Armée de Terre : comment faire la guerre autrement

La guerre asymétrique et la conflictualité au-dessous du seuil du conflit de haute intensité, par des Etats en compétition, modifient les modes d’action des forces terrestres, élaborés par la réflexion opérationnelle et l’innovation stratégique.

Ce thème a fait l’objet d’un colloque organisé, le 10 février 2022 à Paris, par le Centre de doctrine et d’enseignement du commandement de l’armée de Terre. Y sont notamment intervenus : le général d’armée Pierre Schill, chef d’état-major de l’armée de Terre ; le général de brigade Ivan Martin, commandant l’Ecole d’infanterie et ancien attaché de Défense à Moscou (2018-2021) ; le professeur Pierre Pahlavi, Collège royal des forces canadiennes ; le général de brigade Eran Ortal, directeur du Dado Center (études interdisciplinaires des forces armées israéliennes) ; le général de brigade Joseph Hilbert, directeur de la formation de la 7ème Armée américaine.

La France. Plusieurs tendances lourdes caractérisent la conflictualité aujourd’hui, estime le général Schill. D’abord, la révolution numérique transforme les sociétés et fournit un arsenal de combat dans le cyber et l’espace extra-atmosphérique. L’armée de Terre doit pouvoir agir jusqu’à l’affrontement militaire direct, quel que soit le degré d’intensité. En raison de la confusion entre le front et l’arrière tactique, opératif et stratégique, tout engagement militaire aura des conséquences sur la logistique et le substrat national. La course aux armements produit un nivellement par le bas. L’accélération de leur développement et la facilité de leur acquisition permettent à de petits groupes d’affronter ou de contourner des armées nationales. La Chine, la Russie et l’Iran ont décidé d’inclure la puissance économique dans le domaine militaire pour remettre en cause l’équilibre issu de la seconde guerre mondiale, avec le risque d’un affrontement majeur. S’y ajoutent les Etats faillis, le terrorisme et les déséquilibres démographique et climatique. Les pays compétiteurs de la France, à savoir des adversaires potentiels, pratiquent la contestation par des actions violentes ou non. Grâce à une appréciation autonome de la situation, la France peut intervenir de façon limitée avec ses forces spéciales et son dispositif « Guépard » d’alerte permanente. Elle peut jouer le rôle de nation-cadre dans une coalition OTAN, de niveau européen ou ad hoc, grâce à un poste de commandement de corps d’armée avec sa capacité d’appui et de soutien et une division lourde. A l’avenir, la prévention et l’influence permettront de répondre, plutôt en Afrique, à un Etat en compétition ou en contestation, et de contribuer à la stabilisation, la construction sur le long terme et l’accompagnement. La Task Force européenne Takuba le fait au Sahel, alors que les sociétés militaires privées, type Wagner (russe), créent des déséquilibres destructeurs.

La Russie. Héritière de l’URSS qui n’a pas été vaincue militairement, la Russie lutte contre le modèle occidental susceptible de supprimer le statu quo, souligne le général Martin. Or la géopolitique de l’OTAN remet en cause son droit de regard sur le glacis constitué par les pays de l’ex-URSS. La Russie pratique une diplomatie de l’ambiguïté pour altérer la capacité d’analyse et la prise de décision de l’adversaire. Face à des crises, elle agit militairement en cas d’absence de solution politique. Elle reconstruit ses capacités militaires pour durer, face à une menace hypothétique à ses frontières, et se projeter au-delà. Depuis 1990, elle modernise sa défense sol-air (missiles hypersoniques et laser) pour se prémunir d’une agression extérieure. Ses forces terrestres accroissent leur puissance de feu et leur capacité d’action dans la profondeur. Ses forces navales défendent ses approches maritimes et effectuent des démonstrations de force en Europe. La Russie se ménage un espace de manœuvre et d’action dans tout le spectre, sous le seuil de la guerre nucléaire et du déclenchement de l’article 5 de l’OTAN (assistance mutuelle en cas d’agression). Elle compte sur les technologies de pointe pour surprendre l’adversaire et lui imposer son tempo pour le paralyser.

L’Iran. Pays à majorité chiite dans un environnement régional sunnite et arabe, l’Iran a l’impression d’être toujours attaqué, souligne le professeur Pahlavi. Pour préserver son indépendance contre toute ingérence ou menace de l’étranger, il ne peut compter que sur lui-même, en raison de l’affaiblissement de ses capacités militaires, consécutif à l’embargo sur les armes, et de son isolement diplomatique. Pour exporter son idéologie, il se constitue une zone tampon régionale et cible les faiblesses sociétales de l’Occident. Il développe tous les outils disponibles, notamment les cyberattaques, la manipulation de l’information et un programme balistique. Il se tourne vers les approches indirectes et hybrides pour éviter le combat frontal. La nostalgie de l’antique empire Perse, exprimée dès la seconde moitié du XXème siècle, se manifeste par son désir de reconnaissance sur la scène mondiale aux côtés de l’Europe et des Etats-Unis. La stratégie aux facettes multiples de l’Iran converge vers celles de la Chine et de la Russie, dont il se rapproche. Trop lier son destin aux leurs risque de porter atteinte à sa souveraineté.

Israël. Depuis les années 1980, Tsahal (forces armées israéliennes) a recouru à la puissance de feu à longue portée contre ses ennemis avec des résultats satisfaisants, mais cela ne suffit plus, explique le général Ortal. En effet, l’Iran, de plus en plus présent dans la région, leur en fournit, leur permettant ainsi de développer leur propre capacité offensive et leur donnant une liberté d’action. Cette dynamique d’échanges de tirs conduit Israël à une posture de défense anti-aérienne et limite sa capacité de manœuvre pour se protéger. Grâce à ses capteurs et ses réseaux, Tsahal doit pouvoir découvrir un ennemi qui se cache, intercepter ses projectiles, puis détruire ses lance-roquettes. Les opérations futures combineront rapidité et manœuvre dans la profondeur du territoire adverse.

