Pour la Chine, le domaine spatial exprime ses compétences nationales. Le régime communiste a toujours soutenu ce programme technologique, considéré comme essentiel à la modernisation et la reconnaissance internationale du pays.
Isabelle Sourbès-Verger, géographe et chercheur au CNRS et au centre Alexandre Koyré, a présenté le programme spatial chinois au cours d’un séminaire organisé, le 8 avril 2013 à Paris, par la Délégation aux affaires stratégiques et l’Institut de recherche stratégique de l’Ecole militaire.
Histoire d’une ambition. Dès 1956, le Comité central du parti communiste chinois perçoit l’intérêt potentiel de l’espace et crée, au sein du ministère de la Défense, la « 5ème Académie » qui regroupe les compétences scientifiques et technologiques du pays. Quatre ans plus tard, celle-ci lance un premier missile dénommé Dong Fang-1et copié du missile soviétique R-2. De son côté, l’Académie (civile) des sciences lance la première fusée-sonde T-7M. Le programme de lanceurs est maintenu malgré la fin de l’assistance soviétique, consécutive au refroidissement des relations entre la Chine et l’URSS après 1960. Les activités spatiales, implantées à Shanghai et à Pékin, sont regroupées autour de « l’Académie chinoise de la technologie des lanceurs » (militaire) et de « l’Académie chinoise de la technologie de l’espace » (civile). Pendant la Révolution culturelle (1966-1976), les activités spatiales repassent sous contrôle militaire. Puis, leurs applications (télécommunications et télédétection) constituent un élément important de la modernisation du pays. En vue de combler ses lacunes, la Chine conclut des accords de coopération avec les pays européens et, en 1980, devient membre de la Fédération internationale de l’espace. Elle tente d’acheter des technologies en vue d’acquérir les compétences qui lui manquent et ainsi limiter ses dépenses en recherche et développement. Mais les pays occidentaux, peu enclins à lui transférer des technologies de pointe qu’elle n’a pas toujours les moyens d’intégrer, préfèrent mettre à sa disposition leurs systèmes nationaux, comme le satellite franco-allemand Symphonie pour des essais de téléphonie et de télévision. Un ministère civil de l’Industrie aérospatiale voit le jour en 1982. Trois ans plus tard, apparaît la Compagnie de la Grande Muraille pour la commercialisation internationale des lanceurs Longue Marche, moins chers que leurs homologues américains et européens. Quoique la priorité soit donnée aux programmes d’applications, la recherche fondamentale de haut niveau se poursuit. Les technologies de l’espace arrivent derrière celles de la biologie, mais devant celles de l’information, du laser, de l’automation, des nouvelles sources d’énergie et des nouveaux matériaux. Entre 1978 et 1983, la Chine parvient à maîtriser les systèmes de télécommunications sur orbite géostationnaire et les systèmes météorologiques. Elle améliore ses satellites récupérables FSW, d’une durée de vie de 18 jours. En 1992, elle annonce un programme de vol habité, en vue d’acquérir la totalité des compétences spatiales et une reconnaissance internationale. Elle profite en effet de la disparition de l’URSS et de l’ouverture du secteur spatial en général, contraint de proposer ses produits sur le marché international pour survivre. En 1993, par souci d’efficacité économique, le ministère de l’Industrie aérospatiale est remplacé par deux organismes : « l’Agence spatiale chinoise », à vocation administrative, pour le suivi et la coordination des entreprises ; la « China Aerospace Corporation », à vocation industrielle, pour l’organisation de l’industrie spatiale civile et militaire. Selon le Livre Blanc sur l’espace, publié en 2000, ce domaine d’activités participe aux besoins de la construction économique, au développement de la sécurité nationale, des sciences et de la technologie, au progrès social et à la protection des intérêts nationaux.
Performance des moyens. En 2012, la Chine a déjà assuré plus de 130 lancements de satellites sur orbites basse et géostationnaire pour des missions scientifiques, d’exploration, d’observation, de télécommunications et de navigation. Elle dispose à cet effet de trois bases de lancement : Jiuquan, Taiyuan et Xichang (voir carte). La nouvelle base de Wenchang, sur l’île de Hainan, doit accueillir le nouveau lanceur Longue Marche 5 dont les « boosters » de 5 m de diamètre seront acheminés par mer. En conséquence, la base de Xichang (Sud), choisie au départ dans la profondeur du territoire pour des raisons stratégiques, devrait être fermée en raison de sa difficulté d’accès et de sa proximité de zones habitées. Le lanceur Longue Marche 5, dont le premier tir est attendu en 2014, pourra placer un satellite de 25 t sur orbite basse ou un autre de 14 t sur orbite géostationnaire, performances comparables aux fusées européenne Ariane 5 et américaine Atlas HLV. Selon ses configurations, ce lanceur pourra mettre des satellites commerciaux sur orbite, lancer des modules de station spatiale et envoyer des sondes lunaires. De nouveaux lanceurs, en cours de développement, permettront d’accroître les capacités de lancement en orbite géostationnaire et d’assurer les besoins de futures missions d’exploration habitées ou même plus lointaines que la lune. Dès 2003, la Chine a démontré sa capacité à envoyer un homme dans l’espace de façon autonome. Dans les années 1990, les activités spatiales ont fait l’objet d’une synergie civilo-militaire avec deux filières distinctes. Les compétences industrielles sont du ressort de la tutelle civile, mais la responsabilité des bases de lancement et celle des vols habités incombent à l’Armée de libération nationale. Depuis 2007, les entreprises privées ont accès au marché de la défense via le Département général de l’armement (DGA), fondé en 1998 sur le modèle de la Direction générale de l’armement française. Le DGA, qui centralise les programmes militaires depuis la recherche et le développement jusqu’aux essais de mise en œuvre opérationnelle, suit désormais les activités spatiales. Depuis ses sites de commande et de contrôle, il procède à tous les lancements et dirige les manœuvres spatiales, de la mise sur orbite d’un satellite à sa destruction éventuelle en orbite (interception réussie en 2007). Il finance en grande partie une centaine de laboratoires civils pour évaluer les meilleurs choix technologiques et proposer des orientations. Toutefois, pour combler son retard sur l’Occident en matière de systèmes de télécommunications et de télédétection, la Chine recherche des coopérations diversifiées. Elle a conclu des accords en ce sens avec la Russie et le Brésil et en négocie avec le Chili, la Mongolie, la Corée du Sud, la Thaïlande, le Bangladesh, le Pakistan et l’Iran.
Loïc Salmon
Inde : industrie spatiale civile, mais de plus en plus militaire
Avec un budget de 3,1 Md$ en 2012, l’industrie spatiale chinoise emploie environ 250.000 personnes, dont 10.000 à 15.000 chercheurs et ingénieurs. D’une superficie de 9,6 Mkm2, la Chine compte 14.500 km de frontières maritimes et 22.177 km de frontières terrestres. Celles-ci touchent 14 pays : Afghanistan, Bhoutan, Birmanie, Inde, Kazakhstan, Corée du Nord, Kirghizstan, Laos, Mongolie, Népal, Pakistan, Russie, Tadjikistan et Viêt Nam.