Défense : la MCIC, promouvoir les armées dans le respect de la liberté de création

Outre l’entretien du lien Armées-Nation, la Mission cinéma et industries créatives (MCIC) du ministère des Armées contribue au maintien des vocations et du sentiment d’appartenance de ses personnels ainsi qu’au rayonnement extérieur de la France.

Lors d’un point de presse, le 12 mai 2022 à Paris, sa directrice, Eve-Lise Blanc-Deleuze, l’a présentée et le producteur de la série télévisée « Sentinelles », Antoine Szymalka, a apporté son témoignage.

Accompagnement et expertise. Le ministère des Armées dispose d’un catalogue de 15 millions de photos et de 94.000 heures de films depuis 1842. Etablie en mai 2016, la MCIC étudie plus de 200 projets audiovisuels par an, dont 52 sollicitations sur des fictions de séries télévisées, 49 sur des fictions cinéma, 50 sur des documentaires et 25 tournages dans l’environnement militaire. La fiction permet au grand public de mieux connaître et comprendre le milieu des armées, indique Eve-Lise Blanc-Deleuze. Il ne s’agit pas de faire leur propagande mais d’en montrer la réalité et de lutter contre les représentations caricaturales. La MCIC reste présente tout au long du projet : avant le tournage, par le conseil en écriture, la documentation et l’expertise ; pendant, par la mise à disposition, payante, de matériels non accessibles dans le secteur privé ; après, par un accompagnement en matière de communication. La MCIC invite les professionnels concernés à visiter les établissements d’enseignement militaire, embarquer sur un porte-hélicoptères amphibie ou assister aux présentations des capacités de l’armée de Terre ou de l’armée de l’Air et de l’Espace. Certains films ainsi soutenus ont connu un succès réel, notamment « Le chant du Loup » (2019) et « Notre-Dame brûle » (2022). La série « Le Bureau des légendes » (50 épisodes de 2015 à 2020), vendue dans 15 pays et qui montre le rôle de la Direction générale de la sécurité extérieure de façon plausible, a suscité une vague de candidatures. Une série sur les forces spéciales doit suivre en 2023. D’autres sont à l’étude pour la Marine nationale et l’armée de l’Air et de l’Espace.

Fiction « vraisemblable ». La série « Sentinelles » (7 épisodes diffusés à partir d’avril 2022), soutenue par la MCIC, porte sur l’opération « Barkhane » au Mali. Elle présente une intervention terrestre dans sa véracité, explique Antoine Szymalka. Les différentes rencontres, organisées par la MCIC, ont permis de cibler l’univers militaire. Une formation accélérée de quatre jours dans un régiment a facilité le croisement des regards et des avis pour accroître le réalisme. Les entretiens avec des soldats de retour de « Barkhane » ont aidé à présenter les émotions des militaires sur le terrain. Alors qu’aux Etats-Unis un événement militaire donne rapidement lieu à une série télévisée, il a fallu quatre ans pour réaliser « Sentinelles », après une longue préparation documentaire et des tournages en France mais aussi au Maroc avec ses paysages de désert et ses véhicules de l’avant blindé…âgés.

Bandes dessinées à l’honneur. La MCIC a reçu plus de 90 ouvrages (25 éditeurs) pour la 2ème édition des « Galons de la BD ». Le 10 mai à l’Ecole militaire et en présence de la ministre des Armées Florence Parly, le jury a attribué : le Grand Prix à Madeleine Résistante, (vie de Madeleine Riffaud) ; le Prix Histoire à #J’accuse (l’affaire Dreyfus, traitée par les médias d’aujourd’hui) ; le prix Jeunesse à L’insurgée de Varsovie (Pologne, 1944) ; une mention spéciale à Bob Denard, le dernier mercenaire.

Loïc Salmon

Défense : le cinéma, de la communication à la réalité

Renseignement et cinéma : des logiques difficilement compatibles

Etats-Unis : stratégie d’influence et politique étrangère




Défense : anti-terrorisme et remontée en puissance

Le dispositif « Barkhane » au Sahel se transforme avec l’augmentation des effectifs de la force « Takuba ». La loi de programmation militaire et la remontée en puissance des armées vont de pair.

La ministre des Armées, Florence Parly, l’a expliqué lors d’une rencontre organisée, le 2 juillet 2021 à Paris, par l’Association des journalistes de défense.

« Barkhane » et « Takuba ». Le même jour, la France a annoncé la reprise des opérations militaires conjointes et les missions de conseil auprès des forces armées maliennes, suspendues le 3 juin. Cela fait suite aux engagements pris par les autorités maliennes de transition, endossés par la CEDEAO (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest) au sommet du 19 juin à Accra (Ghana). Depuis un an, les opérations en cours ont très fortement affaibli l’Etat islamique au Grand Sahara (EIGS), qui s’en prend aux populations civiles, souligne Florence Parly. Ainsi l’opération « Solstice » s’est déroulée du 6 au 20 juin entre Ouallam (Niger) et Ménaka (Mali) pour traquer les groupes armés terroristes. Elle a été conduite par les forces Barkhane et Takuba (300 militaires français et européens) et les forces armées nigériennes (800) avec l’appui d’avions de chasse Mirage 2000, d’hélicoptères d’attaque Tigre et de drones armés Reaper. Ont été saisis : 13 motos ; près de 30 armes légères d’infanterie ; environ 50 appareils de communication ; du matériel servant à la fabrication d’engins explosifs. Six djihadistes, dont un recruteur actif dans la nébuleuse touareg, ont été neutralisés. Deux lieutenants de l’émir de l’EIGS, susceptibles de fournir des renseignements, ont été capturés : Katab el Mauritani et Abou Dardar, auteur suspecté de mutilations. D’une façon générale, les Etats-Unis coopèrent avec Barkhane pour la surveillance de zone, la logistique opérationnelle et le ravitaillement en vol. Même si des actes terroristes ne se produisent plus sur le territoire national, indique la ministre des Armées, les organisations affiliées à Al Qaïda ou Daech étendent leur influence vers le Sud et le golfe de Guinée. Il s’agit d’empêcher que le Sahel et l’Afrique ne deviennent leur zone refuge pour attaquer le flanc Sud de l’Europe. La force d’intervention Takuba associe des forces spéciales européennes pour des missions de conseil, d’assistance et d’accompagnement au combat des forces maliennes avec l’appui de moyens aériens et de l’artillerie. Après l’Estonie, la République tchèque, la Suède, le Portugal, les Pays-Bas et la Belgique, l’Italie, la Roumanie et le Danemark vont envoyer des militaires renforcer Takuba. D’autres discussions sur des contributions supplémentaires sont en cours au niveau politique. A terme, il s’agit de rétablir les services publics au Mali (police, justice et éducation).

