Trafics d’armes légères : comment les contrer

image_print

La construction des capacités étatiques de lutte contre les trafics d’armes légères et de petit calibre (ALPC), à destination des mouvements terroristes, nécessite une coordination entre experts et institutions internationales en matière de marquage et de traçage.

Ce thème a été traité lors d’un colloque organisé, le 31 janvier 2018 à Paris, par la Direction générale des relations internationales et de la stratégie du ministère des Armées, le Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité et l’Institut de relations internationales et stratégiques. Y sont notamment intervenus : Thierry Jacobs, entreprise belge d’armement FN Herstal ; Claudio Gramizi, organisation « Conflict Armament Research » ; Johan Drugmand, police judiciaire belge.

Marquage industriel. Le fabricant de l’ALPC, qui en effectue le premier marquage (numéro de série), constitue le premier intervenant dans son traçage, souligne Thierry Jacobs. La firme FM Herstal conserve les fiches techniques de ses produits depuis 1889, numérisées depuis 1993. Elle reçoit 350 demandes de traçage par an, dont 90 % d’autorités judiciaires et 10 % de l’ONU. Elle donne l’information dans 100 % cas, si l’arme a moins de 25 ans, et dans 95 % des cas selon l’exactitude du numéro de série des armes plus anciennes. Elle connaît les caractéristiques des ALPC et de leurs marchés, différents pour les armes civiles ou militaires. Un même modèle d’ALPC militaire, d’une durée de vie supérieure à 30 ans, peut être fabriqué par plusieurs entreprises, qui lui conservent son interopérabilité. Le marquage repose sur les normes définies par l’ONU et l’Union européenne : numéro de série ; nom du fabricant ; pays d’origine ; calibre et année de fabrication si possible. Le marquage reste unique, difficile à effacer ou falsifier et facile à mettre en œuvre à grande échelle, sur différents types d’armes à feu, et à lire dans n’importe quelle condition. Une confusion peut se produire quand le numéro de série de l’arme diffère de celui de la pièce de rechange provenant d’un autre fabricant. En conséquence, le numéro authentique de série, accompagné d’un signe distinctif au poinçon, défini par le fabricant d’origine et approuvé par une commission d‘experts, devient obligatoire pour tous les fabricants du même modèle ou d’un modèle compatible, des pièces de rechange et des parties essentielles de l’arme vendues séparément. L’OTAN a standardisé les calibres des ALPC des pays membres (5,56 mm et 7,62 mm) et les marquages des munitions et emballages. En revanche, il existe plus de 350 calibres pour les armes civiles et une dizaine pour certaines armes militaires récentes. De nombreux fabricants produisent les mêmes munitions, en entier ou en partie, rechargeables par l’usager et d’une durée de vie supérieure à 25 ans, soit environ 10 milliards d’unités par an.

Traçage policier. Le numéro de série d’une ALPC et ses caractéristiques (marque, modèle et calibre) permettent d’identifier son dernier propriétaire légal connu, explique Johan Drugmand. La police belge, précise-t-il, n’enquête que sur les ALPC fabriquées, neutralisées et utilisées ou légalement importées en Belgique. Une première consultation de ses bases de données établit l’usage de l’arme pour commettre une infraction ou simplement son signalement en cas de perte ou de vol (enquête judiciaire). Une seconde vérification constate la détention, actuelle ou passée, de l’arme en Belgique (enquête administrative). Pour le traçage d’une arme fabriquée en Belgique, la recherche s’effectue dans les registres des armuriers qui y sont installés, surtout ceux de FN Herstal pour les marques FN (militaires) et Browning (civiles). La police reçoit des demandes de traçage par trois canaux et répond par les mêmes :  SIENA (Europol mailbox) pour les pays européens et quelques autres ; I-arms pour les pays membres d’Interpol ; Service mailbox pour les demandes belges. Ainsi, en 2017, la police belge a reçu 958 demandes de traçage de 43 pays, dont 75 pour FN Herstal, et a envoyé 941 réponses. En outre, 19 demandes ont nécessité des investigations plus approfondies en Belgique. Le délai de réponse varie de quelques minutes (contrôle) à plusieurs semaines (traçage approfondi), selon le type de la demande ou la complexité de la réponse.

Situation de conflit et après. L’organisation « Conflict Armament Research » (CAR), présente dans une vingtaine de pays du Moyen-Orient et de la bande sahélo-saharienne, agit sous mandat du Conseil de l’Union européenne. Elle recherche des preuves circonstancielles sur les approvisionnements en armes dans les zones de conflit et leur entourage immédiat ou de « post-conflit » aux structures étatiques faibles ou inexistantes, explique Claudio Gramizi. Les collectes de données (modèle, calibre, marquage et photo) sur le terrain, en vue d’un profilage individuel des armes et munitions illicites, sont enregistrées dans la banque de données interne « Trace », d’où sont exclues les informations non vérifiées ou non vérifiables. Les experts de CAR identifient ensuite le matériel documenté, éventuellement par des contributions externes. Chaque pièce fait l’objet d’une demande de traçage formelle auprès des producteurs, autorités ayant autorisé son exportation ou de tout détenteur légal connu. Ensuite, chaque arme et munition est présentée sur une fiche technique accessible au public. Ainsi, institutions étatiques et producteurs d’armement peuvent exercer un droit de réponse pour chacune, en vue de corriger ou compléter certaines informations. CAR complète les outils développés par Interpol et l’ONU et garantit la confidentialité de données couvertes par le secret d’une instruction judiciaire. Toutefois, son efficacité dépend du niveau de coopération volontaire des partenaires locaux et internationaux. Une gestion insuffisante des stocks d’armes illicites ne permet pas de reconstituer l’historique d’une pièce saisie, sans compter l’accès unique ou même restreint aux lots saisis. En outre flux et marchés illicites différents se superposent (groupes d’insurrection armés ou protections personnelles). Souvent, policiers et militaires ne remarquent pas les différences entre les fusils d’assaut « kalachnikov » fabriqués en Russie, Chine ou Egypte. Enfin, CAR contribue au renforcement de capacités techniques d’Etats, notamment au Burkina Faso, au Niger et au Nigeria, par l’établissement de procédures communes à partir de formatages corrects.

Loïc Salmon

La convention de Kinshasa a pour but de renforcer le contrôle des armes légères et de petit calibre, de leurs munitions et de toutes pièces et composantes pouvant servir à leur fabrication, réparation et assemblage et de lutter contre leur commerce et trafics illicites en Afrique centrale. Adoptée le 30 avril 2010 par le Comité permanent de l’ONU chargé des questions de sécurité dans cette région, elle est entrée en vigueur le 8 mars 2017. La Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale, créée en 1983, compte 11 membres : Angola ; Burundi ; Cameroun ; République centrafricaine ; Congo ; République démocratique du Congo ; Gabon ; Guinée équatoriale ; Tchad ; Sao Tomé-et-Principe ; Rwanda.

Trafics d’armes légères : la lutte contre les filières terroristes

Trafics d’armes : les Balkans, fournisseurs du terrorisme international et du crime organisé

image_print
Article précédentExposition « 1918, armistice(s) » aux Invalides
Article suivantArmée de Terre : pas de victoire sans le soutien de la nation