Défense : le cinéma, de la communication à la réalité

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Dans les films mettant en scène des combattants, y compris de l’ombre, la réalité prend de plus en plus le pas sur l’antimilitarisme et la caricature d’hier. De leur côté, les institutions de défense les considèrent comme des canaux de communication et de recrutement.

Ce thème a été abordé lors d’une conférence-débat organisée, le 28 juin 2018 à Paris, par l’Association nationale des auditeurs jeunes de l’Institut des hautes études de défense nationale. Y sont intervenus : Bénédicte Chéron, enseignante à l’Institut catholique de Paris ; Pauline Blistène, chercheuse à l’Institut des sciences juridiques et philosophiques de la Sorbonne Paris I ; Cécile Ducrocq, scénariste et réalisatrice.

Relation aléatoire en France. La guerre constitue un sujet cinématographique porteur pour les armées, explique Bénédicte Chéron. Dès 1897, les frères Lumière tournent le film « La dernière cartouche » sur la bataille de Bazeilles (1870), reconstituée en studio. Les armées, qui ont pris conscience de la nécessité de garder des images des opérations, créent un service photographique et cinématographique en 1915, qui deviendra plus tard l’ECPAD (Etablissement de communication et de production audiovisuelle de la défense). L’action militaire sert la propagande destinée à la population à l’arrière du front. En racontant la vie militaire, le cinéma va jouer un rôle dans la relation des Français avec leurs armées pendant une centaine d’années. Dès 1920, le soldat n’apparaît plus comme un héros du XIXème siècle, mais plutôt comme un martyr ou une victime. La Grande Guerre, souvent désignée sous le terme de « boucherie », n’incite guère à traiter des conflits ou de l’héroïsme. Après 1940, les civils remplacent les militaires vaincus, qui n’incarnent plus l’héroïsme de la littérature historique. Ils sont mis en scène dans « La bataille du rail » (1946) et « L’armée des ombres » (1969). Il faudra attendre « La 7ème Compagnie » (1973), qui connaît un gros succès en salle, pour renouer avec le second conflit mondial. Les guerres de décolonisation modifient encore la représentation des armées, avec quelques films sur celle d’Indochine puis sur celle d’Algérie, où surgit l’antagonisme entre les « appelés » du contingent, les « engagés » et surtout les officiers d’active. Les premiers sont présentés comme des victimes envoyées à la mort par une hiérarchie politique et militaire sans conscience morale, notamment dans « Avoir vingt ans dans les Aurès » (1972) et « R.A.S. » (1973). A la suite des conflits précédents, les militaires professionnels sont perçus comme des « bourreaux », qui trouvent un exutoire dans la pratique de la torture. Ces caricatures ne facilitent pas le dialogue entre les milieux militaire et cinématographique. Pierre Schoendoerffer, cameraman pendant la guerre d’Indochine, pense à la postérité. Il met en scène des héros universels, héritiers du XIXème siècle et moines-soldats, avec « La 317ème section » (1965) et « Le Crabe-tambour » (1976). La sortie du film « L’honneur d’un capitaine » (1982), pour lequel la hiérarchie militaire a découragé le réalisateur, a rouvert de vieilles blessures dans l’institution. Avec la suspension du service militaire obligatoire (2002), la présentation cinématographique de la vie militaire dans sa diversité devient plus réaliste.

Partenariat aux Etats-Unis. Les liens entre la défense et le cinéma américains remontent à des décennies, rappelle Pauline Blistène. Dès 1931, le FBI (police fédérale et service de renseignement intérieur) a noué des relations avec le cinéma pour obtenir le soutien de la population et du Congrès…qui vote son budget ! Le Pentagone (ministère de la Défense) a suivi très tôt son exemple, au point de créer un « complexe militaro-divertissement », similaire au complexe militaro-industriel dénoncé par le président Eisenhower en 1961. Pendant le second conflit mondial, le monde du cinéma a contribué à l’effort de guerre pour unir la population américaine, par le biais de films de propagande, comme « Destination Tokyo » (1943), ou ceux de John Ford. Ce partenariat s’officialise en 1948 par l’ouverture d’un bureau de liaison à Hollywood, en vue d’une représentation réaliste des armées américaines à l’écran. Après la critique hollywoodienne de la guerre au Viêt Nam dans les années 1970, le Pentagone a négocié le prêt de matériels contre un droit de regard sur le scénario, notamment pour le film « Top Gun » (1984). Pendant la guerre froide (1947-1991), la CIA (service de renseignement extérieur) a souffert de son image, systématiquement mauvaise, à l’écran. Les scénaristes se sont notamment inspirés des « mémoires » des anciens agents de renseignement. Jalouse de la relation privilégiée du Pentagone avec Hollywood, la CIA a dû lutter pour sa survie à l’issue. Elle s’est donc résolue à communiquer en ouvrant un bureau à Los Angeles en 1995, puis un site internet. Après les attentats terroristes de 2001, la fiction étant l’unique point de contact entre les services de renseignement (SR) et le cinéma, elle a organisé des réunions entre ces derniers et des scénaristes, considérés comme plus imaginatifs. Sa culture du secret lui interdisant toute contrepartie, elle laisse le champ libre aux réalisateurs auxquels elle reproche la méconnaissance de la réalité, même si elle participe à la production ! En France, le premier film sur la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), « Secret Défense », sort en 2008. Deux ans plus tard, celle-ci crée un poste de « chargé de communication ». Les attentats terroristes à Paris (2015) et Nice (2016) font prendre conscience de la nécessité d’entrer dans leur réalité par la fiction. La série télévisée sur la DGSE, « Le Bureau des Légendes », démarrée dès avril 2015, continue en 2018. Elle a contribué à un accroissement qualitatif du recrutement, selon Pauline Blistène.

« Le Bureau des Légendes ». Le film (français) sur les SR israéliens, « Les Patriotes » (1994), est montré au jeunes recrues de la DGSE pour rendre hommage à l’institution, indique Cécile Ducrocq, qui participe à la réalisation du « Bureau des Légendes ». La matière première vient des livres, souvent à charge, des anciens de la DGSE, de la presse, d’internet à condition de faire le tri, des personnels de la DGSE, à qui le scénario est raconté en gros, et de visites à son siège pour les décors. Ensuite, l’invention totale prime, car il ne s’agit pas d’être réaliste mais crédible. La partie romanesque, qui porte sur un agent mettant ses collègues en danger, inclut héros, martyrs, victimes, trahison et dilemme moral permanent. L’espionnage constitue un vrai « pain bénit » pour les scénaristes.

Loïc Salmon

Intégrée à la Direction à l’information et à la communication de la défense, la Mission cinéma s’adresse aux professionnels de l’audiovisuel désireux de conduire des projets relatifs au ministère des Armées. Encadrée sur les plans juridique et financier, elle les accompagne, des premiers conseils à l’écriture à la communication lors de la distribution du film, en passant par l’accueil des tournages, la mise à disposition de matériels, de fonds de soutien financier et d’archives ou une proposition de co-production. En vue d’une mise en contact des réalités de la défense, la Mission cinéma accueille les scénaristes en immersion, sur le terrain ou dans les entités militaires.

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