Les cavaleries de l’Histoire

Les expéditions coloniales en Afrique du Nord au XIXème siècle ont conduit l’armée française à constituer des haras militaires, fournisseurs de chevaux de guerre très résistants et destinés à une cavalerie adaptée : les « spahis ».

Deux documentaires de l’Établissement de communication et de production audiovisuelle de la défense (ECPAD) retracent l’histoire et les traditions de ces « hommes libres à cheval ». Le premier, intitulé « Spahis, une vie à part », raconte, avec de nombreuses, illustrations, images et films d’archives, la saga de ces cavaliers, d’abord au service de l’Empire Ottoman jusqu’à la prise d’Alger (1830), puis de la France jusqu’à la fin de la guerre d’Algérie (1962). La première unité de cavalerie légère prend corps en 1834 sous l’impulsion du futur général Yusuf (1808-1864), né Joseph Valentini, enlevé  tout enfant par des corsaires et vendu au Bey de Tunis. Les spahis sont reconnaissables à leur « burnous », rouge pour les tribus nomades d’Algérie, puis bleu (signe de notabilité) pour celles du Maroc avec l’intérieur blanc. Le burnous tient chaud la nuit et conserve, pendant la journée, la fraîcheur emmagasinée la nuit. Le fanion de l’unité, symbole de commandement, est orné d’une queue de cheval pour permettre de voir partout le chef. Rapidement intégrés à l’armée régulière, les régiments de spahis sont formés à la guerre de surprise et aux coups de mains. Le futur maréchal Lyautey (1854-1934) les emploie pour pacifier la frontière algéro-marocaine, théâtre de razzias de tribus pillardes. La pacification du Maroc (1903-1912) se réalise selon ses  trois principes : montrer sa force militaire, mais ne l’utiliser qu’en cas de nécessité ; inspirer confiance aux grands chefs arabes ; restaurer la puissance temporaire et spirituelle du sultan… qui abandonnera ses pouvoirs exécutifs au résident français. Dans les territoires français d’Afrique du Nord (colonie d’Algérie et protectorats de Tunisie et du Maroc), les spahis jouent un rôle militaire et politique par l’enracinement local et le maintien du contact avec les populations. En 1914, les conscrits algériens sont mobilisés, mais les Tunisiens et Marocains ne s’engagent que sur la base du volontariat. Tous s’illustrent, notamment à Verdun et sur le front d’Orient (Bulgarie, Serbie et Roumanie). En 1943, les combattants musulmans intègrent l’Armée d’Afrique. L’année suivante, un spahi de la 2ème Division blindée réalise le serment de Koufrah (Libye) et accroche le drapeau français à la flèche de la cathédrale de Strasbourg. Aujourd’hui, il ne reste plus que le 1er Régiment de spahis, installé à Valence et fier de son passé africain dont il conserve le burnous et la large ceinture rouge, par dessus la tenue camouflée. Le second documentaire présente les chevaux « barbes », mot dérivé de « berbère », nom des ethnies d’Afrique du Nord. Leur rusticité, docilité et endurance ont permis à la cavalerie du général carthaginois Hannibal (247-181 avant JC) d’arriver jusqu’aux portes de Rome… après avoir franchi les Pyrénées et les Alpes ! Après la conquête de l’Algérie, l’armée française les déploie en Crimée (1853-1856) et au Mexique (1861-1867). Pendant la guerre d’Algérie, elle les réutilise dans le Sud pour la surveillance et la protection de caravanes de chameaux qui traversent le Sahara.

Loïc Salmon

« Les cavaleries de l’Histoire », deux documentaires de l’ ECPAD, agence d’images de la défense : « Spahis, une vie à part », 52 mn ; « Le cheval barbe, une indéfectible alliance », 26 mn.

Boutique : www.ecpad.fr/boutique.ecpad.fr/prestations.ecpad.fr




Gouverner au nom d’Allah

L’islamisme, mélange de politique et de révolution apparu au XXème siècle, a donné naissance à diverses appellations hybrides : « islam politique », « islam radical », « république islamique » et « révolution islamique ».