Maintenir la LPM. La ministre des Armées entend veiller à ce que la Loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025 soit respectée malgré la crise sanitaire. La construction d’un bateau hydro-océanographique sera décalée d’un an, mais une 3ème frégate de défense et d’intervention a été commandée, en vue d’une livraison anticipée à la Marine et d’assurer une continuité dans le plan de charge de Naval Group. Le nouveau chef d’Etat-major des armées, le général Thierry Burkhard, en fonctions courant juillet, a été nommé pour quatre ans, soit jusqu’à la fin de la LPM, pour en maintenir la continuité de pilotage après les élections, présidentielle et législatives, de 2022. Il doit aussi réaliser la remontée en puissance des armées sur une durée suffisante et les préparer à des combats de plus haute intensité.

Loïc Salmon

Afrique : l’opération « Barkhane », créer de l’incertitude chez l’adversaire

Afrique : les risques de déstabilisation et de terrorisme

Défense : vers 2 % du Produit intérieur brut à l’horizon 2025




Afrique : hétérogénéité des crises et conflits au Sahel

Les groupes de rebelles djihadistes de la bande sahélo-saharienne présentent des spécificités, selon leurs implantations, leurs idéologies et leurs modes d’action.

Niagalé Bagayoko, présidente de l’African Security Sector Network (ASSN), l’a expliqué au cours d’une conférence-débat organisée, le 9 mars 2020 à Paris, par l’Institut des hautes études de défense nationale. Organisation d’experts de la sécurité en Afrique, l’ASSN a son siège au Ghana et dispose d’antennes au Soudan du Sud, au Kenya et en Afrique du Sud.

Les acteurs. Les différents groupes armés actifs au Sahel, minés par les rivalités et la corruption, font allégeance au organisations terroristes Al Qaïda au Maghreb islamique ou Daech (voir encadré). Le « Groupe de soutien à l‘islam et aux musulmans » (GSIM), dirigé par le touareg Iyad Ag Ghali impliqué en 2010 dans la libération d’otages occidentaux, a décidé de négocier avec le gouvernement malien, en application des recommandations du dialogue national au Mali (8 mars 2020). Le GSIM veut obtenir le départ des troupes étrangères, notamment françaises. Le mouvement « Islamic States in West Africa » compte deux branches. La première, présente autour du lac Tchad, inclut le « Mouvement pour l’unicité et le djihad en Afrique de l’Ouest » et la branche armée du mouvement « Boko Haram », actif au Nigeria ; la seconde, « l’Etat islamique au Grand Sahara (EIGS), est responsable de la plupart des violences contre la population civile, les forces armées et les représentants de l’Etat. L’EIGS, qui profite de nombreuses défections en raison de ses succès militaires au Mali et au Niger, obtient des ressources sur les territoires contrôlés et prélève un droit de passage sur les éleveurs en transhumance vers le delta du Niger. Les chefs des groupes armés se positionnent en fonction de la religion, de motifs politiques, de raisons économiques ou de vengeances interethniques. Le sommet de Pau (13 janvier 2020), qui a réuni les chefs d’Etat du G5 Sahel (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad) à l’initiative de la France, a défini une stratégie contre l’EIGS.

Une grande complexité. Selon Niagalé Bagayoko, le Sahel se trouve en situation insurrectionnelle, avec des groupes qui remettent en cause le modèle d’Etat actuel, deuxième phase de la décolonisation. Les populations civiles se sentent abandonnées, en raison des faillites dans plusieurs domaines : la démocratisation, faute de transparence et d’alternance ; la décentralisation, qui gère mal les régions ; l’éducation, qui n’améliore pas les conditions sociales avec, pour conséquences, la fermeture d’écoles autour du lac Tchad et des menaces contre les enseignants par Boko Haram, qui a brûlé des livres venus de l’Occident ; l’urbanisation, qui laisse les zones rurales de côté ; le développement, car les populations ne tirent aucun bénéfice des réformes de l’Etat. En outre, les groupes armés bénéficient de la collaboration de la part des populations civiles, victimes des exactions des forces de défense et de sécurité. Les revendications indépendantistes se manifestent dans les régions exclues du développement depuis l’indépendance du pays. Depuis 2015 au Mali, un groupe armé s’oppose au gouvernement de Bamako et un autre, s’en sentant proche, veut négocier avec lui. Les fréquents conflits intercommunautaires se focalisent sur la gestion des ressources agro-pastorales et forestières au Sahel, en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale. S’y ajoutent ceux entre catégories professionnelles, à savoir entre éleveurs nomades et agriculteurs sédentaires et ceux entre autochtones et allochtones (extérieurs au territoire), sans liens avec les groupes islamistes. En outre, des querelles opposent les tenants des normes traditionnelles sur l’eau, la terre et le bétail et les partisans des règles de décentralisation des décennies 1990-2000. D’autres conflits portent sur l’exploitation des ressources du sous-sol, notamment l’or du Sud du Mali et de l’Ouest du Burkina Faso. Dans les sociétés très hiérarchisées des Touaregs et des Peuls, les « dominés » estiment avoir droit à l’égalité. La sécurité se « communautarise » au Mali avec la constitution de groupes d’auto-défense et de milices, à l’origine de massacres en 2019. Le gouvernement, qui a favorisé leur émergence, tente de les dissoudre. Au Burkina Faso, le gouvernement a fait voter une loi pour institutionnaliser les groupes d’auto-défense, plébiscités par la population qui les considère comme plus aptes à les protéger que les forces de sécurité. Enfin, les groupes criminels, qui vivent notamment sur le trafic de stupéfiants, entretiennent des liens avec la plupart des autres acteurs.

Les limites des interventions. Depuis 2019, se développe un ressentiment à l’égard de la politique étrangère de la France et non pas un sentiment anti-français, car les communautés françaises ne sont pas prises à partie, estime Niagalé Bagayoko. S’y ajoutent la difficulté à comprendre que l’opération « Barkhane » (5.100 militaires déployés) ne parvienne pas à éradiquer les groupes armés et l’impossibilité de vérifier les chiffres des résultats annoncés, pour en évaluer l’efficacité. L’objectif de restaurer l’autorité de l’Etat (sommet de Pau) ne parle pas aux populations, qui en dénoncent le modèle actuel. L’architecture de sécurité repose sur un conseil de paix et de sécurité et une force africaine pré-positionnée, encore en attente, et huit communautés économiques régionales. Selon Niagalé Bagayoko, ce dispositif ne fonctionne pas dans une conflictualité transrégionale. En outre, la MINUSMA (force de l’ONU) n’est pas capable de protéger les populations civiles. Enfin, les actions européennes de formation des forces armées africaines ne sont guère adaptées au contexte.

Les pistes possibles. Niagalé Bagayoko préconise de revoir les paramètres d’analyse des crises et conflits en Afrique, avec des sociologues et des anthropologues qui maîtrisent les langues locales. Au-delà de l’action militaire, il conviendrait de renforcer les capacités de la Police, de la Justice, du Parlement, de la Cour des comptes et du Médiateur (litiges entre les citoyens et l’Etat). La dimension « droits de l’homme » devrait s’intégrer à tous les échelons. La prise de décision, « hybride », devrait prendre en compte l’informalité, très importante en Afrique. Le concept de conflit de basse intensité nécessite une révision, en vue d’élaborer une pensée stratégique spécifique. Celle-ci, basée sur des références historiques africaines, devrait d’abord viser la protection des populations et en assumer le coût. Enfin, les Etats africains devraient définir eux-mêmes leurs propres besoins en armement.