Les Etats-Unis. Selon le général Hilbert, depuis l’effondrement du monde binaire de la guerre froide (1947-1991), le domaine de la conflictualité inclut l’espace, l’air, le cyber, la mer, la terre et le monde souterrain, dans des environnements de compétition, de crise et de conflit armé. Dans une compétition coûteuse en ressources financières, humaines et technologiques, il convient d’accroître l’interopérabilité des systèmes entre pays alliés et partenaires, grâce à des formations et des entraînements communs. De plus, il faut développer une capacité dissuasive de projection des forces terrestres, capables de déséquilibrer rapidement l’adversaire potentiel. En cas de de crise, il faut garder l’ascendant sur lui dans tous les domaines de la conflictualité pour lui faire comprenne que ses intérêts sont en jeu et que les Etats-Unis ne se battront plus jamais seuls. En outre, ils procéderaient à des tirs de précision dans les zones dont l’accès leur serait interdit. Si la situation évolue vers un conflit armé, la supériorité technologique et la prise rapide décision devraient permettre de l’emporter.

Loïc Salmon

Armée de Terre : prête dans un contexte stratégique incertain

Israël : ripostes militaires de précision au Hamas de Gaza

Iran : Covid-19, sanctions américaines et ambiguïtés sur le nucléaire militaire




Défense : la MCIC, promouvoir les armées dans le respect de la liberté de création

Outre l’entretien du lien Armées-Nation, la Mission cinéma et industries créatives (MCIC) du ministère des Armées contribue au maintien des vocations et du sentiment d’appartenance de ses personnels ainsi qu’au rayonnement extérieur de la France.

Lors d’un point de presse, le 12 mai 2022 à Paris, sa directrice, Eve-Lise Blanc-Deleuze, l’a présentée et le producteur de la série télévisée « Sentinelles », Antoine Szymalka, a apporté son témoignage.

Accompagnement et expertise. Le ministère des Armées dispose d’un catalogue de 15 millions de photos et de 94.000 heures de films depuis 1842. Etablie en mai 2016, la MCIC étudie plus de 200 projets audiovisuels par an, dont 52 sollicitations sur des fictions de séries télévisées, 49 sur des fictions cinéma, 50 sur des documentaires et 25 tournages dans l’environnement militaire. La fiction permet au grand public de mieux connaître et comprendre le milieu des armées, indique Eve-Lise Blanc-Deleuze. Il ne s’agit pas de faire leur propagande mais d’en montrer la réalité et de lutter contre les représentations caricaturales. La MCIC reste présente tout au long du projet : avant le tournage, par le conseil en écriture, la documentation et l’expertise ; pendant, par la mise à disposition, payante, de matériels non accessibles dans le secteur privé ; après, par un accompagnement en matière de communication. La MCIC invite les professionnels concernés à visiter les établissements d’enseignement militaire, embarquer sur un porte-hélicoptères amphibie ou assister aux présentations des capacités de l’armée de Terre ou de l’armée de l’Air et de l’Espace. Certains films ainsi soutenus ont connu un succès réel, notamment « Le chant du Loup » (2019) et « Notre-Dame brûle » (2022). La série « Le Bureau des légendes » (50 épisodes de 2015 à 2020), vendue dans 15 pays et qui montre le rôle de la Direction générale de la sécurité extérieure de façon plausible, a suscité une vague de candidatures. Une série sur les forces spéciales doit suivre en 2023. D’autres sont à l’étude pour la Marine nationale et l’armée de l’Air et de l’Espace.

Fiction « vraisemblable ». La série « Sentinelles » (7 épisodes diffusés à partir d’avril 2022), soutenue par la MCIC, porte sur l’opération « Barkhane » au Mali. Elle présente une intervention terrestre dans sa véracité, explique Antoine Szymalka. Les différentes rencontres, organisées par la MCIC, ont permis de cibler l’univers militaire. Une formation accélérée de quatre jours dans un régiment a facilité le croisement des regards et des avis pour accroître le réalisme. Les entretiens avec des soldats de retour de « Barkhane » ont aidé à présenter les émotions des militaires sur le terrain. Alors qu’aux Etats-Unis un événement militaire donne rapidement lieu à une série télévisée, il a fallu quatre ans pour réaliser « Sentinelles », après une longue préparation documentaire et des tournages en France mais aussi au Maroc avec ses paysages de désert et ses véhicules de l’avant blindé…âgés.

Bandes dessinées à l’honneur. La MCIC a reçu plus de 90 ouvrages (25 éditeurs) pour la 2ème édition des « Galons de la BD ». Le 10 mai à l’Ecole militaire et en présence de la ministre des Armées Florence Parly, le jury a attribué : le Grand Prix à Madeleine Résistante, (vie de Madeleine Riffaud) ; le Prix Histoire à #J’accuse (l’affaire Dreyfus, traitée par les médias d’aujourd’hui) ; le prix Jeunesse à L’insurgée de Varsovie (Pologne, 1944) ; une mention spéciale à Bob Denard, le dernier mercenaire.

Loïc Salmon

Défense : le cinéma, de la communication à la réalité

Renseignement et cinéma : des logiques difficilement compatibles

Etats-Unis : stratégie d’influence et politique étrangère




Ukraine : risques nucléaire, biologique et chimique

Menace d’emploi de l’arme nucléaire et risques d’ordres chimique et biologique en Ukraine, quoique réels, font partie de la rhétorique guerrière de la Russie.

