La prolifération incontrôlée des armes à feu de petit calibre accroît la violence, déstabilise les États fragiles et freine leur développement. La lutte contre ces trafics nécessite une coordination mondiale.
Ce thème a fait l’objet d’un colloque organisé, le15 mai 2023 à Paris, par l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire et la Direction générale des relations internationales et de la stratégie du ministère des Armées. Y sont notamment intervenus : Julien Joly, programme « Small Arms Survey » (Enquête sur les armes légères) de l’Institut de hautes études internationales et du développement de Genève ; Leonardo Lara Villarroel, Office des nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) ; Anna Mensah, Institut de recherche des nations unies pour le désarmement (UNIDIR) ; Juan Belikov et Aldan Serikbay, Bureau des nations unies pour la lutte contre le terrorisme (ONUCT).
Fabrications illicites. Selon Leonardo Lara Villarroel, environ 550.000 armes à feu de petit calibre ont été saisies dans le monde en 2016 et en 2017. Près de 90 % d’entre elles ont été fabriqués de façon industrielle, mais seulement 85 % étaient correctement marquées. Les fabrications illicites concernent les armes artisanales, celles constituées après assemblage de leurs diverses pièces et les armes réactivées, transformées ou modifiées notamment au moyen de l’impression en trois dimensions. D’après l’ONUDC, les saisies d’armes transformées ont eu lieu en Grande-Bretagne, Suède, Azerbaïdjan, Ukraine, Moldavie et au Danemark. Celles d’armes assemblées se sont produites en Lituanie, Moldavie, Ukraine, Azerbaïdjan et aux Philippines. Celles d’armes réactivées ont eu lieu en Tunisie, Grande-Bretagne, Norvège et Lituanie. Les armes modifiées ont été saisies en Grande-Bretagne, Moldavie, Slovaquie, Lituanie et au Portugal. Enfin, les armes artisanales proviennent du Népal, des Philippines, du Burkina Faso, de Centrafrique, d’Algérie et de la Jamaïque. Au Sahel, les groupes terroristes s’approvisionnent surtout en armes fabriquées industriellement, tandis que les milices paramilitaires et les chasseurs préfèrent les armes artisanales.
Engins explosifs improvisés. Selon Julien Joly, le « Small Arms Survey » a répertorié plus de 2.200 incidents relatifs aux engins explosifs improvisés (EEI) entre 2014 et 2022 avec leurs type, date, lieu, auteurs et cibles. Les EEI sont fabriqués à partir de munitions explosives volées dans des entrepôts militaires, d’explosifs extraits de munitions, d’explosifs en vente dans le commerce à des fins civiles, d’engrais et d’accessoires divers. Ils peuvent être déclenchés par la victime, radiocommandés, placés dans des véhicules en cas d’attaques suicides, activés par fil, activés à distance puis déclenchés par les victimes ou portés par des personnes. Une étude de cas réalisée entre 2019 et 2022 identifie le Burkina Faso, le Cameroun, la Côte d’Ivoire, le Mali et le Niger comme directement concernés ainsi que le Bénin et la Guinée comme pays de transit. Les composants font l’objet de trafics divers : détournement de produits importés légalement ; détournement de produits pendant le transport ; détournement sur le site de l’utilisateur final officiel ; utilisation illicite de produits à double usage importés légalement ; prise de matériels militaires sur le champ de bataille. Le cycle de vie des munitions s’étend de la planification d’acquisition des composants et leur approvisionnement à la gestion de leurs stocks et leur élimination quand elles sont périmées. Le programme « Small Arms Survey » a publié un guide pratique sur la sécurisation des stocks. Il recommande le contrôle de l’achat et de la distribution des composants commerciaux, la surveillance de leurs acheteurs (entreprises ou individus), l’acquisition d’équipements pour le suivi et la traçabilité des munitions, la sensibilisation des personnels et leur formation.
