Malgré ses dysfonctionnements, la Grande Armée a connu peu de réfractaires et de désertions, grâce à la solidarité de village de ses soldats et la discipline militaire.
Abondamment illustré, ce livre la fait revivre à travers des extraits de lettres de grognards, écrites à leur famille lors de haltes et…guère soumises à la censure ! Dans la Grande Armée, héritière des armées révolutionnaires, le métier des armes repose sur l’honneur et l’excellence de ses membres. La conscription de 1798 concerne tous les Français de 20 à 25 ans, car les volontaires de l’an II ne suffisent plus. Ils seront plus de 2 millions sous les drapeaux d’avril 1792 à juin 1815. L’embrigadement de jeunes hommes du même village garantit en effet la cohérence de la troupe. L’infanterie de la Garde Impériale, créée en 1800 et réorganisée en 1804, constitue la réserve d’élite, composée de sous-officiers et de soldats s’étant distingués sur les plans moral et militaire et ayant participé à au moins deux campagnes. L’aigle, symbole de la victoire au combat, devient l’emblème de l’Empire en 1804 et orne drapeaux, étendards, shakos, gibernes et sabretaches. Malgré une solde irrégulière et le coût élevé de la vie, le statut d’officier est attractif et magnifié par le régime impérial. A partir de 1811, les officiers révolutionnaires, qui avaient appris leur métier sur le tas, sont surtout remplacés par des jeunes gens issus des écoles militaires. Mais le sentiment patriotique et politique du soldat révolutionnaire perdure chez le soldat impérial. En outre, l’Empereur exerce une réelle fascination sur lui. Voir physiquement Napoléon exerce un impact moral immense sur le soldat. L’aura des chefs importe beaucoup, car combattre sous leurs ordres c’est partager leur gloire. La motivation se trouve renforcée par l’espoir de promotion et surtout les récompenses pour intelligence, bonne conduite, bravoure et zèle. Créée en 1802, la Légion d’Honneur est attribuée pour services rendus dans des fonctions législatives, diplomatiques, judiciaires, scientifiques, militaires ou administratives. Toutefois, Napoléon ne l’accordera jamais aux comédiens, qui risquent d’être sifflés par le public, ni aux agents de renseignement, qui peuvent trahir, ni aux financiers qui peuvent être véreux, précise Jérôme Groyet. Malgré sa violence, la guerre est considérée comme une succession d’opérations militaires, où les combattants respectent une forme de code d’honneur. Ce n’est pas le cas avec les guérilleros espagnols. De 1800 à 1815, le nombre de soldats décédés au combat ou des suites de leurs blessures est estimé à 427.000, auxquels s’ajoutent les 550.000 morts de maladie et prisonniers jamais rentrés en France. Malgré le dévouement des médecins et infirmiers, les blessés manquent souvent de soins et les plus gravement atteints sont abandonnés sur le champ de bataille. Mais l’État paie la dot des filles pauvres qui épousent des anciens combattants. Après 1815, les soldats sont licenciés et les officiers mis en demi-solde, soit environ 1,5 million d’hommes. Les soldats, issus du monde rural y retournent. Les sous-officiers et officiers subalternes parviennent à se reconvertir dans la fonction publique, mais au prix d’un déclassement. Il faudra attendre la Monarchie de Juillet (1830-1848) pour que les combattants de l’épopée impériale passent du rejet social à la considération. Enfin, la Grande Armée a réalisé le rêve républicain…où la valeur et l’excellence l’emportent sur la naissance !
Loïc Salmon
Des Aigles et des Hommes : sur les traces de la Grande Armée
Exposition « Napoléon et l’Europe » aux Invalides
« Soldats de Napoléon» par Jérôme Groyet. Éditions Gaussen, 144 pages, 29 €