En conséquence, le bataillon franco-belge déployé en Roumanie dans le cadre de la mission « Aigle » se prépare à ces scénarios, comme l’a indiqué l’Etat-major des armées (EMA) le 28 avril 2022 à Paris. De son côté, la Fondation pour la recherche stratégique a organisé une conférence-débat sur ces sujets, le 20 avril à Paris, avec Emmanuelle Maitre, chargée de recherche, et Elisande Nexon, maître de recherche.

La mission « Aigle ». Le bataillon d’alerte de la force de réaction rapide de l’OTAN, composé de 500 Français et 200 Belges, participe au renforcement de la posture dissuasive, défensive et non agressive sur le front oriental de l’Europe. La mission « Aigle » a été lancée le 28 février 2022, rappelle le colonel Pascal Ianni, porte-parole de l’EMA. Le bataillon s’entraîne aux gestes et au savoir-faire en cas d’attaques NRBC (nucléaire, radiologique, biologique et chimique) avec des instructeurs du 2ème Régiment de dragons. La formation au combat en atmosphère viciée inclut l’étude des instruments de détection des risques, des protocoles de protection individuelle et des techniques d’attaques ennemies pour les contrer.

L’ombre du nucléaire. La mise en alerte des forces nucléaires russes par le président Vladimir Poutine dès le 27 février, soit trois jours après le déclenchement de l’attaque contre l’Ukraine, a été précédée d’avertissements réguliers de la part des dirigeants russes. Selon Emmanuelle Maitre, la Russie rappelle son statut de puissance nucléaire pour mener des opérations conventionnelles. Elle utilise la peur d’une escalade du conflit vers une confrontation nucléaire, afin de se protéger d’un niveau trop élevé d’intervention de l’Occident. Dans les années 1990 après son indépendance vis-à-vis de l’URSS, l’Ukraine a rétrocédé à la Russie 2.500 armes nucléaires tactiques et 1.000 ogives nucléaires de missiles intercontinentaux. Ses dirigeants avaient renoncé à la possession de l’arme nucléaire en raison de son coût prohibitif, du manque d’infrastructures pour la maintenir en condition opérationnelle et de l’absence de doctrine pour la justifier. En contrepartie, l’Ukraine a bénéficié d’une aide financière et du mémorandum de Budapest (1994), selon lequel les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la Russie s’engagent à respecter sa neutralité et son indépendance. Cet accord, mis à mal par l’annexion de la Crimée en 2014, est remis en cause par le conflit. Selon sa doctrine, la Russie n’utilisera ses armes nucléaires que pour défendre son existence. Les récentes déclarations du ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov devraient donc écarter la menace de leur emploi rapide en Ukraine.

Le biologique et le chimique. Depuis 2015, la Russie présente comme « américains » les laboratoires de recherches biologiques et chimiques situés en Ukraine. Depuis les années 2000, les Etats-Unis leur apportent un soutien financier pour éviter leurs contributions à des programmes à vocation offensive et pour renforcer les capacités mondiales de lutte contre les épidémies. Toutefois, les bombardements pourraient endommager leurs infrastructures et libérer accidentellement des produits chimiques dans l’atmosphère. L’interruption de l’alimentation électrique des congélateurs de cellules souches pourrait provoquer une contamination des personnels puis la propagation de maladies infectieuses.

Loïc Salmon

Ukraine : le volet français de la défense du flanc Est de l’Europe

Russie : perception et premier bilan de la guerre en Ukraine

Ukraine : sous-estimations stratégiques de la Russie




Espace : dangerosité du milieu et défense en coopération

Enjeu de rivalités de puissances, l’espace constitue un théâtre de conflictualité où se défendre est légitime. Au-delà de la surveillance, la coopération entre Etats s’inscrit dans une logique de poursuite.

Le général de brigade aérienne Thierry Blanc, adjoint au commandant de l’Espace, l’a expliqué lors d’une conférence organisée, le 5 avril 2022 à Paris, par l’Association des auditeurs IHEDN région Paris Ile-de-France.

Prolifération. Défini comme au-delà de 100 km de la surface de la terre, l‘espace est un milieu hostile où la température varie de + 250° C le jour à – 350° C la nuit. Quelque 35.000 débris de plus de 10 cm s’y déplacent à 7 km/seconde, effectuant le tour de la terre en 90 minutes. S’y ajoutent 600 t d’objets en orbite, dont 500 satellites présentant des risques de fragmentation. Tout objet dans l’espace peut devenir une arme, estime le général Blanc. Chaque jour, le Commandement de l’espace reçoit 70.000 informations sur les risques de collision. Il n’existe pas encore de texte juridiquement contraignant dans ce domaine. Le traité de 1967 sur l’espace interdit la mise en orbite d’armes de destruction massive capables de faire le tour de la terre et ne s’applique donc pas aux missiles balistiques nucléaires. Au cours des 15 dernières années, les dépenses consacrées à l’espace ont doublé. En 2020, 1.300 satellites opérationnels de 80 pays se trouvent en orbite, soit dix fois plus qu’en 2010. De nouveaux acteurs, privés, en disposent. Ainsi, le 5 avril 2022, le groupe américain Amazon a conclu un contrat avec trois sociétés spatiales portant sur 83 lancements, en 5 ans, de la majeure partie de son futur réseau « Kuiper » de 3.236 satellites en orbite basse (600 km) pour la diffusion d’internet. Il s’agit de : Arianespace avec la fusée Ariane 6, à partir du Centre spatial de Kourou (Guyane) ; Blue Origin avec le lanceur New Glenn et United Launch Alliance avec la fusée Vulcan Centaur, à partir de Cap Canaveral (Floride). Afin de dépasser les Etats-Unis en 2049, la Chine développe ses capacités spatiales, dont le budget devrait passer de 400 Mds$ en 2019 à 4.000 Mds$ en 2040. Par ailleurs, la guerre en Ukraine démontre l’importance militaire de l’espace. La Russie dispose de « satellites mères » capables de larguer des petits satellites avec une trajectoire particulière et une appartenance difficile à déterminer. Ces satellites pourraient disperser des débris ou percuter un autre satellite. Enfin, les cyberattaques présentent un risque majeur pour les futurs systèmes spatiaux.

