Armée de l’Air : anticiper et avoir un coup d’avance

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L’opération « Serval » au Mali a combiné puissance aérienne et action terrestre. Bien entraînée, l’armée de l’Air y a démontré ses capacités d’intervention immédiate,  mais aussi de contrôle et commandement ainsi que de renseignement, surveillance et reconnaissance.

L’action de l’armée de l’Air a fait l’objet d’un colloque organisé, le 12 juin 2013  à Paris, par le Centre d’études stratégiques aérospatiales. Parmi les intervenants figurent : Etienne de Durand, directeur du Centre de sécurité de l’Institut français des relations internationales ; le général de brigade aérienne Jean-Jacques Borel, commandant des opérations aériennes de l’opération « Serval » au Mali ; le général de corps aérien Patrick Charaix, commandant des Forces aériennes stratégiques ; un lieutenant-colonel dont le nom n’a pas été divulgué, pilote de Rafale engagé lors de l’opération Serval.

Instrument de puissance. Depuis plus vingt ans, l’arme aérienne assure une marge de victoire considérable dans la gestion de crises : guerre du Golfe en 1991 ; interventions de l’OTAN au Kosovo (1999) et en Afghanistan (2001) celles des Etats-Unis et de leurs alliés en Irak (2003) ; celles de la France avec la Grande-Bretagne en Libye (2011) et seule au Mali (2013). Pendant cette période, sont apparus une plus grande précision des frappes, les drones et des capteurs de renseignement beaucoup plus performants. Etienne de Durand met en garde contre : le désinvestissement dans la capacité aérienne en raison du risque de sous-dimensionnement par rapport aux besoins nationaux et à l’adversaire potentiel ; l’habitude à la dissymétrie  par rapport aux moyens aériens adverses dans les conflits récents ; la prolifération des systèmes sol/air. « Nous n’envisageons plus de perdre des pilotes et même des avions ». Selon lui, l’enjeu pour la France est de conserver sa supériorité aérienne en 2020, en  raison de la diminution de l’implication militaire des Etats-Unis et de l’effondrement de la capacité aérienne en Europe. Les conditions d’emploi de l’armée de l’Air varient selon les théâtres où la France s’est engagée, explique le général Borel. En Afghanistan, beaucoup d’avions alliés ont été déployés en appui des troupes au combat au sol et pour ravitailler les bases avancées. Peu d’avions français se trouvaient sur place. En Libye, campagne initiée par la France et la Grande-Bretagne rejointes par une coalition, de nombreux avions français ont effectué des frappes de sécurisation du théâtre sur des objectifs fixes (bases arrière et dépôts de munitions) et au plus près du terrain. Au Mali, opération lancée par la France, la composante aérienne a commencé dès le début et durera jusqu’à la fin. Pour la première fois depuis longtemps, l’armée de l’Air, qui n’avait pas d’adversaire aérien, a mis toutes ses capacités en œuvre et sous commandement uniquement national : attaques dans la profondeur, soutien et appui feu rapproché. La première mission a consisté à arrêter la progression des colonnes djihadistes sur Bamako, en coordination avec les forces spéciales au sol. Pour la seconde, des chasseurs partis de métropole ont frappé les points de ravitaillement et les centres d’écoute de l’adversaire pour le déstabiliser, l’obliger à se replier vers le Nord et réduire sa capacité à se mouvoir et à commander. La complémentarité des capteurs et la fusion des renseignements servent à écouter, identifier et localiser pour déterminer les objectifs. Des frappes quasi simultanées (en moins de deux minutes) ont fait bénéficier les troupes au sol de l’effet de surprise. D’autres ont verrouillé les axes d’exfiltration (petites vallées) vers les pays voisins. Les vols peuvent durer 7-8 h avec plusieurs ravitaillements en vol. La structure du commandement opérationnel (organisation et préparation des vols) a été bâtie en dix jours. Un « corpus documentaire », rédigé en anglais selon le modèle OTAN, précise les communications à utiliser et permet d’intégrer rapidement les moyens alliés de transport et de ravitaillement en vol. La logistique, compliquée, nécessite des vols de plusieurs milliers de km à travers l’Afrique, avec 40 % de missions de nuit, pour délivrer 20 t/jour d’eau et de nourriture aux troupes au sol. S’y ajoutent la construction d’infrastructures de combat et l’entretien des pistes, conditions indispensables pour durer sur zone. Selon le général Borel, le rayon d’action (6.400 km) du futur avion tactique A-400 M aurait permis d’éviter le relais à Bamako des C-160 Transall (5.500 km).

Emploi dual. Le concept d’emploi de la Force aérienne stratégique (FAS) a évolué avec ses avions, indique le général Charaix. Le Mirage IV, avion dédié à la dissuasion et qui volait à Mach 2 avec une escorte, a été remplacé en 2008 par le Rafale, capable d’effectuer aussi des missions conventionnelles. Ainsi, la FAS a « prêté » des Rafale, qui ont réalisé 30 % des frappes en Libye, et des Mirage 2000 N de pénétration à très basse altitude qui ont effectué 50 % des missions de reconnaissance au Mali. Les avions ravitailleurs C-135, autrefois réservés à la FAS, ne lui consacrent plus que 5 % de leur activité. En Libye, ils ont réalisé 7 % des ravitaillements en vol et, au Mali, 87 % des ravitaillements en vol… et 100 % des pleins d’essence des camions-citernes !  La crédibilité de la FAS garantit à la France sa capacité d’entrer en premier sur un théâtre, souligne le général Chaix. La FAS, ayant acquis de nouvelles têtes nucléaires en 2010, modifie son processus de montée en puissance et donne la priorité au remplacement des vieux C-135 par des ravitailleurs multirôles A330 MRTT.

Frapper fort, loin et vite. L’intervention au Mali est décidée le vendredi 11 janvier. A 20 h à la base aérienne de Saint-Dizier, un chef de patrouille de Rafale reçoit l’ordre de préparer une mission de bombardement sur Gao à 4.000 km de là (6 h de vol) avec atterrissage le dimanche à N’Djamena, 2.000 km plus loin. Le samedi à 4 h du matin, quatre Rafale, chargés de 24 munitions de 250 kg guidées par GPS ou laser, décollent de Saint-Dizier, puis sont rejoints par trois C-135. En cours de route, ils sont informés de trois changements d’objectifs, dont le dernier 1 h 30 avant la frappe. Ils larguent 19 bombes sur 19 objectifs avec succès. Il faut rester le moins longtemps possible dans la zone visée, souligne le pilote, et s’assurer de bien identifier les objectifs, de limiter au maximum les dommages collatéraux et de respecter l’ordre des priorités. Chaque Rafale peut traiter six objectifs différents.

Loïc Salmon

Armée de l’Air, deux mois d’opérations en Libye

Opérations aériennes : la cohérence, clé du succès

L’armée de l’Air a tiré cinq enseignements majeurs de l’opération « Serval » : cohérence des structures de commandement et de conduite des opérations aériennes ; appréciation autonome de la situation ; réactivité, grâce à la capacité d’agir à partir de ses bases en France ou pré-positionnées ; projection de puissance par le ravitaillement en vol et le transport stratégique et tactique ; pour le personnel, importance de la formation (acquisition de nouvelles capacités) et de l’entraînement (maintien de ces capacités). Bientôt, la formation et l’entraînement s’effectueront en cours d’opérations.

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