Aujourd’hui, il est l’élément dominant dans une vingtaine de pays regroupant plusieurs centaines de millions d’habitants. Ce courant religieux ultra-orthodoxe vise à transformer les pays musulmans sur les plans religieux, politique, social et culturel. Il veut reconstituer le « califat » du début de l’islam sous une direction arabe et repartir à la conquête du monde. Or, bien que se réclamant de l’identité arabe, les peuples dits « arabes » n’ont jamais pu former un État unique. Selon le « think tank » américain Pex Research Center, les musulmans sont présents dans 170 pays et majoritaires dans 47. Cette communauté de 1,572 milliard de croyants se répartit entre l’Asie (972 millions), les Moyen-Orient et Maghreb (315 millions), l’Afrique subsaharienne (240 millions), l’Europe (38,1 millions) et l’Amérique (4,97 millions). Malgré la haine multiséculaire entre les Iraniens chiites et les Arabes sunnites, tous les musulmans dénoncent Israël, puissance nucléaire avérée et belliciste au sein du Proche-Orient, et les États-Unis, ses indéfectibles alliés. En 2006, les statistiques de l’ONU font apparaître que les musulmans ont atteint 19,2 % de la population mondiale, devançant pour la première fois les catholiques avec 17,4 %. Pour les islamistes, ce fut le signe que la victoire était proche. Hier inconnu et persécuté, l’islamisme est devenu un phénomène planétaire et veut redessiner le monde par la terreur et la prédication. Il utilise les stations de radios et de télévisions spécialisées, internet, les réseaux sociaux et dispose d’importantes maisons d’édition, qui distribuent gratuitement manuels et coran dans l’ensemble du monde musulman. Pour l’islamiste radical, la guerre a pour but de tuer tout contrevenant aux lois de l’islam. En une trentaine d’années, l’opinion générale sur l’islamisme est passée de la sympathie (guerre soviétique en Afghanistan) à l’inquiétude (lapidation de femmes et destruction de patrimoine historique), la panique (terrorisme) et la confrontation (enracinement dissimulé dans la société). A terme, l’islamisme radical pourrait être assimilé à l’islam tout court. L’organisation terroriste Al-Qaïda a noué des liens avec celle, moins extrémiste, des « Frères musulmans ». Ces derniers se trouvent aujourd’hui au cœur de la finance islamique internationale, en coopération avec les princes et émirs du golfe Arabo-Persique et les richissimes hommes d’affaires arabes, par le biais des banques, sociétés boursières et d’investissement, du commerce, de l’hôtellerie et des industries de pointe. En effet, les élites des Frères musulmans étudient l’informatique, la physique nucléaire, les mathématiques, la médecine et la recherche spatiale dans les meilleures universités du monde. Par ailleurs, les islamistes mettent en avant les progrès scientifiques de l’Iran, en dépit des sanctions de l’ONU, et les succès industriels et commerciaux de la Turquie. L’influence de ce pays, gouverné par des islamistes, est considérable sur les Arabes démocrates, nationalistes ou…islamistes radicaux ! Pour l’Algérien Boualem Sansal, auteur du livre « Gouverner au nom d’Allah », l’unique moyen pacifique d’apaiser les tensions au sein du monde musulman réside dans la liberté d’expression de chaque individu et citoyen, mais en toute sécurité !

Loïc Salmon

Moyen-Orient : défi du terrorisme islamiste de l’EIIL

Moyen-Orient : chaos interne et répercussions périphériques

Prix Brienne du livre géopolitique 2014

« Gouverner au nom d’Allah », par Boualem Sansal. Éditions Gallimard, 156 pages, 12,50 €




Défilé 14 juillet 2014

L’Établissement de communication et de production audiovisuelle de la défense (ECPAD) a réalisé un recueil de courts métrages sur le défilé du 14 juillet 2014, qui marque le centenaire du début de la Grande Guerre, les 80 ans de l’armée de l’Air et le 60ème anniversaire de l’Aviation légère de l’armée de terre.

Les temps forts sont à l’honneur : élèves des Écoles militaires et de la police, pompiers, troupes et équipages de navires qui ont été déployés en opérations, Patrouille de France, avions et hélicoptères de combat et… Légion étrangère et Garde Républicaine à cheval ! Le premier conflit mondial est rappelé par une parade de « poilus » en uniforme bleu horizon et un canon de 75 mm, tracté par … des chevaux. Pour la première fois, des représentants  d’environ 80 pays ont descendu une partie des Champs Elysées avec leur drapeau. Mais un défilé d’une telle ampleur se prépare longtemps à l’avance et mobilise beaucoup de monde en dehors des troupes elles-mêmes. Les « coulisses du défilé » montrent les difficultés des derniers entraînements à 5 h du matin sous la pluie pour les soldats étrangers, qui ne marchent pas au même rythme que les Français. Le ballet des aéronefs est réglé à quelques secondes près, malgré les aléas de la météorologie. Le « Jour J », les véhicules sont en place dès 6 h du matin. Les légionnaires apprendront qu’un des leurs vient de mourir au combat au Mali. Certains militaires, qui défilent pour la première fois, expriment leur émotion et leur fierté pour leur famille et leur pays : le spectacle doit être magnifique ! La défense étant l’affaire de tous, les femmes, de préférence officiers, sont interviewées et bien mises en valeur. Un clip d’images d’actualités de l’époque rend hommage au monde combattant de 1914 : ceux du front dans les tranchées, les premiers aéroplanes rattachés à l’époque à l’armée de Terre et le soutien à l’arrière dans les hôpitaux et les usines d’armement. Les étrangers, « ceux qui sont venus du monde entier pour faire la guerre », ne sont pas oubliés. Et puis, c’est la victoire avec le gigantesque défilé du 14 juillet 1919 à partir de l’Arc de Triomphe. Aujourd’hui, les opérations extérieures ont remplacé les conflits autrefois déclarés officiellement, le dernier remontant à 1991 avec un vote du Parlement pour la guerre de libération du Koweït. Un dernier clip retrace les engagements de l’année écoulée avec les moyens terrestres, maritimes, aériens et logistiques déployés au Mali (« Serval »), en Afghanistan (retrait), en Guyane (protection du centre spatial de Kourou) et au large de la Somalie (lutte contre la piraterie). Il y a eu des morts, qui ont été honorés, mais aussi des blessés, dont la réhabilitation passe par le sport. Enfin, 2014 marque aussi le 70ème anniversaire des débarquements alliés en Normandie (6 juin) et en Provence (15 août), le commencement de la fin de la 2ème guerre mondiale. « Défilé 14 juillet 2014 » présente tout cela… avec le sentiment que l’armée française fait corps avec la nation !