Opérations. Une constellation de satellites contribue à la surveillance de l’espace par l’envoi de données traitées au sol pour déterminer les trajectoires en orbite, indique le général Blanc. Les Etats-Unis vont déployer 20.000-30.000 constellations de microsatellites, en complément de leur réseau de radars. Outre les missiles antisatellites et le brouillage de satellites de communications, la Russie développe des satellites saboteurs pour empêcher d’autres satellites d’accomplir leurs missions. Depuis 2012, la Chine a regroupé ses forces spatiales et cyber avec celles de la guerre électronique. En 2021, la Grande-Bretagne a créé un Commandement interarmées de l’espace rattaché à l’armée de l’Air, comme la France. La même année, celle-ci a rejoint le Centre d’opérations spatiales combinées, partenariat stratégique entre les Etats-Unis, le Canada, la Grande-Bretagne, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Afin de protéger ses satellites militaires, la France va lancer le patrouilleur spatial « Yoda » en 2023, en vue de la mise en orbite d’engins opérationnels d’ici à 2030.

Loïc Salmon

Armée de l’Air et de l’Espace : imaginer et mettre en œuvre une défense spatiale

Espace : système GEOTracker®, surveillance optique renforcée

Chine : l’espace au cœur du complexe militaro-industriel




Armée de l’Air et de l’Espace : imaginer et mettre en œuvre une défense spatiale

Indispensables à l’économie, la sécurité, l’autonomie stratégique et aux opérations militaires, les capacités spatiales sont confrontées à des risques croissants et à de nouvelles menaces.

Le 3 mars 2022 à Paris, Hervé Grandjean, porte-parole du ministère des Armées, et le général de division aérienne Michel Friedling, qui dirige le Commandement de l’espace (CDE), ont présenté à la presse la situation et les perspectives d’avenir dans ce domaine.

Les enjeux. Actuellement, 5.000 satellites militaires se trouvent en orbite et la Russie a réussi la destruction d’un de ses anciens satellites par un missile, rappelle Hervé Grandjean. La loi de programmation militaire 2019-2025 prévoit 4,3 Mds€ pour le renouvellement des capacités militaires spatiales. En outre, 700M€ supplémentaires permettront d’en financer trois de plus, à savoir la surveillance, la défense active et le C2 (commandement et conduite) qui permet le dialogue entre les capteurs et les systèmes d’arme d’interception. Chaque système comprend un missile, un radar de conduite de tir et l’autodirecteur du missile pour son guidage terminal sur la cible.

Les capacités militaires. Outre les services commerciaux, indique le général Friedling, le CDE dispose des programmes de satellites de communication militaires : Syracuse 4A et 4B, remplacés par Syr4C en 2029 ; Sicral 2, franco-italien ; Athéna-Fidus, franco-italien à usage également civil. Pour l’imagerie spatiale, il utilise : les services commerciaux d’Airbus Defence & Space ; les satellites du programme CSO, remplacé en 2028 par le programme Iris ; le système allemand de reconnaissance radar Sar Lupe (résolution, 1 m), bientôt remplacé par le système Sarah (résolution 35-40 cm) ; le système radar italien Cosmo SkyMed, à usages militaire et civil pour la surveillance du bassin méditerranéen. Le renseignement d’origine électromagnétique est assuré par le système CERES, remplacé par le système CELESTE en 2029. De plus, le CDE peut utiliser les systèmes de navigation Galileo (Union européenne) et Oméga (Etats-Unis, Norvège, Liberia, France, Argentine, Australie et Japon). Pour l’appui aux opérations, le programme ARES (Action et résilience spatiale) inclut des moyens de surveillance : optiques, avec les réseaux de télescopes automatiques Tarot et de capteurs GEOTracker® ; radar, avec les systèmes Satam (trajectographie des avions et des munitions), GRAVES (détection de satellites en orbite basse), qui aura un successeur en 2025, et Leolabs (Etat-Unis), capable de suivre 250.000 objets de moins de 10 cm ; de radiofréquences, avec le réseau de capteurs We Track de Safran Data Systems. En lien avec l’Agence d’innovation de défense, le LISA (Laboratoire d’innovation spatiale des armées) réunit les compétences du CNES, de l’ONERA, de la Direction générale de l’armement et d’une trentaine d’entreprises. Par ailleurs, le 28 janvier 2021, l’OTAN a décidé d’implanter, à Toulouse à proximité du CDE, un centre d’excellence dédié à l’espace auquel 14 pays ont annoncé leur participation. Du 24 février au 4 mars 2021, le CDE a organisé l’exercice spatial militaire « AsterX 2022 », mené aux niveaux opérationnel et tactique avec la Direction du renseignement militaire, la Direction interarmées des réseaux d’infrastructures et des systèmes d’information de la défense ainsi que des partenaires étrangers. En 2025, le CDE devrait compter 470 personnels civils et militaires contre 226 à sa création en 2019.