Loïc Salmon

Deux coalitions terroristes se font concurrence au Sahel. La première, dénommée « Groupe de soutien à l‘islam et aux musulmans », créée en 2017, réunit plusieurs formations affiliées à Al Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) : le groupe Ansar Dine qui avait participé à la prise de contrôle du Nord du Mali, renommé « Azawad » en 2012-2013 avant l’opération « Serval », lancée par la France en janvier 2013 à la demande du gouvernement malien ; le groupe Al-Mourabitoune ; la Katiba du Macina. La seconde, dénommée « Etat islamique au Grand Sahara », s’est ralliée à Daech et sévit dans la zone des trois frontières entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso.

Opex : bilans de « Chammal » et de « Barkhane » en 2019

Afrique : les risques de déstabilisation et de terrorisme

Afrique : zone sahélienne sous tension et résolution de crises




Afrique : une base aérienne projetée pour « Barkhane »

Dans le cadre de l’opération « Barkhane », la base aérienne projetée (BAP) à Niamey contribue au combat contre les groupes armés terroristes, à l’appui aux forces armées partenaires, à la gouvernance et au développement de la bande sahélo-saharienne (BSS).

Sa présentation à la presse, le 21 novembre 2019 à Paris par son commandant, le colonel Hughes Pointfer, a été complétée par un point de la situation sur zone par le porte-parole de l’Etat-major des armées (EMA).

Les moyens. Située au centre de la BSS d’une superficie égale à celle de l’Europe, la BAP permet notamment à un avion de chasse de rallier une zone d’opérations entre 10 minutes et 1 heure, quand il n’est pas déjà en vol. En alerte permanente pour agir en tous lieux, l’outil aérien regroupe pour : l’intervention, 4 Mirage 2000 D ; l’appui et la projection, 2 avions ravitailleurs C135 et 1 avion de transport tactique C160 Transall ; les évacuations médicales, 1 Casa CN 235 ; le renseignement, 1 Mirage 2000 équipé de la nacelle optronique Talios (recueil d’images NTISR), et 3 drones Reaper. Les essais d’armement des Reaper se poursuivent, en vue d’une mise en service fin 2019. Ils pourront embarquer des missiles antichar Hellfire à guidage laser semi-actif ou à guidage radar (« tire et oublie »). Des renforts temporaires sont assurés par : 1 avion de transport polyvalent A 400 M ; 1 ravitailleur C 160 J Hercules ; 1 avion de guerre électronique et de renseignement ATL2 de la Marine nationale. En outre, la BAP apporte son appui aux forces nigériennes et partenaires par diverses missions : partenariat militaire opérationnel, dont la formation à l’appui aérien et de « spécialistes carburant » ; échange de renseignements ; réassurance ; transport de personnel et de matériel ; soutien au poste de commandement de la force conjointe G 5 Sahel du fuseau Centre ; construction de postes de combat à la base aérienne 101 de Niamey. En un an, la BAP a réalisé 6.000 mouvements d’aéronefs et 50 convois terrestres. Elle a aussi transporté : 42.000 passagers en transit, soit 25 % du trafic de l’aéroport de Niamey ; 4.800 t de fret, soit 40 % du trafic de l’aéroport de Niamey ; 145 t de courrier, dont 20 t pour elle-même.

Les opérations. Le théâtre de la BSS est éprouvant pour les hommes et les matériels, rappelle le porte-parole de l’EMA. Les groupes armés terroristes, ensemble hétérogène de combattants affiliés ou non à des franchises terroristes internationales (Daech ou Al Qaïda), exploitent les défauts de gouvernance dans certaines régions et s’en prennent indistinctement aux cibles militaires et aux civils. Ils affrontent de jeunes forces armées locales, mal équipées et en cours d’aguerrissement. Quoique leur nombre reste stable, les attaques terroristes deviennent plus meurtrières, surtout contre les forces armées maliennes. Du 1er au 17 novembre, l’opération « Bourgou 4 » a mobilisé plus de 1.400 soldats burkinabés, maliens, nigériens et français dans les régions de Déou (Burkina Faso) et Boulikessi (Mali). Elle a permis la mise hors de combat de plus d’une vingtaine de terroristes et la saisie de 64 véhicules et d’une centaine de téléphones portables et de munitions. Selon le colonel Pointfer, la BAP de Niamey a fourni un appui aérien, renforcé par un détachement venu de N’Djaména (Tchad) et qui a nécessité : 13 missions de drones ; 2 chasseurs en alerte permanente ; 36 sorties ; 90 ravitaillements en vol ; 13 dossiers NTISR ; 12 manifestations de présence, à savoir l’effet dissuasif du passage à la verticale des positions adverses.

Loïc Salmon

Afrique : soutiens intégrés à l’opération « Barkhane »

Afrique : zone sahélienne sous tension et résolution de crises

Armée de Terre : un état-major de forces immédiatement projetable




Afrique : zone sahélienne sous tension et résolution de crises

Outre ses forces prépositionnées et l’opération « Barkhane » au Sahel, la France aide les pays d’Afrique de l’Ouest à se doter de la capacité à assurer leur propre sécurité en toute autonomie.

La situation a été présentée à la presse, le 25 octobre 2018 à Paris, par le colonel Frédéric Garnier, chef du département Afrique de la Direction générale des relations internationales et de la stratégie, et le colonel Patrice Morand, commandant la base aérienne projetée (BAP) à Niamey (Niger), à l’occasion de la 5ème édition du Forum de Dakar (Sénégal, 5 et 6 novembre). Vecteur de l’influence française et dédié à la paix et la sécurité, ce dernier réunit chaque année environ 500 dirigeants politiques et militaires africains, partenaires internationaux, chercheurs universitaires et membres de la société civile. La 5ème édition porte sur : droits, justice et liberté face aux enjeux sécuritaires ; opérationnalisation du lien entre développement et sécurité durables ; perspectives de coopérations internationales dans la lutte contre le terrorisme et l’extrémisme violent.

Engagement français prioritaire. La bande sahélo-saharienne (BSS) de l’Afrique de l’Ouest compte 80 millions d’habitants en 2018 avec une prévision de 200 millions en 2050. Selon le colonel Garnier, sa sécurité est affectée par : une pauvreté générale ; la faiblesse des pouvoirs publics ; une criminalité organisée (trafics en tous genres) ; des tensions communautaires ; des groupes terroristes liés à Al Qaïda et Daech, dont Boko Haram actif aux Cameroun, Tchad et Niger. L’appui sécuritaire de Paris se manifeste d’abord par les Forces françaises en Côte d’Ivoire (900 militaires) et les Eléments français au Sénégal (350) et au Gabon (350). Plus de 10.000 militaires africains ont bénéficié d’une formation au Sénégal en 2017 et plus de 6.800 au Gabon en 2018. En outre, 80 coopérants sont déployés au sein des armées locales pour les accompagner dans leur montée en puissance. Dans un cadre multinational, l’opération « Barkhane » met en œuvre l’entraînement et l’appui à l’engagement de l’armée malienne ainsi que la préparation de la force conjointe du G5 Sahel (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad) pour des opérations qui pourraient avoir lieu avant la fin de 2018. Depuis son lancement le 1er août 2014, son dispositif aérien totalise 25.000 heures de vol pour le recueil de renseignement et 75.000 pour l’appui au sol, le ravitaillement et le transport.

