Armée de Terre : faire plus sur le plan opérationnel avec moins de moyens

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L’armée de Terre peut remplir son contrat de déployer durablement 15.000 hommes, dont 7.000 en opérations extérieures, mais n’a pas la capacité d’agir en permanence.

Tel est l’avis de son chef d’état-major, le général Bertrand Ract-Madoux, invité par l’Association des journalistes de défense le 21 janvier 2014 à Paris.

Les opérations. Les engagements au Mali (janvier 2013) et en République Centrafricaine (RCA, décembre 2013) ont mobilisé 66 % du dispositif d’alerte « Guépard ».  Intervenir sur deux théâtres extérieurs reste possible et acceptable, estime le général. « Pour un engagement majeur, je suis prêt à envoyer plus, en bouleversant le mode de fonctionnement actuel, mais pas trop ». Vu que 72 % des personnels sont sous contrat et que 45 % reçoivent le salaire minimum de la fonction publique, « cela risque de faire exploser les familles ». En 2013, l’armée de Terre a perdu 12 hommes au combat, dont 7 au Mali et 2 en RCA. Ces dernières opérations ont confirmé la bonne image de l’institution militaire dans l’opinion, face à des menaces différentes et fluctuantes contre des populations civiles, souligne le général. En outre, elles ont démontré le courage et le discernement des soldats et la qualité du commandement. Les jeunes cadres se trouvent dans des cas d’initiative totale dans la première demi-heure et le commandement doit faire preuve de courage intellectuel et de continuité dans l’action. « On a la chance d’avoir des forces assez modulaires et la capacité de les basculer d’un pays à l’autre ». Un autre déploiement en Afrique dépendra de l’évolution de la menace et des besoins des pays liés à la France par des accords de défense pour des actions à long terme. La durée de l’engagement correspond au contexte local. « Pour rassurer, il faut rester suffisamment longtemps. Si les forces armées (du pays) n’ont pas pris la place de nos soldats, on accroît le risque ». L’intervention d’une force internationale au Mali, qui répondait à une menace contre la population civile, a abouti à un processus politique (élections présidentielles et législatives). En RCA, les autorités françaises ont envoyé 1.600 hommes à Bangui, en raison de la surprise causée par la brutalité et l’ampleur des émeutes des 5 et 6 décembre 2013. Saluant l’évolution politique favorable, le général Ract-Madoux a indiqué que le fond du problème n’est ni religieux ni militaire, mais de l’ordre de la délinquance et du sentiment de haine au fur et à mesure de l’escalade. Malgré la rapidité du déploiement des forces françaises et leurs efforts, il se produit de ci de là des incidents d’origine sociale ou tribale. L’intervention a pour but de faire cesser la violence et d’éviter le risque de guerre civile et de génocide de grande ampleur entre les communautés chrétienne et musulmane. Cependant, il subsiste encore des espaces entiers qui échappent au contrôle des forces de sécurité centrafricaines. En outre, il faudrait constituer un pont aérien et envoyer des forces supplémentaires pour relever le défi humanitaire, car beaucoup de gens se trouvent dans le dénuement. Les interventions dans l’urgence au Mali et en RCA ont été entreprises tout en maintenant les engagements durables au Liban et en Afrique de l’Ouest. Le redéploiement des forces françaises aux frontières de la RCA ne poserait guère de difficultés  dans un milieu connu : « On enchaîne les solutions qui sont les meilleurs compromis ». Interrogé sur l’intervention française au Rwanda (1994) accélérée par le risque génocidaire, le général a rappelé que la mission a été remplie et qu’aucun cadre français n’a été mis en cause avec des faits avérés. « Pour nos soldats, c’est une référence dans laquelle il ne faut pas se retrouver ». Quant à la sortie d’Afghanistan, situation très délicate à gérer, « nous sommes satisfaits du comportement des soldats afghans que nous avons formés et à qui nous avons laissé la mission (sécurisation de la province de Kapisa) ».

Le fonctionnement. L’armée de Terre 2014 est une armée d’emploi avec 7.000 hommes déployables en opérations extérieures qu’il faut relever tous les 4 mois, souligne son chef d’état-major. Elle compte 6 brigades, auxquelles s’ajoute la brigade franco-allemande qui sera envoyée au Mali en mars. Le vote (décembre 2013) de la loi de programmation 2014-2019, indispensable pour les armées et les industriels de l’armement, permet d’engager un « référentiel pour l’équipement des forces ». Toutefois, ajoute son chef d’état-major, l’armée de Terre se trouve sur le fil du rasoir, « sentiment partagé par nos élus qui ont compris le risque de l’érosion programmée de l’effort budgétaire, qui peut rendre à la fin un projet caduc ».  Sont lancés les grands programmes suivants : « Scorpion » avec l’entrée en service du véhicule blindé multi-rôles en 2018 et de l’engin blindé de reconnaissance et de combat en 2020 ; missile antichar moyenne portée pour l’infanterie et la cavalerie pour remplacer les Milan et Eryx en 2018 ; hélicoptères Tigre 2 et NH90 ; nouveaux camions pour la logistique, qui seront envoyés au Mali dans le mois suivant leur livraison ; lance-roquettes unitaire (13 exemplaires livrés en 2014) qui tire à 70 km de distance avec une précision de 5 m par tous les temps ; budget « préparation opérationnelle » pour la conduite de l’entraînement des troupes en outre-mer, en vue d’un engagement extérieur significatif. L’armée de Terre a peu de grands choix stratégiques et connaît ses coûts avec précision. « Son projet est soutenable à condition que les conditions budgétaires soient remplies année après année ». Par ailleurs, la défense subit une déflation d’effectifs importante : 30.000 postes supprimés entre 2009 et 2012 et environ 7.000 en 2013. Cela devrait continuer en 2014 et 2015, alors que l’accompagnement financier a été arrêté en 2013. Entre 2009 et 2018, indique son chef d’état-major, le volume de l’armée de Terre aura été réduit de 66.000 personnels, soit l’équivalent de sa capacité projetable (voir encadré). Pourtant, il reste optimiste : « Il y a une prise de conscience du fait qu’en matière de déflations d’effectifs il ne faut pas aller trop loin dans les économies. C’est un grand réconfort pour les soldats ». Selon un sondage d’opinion, 66 % des personnes interrogées estiment qu’il faut maintenir les effectifs de la défense. En outre, 80 % des jeunes engagés choisissent l’armée de Terre, qui bénéficie d’une image d’utilité. « Depuis 20 ans, le cœur des engagements se passe au sol, là où sont les populations ».

Loïc Salmon

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Selon le Livre blanc 2013 sur la défense et la sécurité nationale, les forces terrestres disposeront, à l’horizon 2025, d’unités adaptées à la diversité, à la durée, à la dispersion et au durcissement des opérations. Leur capacité opérationnelle, de l’ordre de 66.000 hommes projetables, comprendra : les forces spéciales terrestres ; 7 brigades interarmes ; des unités d’appui et de soutien ; les unités prépositionnées et celles implantées dans les départements et territoires d’outre-mer. Ces forces disposeront d’environ 200 chars lourds, 250 chars médians, 2.700 véhicules blindés multi-rôles et de combat, 140 hélicoptères de reconnaissance et d’attaque, 115 hélicoptères de manœuvre et d’une trentaine de drones tactiques.

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