Loïc Salmon

Guerre future : menaces balistiques et spatiales accrues

Stratégie : espace et BITD, nécessité d’anticiper

Espace : lancement réussi des 3 satellites militaires CERES




Défense : tir réussi de l’ASMPA rénové et contrat ONERA

Le 23 mars 2022, le tir de qualification du missile stratégique ASMPA rénové a été réalisé avec succès au-dessus de l’Atlantique. Le 3 mars à Paris, le ministère des Armées et l’ONERA ont conclu un contrat d’objectifs et de performance sur cinq ans.

Modernisation des FAS. Le missile ASMPA (air-sol moyenne portée amélioré) rénové est destiné à équiper les Rafales biplaces des Forces aériennes stratégiques (FAS) de l’armée de l’Air et de l’Espace et les Rafales monoplaces de la Marine nationale embarqués sur le porte-avions à propulsion nucléaire Charles-de-Gaulle.  L’ASMPA actuel, entré en service en 2009-2010, a une portée d’environ 500 km à haute altitude et emporte une tête nucléaire de 300 kt. Le tir de qualification de la version rénovée fait partie d’un programme sous maîtrise d’ouvrage de la Direction générale de l’armement (DGA). Effectué par un Rafale de la base aérienne de Cazaux, il a été suivi pendant toute sa phase de vol par les moyens de DGA Essais de missiles à Biscarosse, Hourtin et Quimper et le bâtiment d’essais et de mesures Monge avec la participation de DGA Essais en vol. Outre le groupe européen MBDA, Dassault Aviation et l’Office national d’études et de recherches aérospatiales (ONERA) sont impliqués dans l’ASMPA rénové.

Partenariat ONERA-Armées. Le contrat d’objectifs et de performance (COP) couvre la période 2022-2026. Il résulte des travaux entrepris avec l’Agence de l’innovation défense et les partenaires institutionnels, académiques ou privés de l’ONERA. Il fixe une trajectoire financière d’équilibre visant à conforter l’assise économique de l’ONERA, à garantir l’embauche d’une cinquantaine de personnes dès 2023, sa dynamique contractuelle et sa capacité à investir. Cet équilibre repose la subvention pour charges de service public annuelle de 110 M€ dès 2022 et sur le financement de projets d’investissement à hauteur de 30,80 M€, notamment pour la modernisation des moyens de télédétection aéroportée ou de calcul intensif et pour l’activité de défense. Par ailleurs, le COP porte sur neuf objectifs opérationnels : mise en œuvre des feuilles de route déclinant les priorités thématiques poursuivies par l’ONERA ; réponses aux besoins d’expertise et d’essais ; développement de l’excellence scientifique pour relever le défi des ruptures en protégeant les savoirs et savoir-faire ; exploitation de la complémentarité de l’ONERA et du Centre national d’études spatiales ; renforcement des liens avec les universités et les écoles ; mise en place de nouveaux modes de valorisation de la recherche ; accroissement du rayonnement et du positionnement à l’international ; finalisation du regroupement géographique en Île-de-France et des autres grands chantiers, dont le projet ATP au profit des grandes souffleries ; établissement d’une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. Dans le domaine de la défense et de la sécurité, la mission de l’ONERA s’articule autour de cinq programmes : dissuasion ; systèmes de défense ; connaissance et anticipation ; systèmes de combat aérien ; sécurité. Dans le domaine de l’aéronautique, sa mission porte sur les avions, les appareils à voilure tournante, la propulsion et l’environnement, le système de transport aérien, les drones et la plateforme logicielle elsA. Dans le domaine spatial, sa mission porte sur les lanceurs et les systèmes orbitaux. Sous tutelle du ministère des Armées, l’ONERA emploie environ 2.000 personnes et dispose d’un budget de 237 M€, dont plus de la moitié provient de ses contrats commerciaux.

Loïc Salmon

Dissuasion nucléaire : modernisation de la composante aéroportée

Marine nationale : le fait nucléaire, dissuasion politique et actions militaires

Défense : l’ONERA, acteur majeur de l’innovation




Ukraine : le volet français de la défense du flanc Est de l’Europe

Depuis le début du conflit entre la Russie et l’Ukraine le 24 février 2022, la France contribue à la posture défensive de l’OTAN, de la Norvège à la Bulgarie.

Les colonels Pascal Ianni (Etat-major des armées) et Stéphane Spet (armée de l’Air et de l’Espace) l’ont expliqué à la presse, le 10 mars 2022 à Paris.

Le théâtre ukrainien. La Russie prévoyait une offensive courte et rapide, souligne le colonel Ianni. Faire manœuvrer 150.000 hommes demande du temps et nécessite une logistique énorme, en essence et munitions, calculée pour la première partie de la guerre. Une progression rapide sur une longue distance consomme beaucoup de carburant. Or en Ukraine, la logistique russe, basée traditionnellement sur le chemin de fer, a dû utiliser des camions. Les troupes russes, massées à la frontière ukrainienne, l’ont franchie en totalité et doivent y acheminer leurs propres ressources. En revanche, les forces ukrainiennes se battent chez elles et continuent de leur causer des pertes sévères, estimées déjà à 4.000 morts selon les services de renseignement américains. Les chiffres diffusés par les belligérants manquent de crédibilité, car manipulés dans le cadre de la guerre de l’information. En général, l’attaquant au sol doit disposer de trois fois plus de combattants que la défense adverse pour pouvoir l’emporter. Après deux semaines de combats, la « pause opérationnelle » des troupes russes, mais pas des bombardements, doit logiquement durer jusqu’à l’arrivée des réserves sur les différents fronts.