Base aérienne projetée. La force Barkhane bénéficie de l’appui de la BAP Niamey, susceptible d’intervenir en une heure dans la BSS et avec un basculement possible vers la base N’Djamena (Tchad), explique le colonel Morand. La BAP Niamey dispose de 450 personnels en alerte permanente avec : 4 drones Reaper (pilotes sur place et règles d’engagement précises), renforcés temporairement par un ATL2 Marine, pour le renseignement ; 2 Mirage 2000D et 2 Mirage 2000C pour l’intervention ; 1 ravitailleur C-135, 2 Transall C-160 et 1 Casa CN235 pour l’appui et la projection. Ces moyens ont pour missions : la neutralisation des groupes armés terroristes par la recherche, la surveillance, la caractérisation de l’objectif et la frappe ; l’aide à la manœuvre terrestre par l’escorte de convois, l’appui feu, l’aérolargage ou les évacuations sanitaires ; l’appui aux partenaires du G5 Sahel. A terme, la BAP Niamey va recevoir des avions A330 Phoenix (ravitailleurs), C-130J et A400M (transport tactique), étendre ses aires aéronautiques, doubler sa capacité de stockage de carburant et intensifier sa coopération avec l’Allemagne et l’Italie.

Loïc Salmon

Sahel : l’opération « Barkhane », un effet d’entraînement fort

Golfe de Guinée : sécurité et sûreté en mer et à terre




Armée de Terre : pas de victoire sans le soutien de la nation

Affrontement de deux volontés et fondé sur des ressources matérielles et immatérielles, la victoire implique, pour l’armée de Terre, la poursuite de son mandat sur 20-30 ans et l’intégration des innovations d’usage immédiat.

Ce thème a été abordé au cours d’un colloque organisé, le 6 février 2018 à Paris, par le Centre de doctrine et d’enseignement du commandement de l’armée de terre. Un diplomate et deux généraux de haut rang y sont intervenus.

Le dilemme du temps. Le pouvoir politique veut des victoires rapides, car l’opinion publique se lasse des engagements militaires longs après ceux en Afghanistan (13 ans), en Centrafrique (3 ans) et au Sahel (depuis janvier 2013), explique le diplomate. Il voit sa propre communication contestée par le « complexe militaro-industriel » dans les médias…qui racontent la guerre à sa place ! L’incertitude du monde actuel estompe l’idée de « guerre juste » et donc de victoire militaire définitive. L’ennemi soviétique d’hier a été remplacé par le terrorisme islamiste, avec une vision du monde différente de celle des Etats démocratiques. Quoique ce dernier soit identifiable au Levant et au Mali, la difficulté d’une interposition internationale entre factions rivales conduit à un combat sans fin et une victoire impossible. Sans accompagnement économique massif, les effets pervers l’emportent sur la victoire. Ainsi en Libye, la réussite militaire franco-britannique de 2011 s’efface devant l’émergence des centres de transit de migrants clandestins et de trafics d’armes, comme en Irak depuis l’intervention américaine de 2003. Les contraintes budgétaires nécessitent de s’intégrer à une alliance, facteur de dépendance dans la prise de décision. En France, la fin du service militaire obligatoire et la recherche du « zéro mort » dans un conflit ont conduit à l’absence de prise de risques et donc de victoire. Or, souligne le diplomate, le monde doit reconnaître que la France porte un message, reste fidèle à son histoire et maintient son rang, le rôle de sa diplomatie étant de transformer la victoire aux yeux de tous en une paix durable. Les dirigeants politiques actuels n’ont connu ni le second conflit mondial ni les guerres de décolonisation. Mais conscients de l’Histoire ils s’imprègnent de la culture militaire par leurs fréquentes visites sur le terrain. Par ailleurs, aux Etats-Unis, les généraux sont reconnus comme les artisans de la victoire, alors qu’en France, cet honneur revient aux dirigeants politiques, en raison de la mauvaise image des militaires dans la nation après les guerres de décolonisation. Toutefois, les attentats terroristes de 2015 et 2016 ont eu pour conséquence de valoriser les services de renseignement, autrefois mal vus, et les militaires avec l’opération « Sentinelle ».

La constance et la patience. Le chef militaire doit concilier le temps de son action sur le terrain avec celui, très court, du pouvoir politique, et celui, très long, du diplomate et éviter qu’ils divergent, indique l’un des généraux. Cela passe d’abord par une réflexion sur les crises, toujours différentes, et la connaissance de leurs acteurs, pour ne pas appliquer à une crise nouvelle la solution de la précédente. La fascination pour les images de départs de navires et de déploiements d’avions et d’hélicoptères dans la gestion des crises occulte la nécessité de jouer sur tous les leviers et dans le temps long, surtout quand elles durent plus de dix ans (Kosovo, Irak, Afghanistan). Entre 2014 et 2017, la coalition internationale a largué 100.000 bombes contre Daech en Syrie et en Irak, soit cinq fois plus que sur Dresde en 1944. Par ailleurs, tout pays membre d’une coalition internationale doit rester lucide quant à son poids dans la décision opérationnelle. Ainsi, dans celle contre les talibans, la France n’a fourni que 2,5 % des effectifs pour contrôler 3 % du territoire afghan. Une erreur consiste à tenter de résoudre les crises une par une, en partant du principe qu’elles sont disjointes, alors qu’elles surviennent en réseau, comme en Libye, Irak et Syrie. L’action précipitée, sous le coup de l’émotion et de la pression médiatique, peut avoir de graves conséquences, comme le brusque afflux de 5.000 migrants clandestins en Méditerranée après la diffusion mondiale d’une vidéo montrant un enfant mort sur une plage. Enfin, précise le général, l’engagement politico-militaire ne peut reposer sur un consensus lent. Le pouvoir politique doit donner une directive claire et rapide sur les objectifs à atteindre, pour lesquels les militaires présentent des options d’action avec les risques encourus.

