignement civils ou militaires des Etats membres. L’UE dispose du Centre satellitaire de Torrejon (Espagne) pour le renseignement géo-spatial destiné aussi aux Etats membres et à des organisations internationales. Ainsi, lors du conflit dans l’ex-Yougoslavie (1991-2002), ce centre a adressé des cartes au Comité international de la Croix-Rouge. Il a fourni certaines analyses sur le Darfour à la Cour pénale internationale et d’autres à la mission de l’ONU en Libye. Il a confirmé l’existence de dépôts de munitions en Syrie, les déplacements de matériels le long de la frontière ukrainienne et les camps de prisonniers ouïgours dans le Xinjiang chinois. Par ailleurs, le centre de Torrejon évalue les risques de collision entre engins spatiaux et lance des alertes d’évitement. Il calcule les trajectoires d’objets artificiels lors de leur rentrée incontrôlée dans l’atmosphère. Il détecte et caractérise les fragmentations d’orbite. Enfin, l’UE dispose, à Bruxelles, du Collège européen de sécurité et de défense, dont le budget est passé de 500.000 € en 2013 à 2,06 M€ en 2021. Ce collège forme les personnels permanents du SEAE et ceux envoyés dans les missions de la Politique de sécurité et de défense commune (PSDC) ou du SEAE, avec renforcement des formations pour les missions civiles et le domaine du cyber.
Une BITD européenne. L’UE dispose de moyens militaires nombreux, mais disparates et à différents niveaux de modernisation et d’interopérabilité. Ainsi, elle compte : 1.700 avions de combat de 16 types différents ; 380 hélicoptères d’attaque de 5 types ; 4.200 chars de 12 types, contre un seul aux Etats-Unis ; 120 navires de surface de 33 types (4 aux Etats-Unis). Le développement d’une base industrielle et technologique de défense (BITD) commune a nécessité l’instauration d’un fonds européen de défense (FED) pour la mise au point de nouvelles capacités de défense, mais pas leur acquisition…qui reste à la charge des budgets des Etats membres ! Adopté par le Parlement européen le 29 avril 2021, le FED se monte à 8 Mds pour la période 2021-2027, contre 0 € pour l’industrie de défense en 2014. L’enveloppe se répartit entre 2,7 Mds€ pour la recherche et la technologie et 5,3 Mds€ pour la recherche et le développement. La coopération en matière d’armement porte sur six domaines prioritaires : char de combat ; patrouilleurs de haute mer ; équipement individuel des fantassins ; lutte contre les drones et dénis d’accès ; défense spatiale ; mobilités aérienne et maritime ; installations logistiques ; résilience des systèmes informatiques.
Les conséquences du « Brexit ». Depuis l’entrée en vigueur du « Brexit » le 1er février 2020, l’UE a perdu 66 millions d’habitants et un important partenaire économique et financier, doté d’un vaste réseau diplomatique et membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU. Toutefois, pendant des années, la Grande-Bretagne a limité sa contribution aux missions et opérations de la PSDC au strict minimum. Son départ élimine une possibilité de blocage de la PSDC. La politique étrangère, la sécurité extérieure et la coopération en matière de défense ne sont pas couvertes par l’accord avec l’UE. Depuis le 1er janvier 2021, il n’y a plus de cadre formel pour coordonner les « listes noires » individuelles (gel des avoirs0) ou les mesures d’embargo économique contre des pays tiers. La Grande-Bretagne ne peut plus participer aux missions et opérations de la PSDC ni aux structures de commandement de l’UE. Elle ne bénéficie plus des accords internationaux négociés par l’UE, dont ceux sur le transfert de pirates. Elle peut participer aux programmes européens de surveillance de la terre (Copernicus) et de surveillance par satellite (EU satellite surveillance & tracking). Mais elle n’a plus accès au signal crypté réservé à la sphère gouvernementale du système Galileo de positionnement par satellites. Considérée comme un pays tiers, elle ne peut plus participer aux efforts d’intégration de la défense et de développement des capacités. Elle ne participe plus aux réunions des ministres de la Défense ni à l’élaboration de la politique de défense européenne. Elle peut être associée à certains projets, sur décision au cas par cas. Enfin, elle reste étroitement associée à l’Agence européenne de cybersécurité.
Loïc Salmon
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