Le dispositif français. La France apporte un soutien militaire à l’Ukraine, rappelle le colonel Ianni. Les entretiens téléphoniques du président de la République, du chef d’Etat-major des armées et de l’amiral commandant en chef pour la Méditerranée se poursuivent avec leurs homologues russes pour la « déconfliction », actions de coordination pour réduire les risques d’accidents susceptibles de conduire à une escalade militaire. Au Sud où la France dispose de sa capacité autonome d’appréciation de la situation pour affirmer sa liberté d’action, les groupes aéronavals français et américain se coordonnent en Méditerranée orientale. Conformément au dispositif de vigilance renforcée de l’OTAN, un avion d’alerte avancée E-3F Awacs, parti de la base d’Avord, effectue des missions de défense aérienne et de renseignement à la frontière bulgare. En Roumanie, la mission « Aigle » de réassurance terrestre est menée par 500 militaires issus des 27ème Bataillon de chasseurs alpins, 126ème Régiment d’infanterie, 4ème Régiment de chasseurs et 4ème Régiment d’artillerie de montagne. A la frontière polonaise, 2 avions de chasse Rafale (partis de Mont-de-Marsan) et 1 avion-ravitailleur Phénix (parti d’Istres) renforcent la défense aérienne. En Norvège, des éléments français des trois armées participent aux exercices OTAN « Brilliant Jump 22 » et « Cold Response 22 » de dissuasion et de posture défensive, prévus de longue date. En outre, la frégate multi-missions Languedoc poursuit sa patrouille en mer de Norvège. Pour protéger et contrôler l’espace aérien des Etats baltes, indique le colonel Spet, 100 militaires et 4 Mirage 2000-5 participent à police du ciel de l’OTAN. Ce dispositif alterne les semaines de permanence opérationnelle avec celles d’entraînement en Lituanie. Toutes ces missions sont pilotées par le Centre air de planification et de conduite des opérations de Lyon-Mont Verdun. Enfin, le Centre national des opérations aériennes (même base) interdit le survol de la France à tous les aéronefs civils des compagnies aériennes russes ou affrétés par des ressortissants russes.

Loïc Salmon

Ukraine : sous-estimations stratégiques de la Russie

Ukraine : soutiens OTAN et UE, sanctions contre la Russie

OTAN : réaffirmation des défense collective, gestion des crises et sécurité coopérative




Marine : interopérabilité et résilience, plus vite et plus fort

Avec ses innovations technologiques et ses talents, la Marine se prépare aux futures interventions en interarmées et en coalition. L’Europe va se projeter au-delà de la Méditerranée, jusqu’à l’arc Iran-Pakistan et l’Afrique.

L’amiral Pierre Vandier, chef d’état-major de la Marine (CEMM), l’a expliqué au cours d’une rencontre organisée, le 8 mars 2022 à Paris, par l’Association des journalistes de défense.

Bouleversement géopolitique. Le monde vient d’entrer dans une logique de puissance remettant en cause l’architecture de sécurité internationale, souligne le CEMM. L’intervention russe en Ukraine ne constitue pas une crise, comme au Proche-Orient, mais un changement profond sur les plans militaire et économique affectant les approvisionnements en pétrole, gaz (russe) et blé (russe et ukrainien). Elle ne se réduit pas à la mer Noire, mais s’inscrit dans un ensemble cohérent du port de Sébastopol (Crimée) à celui de Mourmansk (Nord du cercle polaire arctique). Déployé en Méditerranée orientale en support de la mission OTAN, le groupe aéronaval lance deux patrouilles de chasseurs Rafale et une de l’avion de guet aérien Hawkeye chaque jour. Un Rafale peut effectuer un aller-retour jusqu’en Roumanie en 1h30. Un sous-marin nucléaire d’attaque se trouve en océan Indien et la frégate de surveillance Vendémiaire en mer de Chine. Selon le document Brèves Marines (octobre 2021) du Centre d’études stratégique de la marine, des Etats historiquement maritimes renforcent leurs capacités en sous-marins et navires de surface et de débarquement. Plusieurs puissances émergentes, dont la Turquie, acquièrent des capacités de protection, d’intervention et parfois de projection océanique. En outre, l’Asie rassemble 55 % des sous-marins en service dans le monde, d’abord en Chine, au Japon, en Corée du Sud, en Australie, en Inde et au Pakistan, puis au Viêt Nam, en Birmanie, en Thaïlande et au Bangladesh. Faute de pouvoir mettre en œuvre un porte-avions, des Etats se dotent de bâtiments d’assaut amphibies.

Combat aéromaritime. L’exercice « Polaris 2021 » a permis de renforcer les capacités en combat aéromaritime de haute intensité. Du 18 novembre au 3 décembre 2021 sur les façades méditerranéenne et atlantique, il a mobilisé plus de 6.000 militaires français (130 soldats de l’armée de Terre) et étrangers et, notamment, le porte-avions nucléaire Charles-de Gaulle et le porte-hélicoptères amphibie Tonnerre. « Polaris 21 » a provoqué un changement de la manière de penser, estime le CEMM. Il a mis en œuvre deux forces symétriques, qui ont dû gérer leurs ressources en pétrole et en munitions et innover sur le plan tactique. Les commandants d’unités ont dû utiliser de nouvelles technologies et de nouveaux concepts, afin de surprendre l’adversaire pour conserver leur liberté d’action. Habitué à se préparer à la guerre selon une doctrine et par l’entraînement, le chef d’aujourd’hui doit faire face à l’incertitude, l’imprévu et la vulnérabilité consécutive à une perte de communication par satellite ou un dysfonctionnement du GPS, indispensables aux missiles de croisière. Il s’agit de maintenir le combat au même niveau, mais en mode dégradé, grâce à la résilience globale où chaque opérateur doit pouvoir être remplacé par un autre. Des marins « ambassadeurs internes » expliquent à d’autres marins comment changer de métier en cours de carrière. Sur le plan technique, le drone naval mode hélicoptère, véritable œil déporté, sera expérimenté mi-avril pendant la mission « Jeanne d’Arc 2022 ».