L’action durable. Autrefois, gagner la guerre consistait à remporter une grande bataille ou s’emparer d’une capitale pour détruire une idéologie. Aujourd’hui, souligne l’autre général, la liberté d’action s’impose à l’armée de Terre pour défendre les intérêts de la France dans un monde multipolaire, asymétrique et connecté. Elle doit pouvoir agir vite et loin, en toute circonstance, où il faut et autant que nécessaire, par une opération aéroportée ou amphibie. Cela implique maîtrise du renseignement, masse et épaisseur. Cela va de l’interopérabilité avec les armées des Etats baltes, à l’adversaire hybride dans la bande sahélo-saharienne et à la combinaison des forces armées avec celles de la sécurité intérieure (autorités civiles, douane et gendarmerie). En cas de coup dur, la résilience inclut action de communication, acte juridique et application de règles éthiques pour éviter la barbarie. La spécificité militaire (donner et recevoir la mort) nécessite endurance, aguerrissement et volonté du pouvoir politique de détruire l’ennemi. L’initiative sert à mener l’action pour exercer une influence et obtenir un effet final pertinent. Elle implique imposition du tempo à l’adversaire et réversibilité de l’action, car le temps militaire diffère de celui de la reconstruction. L’efficience repose sur une intervention brutale et décisive des forces spéciales et conventionnelles. Pour empêcher l’adversaire de prendre un ascendant tactique par l’emploi inattendu de moyens bon marché, comme un drone commercial armé de façon rudimentaire, l’achat d’une technologie de pointe « sur étagère » satisfait le besoin d’urgence opérationnelle. Par ailleurs, une intervention armée ne se justifie qu’avec le soutien de la population locale. Ainsi l’opération « Serval » au Mali (2013) l’a pris en compte dans le cadre d’une approche globale régionale, avec un appui international et le partage de renseignements sur place et en France.

Loïc Salmon

Le Centre de doctrine et d’enseignement du commandement de l’armée de terre anime la pensée militaire au profit de l’efficacité opérationnelle des forces terrestres. Il assure la formation des futurs décideurs à différents niveaux. L’enseignement militaire supérieur Terre prépare à l’exercice de hautes responsabilités ou de postes de direction exigeant un niveau élevé de qualifications scientifiques et techniques. Il enseigne le travail en état-major et en interarmées, au sein de quatre établissements : Ecole d’état-major pour jeunes capitaines et sous-officiers ainsi que pour les officiers candidats au concours d’entrée à l’Ecole de guerre ; Cours supérieur interarmes ; Enseignement militaire supérieur scientifique et technique ; Ecole supérieure des officiers de réserve spécialistes d’état-major.

Les diplomates, acteurs de la politique étrangère et représentants de la France

Armée de Terre : faire face à toutes menaces, ici et là-bas




Sahel : l’opération « Barkhane », un effet d’entraînement fort

La stratégie de la force « Barkhane » consiste à empêcher les groupes armés terroristes de communiquer entre eux, afin de les cloisonner puis de les réduire par des actions successives. A terme, elle vise à mettre la menace terroriste à la portée des armées du G5 Sahel.

Trois retours d’expérience ont fait l’objet de deux présentations le 26 octobre 2017 à Paris. Le général de division Xavier Le Pelletier de Woillemont, commandant la force « Barkhane » d’août 2016 à juillet 2017, a exposé son analyse au cours d’une conférence-débat organisée par l’Association nationale des auditeurs jeunes de l’Institut des hautes études de la défense nationale. Le colonel Thierry Crepin, ancien chef de corps du 503ème Régiment du train, et le lieutenant-colonel Pierre de Thieulloy (photo), chef de corps du 4ème Régiment de chasseurs, tous deux sur zone de juin à octobre 2017, ont apporté leurs témoignages lors du point de presse hebdomadaire du ministère des Armées.

Menace circonscrite au centre. Le Mali se trouve à l’épicentre du djihadisme au Sahel, rappelle le général de Woillemont. De 500 à 1.000 combattants attaquent, de façon asymétrique, au moyen de mines, engins explosifs improvisés, tirs indirects et raids terroristes, pour prendre le contrôle de la population. Ils enrôlent peu d’enfants soldats, portant surtout des messages ou transportant des mines, mais recourent de plus en plus aux femmes. Tout enfant mineur qui tire sur un soldat français est considéré comme un ennemi. S’il est capturé, il est remis à l’UNICEF. Ces groupes terroristes, qui disposaient d’un territoire, de ressources et de camps d’entraînement en 2013, sont pourchassés en 2017 mais n’ont pas disparu. Outre l’AQMI (Al-Qaïda au Maghreb islamique), il existe un EIGS (Etat islamique au grand Sahara) et des RVIM (Groupes de soutien à l’islam et aux musulmans), qui concluent des alliances de circonstances pour échanger de l’argent, des ressources et des expertises. S’y ajoutent le risque d’incursions, au Niger et au Tchad, de Touaregs venus de Libye, et la menace persistance de l’organisation Boko Haram, actuellement contenue par les forces multilatérales africaines autour du lac Tchad. Ces deux pays sont surveillés en permanence par les drones, les écoutes électroniques et à partir du renseignement humain obtenu par les armées africaines, qui doivent gagner la confiance des populations…par un comportement exemplaire ! Au cas où Boko Haram attaquerait les forces nigériennes ou tchadiennes, l’aviation française interviendrait à leur profit, indique le général. La force « Barkhane » doit d’abord contenir les raids éventuels en provenance du Nord, après les grandes opérations du premier semestre 2016. Ensuite, le partenariat militaire permet de sécuriser le centre de la bande sahélo-saharienne à trois niveaux : accompagnement des forces africaines au combat par la force « Barkhane » pour apporter confiance et commandement ; préparation à l’engagement opérationnel de tous les éléments de « Barkhane » (encadré) ; construction d’armées nationales africaines, adaptées à la menace terroriste, par les pôles opérationnels de coopération au Sénégal et au Gabon de la Direction de la coopération de sécurité et de défense du ministère français des Affaires étrangères. L’armée malienne, hier battue par les djihadistes mais aujourd’hui en pleine reconstruction, tient le terrain. Les unités en « nomadisation » interviennent loin et longtemps. Une observation de longue durée par les drones et des renseignements précis permettent le montage d’une opération fulgurante par l’aérocombat et l’emploi de blindés légers, en vue de sécuriser une zone. La dynamique de la force régulière doit l’emporter sur celle du terrorisme, souligne le général.

Rendre « Barkhane » possible. Sur le plan logistique, la force « Barkhane » bénéficie de l’aide des Etats-Unis pour le transport aérien, de celles de l’Italie, l’Allemagne, l’Espagne et la Belgique pour diverses prestations de services et de celle de l’Algérie pour le carburant et l’eau. Selon l’Etat-major des armées, l’opération du même nom a connu des relèves majeures en septembre-octobre 2017 : 4.000 militaires remplacés par 4.000 autres ; 52 liaisons par air pour le transport des personnels ; 202 t de fret entre la France et les bases aériennes de Niamey et N’Djamena ; transports maritimes de fret et matériels de France aux ports d’Abidjan (Côte d’Ivoire) et de Douala (Cameroun). L’acheminement terrestre prend la suite, explique le colonel Crepin. Après une préparation de 5 mois, le Groupement tactique logistique « EL Parras » (600 personnels) a transporté des munitions et tout ce qui assure le soutien : conditions de vie, santé, énergie, maintien du matériel en condition opérationnelle, équipements et infrastructures. Pendant des missions d’une journée à trois semaines, il a fait face à un ennemi, fugace mais omniprésent, dans des conditions difficiles : températures de 60°-70°C ; tempêtes de sable ; fortes pluies. En tout, ses 200 véhicules ont parcouru 1,5 Mkm pour transporter 3.600 t de fret et 11.200 m3 de carburant. Selon le lieutenant-colonel de Thieulloy, les 800 militaires du Groupement tactique désert blindé « Edelweiss » ont assuré une présence dissuasive par 500 patrouilles de 3 heures à 3 jours au Mali, Tchad et Niger et effectué 2 opérations majeures pour démanteler des trafics d’armes. Outre la prise quotidienne de risques (mines), ils doivent conserver leur discernement lors des tirs adverses à partir d’habitations, en raison de la présence probable de femmes et d’enfants. L’enjeu de cette mission de guerre porte sur : le maintien de la confiance avec la population, qu’il faut disputer aux groupes terroristes qui en dépendent ; l‘assistance médicale ; la relance de l’activité économique.