Loïc Salmon

14 juillet 2014 : 80 nations invitées pour les 100 ans de la Grande Guerre

Grande-Bretagne : commémorations en France du « Jour J » et de la Grande Guerre

14 juillet 2013 : une armée d’avant-garde fière de ses traditions

« Défilé 14 juillet 2014 » ECPAD, agence d’images de la défense, 53 mn.

Boutique : www.ecpad.fr/boutique.ecpad.fr/prestations.ecpad.fr




L’École militaire, une histoire illustrée

Ce monument parisien du « Siècle des lumières », où se développent l’action et la réflexion militaires,  a connu une histoire mouvementée, indissociable de celle du Champ-de-Mars qui la jouxte.

Tout commence en 1750, quand le « contrôleur de l’extraordinaire des guerres » Pâris-Duverney soumet à Louis XV un mémoire sur l’utilité d’un collège académique pour la formation des jeunes officiers. Il bénéficie de l’appui de la favorite du Roi, la marquise de Pompadour, qui souhaite un projet architectural supérieur à l’Hôtel des Invalides dont Louis XIV décida la construction en 1671. L’édit royal de 1751 concerne la création de l’École militaire, qui sera achevée en 1785 sous la direction des architectes Gabriel (celui des Hôtels de la Place de la Concorde) et Brongniart (celui du Palais de la Bourse et du Cimetière du Père-Lachaise à Paris). La marquise, qui y contribuera avec ses deniers personnels, y est immortalisée sous la forme d’une jeune femme symbolisant la « Vigilance », en support de la grande horloge de la cour d’honneur. L’édit précise que l’École est destinée  à « cinq cents jeunes gentilshommes nés sans biens, dans le choix desquels nous préférerons ceux qui, en perdant leur père à la guerre, sont devenus les enfants de l’État ». L’enseignement porte sur la géographie, le génie, l’équitation, l’artillerie, le maniement des armes (fusil et baïonnette) et l’escrime. Les élèves travaillent beaucoup et sous une discipline sévère, mais sont « servis magnifiquement », comme le note Bonaparte qui y séjourne d’avril 1779 à septembre 1784. Le Champ-de-Mars, vaste terrain d’exercice entre l’École et la Seine, sera le théâtre d’événements marquants dont notamment : la fête de la Fédération le 14 juillet 1790, dont la commémoration est devenue nationale en 1880 et non pas en référence à la prise de la Bastille en 1789 ; la remise des emblèmes (drapeaux, étendards et guidons) à toutes les unités militaires par Napoléon le 5 décembre 1804 ; la fête du mariage de Napoléon et de Marie-Louise le 24 juin 1810 ; la prise d’armes du 24 août 1855, où les officiers de Saint-Cyr arborent le « casoar » (plumet rouge et  blanc) en l’honneur de Victoria, Reine d’Angleterre. L’École militaire aura été  fermée à plusieurs reprises et transformée en caserne par intermittence jusqu’en 1945. Le capitaine Dreyfus y a été dégradé en janvier 1895, puis fait chevalier de la Légion d’Honneur en juillet 1906 après sa réhabilitation. Le bâtiment retrouve sa vocation première et deviendra « l’école des généraux », avec l’arrivée de l’École supérieure de guerre (ESG) en 1882, puis du Centre des hautes études militaires en 1911. Le lieutenant-colonel Foch, professeur à l’ESG de 1895 à 1901, y théorise ses principes de la guerre : économie des forces, liberté d’action et concentration des efforts. Il précise : « La réalité du champ de bataille est qu’on n’y étudie pas ; simplement on fait ce que l’on peut pour appliquer ce que l’on sait. Dès lors, pour pouvoir un peu, il faut savoir beaucoup et bien ». Sorti de l’ESG en 1924, le capitaine De Gaulle est convié par le maréchal Pétain à prononcer trois conférences devant les stagiaires et une grande partie de l’état-major général en avril 1927. Intitulées « L’action de guerre et le chef », « Du caractère » et « Du prestige », elles seront réécrites et complétées dans l’ouvrage « Le fil de l’épée » publié en 1932. Aujourd’hui,  l’École militaire accueille des officiers chercheurs… de plus de 80 pays !

