Turquie : partenaire de fait aux Proche et Moyen-Orient

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Carrefour de l’Europe et de l’Asie, la Turquie connaît une profonde transformation interne avec des conséquences diplomatiques, notamment dues à la guerre civile en Syrie et l’afflux des migrants en Europe.

Un rapport parlementaire sur ce pays a été présenté à la presse, le 30 juin 2016 à Paris, par les sénateurs Claude Malhuret, Claude Haut et Leila Aïchi.

Évolution du « modèle turc ». Le lien entre l’État et l’islam est rompu en 1924, suite à l’abolition du califat par la Grande Assemblée Nationale de Turquie. Les femmes obtiennent le droit de vote aux élections locales en 1930 et nationales en 1934. Toutefois, la Direction générale des affaires religieuses contrôle « l’islam sunnite-hanafite », pratiqué par la majorité de la population et dont l’enseignement est obligatoire. En outre, les militaires exercent un pouvoir souterrain, à l’origine de coups d’État en 1960, 1971 et 1980 (1). La grave crise économique de 2001 porte le Parti de la justice et du développement (AKP) au pouvoir l’année suivante avec 34 % des voix aux élections législatives. L’AKP représente les « Turcs noirs », ruraux, conservateurs et pratiquants, face aux « Turcs blancs », à savoir l’élite laïque et occidentalisée. Fondé par Recep Tayyip Erdogan, il se positionne comme libéral en économie et pro-européen. Dans le cadre de l’intervention du FMI et de la demande de candidature à l’Union européenne (UE), un programme de stabilisation économique fait progresser le produit intérieur brut de 6,7 % par an entre 2002 et 2007. Après la crise financière de 2008, surmontée par la solidité du système bancaire, la croissance remonte à 8,5 % en 2011, le 2ème du monde après celui de la Chine. L’AKP a réduit la pauvreté et consolidé le soutien des classes moyennes et populaires. Le Conseil de sécurité nationale, qui permettait aux militaires de s’opposer au gouvernement, est réformé en 2003 et réduit à un rôle consultatif. Ce régime, qualifié de « musulman-démocrate » par le rapport sénatorial, démontre la compatibilité entre la revendication des valeurs traditionnelles et une dynamique de modernisation. La Turquie entend devenir un modèle pour les pays émergents et parvient à présider le sommet économique du G20 en 2015. Toutefois, dès 2010, s’amorce une tendance « néo-ottomaniste », incarnée par Recep Tayyip Erdogan qui devient, en 2014, le premier président de la République élu au suffrage universel direct pour cinq ans. Par ailleurs, selon l’économiste et politologue turc Ahmet Insel, la société est traversée par trois clivages : ethnique entre Turcs et Kurdes ; religieux entre sunnites et alévis (20 % de la population) ; culturel entre modernisme occidental et traditionalisme religieux.

Diplomatie à l’épreuve. A partir de 2009, la Turquie réoriente sa diplomatie, auparavant tournée vers l’UE, à savoir : bon voisinage avec les pays limitrophes, amélioration des relations avec les États arabes, implication croissante au Moyen-Orient. Les relations avec Israël se sont dégradées après l’intervention de ce dernier dans la bande de Gaza en 2009 et l’interception armée du navire turc Mavi-Marmara (9 morts turcs), qui avait tenté de forcer le blocus de Gaza en 2010. En outre, la découverte de gisements de gaz en Méditerranée orientale a provoqué des tensions entre Israël et Chypre et entre la Turquie et la République turque de Chypre du Nord. Après les printemps arabes de 2011, la Turquie s’est rapprochée de la Tunisie et de l’Égypte, idéologiquement proches de l’AKP. Grâce à l’action de son agence de coopération et de développement dans une trentaine de pays et à son implication dans les organisations internationales, la Turquie a été élue membre non permanent du Conseil de sécurité de l’ONU pour 2009-2010. Puis, elle a ouvert 30 ambassades en Afrique, Asie et Amérique latine entre 2010 et 2012. Mais, la guerre civile en Syrie depuis 2011 a provoqué un flux migratoire vers la Turquie, qui abrite en 2016 près de trois millions de réfugiés syriens et de nombreux candidats à l’immigration en Europe. Après avoir tenté, sans succès, de convaincre le régime de Damas d’engager des réformes, elle s’est tournée vers les partis d’opposition. La rupture entre les deux pays a été consommée quand l’aviation syrienne a abattu un avion turc. L’armée de l’Air turque a fait de même contre un avion russe, qui se trouvait à la frontière dans le cadre de l’appui militaire de la Russie au régime syrien. Outre de lourdes représailles économiques (tourisme et gaz), Moscou a accueilli un bureau de représentation du parti kurde syrien PYD, considéré par Ankara comme une émanation du PKK (encadré). Pour assurer ses approvisionnements en gaz, la Turquie a dû améliorer ses relations avec l’Iran (allié de la Syrie), l’Azerbaïdjan et Israël. Depuis 2015, le territoire turc subit des attentats attribués au PKK et à Daech.

Et l’Occident ? En 1952, la Turquie entre dans l’OTAN en même temps que la Grèce. En termes d’effectifs, ses forces armées arrivent à la 2ème place derrière celles des États-Unis, qui y déploient des armes nucléaires tactiques sur la base d’Incirlik. Ses dépenses militaires, qui ont progressé de 15 % entre 2005 et 2014, représentent 2,5 % de son produit intérieur brut. En 1960, la Turquie adhère à l’OCDE et, trois ans plus tard, conclut un accord d’association avec la Commission économique européenne. En 1995, cet accord a débouché sur une union douanière portant sur les produits industriels. En 1999, le Conseil européen d’Helsinki lui accorde le statut de pays candidat à l’UE. Tout s’arrête en 2004 lors de l’adhésion de Chypre, dont la Turquie a envahi 38 % du territoire en 1974 pour y instaurer un État qu’elle est seule à reconnaître. Les négociations pour une réunification de l’île ont repris en 2015. La même année, la nécessité de résoudre la crise migratoire à travers la Méditerranée et les Balkans a relancé le dialogue avec l’UE. Celle-ci accepte d’accélérer les négociations sur l’adhésion (respect de 72 critères techniques et politiques) et de libéralisation des visas (15 % des Turcs ont un passeport) en contrepartie de la coopération de la Turquie. Toutefois, l’avenir du partenariat avec la Turquie dépend de la refondation que l’UE doit engager, après la décision populaire de la Grande-Bretagne d’en sortir (« Brexit » du 23 juin 2016).

Loïc Salmon

(1) Une nouvelle tentative, dans la nuit du 16 au 17 juillet 2016, a échoué.

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Les Kurdes se répartissent entre le Sud-Est de la Turquie (peuplé de 15 millions de Kurdes), le Nord-Ouest de l’Iran (7 millions), le Nord-Est de l’Irak (4-5 millions) et deux enclaves au Nord-Est et au Nord-Ouest de la Syrie (2 millions). La dénomination officielle de « Kurdistan » s’applique uniquement à une province de l’Iran et à une région autonome de l’Irak. Ces quatre pays s’opposent à la création d’un État kurde indépendant, qui se ferait au détriment d’une partie de leur territoire national. La diaspora kurde est présente en Europe occidentale, aux États-Unis et en Australie. Le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) est un mouvement politique armé, en conflit avec la Turquie depuis 1984. Il est considéré comme une organisation terroriste par le Canada, les États-Unis, l’Union européenne, l’Australie, la Turquie, le Kirghizistan, la Nouvelle-Zélande et la Grande-Bretagne.

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