Approche globale. Militairement et en termes de communications, la force « Barkhane » doit rester discrète pour ménager la fierté nationale des Etats souverains, indique le général de Woillemont. Le niveau opérationnel de la force conjointe du G5 Sahel progresse, mais son financement (200-300 M€) n’est pas encore bouclé. Outre la sécurité, il faudra aussi assurer des revenus aux populations par l’aide au développement, afin de tarir le recrutement de terroristes.

Loïc Salmon

« Serval » : manœuvre aéroterrestre en profondeur et durcissement de l’engagement

La logistique opérationnelle : intégrée à toutes les opérations militaires, de Verdun aux Opex

La bande sahélo-saharienne s’étend sur une longueur de 4.500 km et une largeur de 2.100 km, soit l’équivalent de l’Europe. L’organisation de coopération régionale du « G5 Sahel » regroupe la Mauritanie, le Mali, le Burkina Faso, le Niger et le Tchad. L’opération « Barkhane », lancée le 1er août 2014 à la suite de l’opération « Serval » (15 janvier 2013), engage 4.000 militaires, 5 drones, 8 avions de chasse, 17 hélicoptères, 6 à 10 avions de transports tactiques et stratégiques, 300 véhicules logistiques et 300 véhicules blindés légers. Elle dispose de : 3 points d’appui permanents à Gao (Mali), Niamey (Niger) et N’Djamena (Tchad) ; 6 bases avancées temporaires à Tessalit et Kidal (Mali), Aguelal et Madama (Niger) ainsi qu’à Faya et Abéché (Tchad). L’opération « Barkhane » a pour missions d’appuyer les forces armées des pays du « G5 Sahel » dans la lutte contre les groupes armés terroristes et d’empêcher ces derniers de reconstituer des bases « sanctuarisées » dans la région.




Henri Gouraud, photographies d’Afrique et d’Orient

Le général d’armée Henri Gouraud (1867-1946), qui finira gouverneur militaire de Paris avec la grand-croix de la Légion d’Honneur, s’est passionné toute sa vie pour la photo. Archétype de l’officier colonial qui construit des routes plutôt que de rechercher des actions d’éclat (théorie du maréchal Hubert Lyautey), sa carrière l’a amené en Afrique sub-saharienne et au Levant. Il en a rapporté 10.000 clichés et 200 cartons d’archives, témoignages de ses peuples, de leur histoire, de leur culture et de leurs combats. Utilisées précédemment à des fins personnelles ou scientifiques, les photos vont trouver des applications militaires et justifieront les opérations coloniales aux yeux du public français et des autres puissances européennes. Soucieux de « montrer sa force sans avoir à s’en servir », Lyautey, résident général au Maroc, utilise la presse, les correspondants de guerre et la photo comme outils de gouvernement au début du premier conflit mondial. Suivant son exemple, Gouraud apprend à se servir de l’image à des fins politiques : magnifier le rôle des troupes, conserver celui d’intercesseur avec la famille, former les soldats et employer le pittoresque pour incarner la « pacification ». La photo de presse participe à l’essor de l’usage du document photographique par les officiers, qui voyagent facilement partout dans le monde. Lors de son mandat de haut-commissaire en Syrie et au Liban et de commandant en chef des troupes du Levant, Gouraud lance un programme archéologique et envoie ses équipes photographier la région. Les prises de vues, parfois destinées aux élèves des écoles des Beaux-Arts, servent aussi aux opérations de propagande de la « vulgarisation coloniale » au développement du tourisme. Dès sa formation à Saint-Cyr (1888-1890), Gouraud a été atteint par le « virus » de l’Afrique, mais commence par intégrer…le 21ème bataillon de Chasseurs à pied de Montbéliard. Faute d’une affectation à la Légion étrangère en 1893, il obtient un poste d’état-major au Soudan l’année suivante. Il se donne pour objectif de devenir un bon « broussard » au contact d’officiers et de soldats qui se qualifient tous « d’Africains ». En 1898, à la tête d’une colonne de 271 hommes (9 Européens, 212 tirailleurs et 50 porteurs), le capitaine Gouraud recherche Samory, un chef de tribu qui dispose d’une armée de 100.000 personnes et sème la terreur dans la bande sahélo-saharienne. Il parvient à le capturer… sans tirer un seul coup de feu ! En 1907, le colonel Gouraud doit empêcher les rezzous des populations maures, qui descendent régulièrement vers le Sénégal. En outre, l’Adrar, au cœur de la Mauritanie, est devenu la plaque tournante d’un vaste trafic d’armes à travers le Sahara. Gouraud pratique alors une guerre de partisans face à la guérilla incessante. Ses clichés sur l’Adrar lui permettront de soutenir les propositions de décorations pour ses officiers et soldats. Après la signature du traité de protectorat par le sultan du Maroc en 1912, Gouraud réprime avec succès une révolte des tabors de Fès et obtient ses étoiles de général de brigade. De retour en France pendant la première guerre mondiale, il est blessé à deux reprises et doit être amputé du bras droit en 1915. Commandant de la IVème Armée en Champagne, il remporte, le 15 juillet 1918, une bataille décisive qui lui vaut l’honneur d’entrer le premier à Strasbourg le 22 novembre.

Loïc Salmon

Armée de Terre : retour d’expérience de l’opération « Serval » au Mali

Evolution et continuité de la gestion des crises en Afrique

Afrique : les armées, leur construction et leur rôle dans la formation de l’État

« Henri Gouraud, photographies d’Afrique et d’Orient » par Julie d’Andurain. Éditions Pierre de Taillac et Archives diplomatiques, 240 pages, nombreuses illustrations, 35 €.




Opex : difficultés à caractériser l’ennemi et à circonscrire le cadre d’opérations

Le flou des menaces pesant sur la défense nationale et la sécurité mondiale déstabilise et fragilise en profondeur les modes d’action et marges de manœuvre des forces armées dans le respect du droit international, d’autant plus que les opinions publiques exigent plus de transparence dans la conduite des opérations.

