Afrique : les armées, leur construction et leur rôle dans la formation de l’État

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Le principe de neutralité politique et l’efficacité du dispositif constitutionnel de contrôle ont incité la plupart des forces armées africaines à se concentrer sur la défense et le développement économique de leur pays respectif.

Cette question a été traitée au cours d’un colloque organisé, le 5 octobre 2016 à Paris, par l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire. Y sont notamment intervenus : le professeur Michel-Louis Martin, Université Toulouse 1-Capitole ; Romain Tiquet, Université de Genève ; Arthur Banga, Université Houphouët-Boigny d’Abidjan ; Camille Évrard, Université de Toulouse Jean Jaurès.

Régimes « hybrides ». La participation aux opérations multilatérales de maintien de la paix a contribué au retour des militaires dans les casernes, explique le professeur Martin. Toutefois, le niveau de professionnalisme reste assez bas. Le poids géopolitique varie selon les pays, par suite de la faiblesse des effectifs disponibles et de l’influence de la culture locale. En outre, l’implication dans les opérations extérieures conduit, parfois, à instrumentaliser le règlement de conflits en vue d’atteindre d’autres objectifs. Cela affecte la dynamique interne en termes de grades, d’exacerbation de la frustration matérielle et d’indiscipline chronique de la troupe, souvent coupée de la hiérarchie. Certains groupes, à la fois soldats et rebelles, sont portés à la délinquance avec le risque de retombées à caractère politique. Le souvenir vivace des dictatures entretient un antimilitarisme latent parmi les élites civiles et une indifférence des médias vis-à-vis des militaires. Pour se préserver des putschs, certains chefs d’État recourent à des forces paramilitaires, dotées de privilèges économiques, politiques et ethniques. Les démocraties s’essoufflent et les régimes autoritaires se renforcent, estime le professeur Martin. Autrefois, la norme était européenne ou américaine. Aujourd’hui, la Russie, la Chine et le Qatar servent de modèles.

Service civique et développement. Rare exception parmi les pays africains, le Sénégal a connu des transitions politiques sans coup d’État. Selon Romain Tiquet, cela résulte de la bonne relation entre le premier président de la République, Léopold Sédar Senghor (1906-2001), et le commandant en chef des armées, le général Jean Alfred Diallo (1911-2006), qui lui est resté loyal lors de la tentative de coup d’État par le président du Conseil Mamadou Dia en 1962. Dans les années 1960, après l’indépendance et pour mobiliser intellectuellement et physiquement les jeunes de moins de 25 ans, majoritaires dans la population, un premier service civique se révèle trop onéreux. Un projet du ministre de la Jeunesse et des Sports n’aboutit pas. Pour lutter contre l’exode rural, le président Senghor décide de mobiliser les techniciens et les matériels des armées pour le développement du pays, créant ainsi un lien avec la nation. Le général Diallo lui propose de lancer un service civique pour les jeunes, régi par une discipline militaire avec salut matinal au drapeau. L’expérience est tentée en 1964 dans le village de Savoigne, entouré de 500 ha de terre cultivable, pour le transformer en coopérative autonome. Ces pionniers suivent aussi des cours d’alphabétisation. Les travaux se répartissent entre la construction de routes, bâtiments administratifs et puits et la culture du riz, de tomates, de  pommes de terre, d’ananas et de bananes. Un ingénieur agronome français, détaché à cet effet à Savoigne, instruit les 150 pionniers. Le général Diallo, qui a été colonel du génie dans l’armée française avant l’indépendance, se rend une fois par mois à Savoigne pour évaluer l’avancée des travaux d’infrastructures. Un pont de 110 m de long sera réalisé au-dessus de la rivière Lampsar et inauguré par le président Senghor en 1965. Mais l’expérience tourne court en 1966, car la formation agricole reste rudimentaire et l’argent manque. L’armée sénégalaise se désengage de Savoigne, qui devient autonome en 1967. Malgré son échec, l’expérience de Savoigne illustre le rôle des militaires dans le développement du pays, souligne Romain Tiquet.

Missions extramilitaires. Entre 1960 et 1970, le président de Côte d’Ivoire, Félix Houphouët-Boigny (1905-1993), souhaite transformer les forces armées en outil de développement et de formation des jeunes ruraux, pour éviter les dérives révolutionnaires ou communistes, explique Arthur Banga. Il fait appel à Israël pour pallier les hésitations de la France à envoyer ses militaires effectuer des travaux agricoles. Un service civique est incorporé à l’armée pour symboliser la prépondérance des tâches extramilitaires dans la défense du pays. La Côte d’Ivoire profite du « parapluie sécuritaire » français pour assurer sa défense extérieure. Toutefois, la réforme des armées françaises de 1964 entraîne une diminution drastique de leurs effectifs en Côte d’Ivoire, qui passent de 60.000 hommes en 1960 à moins de 7.000 en 1967. En conséquence, les armées africaines doivent prendre elles-mêmes en charge leur soutien logistique et accroître leur capacité opérationnelle.

Garde et armée nationales. Lors des indépendances en 1960, les États du Tchad, du Niger et de la Mauritanie doivent constituer des armées nationales homogènes, indique Camille Évrard. Leurs unités mobiles de maintien de l’ordre devront contrôler de vastes territoires à faible population, composée en majorité de nomades. Les transferts des responsabilités de la gendarmerie et des troupes d’outre-mer s’effectuent jusqu’en 1965. Des cadres français de l’assistance technique assurent le commandement des unités et corps nationaux en cas de manque d’officiers locaux. Les gardes méharistes,  employés comme plantons et aussi chargés des prisons, de la collecte de l’impôt et du maintien de l’ordre, se transforment en gardes nationaux ou républicains au statut « civilo-militaire ». Les « goumiers », qui ont pour missions le contact avec les populations nomades éloignées, la surveillance des frontières et le renseignement, sont intégrés aux armées nationales mais gardent leur appellation, très forte symboliquement. Les auxiliaires de gendarmerie au statut militaire deviennent des gendarmes à part entière, pour assurer la police administrative, judiciaire et économique, la prévôté dans les armées et le maintien de l’ordre.

Loïc Salmon

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L’École de formation des officiers du régime transitoire des troupes de marine (ex-d’outre-mer) aura formé 273 officiers en 8 promotions entre 1956 et 1965 : celle du « Centenaire » (1956-1958) avec 34 élèves ; « N’Tchoréré » (1957-1959), 34 ; celle de la « Communauté » (1958-1960), 24 ; « Monthermé » (1959-1961), 38 ; « Dji Robert » (1960-1962), 31 ; « Chasselay-Montluzin » (1961-1963), 41 ; « Saint-Exupéry » (1962-1964), 40 ; « Félix Éboué » (1963-1965), 31. Voici la répartition par pays : Sénégal, 55 ; Madagascar, 34 ; Burkina-Faso, 34 ; Bénin, 22 ; Mali, 22 ; Congo, 19 ; Tchad, 17 ; Côte d’Ivoire, 16 ; République Centrafricaine, 14 ; Niger, 11 ; Guinée, 11 ; Gabon, 7 ; Togo, 7 ; Mauritanie, 3 ; Comores, 1. Seulement 218 auront poursuivi une carrière militaire : 25,7 % comme officiers subalternes ; 59,2 % comme officiers supérieurs ; 15,1 % comme officiers généraux.

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