Loïc Salmon

Enseignement militaire supérieur : former les chefs d’aujourd’hui et de demain

Les généraux français de la Grande Guerre

Les généraux français de 1940

« L’École militaire, une histoire illustrée » par Christian benoît. Éditions Pierre de Taillac, 128 pages, 150 illustrations, 14,90 €




Soldats de Napoléon

Malgré ses dysfonctionnements, la Grande Armée a connu peu de réfractaires et de désertions, grâce à la solidarité de village de ses soldats et la discipline militaire.

Abondamment illustré, ce livre la fait revivre à travers des extraits de lettres de grognards, écrites à leur famille lors de haltes et…guère soumises à la censure ! Dans la Grande Armée, héritière des armées révolutionnaires, le métier des armes repose sur l’honneur et l’excellence de ses membres. La conscription de 1798 concerne tous les Français de 20 à 25 ans, car les volontaires de l’an II ne suffisent plus. Ils seront plus de 2 millions sous les drapeaux d’avril 1792 à juin 1815. L’embrigadement de jeunes hommes du même village garantit en effet la cohérence de la troupe. L’infanterie de la Garde Impériale, créée en 1800 et réorganisée en 1804, constitue la réserve d’élite, composée de sous-officiers et de soldats s’étant distingués sur les plans moral et militaire et ayant participé à au moins deux campagnes. L’aigle, symbole de la victoire au combat, devient l’emblème de l’Empire en 1804 et orne drapeaux, étendards, shakos, gibernes et sabretaches. Malgré une solde irrégulière et le coût élevé de la vie, le statut d’officier est attractif et magnifié par le régime impérial. A partir de 1811, les officiers révolutionnaires, qui avaient appris leur métier sur le tas, sont surtout remplacés par des jeunes gens issus des écoles militaires. Mais le sentiment patriotique et politique du soldat révolutionnaire perdure chez le soldat impérial. En outre, l’Empereur exerce une réelle fascination sur lui. Voir physiquement Napoléon exerce un impact moral immense sur le soldat. L’aura des chefs importe beaucoup, car combattre sous leurs ordres c’est partager leur gloire. La motivation se trouve renforcée par l’espoir de promotion et surtout les récompenses pour intelligence, bonne conduite, bravoure et zèle. Créée en 1802, la Légion d’Honneur est attribuée pour services rendus dans des fonctions législatives, diplomatiques, judiciaires, scientifiques, militaires ou administratives. Toutefois, Napoléon ne l’accordera jamais aux comédiens, qui risquent d’être sifflés par le public, ni aux agents de renseignement, qui peuvent trahir, ni aux financiers qui peuvent être véreux, précise Jérôme Groyet. Malgré sa violence, la guerre est considérée comme une succession d’opérations militaires, où les combattants respectent une forme de code d’honneur. Ce n’est pas le cas avec les guérilleros espagnols. De 1800 à 1815, le nombre de soldats décédés au combat ou des suites de leurs blessures est estimé à 427.000, auxquels s’ajoutent les 550.000 morts de maladie et prisonniers jamais rentrés en France. Malgré le dévouement des médecins et infirmiers, les blessés manquent souvent de soins et les plus gravement atteints sont abandonnés sur le champ de bataille. Mais l’État paie la dot des filles pauvres qui épousent des anciens combattants. Après 1815, les soldats sont licenciés et les officiers mis en demi-solde, soit environ 1,5 million d’hommes. Les soldats, issus du monde rural y retournent. Les sous-officiers et officiers subalternes parviennent à se reconvertir dans la fonction publique, mais au prix d’un déclassement. Il faudra attendre la Monarchie de Juillet (1830-1848) pour que les combattants de l’épopée impériale passent du rejet social à la considération. Enfin, la Grande Armée a réalisé le rêve républicain…où la valeur et l’excellence l’emportent sur la naissance !