Transferts et stockages. Anna Mensah explique que les détournements d’armes légères et de produits connexes se produisent au niveau du fabricant, pendant le transfert, dans les stocks publics ou privés, pendant leur utilisation active ou leur déploiement. Ils résultent aussi de l’absence de régularisation et de lacunes dans les contrôles nationaux ou lors de mouvements transfrontaliers non autorisés. Ces détournements sont effectués par des personnes privées, des groupes armés non étatiques ou même…des agents de l’État ! Ils résultent notamment des faiblesses et défaillances institutionnelles de l’État concerné, de trafics illicites, de la mise en œuvre de moyens techniques et de stratagèmes pour tromper les autorités publiques. L’UNIDIR évalue les risques de détournement grâce à ses réseaux d’information. Ainsi, les agences de renseignements gouvernementales identifient les personnes physiques ou morales soupçonnées d’être impliquées dans des trafics d’armes, analysent les tendances internationales des marchés illicites, repèrent les pratiques de corruption à l’étranger et les produits recherchés par les États sous embargo, et enfin pistent les organisations terroristes et les réseaux criminels. Les missions diplomatiques, les douanes et la police effectuent des contrôles sur les entités impliquées dans les transferts d’armes légères et sur les documents fournis à l’appui d’une demande d’autorisation d’exportation ou d’un autre type de transfert. S’y ajoutent les rapports des groupes d’experts de l’ONU sur la mise en œuvre des embargos sur les armes, ceux d’organisations non-gouvernementales crédibles, les annuaires commerciaux et ceux en ligne qui communiquent des informations précises et objectives. En outre, l’UNIDIR a développé une grille d’analyse du détournement des armes conventionnelles, de leurs munitions et de leurs pièces et composants, dans le cadre du Traité sur le commerce des armes, signé par 130 États et entré en vigueur fin 2014.
Post-conflit et terrorisme. Aux 850 millions d’armes légères de petit calibre hors des mains de l’État (voir encadré), s’ajoutent plus de 2 milliards d’armes non enregistrées selon l’ONUCT. Juan Belikov souligne les difficultés pour les retrouver et les collecter après les conflits. Or, ces armes jouent un rôle majeur dans la violence résiduelle, à savoir vengeance, récupération de biens perdus, improbabilité du retour à la paix, difficultés pour les combattants ordinaires de s’intégrer à la vie civile, effondrement de l’économie, contestation de territoires et nécessité de l’auto-défense en l’absence de l’autorité de l’État. Dans ce contexte, ces armes constituent des sources importantes d’échanges et de revenus. L’ONUCT manque de compétences spécialisées pour mener des enquêtes complexes sur les trafics d’armes à feu et le terrorisme. S’y ajoutent : l’absence d’enregistrement et de traçage systématiques des armes ; l’insuffisance d’échanges d’informations et de coordination entre les diverses agences ; le manque de bases de données sur les armes, les acteurs des trafics, les routes et les modes opératoires. De son côté, Aldan Serikbay précise que les groupes terroristes tentent d’acquérir et d’utiliser des matériaux létaux chimiques, biologiques, radiologiques et nucléaires, des armes légères, des engins explosifs improvisés et des drones. Depuis février 2021, environ 1.600 personnels militaires ont suivi des formations à la lutte contre le-terrorisme en Australie, Irak, Jordanie, Turquie, Malaisie, au Kenya, au Nigéria et aux Philippines.
Loïc Salmon
Le programme « Small Arms Survey » de l’Institut de hautes études internationales et du développement de Genèveévalue le nombre d’armes à feu légères à environ un 1,013 milliard dans le monde en 2017. La répartition s’établit à 13 % (133 millions) des armes détenues par les forces armées, 2 % (22,7 millions) par les forces de sécurité et 85 % (857 millions) par les populations civiles. Parmi ces dernières, 2,3 à 4,7 millions d’armes appartiennent à des entreprises privées de sécurité, 2 à 10 millions à des organisations criminelles et 2,1 à 2,8 millions à des groupes armés non-étatiques.
Trafics d’armes : fin de crise, embargos, désarmement et consolidation de la paix
Trafics d’armes légères : comment les contrer
Trafics d’armes : les Balkans, fournisseurs du terrorisme international et du crime organisé