Voir les gens affectés par une crise aux graves conséquences humanitaires et leur inspirer confiance dans la durée permet de contribuer à son règlement par des moyens civils, en vue d’une solution pérenne.
Ce mode opératoire d’organisations non gouvernementales (ONG), engagées sur le terrain, a été présenté au cours d’une conférence-atelier organisée, le 15 mars 2016 à Paris, par l’Association pour la formation et les études de défense et de sécurité de l’Institut des hautes études de défense nationale (AFEDS-IHEDN) et l’ONG Peace Brigades international. Y sont notamment intervenus : Cécile Dubernet, Comité français pour une intervention civile de paix ; le colonel en retraite Yves Durieux, qui totalise dix ans d’expérience au sein du département des Opérations de maintien de la paix de l’ONU ; Andres Gutierrez, ONG Nonviolent Peaceforce.
Le contexte sécuritaire. En 2014 et 2015, des crises se sont produites en Libye, Syrie, Centrafrique, Irak, Soudan du Sud et dans la bande de Gaza, rappelle Cécile Dubernet. L’expansion des conflits armés implique circulation des armes, propagande sur les réseaux sociaux et recherche de financements et recrutement de combattants. Les victimes sont surtout civiles. Selon l’Agence des nations unies pour les réfugiés (UNHCR), 60 millions de personnes ont été déplacées en 2015, dont plus de 40 millions dans leur propre pays, dont elles fragilisent la situation. Cela remet en cause l’efficacité des interventions militaires et des programmes de reconstruction de l’ONU. Malgré les patrouilles et la surveillance des frontières en Afrique, l’anticipation des événements reste très difficile et le délai ne dépasse guère trois mois selon le Centre d’analyse, de prévision et de stratégie du ministère français des Affaires étrangères. Les forces armées sont très sollicitées, en raison de la multiplication des théâtres et des types de mission. Les interventions coûtent cher : 21 Md€ pour les opérations extérieures de la France en 2015 et du même ordre en 2012 et 2013 ; 3.000 Md$ pour la guerre américaine en Irak (2003-2011). S’y ajoute le coût humain en blessés et traumatisés psychiques. Les efforts de reconstruction demeurent insuffisants, car aucune zone n’est stabilisée.
L’intervention civile. A la demande des sociétés civiles locales, il convient de développer les lieux de rencontre pour permettre un « modus vivendi » moins violent, souligne Cécile Dubernet. Cela consiste en l’envoi d’équipes non armées et formées à la protection civile avec pour missions : l’observation de la situation sur le terrain ; la médiation ; l’accompagnement protecteur ; la diplomatie de proximité ; la formation. Ces « interventions civiles de paix » reprennent l’idée du Mahatma Gandhi, lors de la lutte pour l’indépendance de l’Inde : combiner les actions non violentes avec la rigueur et la formation de l’armée britannique. Les brigades de paix internationales (voir encadré), qui ont démarré dès 1983 au Nicaragua et au Guatemala, réalisent une quarantaine d’interventions par an en Asie, Europe de l’Est et Afrique. Leur efficacité repose sur le fait que leurs agents ne sont pas armés et ne présentent donc aucune menace. Ces derniers veulent, en toute impartialité, défendre l’état de droit, le droit humanitaire et les droits de l’Homme. Alors que tous les pays interdisent la torture dans leur constitution, le décalage est flagrant dans la pratique. Excluant toute ingérence, les BPI n’interviennent que sur la demande d’acteurs locaux, auxquels ils laissent la priorité d’action, comme la police pour assurer la protection de la population. L’intervention civile part du principe que la violence n’est pas une fin, mais un moyen utilisé de façon rationnelle pour un gain personnel et/ou politique. Elle vise d’abord à dissuader l’emploi de la violence en lui retirant toute légitimité par l’identification des organisations qui y recourent. Elle cherche à réduire son efficacité, en permettant aux acteurs locaux d’envisager des solutions de rechange. Selon Cécile Dubernet, cette logique connaît ses limites quand la violence devient légitime et l’impunité extrême. Son concept, mal connu, dérange, car il suggère que des ONG peuvent influer sur ce qui était dévolu à l’État.
L’outil militaire. Les premières missions militaires non armées datent de 1948 et ont permis d’acquérir un savoir-faire, rappelle le colonel Durieux. Dans le cadre d’opérations multinationales ONU et OTAN, il a servi au Liban, en Syrie, en Égypte, à Haïti, en Yougoslavie, en Afghanistan, au Mali en Centrafrique et en République démocratique du Congo. Dans les années 1990, l’ONU a déployé une force de protection de trois zones en Yougoslavie pour calmer les tensions sur le terrain, où œuvraient les ONG et l’UNHCR. Elle a montré son impuissance lors du génocide des Tutsis par les Hutus au Rwanda en 1994 et des massacres de musulmans bosniaques en 1995. Pourtant, quelles que soient les difficultés, l’outil militaire a obtenu des résultats au Cachemire, en Namibie et à Haïti. Selon le colonel Durieux, cela tient à l’excellente connaissance des acteurs sur le terrain et au courage physique affirmé de professionnels crédibles et disponibles. L’objectif est de maintenir une paix sur une zone ou de la ramener en toute neutralité et impartialité. L’action non violente implique une connaissance du terrain et de la culture de la population, que les interventions militaires visent à protéger. Depuis une vingtaine d’années en France, les relations entre les militaires et les ONG sont régies par des structures de dialogue avec les unités civilo-militaires. Mais, il reste des efforts à faire en « franco-français », estime le colonel, qui confirme que les pertes sur le terrain sont plus civiles que militaires.
Leçons et défis. Andres Gutierrez a tiré quelques enseignements d’expériences concrètes de protection de populations civiles dans le Sud du Soudan : protection armée parfois inadaptée ; contrôler la perception de l’action des ONG par la population ; importance de la planification ; nécessité de responsabiliser et d’impliquer les autorités. Vu que toute action connaît un certain nombre d’échecs et de réussites, l’effet dissuasif de la violence reste difficile à quantifier. Enfin, il convient de tenir compte de l’indiscipline des forces armées locales et des effets psychologiques et physiques sur les accompagnateurs.
Loïc Salmon
Diplomatie : gérer les crises et déceler les menaces diffuses
Défense et sécurité : les enseignements de la contre-insurrection
Le « Comité français pour une intervention civile de paix » forme et soutient des volontaires, sensibilise l’opinion publique et effectue des recherches sur la gestion des conflits. « Peace Brigades international » est une organisation non gouvernementale (ONG) reconnue par le département de l’Information de l’ONU. Elle organise une présence protectrice dans les zones de conflit, afin de sauvegarder l’espace politique nécessaire à la résolution non-violente des conflits. Elle compte plus de 300 volontaires et bénévoles, qui agissent en Colombie, au Guatemala, au Honduras, en Indonésie, au Kenya, au Mexique et au Népal. Plus grand groupe non armé de protection de civils dans le monde, l’ONG « Nonviolent Peaceforce » compte plus de 250 membres issus d’une quarantaine de pays. Elle pilote actuellement des projets au Myanmar (Birmanie), au Soudan du Sud, aux Philippines et en Syrie.