Les questions juridiques soulevées par  les opérations extérieures (Opex) ont fait l’objet d’un colloque organisé, les 2 et 3 novembre 2015 à Paris, par le ministère de la Défense. Y sont notamment intervenus : Pierre Boussaroque, jurisconsulte adjoint au ministère des Affaires étrangères ; le général Pierre de Villiers, chef d’État-major des armées ; Claire Landais, directrice des affaires juridiques au ministère de la Défense ; le général de brigade Thierry Burkhard, chef conduite au Centre de planification et de conduite des opérations.

Légitimité internationale. En cas de menace de la part d’un État, le recours à la force armée est licite s’il s’appuie sur une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU qui la légitime (chapitre VII), rappelle Pierre Boussaroque. Le déploiement d’une force française dans le cadre d’une Opex, comme « Serval » au Mali, a nécessité une invitation de l’État menacé, afin de respecter sa souveraineté. Par ailleurs, l’article 51 de l’ONU définit le droit naturel à la légitime défense. Il a été invoqué contre Daech, organisation non-étatique qui se revendique comme « État islamique », et à la demande du gouvernement irakien, acceptée par la France. Actuellement, le droit humanitaire du temps de guerre et les droits de l’homme du temps de paix coexistent et les règles fondamentales s’appliquent en Opex, indique Pierre Boussaroque : faire la différence entre civils et militaires ; principe de proportionnalité de l’emploi de la force.

Garantir le succès de la mission. Loin de contrarier l’action militaire, le droit l’encadre et protège celui qui la conduit, estime le général de Villiers. Aujourd’hui, la radicalisation djihadiste, incarnée par Daech et ses affiliés au Levant et au Sahel, correspond à une stratégie délibérée, en vue d’imploser la société et d’imposer leurs normes. Les mouvements terroristes recrutent, se financent et se forment en réseau. Ils désignent leurs cibles et transmettent leurs ordres par les connections internet, hors des frontières et de tout cadre juridique. Les armées françaises inscrivent leur action dans une stricte conformité au droit, qui leur assure légitimité et succès, souligne leur chef d’État-major. Le respect de la charte de l’ONU se complète par une légitimité politique qui prend en compte le contexte et l’opinion publique. Lors d’une intervention en coalition avec d‘autres nations et quel que soit le format de l’intervention, les principes de discrimination et de proportionnalité restent la base de l’emploi de la force. Cette responsabilité collective est régulièrement rappelée aux pays partenaires. Les coopérations n’affranchissent pas du respect du droit, du regard de la Cour pénale internationale (CPI, encadré) ou des obligations humanitaires envers les prisonniers. Cependant, le cyber et l’emploi de drones ou d’automates armés conduisent à s’interroger. Le droit, en perpétuelle construction, se complète par l’éthique, qui entre dans la formation des jeunes militaires comme guide du comportement. En outre, l’action militaire s’inscrit dans le temps long. La résolution d’une crise demande en moyenne une quinzaine d’années d’endurance, de constance et de persévérance, alors que la pression s’exerce sur tous pour une réponse immédiate partout. Selon le général, céder à la violence, à la discrimination, à la non-distinction des moyens ou à toute déviance entraîne l’échec de la mission et de la conscience collective.

Cadre juridique des Opex. L’article 35 de la Constitution prévoit une information au Parlement dans les 3 jours d’une Opex et une autorisation dans les 4 mois, rappelle Claire Landais. Les Opex « Serval » au Mali, « Sangaris » en Centrafrique et « Barkhane » dans la bande sahélo-saharienne se déroulent en situation de conflit armé non-international, où s’applique le Droit international des droits de l’homme. En conséquence, l’usage de la force ne peut aller au-delà de la légitime défense : pour soi-même ou si des forces alliées sont attaquées ; pour autrui, par exemple pour libérer des otages ou protéger des victimes d’exaction. Dans ces conflits, toute personne civile bénéficie d’une protection, sauf quand elle participe directement aux hostilités. Pour l’opération « Chammal » au Levant, la France a répondu à la demande irakienne d’agir en Syrie contre Daech pour des raisons de sécurité nationale et au nom de la défense collective, explique Claire Landais. Elle l’a justifié par les caractéristiques de Daech : ampleur du territoire contrôlé ; capacités militaires ; degré d’organisation ; intentions. La Syrie se trouvant en état de guerre, le droit des conflits armés régit notamment le choix des cibles. Ainsi, lors d’une frappe contre un camp d’entraînement, les forces françaises sont amenées à « neutraliser » des combattants, même de nationalité française, précise Claire Landais.

Poursuivre l’ennemi. Les armées disposent de conseillers juridiques à tous les niveaux, explique le général Burkhard. En liaison avec la Direction des affaires juridiques, ils sont affectés auprès des chefs tactiques, qui prennent leurs décisions en toute connaissance de cause. Présents sur le théâtre d’opérations, ils comprennent les difficultés des militaires sur le terrain.  Ainsi, dans l’océan Indien, il s’agit de capturer des pirates, recueillir des preuves et remonter la filière jusqu’aux commanditaires pour désorganiser leur modèle économique. Lors d’une Opex, l’action judiciaire est évaluée dès la planification. Ainsi, pour « Serval », un accord a prévu le transfert de prisonniers aux autorités maliennes, en présence du Comité international de la croix rouge. Mais, en Centrafrique, par suite à la défaillance des administrations pénitentiaires et judicaires, les prisonniers ont été relâchés après avoir été désarmés. Face à des djihadistes décidés à tuer, la sécurité des soldats et la réussite de la mission priment. La justice ne peut agir que lorsque les combats et l’insécurité diminuent. Les forces déployées coopèrent avec la CPI  en liaison avec le ministère des Affaires étrangères, précise le général.

Loïc Salmon

Moyen-Orient : crises, Daech et flux de migrants en Europe

Armée de Terre : retour d’expérience de l’opération « Serval » au Mali

Centrafrique : l’opération « Sangaris » au niveau « opératif »

La Cour pénale internationale (CPI) est une institution permanente chargée de promouvoir le droit international et de juger les individus ayant commis un génocide, des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité ou des crimes d’agressions. A l’issue de la Conférence diplomatique de plénipotentiaires de l’ONU, le Statut de Rome, signé le 17 juillet 1998, a créé la CPI le 1er juillet 2002 avec son siège à La Haye (Pays-Bas). Toutefois, les procès peuvent se dérouler en tous lieux. Parmi les 121 États signataires du Statut de Rome, 32 ne l’ont pas ratifié, dont la Russie, les États-Unis, Monaco et Israël. A part la Jordanie et la Tunisie, aucun pays arabe n’a ratifié le Statut de Rome. La Chine, l’Inde et presque tous les États d’Asie n’ont même pas signé le Statut de Rome. Seule la Cour internationale de justice, dont le siège est aussi à La Haye, est compétente pour juger les États.




Défense : la guerre, une notion de plus en plus diffuse

Défense extérieure et sécurité intérieure  se confondent. La guerre doit donc être imaginée, non pas  avec les références d’hier, mais avec celles d’aujourd’hui, où le mandat de l’ONU rend légitime une intervention militaire extérieure.