Loïc Salmon

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La nouvelle guerre secrète

Lutte contre le terrorisme et guerre hybride ont conduit la Grande-Bretagne, les Etats-Unis et Israël à recourir à des interventions secrètes par des unités militaires spécialisées ou même des sociétés militaires privées.

Ces unités, souvent dérivées des forces spéciales et entourées du secret le plus strict, opèrent sur le territoire national (sauf aux Etats-Unis) en étroite relation avec les forces de sécurité et à l’étranger avec les forces armées et les services de renseignement extérieur. Les groupes terroristes, cloisonnés en petites cellules difficiles à infiltrer, connaissent le mode de fonctionnement militaire et le rôle des médias et de l’opinion publique dans les pays occidentaux. Ces derniers doivent alors anticiper leurs opérations, identifier les cibles visées pour les protéger et localiser les cellules adverses pour les détruire. Cela nécessite des renseignements opérationnels très précis, d’origines humaine, électromagnétique et optique, en vue d’une attaque de drones, d’une frappe aérienne ou d’une intervention par une équipe spécialisée. Quoique surtout issus des forces spéciales, les personnels passent par une sélection drastique et suivent un entraînement rigoureux. Certaines unités changent de nom ou disparaissent en raison des circonstances. Leur budget est dissimulé et leur existence cachée. Créées à l’insu du contrôle parlementaire ou pour le contourner, elles ont démontré leur efficacité sans pour autant permettre, par leur seule action, de l’emporter dans un conflit. Toutes, en totalité ou via certains de leurs membres, ont abusé de leur autonomie d’action pour sortir de leur cadre initial avec, pour conséquences, des dégâts collatéraux lors d’assassinats ciblés, la torture (physique et/ou psychologique) de suspects ou des tractations financières illégales. L’expérience des actions clandestines pendant la seconde guerre mondiale, les conflits de la décolonisation et en Irlande du Nord a permis aux unités spécialisées britanniques de s’adapter puis d’intervenir à Londres, en Irak, Afghanistan, Pakistan, Libye, Yémen, Somalie et Iran. Grâce aux enseignements britanniques, les services spéciaux des Etats-Unis entament, contre l’Allemagne et le Japon (1941-1945), des opérations clandestines et une action psychologique qu’ils vont ensuite développer dans de nombreux pays. La CIA, civile et chargée de déstabiliser le bloc communiste dès 1947, se concentre sur le niveau stratégique. Créé 1980, le « Joint Special Operations Command » (Commandement interarmées des opérations spéciales) monte en puissance après 2001 et coopère désormais avec la CIA, autrefois sa rivale. Depuis la guerre conventionnelle de 1973, Israël est devenu la cible de menaces asymétriques accrues sur son territoire, ses frontières et à l’étranger. Les services de renseignement Shin Bet (intérieur), Aman (sécurité militaire) et Mossad (pays étrangers) ont considérablement développé leurs propres unités spécialisées. La France dispose de la Gendarmerie au niveau national, du Commandement des opérations spéciales et, pour les opérations clandestines, du service Action de la Direction générale de la sécurité extérieure. Enfin, une « remilitarisation » du renseignement se manifeste en Grande-Bretagne, aux Etats-Unis et en Israël. En effet, le développement des unités spécialisées et des moyens de renseignement de toutes origines assure aux forces armées la prééminence sur les agences civiles.

Loïc Salmon

« La nouvelle guerre secrète », par Eric Denécé et Alain-Pierre Laclotte. Mareuil Éditions, 432 pages. 19,90 €

Exposition « Guerres secrètes » aux Invalides

Lève-toi et tue le premier

Forces spéciales : outil complémentaire des forces conventionnelles




Ukraine : soutiens OTAN et UE, sanctions contre la Russie

Suite à l’attaque de la Russie contre l’Ukraine le 24 février 2022, la France, l’OTAN et l’Union européenne (UE) ont apporté leur soutien à cette dernière, sauf l’envoi de troupes au sol, et pris des sanctions économiques contre la Russie. L’Allemagne a décidé de se réarmer.

La France. Le 28 février, le président de la République, Emmanuel Macron, a demandé aux armées de faire preuve d’une « grande vigilance » et de la « retenue nécessaire lors des possibles interférences ». Il s’agit d’éviter un incident mal maîtrisé et mal interprété. En effet, depuis une décennie, les avions à long rayon d’action, les bâtiments de surface et les sous-marins russes fréquentent les zones d’intérêt français, près du territoire national, en Atlantique, en Méditerranée et en Manche. Depuis l’engagement direct de la Russie dans la guerre civile en Syrie en 2015, les bâtiments et aéronefs français engagés dans l’opération « Chammal » contre Daech en Irak se coordonnent avec les autres unités militaires sur zone pour éviter des situations à risque élevé. En Afrique, des sociétés militaires privées, dont Wagner (russe) que Moscou ne reconnaît pas officiellement, sont présentes en Centrafrique et au Mali, où sont engagées les forces armées françaises. Par ailleurs, selon le ministère des Armées, dès le début du conflit russo-ukrainien, la France a livré à l’Ukraine des casques, gilets pare-balles et appareils de déminage. D’autres équipements à vocation défensive, létaux et non létaux, seront prochainement livrés. Entre 2011 et 2020, la France a conclu avec l’Ukraine des contrats d’armements d’un montant de 124 M€ et incluant 20 patrouilleurs garde-côtes, en service en mer Noire, et des missiles défensifs à très courte portée pour les corvettes ukrainiennes. La France, qui préside le Conseil de l’UE pour le premier semestre 2022, se félicite de la décision de l’UE de financer des équipements militaires pour l’Ukraine jusqu’à 500 M€ (voir plus loin).

