Grande-Bretagne : sécurité et défense après le « Brexit »

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Le « Brexit », engagé suite au référendum de juin 2016 et prévoyant la sortie de la Grande-Bretagne de l’Union européenne (UE), a plongé le royaume dans une grave crise économique et politique.

Un groupe d’auditeurs de l’Association IHEDN région Paris Ile-de-France en a étudié sur place, du 14 au 19 octobre 2018, les symptômes et les conséquences possibles pour esquisser quelques recommandations. Outre des diplomates français et britanniques, il a rencontré des parlementaires des deux chambres, des hauts responsables à l’Académie militaire de Sandhurst et à Aldershot, base du « 4th Rifles Regiment », et des personnalités de la société civile.

État des lieux. Le processus du Brexit ne date pas d’aujourd’hui, mais dure depuis près de 30 ans, à travers l’attitude trop souvent anti-européenne de la classe politique. Le référendum a confirmé une évolution du retour au « splendide isolement », sentiment partagé par une majorité de l’opinion publique britannique, en dehors du « Grand Londres ». L’unité de la Grande-Bretagne pourrait même, à terme, être menacée par les positions séparatistes écossaise et galloise et une situation en Irlande du Nord très fragile, malgré la signature des accords irlandais de paix d’avril 1998, et pas assez anticipée au moment du référendum. A mi-février 2019, le sujet principal de discorde reste le « backstop », ce filet de sécurité qui figure dans le traité, censé garantir le non-rétablissement d’une frontière entre les deux Irlande. A court terme, les perspectives sont donc plutôt sombres, pour la Grande-Bretagne, mais aussi pour l’UE, en raison de l’interdépendance de leurs économies. Déjà, les entreprises internationales installées en Grande-Bretagne ont mis en œuvre des mesures conservatoires : création de filiales ou succursales hors du pays ; migration d’actifs ; constitution de réserves de pièces détachées ; programmes d’investissements retardés. De leur côté, les compagnies de transport étudient l’accès à d’autres ports que Douvres sur la Manche, afin d’éviter l’engorgement prévisible du trafic. Les besoins en main d’œuvre étrangère risquent d’affaiblir durablement l’économie du pays : actuellement, 3 millions d’étrangers y résident, et le recul de l’immigration a déjà commencé avec le départ de 80.000 Européens depuis 2017. La disparité des niveaux de vie entre le Grand Londres et le reste du pays, supérieure à 50%, va croître. La situation des services publics, particulièrement celui de la santé, risque de se dégrader. Par ailleurs, la Grande-Bretagne ne disposera plus d’accès à la gouvernance du système de positionnement par satellite Galileo et à ses applications militaires. Elle doit faire face également à la baisse sensible de la livre et à celle du pouvoir d’achat des ménages. Au 4ème trimestre 2018, la croissance britannique a ralenti, à son plus bas niveau depuis 6 ans, avec une progression de 1,4% seulement. L’investissement des entreprises est pour sa part en baisse de 3,5%, son plus fort recul depuis 2010. Le pays semble donc, apparemment, assez mal armé pour affronter la perte du marché européen, alors qu’il est devenu, grâce à l’UE, une gigantesque plateforme d’exportation totalement intégrée au système communautaire.

Tentation du grand large. Depuis son adhésion en 1973, la Grande–Bretagne ne semble pas avoir choisi de partager les grands principes de l’UE esquissés par ses pères fondateurs. Attachée à ses relations traditionnelles avec les États-Unis et les pays du Commonwealth, elle a plutôt recherché avec l’UE à élargir ses perspectives économiques. Elle a privilégié son appartenance à l’OTAN, plutôt que d’adhérer à un projet de défense européenne. De ce fait, des ajustements significatifs s’imposeront dans le futur, en raison du retour des frontières. Les espoirs britanniques de négocier de nouveaux accords bilatéraux avec le reste du monde apparaissent, à ce stade, assez illusoires : tentatives sans lendemain avec certains pays du Commonwealth ; déclarations américaines peu encourageantes sur le transport aérien. En outre, l’UE n’acceptera jamais de faire entrer des produits non réglementés sur son sol. Une dérégulation financière massive apparaît également peu probable, car Londres a besoin de maintenir des standards élevés pour conserver sa crédibilité au niveau mondial.

Relations futures avec la France. La coopération avec la Grande Bretagne a existé avant le Brexit et devrait se poursuivre après. Car les deux pays présentent bien des convergences : partage de valeurs communes ; solidarité pendant les guerres de 1914-1918 et 1939-1945 ; approche semblable des enjeux mondiaux en matière de défense ; engagement partagé dans la lutte contre le terrorisme et autres menaces émergentes. De plus, tous deux sont membres du Conseil de sécurité de l’ONU et les seuls capables de mener des opérations militaires en dehors de l’UE. C’est pourquoi, quelle que soit la solution de Brexit retenue in fine, de nouvelles relations bilatérales devront être mises en œuvre et se renforcer, entre autres le Conseil de défense franco-britannique, créé en 1972 au niveau des chefs d’État (France) et de gouvernement (Grande-Bretagne), et qui s’est réuni dernièrement à l’Académie royale de Sandhurst en janvier 2018. Les traités de Londres, dit « Accords de Lancaster House », qui célébreront leur dixième anniversaire en novembre 2020 (voir encadré), ont notamment permis de renforcer l’intégration entre les deux forces armées en multipliant les terrains d’entente : politique commune d’engagement ; visites réciproques ; coopération dans l’armement. Enfin, France et Grande-Bretagne devront consolider cette politique de déploiement commun des forces armées, aujourd’hui au Sahel et en Syrie. Et tout cela sans être influencé par le bruit actuel des médias, qui reprochent l’attitude négative de la France vis-à-vis de la Grande-Bretagne dans les négociations du Brexit. Mi-février 2019, rien n’est encore clair, ni décidé : rendez-vous le 29 mars, date initiale pour le début du processus de séparation.

Jean-Marc Schaub

Le 2 novembre 2010 à Londres, le président de la République française Nicolas Sarkozy et le Premier ministre britannique David Cameron ont paraphé un traité de défense et de sécurité ainsi qu’un autre d’une durée de 50 ans sur le partage d’installations destinées à tester les armes nucléaires, mais sans renoncer à l’indépendance des dissuasions nucléaires nationales. Des simulations nucléaires dans un laboratoire près de Dijon et l’ouverture d’un centre de recherches dans le Sud-Est de l’Angleterre sont prévues. Quinze autres traités et accords divers renforcent la coopération, notamment en matière de sous-marins, missiles, drones et satellites. Une force projetable non permanente de plusieurs milliers d’hommes sera constituée pour des opérations extérieures bilatérales ou dans le cadre de l’ONU, de l’OTAN ou de l’Union européenne (UE). En outre, Paris et Londres vont partager leurs porte-avions à partir de 2020 et mutualiser l’entretien de l’avion de transport A400M et l’entraînement de ses pilotes. Enfin, un budget annuel sera consacré aux projets de recherche et développement (R&D) de 100 M€ (50M€ par pays). La France et la Grande-Bretagne représentent la moitié des budgets de défense et les deux tiers des dépenses en R&D de l’UE. Loïc Salmon (Revue « Croix de Guerre & Valeur militaire », décembre 2010).

317 – Dossier : « Grande-Bretagne, résilience et coopération avec la France »

MBDA : coopération industrielle européenne pour les missiles

 

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