Ce thème a été abordé au cours d’un colloque organisé, le 7 octobre 2015 à Paris, par l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) et l’Agence internationale diplomatie et opinion publique (AIDOP). Parmi les intervenants figurent : Fred Moore, dernier chancelier de l’Ordre de la Libération ;  le colonel (er) Paul Gaujac , ancien chef du Service historique de l’armée de terre ; le général (2S) Philippe Morillon, commandant des forces armées de l’ONU en Bosnie-Herzégovine (1992-1993) ; le général Olivier Salaün du Commandement des forces terrestres ; le général (2S) Henri Bentégeat, ancien chef d’État-major des armées ; l’ambassadeur Henri Froment-Meurice, président d’AIDOP ; des officiers stagiaires de l’École de guerre.

Maintien de la paix sous mandat ONU. Dès 1948, peu après la création de l’ONU, la France était partagée entre la satisfaction de son appui à la défense du monde libre et la crainte de la voir intervenir dans ses affaires intérieures (décolonisation), explique le général Morillon. En 1950, sa participation à la guerre de Corée sous mandat de l’ONU a été motivée par l’espoir d’une aide des États-Unis dans sa guerre contre le Viêt Minh en Indochine. En 1956, l’expédition franco-britannique de Suez, lancée après la nationalisation du canal par le gouvernement égyptien, s’est achevée sous la pression conjointe des États-Unis et de l’URSS, qui ont fait directement appel à l’assemblée générale de l’ONU sans passer par le Conseil de sécurité. Londres et Paris l’ont ressenti comme une humiliation, car ils n’ont pu utiliser leur droit de veto. La réticence française s’est alors transformée en opposition, surtout avec le retour au pouvoir du général De Gaulle en 1958. Quand Israël a envahi le Sud du Liban en 1978, la France a porté sa participation à la FINUL (Force intérimaire des Nations unies au Liban) à 1.500 hommes avec un mandat autorisant l’emploi de la force, uniquement en cas de légitime défense, pour s’interposer dans la zone exposée. Toutefois, faute d’une doctrine satisfaisante de son emploi, la FINUL n’a pu s’opposer à l’offensive de l’armée israélienne. En 1983, des attentats suicides à Beyrouth ont coûté la vie à 58 parachutistes français et 241 « marines » américains. Après la chute de l’URSS en 1990, la France a envoyé plusieurs milliers d’hommes au Cambodge, dans les Balkans et au Rwanda, au nom du droit d’ingérence humanitaire et sous mandat de l’ONU. La nécessité d’une doctrine claire de l’engagement du feu s’est imposée, avec une force de réaction rapide pour protéger ses soldats et quand la mission le justifie. (Bosnie-Herzégovine, 1995).

Mali, conflit local devenu régional. L’opération « Serval », lancée en 2013, a bloqué l’avancée de djihadistes dans la boucle du fleuve Niger, à la demande du gouvernement malien de transition et sous couvert d’une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU. Par la suite, l’opération « Barkhane » concerne un conflit armé dans la bande sahélo- saharienne, en tenant compte du droit local et des différentes règles d’engagement du feu de cinq pays, à savoir la Mauritanie, le Mali, le Niger, le Tchad et le Burkina Faso. Dans le temps court, la mission de la force « Barkhane » (3.000 hommes) porte d’abord sur la lutte contre les groupes armés djihadistes, qui pratiquent le harcèlement et refusent le combat. Après leur localisation par le renseignement, elle doit : les neutraliser par des frappes ou les capturer en vue d’obtenir des renseignements ; réduire les attaques et attentats en les privant d’armements et de munitions ; tarir leur financement par la lutte contre les trafics, notamment de drogue. Parallèlement et dans le temps long, « Barkhane » a établi un partenariat élargi avec « G5 Sahel », l’organisation politique des cinq pays concernés, en vue d’assurer la sécurité par la création de structures transfrontalières permanentes. Le pilier défense du G5 Sahel consiste à passer des opérations conjointes ponctuelles à des dispositifs permanents. Enfin, La substitution des pratiques traditionnelles aux trafics illégaux (dont certaines tribus vivent) favorise l’aide au développement.

Prise de conscience européenne. Depuis la fin de la guerre froide en 1990, le nombre de conflits armés dans le monde a diminué de 80 %. Même si la liberté de déplacement s’est accrue, la situation n’est pas sûre dans certains pays, avertit le général Bentégeat. L’absence de menaces directes aux frontières de la France et de l’Union européenne (UE) a suscité une réticence de l’emploi de la force pour servir les intérêts nationaux ou communautaires. Avec la montée du néo-pacifisme, la guerre est devenue immorale. Les opinions publiques refusent le risque. En outre, le coût des opérations militaires augmente en raison des technologies nouvelles. La situation actuelle en Afghanistan, en Libye, en Irak et l’action contre Daech démontrent la puissance relative de la force dans la résolution des crises, pour des raisons politique, économique, militaire et institutionnelle. Il s’ensuit des désaccords au sein de l’ONU. Par ailleurs, l’évolution sociétale, liée à internet et aux téléphones portables, entraîne une transparence (révélations du lanceur d’alerte Wikileaks), qui crée des vulnérabilités pour les forces en opérations. L’impatience des opinions publiques résulte de l’instantanéité d’internet, qui va à l’encontre du temps long nécessaire. Les autorités politiques recourent alors systématiquement à des coalition ad hoc ou sous l’égide de l’ONU. Les restrictions d’emploi des forces de chaque pays participant, l’inégalité du partage de l’information et des règles d’engagement différentes entraînent un commandement de « marchandages », souligne le général. En outre, la relève tous les six mois nuit à la continuité du renseignement opérationnel. Enfin, « l’approche globale » de résolution des crises  avec des acteurs privés et locaux et des organisations non gouvernementales, s’avère très complexe à mettre en œuvre. Toutefois, le général note le succès de la lutte contre la piraterie au large de la Somalie, l’augmentation des crédits militaires de l’UE et la prise de conscience de la réalité au Moyen-Orient. Il convient de connaître l’ennemi et de le désigner.

Loïc Salmon

La guerre : nécessité d’une cohérence militaire et politique

Défense : outil de puissance dans un monde incertain

Etre militaire européen aujourd’hui : quel métier !

Les Forces françaises libres ont combattu pour l’honneur, se souvient Fred Moore. Les gouvernements français et britannique s’étaient engagés sur l’honneur à ne pas solliciter de l’ennemi un armistice séparé, « or Pétain l’a fait, donc il a terni notre honneur », précise-t-il. Opération de maintien de l’ordre, la guerre d’Algérie n’a pris cette appellation qu’une fois terminée, rappelle le colonel Gaujac. Les appelés du contingent, qui effectuaient un service militaire de près de trois ans, étaient d’excellents combattants à condition d’être bien commandés, ajoute-t-il. Par ailleurs, malgré les tensions extrêmes de la guerre froide, la dissuasion nucléaire a fonctionné, indique l’ambassadeur Froment-Meurice. L’Union européenne est devenue une zone de paix, mais les tensions persistent de façon permanente au Proche-Orient et en Afrique.