Loïc Salmon

Des Aigles et des Hommes : sur les traces de la Grande Armée

Exposition « Napoléon et l’Europe » aux Invalides

« Soldats de Napoléon» par Jérôme Groyet. Éditions Gaussen, 144 pages, 29 €




Cyberespace : enjeux géopolitiques

Cet ouvrage rédigé par des chercheurs universitaires et agrémenté d’un très utile lexique, fait le tour des questions (17 répertoriées !) que suscite le cyberspace. Ce terme englobe internet (plus de 40.000 réseaux autonomes) et son extension, à savoir un espace intangible où des citoyens de tous pays échangent des messages à une vitesse instantanée, qui abolit les notions de distance et de territoire. La géopolitique étudie les rivalités de pouvoir et d’influence sur un territoire à différents niveaux d’analyse, rappelle Frédérick Douzet. Parmi les divers thèmes abordés, figurent notamment le cyberterrorisme et les conceptions américaine, russe et chinoise du cyberespace. Pour Olivier Kempf, le terrorisme, difficilement identifiable en général, l’est encore plus dans le cyberespace. Les réseaux terroristes l’utilisent pour sa capacité subversive qui démultiplie leur influence, la transmission secrète de données (fabrication de bombes), son accès facile à des caractéristiques techniques de cibles éventuelles, son ingénierie sociale pour identifier les habitudes de victimes potentielles et la mise en place de recrutement. Parallèlement, de plus en plus d’actions terroristes sont dues à des « loups solitaires », individus qui se sont auto-endoctrinés par internet : attentats locaux et filières d’étrangers venant participer au « djihad » en Syrie. Après les attentats d’Al Qaïda du 11 septembre 2001 sur leur sol et leurs guerres en Afghanistan et en Irak, les États-Unis ont pris conscience de la « dyssymétrie » de la terreur, qui les touche, et ont modifié leur stratégie en conséquence. Face à une intervention militaire qui se conclut par une guerre au sein de populations et désormais impossible à gagner, ils préfèrent l’action indirecte appuyée par les drones, les forces spéciales et… le cyberespace ! Par ailleurs, la Russie, leur principal adversaire de la guerre froide (1947-1991), compte 50 millions d’internautes et dispose d’un des réseaux les plus rapides du monde : son moteur de recherche Yandex est plus utilisé que l’américain Google ! Internet et les réseaux sociaux sont considérés comme de simples médias sur lesquels l’État a un droit de régulation, au nom de la souveraineté… que la notion de cyberespace tend à effacer, explique Kevin Limonier. « Runet », segment russophone d’internet, repose sur une communauté de langue (la 2ème après l’anglais et à égalité avec le français), de pratiques et de valeurs, dont le marché reste difficilement pénétrable par des entreprises occidentales comme Amazon. En outre, Moscou utilise Runet pour maintenir son influence sur les anciennes républiques soviétiques et les pays de la mouvance de l’ex-URSS. Mais en Russie même, la sourde contestation du pouvoir s’est structurée sur les blogs et les réseaux sociaux. Enfin, face à la supériorité militaire américaine, la Chine exploite toutes les ressources du cyberespace pour moderniser ses forces armées par le recueil de l’information de haut niveau scientifique, technologique, politique et stratégique (veille, renseignement, intrusions et espionnage), souligne Frédérick Douzet. Elle s’affirme au niveau international par son lobbying sur la gouvernance d’internet, sa tentative d’autonomisation du réseau, le renforcement de sa zone d’influence et ses démonstrations de force. Elle a mis sur pied une « armée bleue » d’experts informatiques pour affronter les puissances étrangères. Mais les États-Unis conservent une longueur d’avance… d’après les révélations sur les programmes de la NASA !

Loïc Salmon

Cyberspace : de la tension à la confrontation ou à la coopération

Moyen-Orient : le « cyber », arme des États et d’autres entités

La géographie, ça sert, d’abord, à faire la guerre

« Cyberespace : enjeux géopolitiques », ouvrage collectif. Revue Hérodote N°152-153, 320 pages, 25 €




La géographie, ça sert, d’abord, à faire la guerre

La géographie, représentation du monde, est aussi un savoir et un raisonnement pour penser les complexités de l’espace terrestre. La géopolitique porte sur les rivalités de pouvoir sur un territoire donné.