L’OTAN. Le 25 février, le président de la République a annoncé le renforcement de la présence militaire de la France sur le flan Est de l’OTAN. Le déploiement, déjà prévu, d’avions de chasse dans les Etats baltes (Estonie, Lettonie et Lituanie) sera accéléré et renforcé à des fins de protection et de défense. Depuis le 24 février, des patrouilles parties de France, assurent la défense aérienne du territoire polonais. Dès la mi-mars, 4 Mirage 2000-5 et une centaine de personnels de l’armée de l’Air et de l’Espace seront déployés en Estonie ainsi que 200 militaires d’un sous-groupement terrestre aux côtés des détachements danois et britannique. En Roumanie, la France va projeter un premier groupement tactique interarmes d’environ 500 militaires, issu du bataillon « Spearhead » de la Force à très haut niveau de réactivité de l’OTAN, actuellement commandée par la France. En effet, le Commandement suprême des forces alliées en Europe a demandé d’y déployer le bataillon «Spearhead ». La France s’est engagée à y tenir le rôle de nation-cadre. Déjà, depuis 2014, à la suite de l’annexion russe de la Crimée, non reconnue par la communauté internationale, les forces armées françaises participent à des missions de réassurance. Dans le cadre de la « présence avancée renforcée », un détachement de 300 militaires, de chars Leclerc et de véhicules blindés de combat d’infanterie, présent en Estonie depuis plus d’un an, est, alternativement, intégré à un bataillon britannique en Estonie et à un bataillon allemand en Lituanie. Dans les Etats baltes, la France contribue régulièrement à la police du ciel avec des avions de chasse, de guet aérien AWACS et de surveillance maritime pour des missions de surveillance et de renseignement. Elle envoie régulièrement des moyens navals en mer Noire, dont la frégate multi-missions Auvergne en janvier 2022. Par ailleurs, elle contribue à la sécurité aux abords de l’Europe par le déploiement du groupe aéronaval en Méditerranée et la participation à l’exercice « Naval 22 » en Norvège. Suite à un dialogue amorcé après l’effondrement de l’URSS en 1991, l’OTAN a accru son soutien au développement de l’Ukraine à partir de 2014 et a renforcé sa présence en mer Noire. Elle a ainsi intensifié sa coopération maritime avec l’Ukraine et la Géorgie, dont les provinces d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud ont proclamé leur indépendance que la Russie a reconnue en 2008. En 2017, le Parlement ukrainien a adopté une loi portant sur l’adhésion à l’OTAN, objectif de politique étrangère et de sécurité inscrit dans la constitution en 2019.

Les sanctions économiques. Selon le Groupe d’études géopolitiques, au 26 février 2022, Biélorussie, Syrie, Birmanie et Venezuela ont soutenu l’intervention russe en Ukraine. Tous les pays occidentaux l’ont condamnée. Le 2 mars, l’assemblée générale de l’ONU a adopté une résolution déplorant « l’agression » de la Russie et exigeant le retrait immédiat de ses forces armées : 141 votes pour ; 5 votes contre (Russie, Biélorussie, Erythrée, Corée du Nord et Syrie) ; 35 abstentions. Le 26 février, selon la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, les pays occidentaux ont décidé d’exclure de nombreuses banques russes, y compris la Banque centrale, de la plateforme interbancaire Swift, pour réduire le financement de la guerre en Ukraine. Swift permet le transit des ordres de paiement entre banques, de transfert de fonds, d’achat et de vente de valeurs mobilières. Selon l’association nationale russe Rosswift, la Russie en est le 2ème utilisateur après les Etats-Unis avec environ 300 banques et institutions, soit plus de la moitié de ses organismes de crédit. Toutefois, Moscou met en œuvre ses propres infrastructures pour les paiements (carte bancaire Mir), la notation (agence Akra) et les transferts (système SPFS). Le Conseil européen a décidé de geler les avoirs du président Vladimir Poutine, du ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov, des membres du Conseil national de sécurité et des députés russes ayant soutenu la reconnaissance des républiques séparatistes de Donetsk et de Louhansk en Ukraine. D’autres sanctions portent sur les finances, l’énergie, les transports, la technologie et les visas. La Suisse, qui a endossé toutes les sanctions prises par l’UE, a gelé les avoirs, estimés à 21,4 Mds$, de riches hommes d’affaires russes. Environ 80 % du négoce de pétrole et de gaz russes se fait en Suisse. Le 2 mars, l’Allemagne a abandonné le projet de gazoduc Nord Stream 2, long de 1.230 km en mer Baltique, la reliant à la Russie et propriété du groupe russe Gazprom.

Les conséquences militaires induites. Le 27 février, Josep Borrell, Haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, a annoncé une aide de 450 M€ à l’Ukraine pour l’achat d’équipements militaires létaux, dont des avions de chasse, et une autre de 50 M€ pour des matériels non létaux. L’Allemagne va livrer 1.000 lance-roquettes et 500 missiles sol-air à l’Ukraine. Elle a augmenté immédiatement son propre budget militaire de 100 Mds€ et l’accroîtra chaque année, afin qu’il dépasse 2 % de son produit intérieur brut. La construction des futurs chars et avions de combat avec les pays de l’UE, dont la France, devient une « priorité absolue », selon le chancelier Olaf Scholtz.

Loïc Salmon

Union Européenne : présidence française, les enjeux de défense

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