Ce credo du professeur Yves Lacoste l’a conduit à concevoir la géographie autrement, en intégrant les pouvoirs, acceptés ou combattus, des populations en raison de l’histoire qu’elles se racontent, des représentations d’un passé plus ou moins lointain et d’un passé plus ou moins proche. La guerre géographique, avec des méthodes différentes selon les contrées, peut être mise en œuvre dans tous les pays. Elle a été notamment appliquée pendant la guerre du Viêt Nam, surtout en 1972, selon un plan américain de destruction systématique des digues de protection des plaines, très peuplées, du Nord. Des frappes précises, avant un cyclone, auraient provoqué des fissures, puis des inondations…qui auraient paru naturelles ! Yves Lacoste, sur place à l’époque, l’a démontré, carte à l’appui, dans un article publié dans le quotidien Le Monde. Le retentissement international fut tel que les bombardements des digues furent interrompus. En 1976, le professeur écrit un petit livre intitulé « La géographie, ça sert, d’abord, à faire la guerre », qui sera réédité avec des ajouts en 2012. Il y explique que cette discipline permet de mener des opérations militaires et d’organiser des territoires, en prévision de futurs combats et du contrôle des populations par l’appareil d’État. Par ailleurs, la recherche en géographie appliquée s’est développée aux États-Unis avec des moyens considérables, publics et privés, dans le prolongement des études de marché des économistes. Les grandes entreprises et les banques ont pu ainsi décider la localisation de leurs investissements sur les plans régional, national ou international. En outre, cet outil est devenu indispensable pour des interventions militaires rapides dans les lieux les plus divers, par suite de l’expansion mondiale des intérêts américains. L’URSS d’abord et la Chine ensuite ont suivi l’exemple des États-Unis. Les monographies régionales du tiers monde, réalisées par des géographes, anthropologues et sociologues, présentent un grand intérêt pour les services de renseignement, qui les mettent à jour méthodiquement. Les recherches théoriques ont rendu possible la mise au point de techniques de cartographie automatique : l’ordinateur établit instantanément des cartes de tous les mouvements détectés par des capteurs électroniques. Ainsi, la vallée de Jérusalem se trouve sous la surveillance d’un système américain aux dimensions planétaires, pour la protéger d’éventuels tirs de fusées iraniennes à longue portée. Le développement de l’infographie a permis la publication, dans la presse, de cartes détaillées avec des légendes très documentées. En 1976 également, Yves Lacoste crée la revue Hérodote, du nom de l’historien grec (484-420 avant JC) qui a analysé les guerres médiques. Cette revue, dont 151 exemplaires ont été publiés entre 1976 et 2013, rencontre un grand succès dans les milieux diplomatiques étrangers et a valu à son fondateur le prix international « Vautrin Lud », une sorte de prix Nobel de la géographie, en 2000 au Festival de Saint-Dié. Le professeur Lacoste place Hérodote en tête de tous les géographes et historiens car, selon lui, le véritable raisonnement géographique est indissociable du raisonnement historique.

Loïc Salmon

Guerre de l’information et information de guerre

Le cyberespace : enjeux géopolitiques

Prix Brienne du livre géopolitique 2014

« La géographie, ça sert, d’abord, à faire la guerre » par Yves Lacoste. Éditions La Découverte/Poche, 250 pages, 11 €.

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Armes secrètes de l’Allemagne nazie

Le tournant de la seconde guerre mondiale se produit après le débarquement des forces alliées en Afrique du Nord en 1942 et la défaite de la Wehrmacht à Stalingrad en 1943. Pour le contrer, le IIIème Reich accélère le développement d’armes, dites de « représailles », contre la Grande-Bretagne et dont la technologie est très en avance sur celles des États-Unis, à savoir les V1, V2 et V3. Le V1, véritable bombe volante (7,90 m de long et 2,25 t) est le premier missile de croisière. Le V2 (14 m, 12,5 t), à propergol liquide, est le premier missile balistique opérationnel et le prototype des lanceurs spatiaux. Le V3 est un canon (longueur 130 m et calibre 150 mm), profondément enfoui sous terre et protégé par une épaisse couche de béton. Il aurait dû lancer des obus de 3 m de long et 140 kg à 165 km, grâce à un apport d’air comprimé par chacune de ses 32 sections. Repéré lors d’une reconnaissance de l’aviation britannique, le site de lancement, en cours de construction, a été bombardé à plusieurs reprises. Le canon a été saisi par les troupes canadiennes en 1944, sans avoir tiré un seul obus. En revanche les V1 et V2 ont été utilisés contre la Grande-Bretagne, la Belgique et les Pays-Bas en 1944 et 1945. Le V2, mis au point à la base secrète de Peenemünde sur la côte baltique, a été fabriqué par des déportés des camps de Dora-Mittelbau et Buchenwald. Il a été conçu par une équipe de savants allemands, dont le fameux Wernher von Braun, âgé de 32 ans en 1944. Ce dernier et le V2 constituent les thèmes de l’ouvrage « Armes secrètes de l’Allemagne nazie », recueil de trois histoires de la bande dessinée britannique « Commando », publiée à partir de 1961. Pour une fois, les guerriers britanniques ne jouent que les seconds rôles. De surcroît, ils s’aperçoivent que les Allemands ne sont pas tous nazis et devront même une fière chandelle à certains d’entre eux. La 1ère histoire, intitulée « Opération Valhalla », relate comment des soldats britanniques rencontrent, par hasard, un vieux savant allemand en fuite, révolté par l’usage que son gouvernement entend faire de ses travaux sur la balistique. La 2ème histoire, intitulée « Attaque de fusée » met en scène un « As » de l’aviation britannique et son alter ego dans la Luftwaffe. Ils font connaissance lors de la bataille de Dunkerque en 1940, puis les circonstances vont les amener à agir dans l’ombre, ensemble et dans le même but : anéantir un site de lancement de V2. La 3ème histoire, intitulée « Projet Jugement dernier » a été publiée en 1975. Cette année-là, Von Braun, citoyen américain depuis 20 ans, reçoit la « National Medal of Science » pour ses travaux, notamment comme directeur de recherches de l’Agence pour les missiles balistiques de l’armée de terre américaine (missiles Pershing et Jupiter), puis directeur du Centre de vol spatial de la NASA pendant 12 ans (1958-1970). Son projet de mise en orbite de satellite artificiel date de 1954, mais l’URSS devancera les États-Unis avec le « spoutnik » en 1957 ! Avant de se rendre aux Américains (2 mai 1945), Von Braun avait été incarcéré deux semaines (mars-avril 1944) pour « désagrégation du potentiel militaire et défaitisme » sur ordre de Himmler, chef de la SS et de la Gestapo. Dans « Projet Jugement dernier », un savant britannique va mener de main de maître une opération commando contre une basse secrète de V2… à la stupeur admirative des baroudeurs qui l’accompagnent !

Loïc Salmon

Forces nucléaires : l’enjeu stratégique de la prolifération des missiles balistiques

Jour-J

Derrière les lignes ennemies

« Armes secrètes de l’Allemagne nazie », bande dessinée britannique Commando. Éditions Pierre de Taillac, 200 pages. 9,90 €




Derrière les lignes ennemies

Les « opérations spéciales » remontent à l’Antiquité avec … le cheval de Troie ! Mais les « forces spéciales » ont forgé leur légende en Grande-Bretagne pendant la seconde guerre mondiale. Elles font la guerre autrement que les troupes conventionnelles, en s’infiltrant dans le dispositif adverse pour une opération ponctuelle et de courte durée. Le mot « commando », qui caractérise aussi bien les unités que leurs actions, date de la guerre des Boers en Afrique du Sud (1899-1902) pour désigner les actions de guérilla et les raids des Afrikaners… contre les troupes britanniques ! Un certain Winston Churchill a participé à cette campagne, tantôt comme civil en tant que correspondant de presse, tantôt comme officier de cavalerie. Il saura en tirer les leçons lorsqu’il sera Premier ministre pendant la seconde guerre mondiale. Après la bataille de Dunkerque (21 mai-4 juin 1940), ce qui reste de l’armée britannique a rembarqué en abandonnant son matériel. Dix compagnies indépendantes de l’armée de Terre sont alors créées pour mener des raids de faible envergure dans l’Europe occupée. Appelées plus tard « Special Service Battalions » et connues sous le nom de « Commandos », elles seront regroupées en une « Special Service Brigade », dont les raids éclairs sur les côtes maintiennent en haleine les troupes allemandes qui y sont stationnées. En 1943, les « Royal Marines » (troupes de débarquement) forment leurs propres commandos. L’année suivante, la Special Service Brigade change son nom en « Commando Brigade », car le sigle « SS » figurant sur son insigne avec deux poignards horizontaux avec la garde en forme de « S » se rapprochait trop de celui de l’organisation nazie « SS ». Dès l’été 1941 en Afrique du Nord, est mis sur pied le « Special Air Service » (SAS), dont les combattants, bien équipés et très entraînés, sont parachutés en territoire hostile pour s’y cacher et frapper l’ennemi avant de disparaître. Pendant 15 mois, ils sèment une telle confusion dans les rangs germano-italiens, que le maréchal Rommel reconnaîtra qu’ils lui avaient causé plus de dommages que toute autre unité d’une force équivalente. Les SAS ont adopté la devise « Qui ose gagne ». L’ouvrage « Derrière les lignes ennemies », au titre révélateur, regroupe trois exploits romancés des forces spéciales britanniques, écrits dans les années 1960 par des anciens combattants pour la bande dessinée « Commando ». Le 1er, intitulé « Au pays des bandits », se passe en Italie occupée par la Wehrmacht, où s’affrontent résistants au fascisme et bandits de grands chemins. Un lieutenant et un sous-officier anglais tentent d’exfiltrer, en employant les grands moyens, un grand seigneur italien arrêté par la Gestapo. Le  2ème, intitulé « Un homme en guerre », commence en Espagne (neutre) et se termine à Gibraltar (territoire britannique), après un détour par l’Écosse. C’est la rocambolesque aventure d’un policier anglais qui, ayant failli à sa mission de protection d’une importante personnalité, effectue sa propre opération spéciale. Le 3ème, intitulé « Piège à espions » a pour théâtre l’Allemagne. De loin le plus « psychologique » des trois récits, il met en lumière les états d’âme de ces combattants perpétuellement sous tension et… à l’ego particulièrement développé ! Mais il montre aussi les limites des forces spéciales, qui peuvent aussi avoir besoin des unités conventionnelles pour réussir leurs missions.

Loïc Salmon

Forces spéciales : outil complémentaire des forces conventionnelles

Jour-J

« Derrière les lignes ennemies », bande dessinée britannique Commando. Éditions Pierre de Taillac, 200 pages. 9,90 €




Char Sherman

Élément principal de la force blindée alliée pendant la seconde guerre mondiale, le char américain « Sherman » a connu plusieurs versions jusqu’en 1945. Utilisé par la suite dans divers pays, il intéresse encore les collectionneurs fortunés.

Il porte le nom du général nordiste William Sherman qui vainquit les armées sudistes en 1864 et 1865, mettant ainsi fin à la guerre de Sécession. En 1944, la 3ème Armée américaine met au point une tactique de lutte « char contre char », reposant sur l’effet de surprise cher à son chef, le général George Patton. En face, la Wehrmacht aligne en effet ses « Panther » et surtout  ses « Tigre » au blindage plus épais. Pendant la première partie de la guerre, au cours de ses offensives éclair sur la Pologne, les Pays-Bas, la Belgique et la France, elle a démontré sa maîtrise de la guerre des blindés par des mouvements de pénétration rapide du dispositif ennemi avec des chars suivis de près par une infanterie très mobile et entraînée, parfois précédée de troupes aéroportées. Toutefois, bien que dépourvu du raffinement des chars allemands, le Sherman compense son manque de protection et de puissance de feu par sa disponibilité en nombre. En effet, il se montre fiable, manœuvrant, facile à piloter et surtout à produire en masse. Entre 1942 et 1945, 10 entreprises américaines et 1 canadienne en construisent 49.422, alors que les usines allemandes ne livrent que 24.360 chars entre 1940 et 1945. Le Sherman connaît son baptême du feu à El-Alamein au sein de la 8ème Armée britannique en octobre 1942. Il surclasse les blindés britanniques, notamment par son canon capable de tirer des obus brisants ou perforants (charge creuse). Son nombre élevé permet de l’adapter pour diverses spécialités, très utiles lors du débarquement du 6 juin 1944 en Normandie : dépannage, lance-flammes, lance-roquettes, déminage, char amphibie, engin de pontage, transport de troupes, canons autopropulsés et canons anti-aériens. L’équipage, réduit à 4 hommes (chef de char, pilote, tireur et chargeur) fait preuve d’une grande solidarité, où tout se partage dans ce qui constitue sa « demeure » pendant des semaines ou des mois. Un projectile pénétrant à l’intérieur du char, sans en ressortir, déclenche une tempête de particules en fusion, pouvant blesser ou tuer un ou plusieurs hommes, détruire les circuits électriques et causer un incendie. Pendant les derniers mois de la guerre, les soldats allemands lancent, des toits ou des étages supérieurs des maisons, des « panzersfäuste » (grenades antichar) capables d’incendier un Sherman. Enuite, les surplus sont repris par divers pays, dont l’Argentine, le Chili, l’Égypte, la France, l’Inde, l’Indonésie, Israël, le Japon, le Mexique, le Nicaragua, le Pakistan, les Philippines, l’Ouganda et la Syrie. Les Sherman sont utilisés lors de la guerre indo-pakistanaise de 1965 et les conflits israélo-arabes de 1948, 1956 et 1973. Pendant 25 ans, l’armée israélienne augmente son parc jusqu’à 700 chars, dont une partie récupérée chez les armées arabes vaincues. A partir de 1953, elle les modernise avec un canon français de 75 mm puis développe son propre modèle dénommé « Isherman », en service jusque dans les années  1980. Aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, en Afrique du Sud, au Canada et en URSS, les Sherman ont été transformés pour des usages civils. Enfin, aujourd’hui encore, des collectionneurs restaurent et maintiennent en état de marche de vieux Sherman… « démilitarisés » !

Loïc Salmon

Patton, le chasseur de gloire

Jeep militaires

« Char Sherman » par Pat Ware. Éditions E-T-A-I, 164 pages. 40 €