La pandémie du Covid-19 devrait bouleverser les prévisions de l’industrie navale militaire, marquée par une concurrence internationale accrue et une capacité d’adaptation dans un contexte stratégique évolutif.
Le salon « numérique » Euronaval 2020 (19-25 octobre, Paris-Le-Bourget) a fourni l’occasion d’évaluer les perspectives françaises, la production navale mondiale et les innovations technologiques. Ont été diffusées : l’intervention de la ministre des Armées, Florence Parly, sur les programmes en cours ; une étude réalisée par le Gican (Groupement des industries de construction et activités navales) et le Jane’s Information Group (entreprise britannique de renseignements de sources ouvertes sur la défense et la sécurité). La Fondation pour la recherche stratégique a organisé, le 13 octobre 2020 à Paris, une visioconférence avec : Daniel Scourzic, ECA Group (systèmes d’armes robotisés en milieu hostile) ; Jean Judde de Larivière, MBDA (missiles et systèmes de missiles) ; Olivier Kermagoret, Thales (électronique de défense et de sécurité).
Les programmes en cours. La France continue d’affirmer son attachement à la liberté de navigation, souligne Florence Parly « à l’heure où le droit international devient, trop souvent, une variable d’ajustement de certains et où les frontières sont contestées ». La mer reste un espace d’incertitudes, de tensions, de provocations et d’enjeux de puissance, notamment dans le détroit d’Ormuz et en Méditerranée orientale. C’est pourquoi la loi de programmation militaire consacre 110 Mds€ aux équipements sur la période 2019-2023, dont une part significative pour le combat naval. La ministre a confirmé le lancement du porte-avions de nouvelle génération en 2038. Ce successeur du Charles-de-Gaulle sera adapté, dès sa conception, au SCAF (système de combat aérien du futur). En outre, les travaux de réalisation des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins de 3ème génération vont commencer dans les prochains mois. Le programme « Barracuda » livrera six sous-marins d’attaque, dont le premier, le Suffren, a effectué avec succès le premier tir de missile de croisière naval le 20 octobre et sera réceptionné par la Marine nationale à la fin de 2020. Celui des frégates multi-missions se poursuit pour permettre la livraison de l’Alsace en 2021 et de la Lorraine en 2022. Suivront les frégates de défense et d’intervention, dont la première, Amiral-Ronarc’h (déjà en construction) sera livrée en 2023. De plus, six patrouilleurs outre-mer, destinés à la protection des zones économiques exclusives (10 Mkm2), entreront en service d’ici à 2025. Le premier ralliera la Nouvelle Calédonie dès 2022. Pour la métropole, les deux premiers patrouilleurs océaniques franco-italiens de 2.000 t seront livrés d’ici à 2023. Le programme franco-britannique SLAMF (système de lutte anti-mines futur), qui intègre des systèmes de drones, est en cours.
La production dans le monde. Selon l’étude conjointe Gican-Jane’s, la production navale mondiale a atteint 2,3 Mt pour une valeur de 192 Mds$ entre 2015 et 2019. Le tonnage produit en Amérique du Nord se monte à 379.000 t pour une valeur de 65 Mds$, contre 369.000 t et 33 Mds$ en Europe. Malgré un tonnage presqu’équivalent, la différence en valeur, du simple au double, provient de la cherté des programmes navals américains de haute technologie et des coûts de production en Amérique du Nord plus élevés qu’en Europe. Pendant la même période, la valeur de la production de l’Asie de l’Est (Chine, Japon, Taïwan, Corées du Sud et du Nord) a atteint 56 Mds$. La Chine a construit 720.000 t, soit près du double de l’Europe, pour une valeur de 38 Mds$, proche de celle de l’Europe. La production mondiale 2015-2019, par type de navires, s’établit ainsi : 59 sous-marins de tous types, dont 22 en Chine et au Japon ; 282 patrouilleurs côtiers et de haute mer, dont près de la moitié en Asie du Sud et Asie de l’Est ; 146 corvettes, frégates et destroyers, dont la moitié en Asie de l’Est. L’exportation représente 50 % de la production en valeur de l’Europe, 30 % de celles de la Russie et de la Corée du Sud, 3 % de celle de la Chine et …1 % de celle des Etats-Unis ! Quant à la France, la valeur des exportations représente 35 % du chiffre d’affaires des chantiers.
Les technologies innovantes. Les millions de mines sous-marines stockées, qui menacent les transports par mer (80 % du trafic mondial de fret), constituent des armes à bas prix et fort impact pour les organisations terroristes, souligne Daniel Scourzic. Capables d’infliger des dégâts considérables en cas de conflit majeur, elles seront utilisées à des fins offensives, défensives et de blocus des routes maritimes d’approvisionnement. Leur variété s’étend des engins explosifs improvisés aux mines explosant par contact ou influence et aux mines mobiles. Aujourd’hui, dragueurs et chasseurs de mines doivent pénétrer dans la zone dangereuse. Demain, des systèmes de robots seront déployés en toute sécurité, en dehors des zones minées, par des navires non spécialisés ou directement de la plage. Déjà utilisés depuis 1975 pour l’identification et la neutralisation des mines, les robots, organisés en systèmes indépendants des navires, rempliront plusieurs tâches simultanées, plus rapidement et avec plus de souplesse. Certains, manœuvrés directement de la plage, seront autonomes, mais avec la possibilité d’une intervention humaine. Cybersécurisés, les systèmes de robots utiliseront l’intelligence artificielle et seront déployés en essaims. La supériorité maritime repose sur les capacités défensives face aux nouvelles menaces et offensives sur chaque champ de bataille, indique Jean Judde de Larivière. Les capacités défensives incluent missiles hypersoniques, attaques saturantes, systèmes de défense aérienne intégrés et frappes aériennes. Les capacités offensives vont du contrôle des espaces aérien et maritime aux attaques contre la terre, cyber et dans l’espace. La supériorité maritime porte sur la gestion de l’effet militaire, une allonge accrue, l’évaluation de la situation et la connectivité. La gestion des effets militaires dans des zones contestées inclut le contrôle de l’ouverture du feu et l’aide à la décision avant l’engagement. Les futurs systèmes navals de défense dépendront de la projection de capacités ISR (renseignement, surveillance et reconnaissance) et incluent l’essaimage, le couplage entre armes pilotées et non pilotées et des navires à distance de sécurité du champ de bataille numérisé. Le « cloud » (accès à des services informatiques via internet) apporte des réponses temporelles échelonnées au combat collaboratif avec partage de données, explique Olivier Kermagoret. En effet, la supériorité informationnelle à la mer se trouve menacée. Sur mer et dans les airs, la supériorité opérationnelle n’est plus garantie. Dans l’espace, les satellites ne sont guère en sécurité ni en sûreté. La guerre électronique s’exerce dans un environnement encombré. Le cyber devient un champ d’opportunités émergentes, mais aussi de nouvelles menaces. Les adversaires disposent de capacités d’engagement de haute intensité. Les menaces de basse intensité varient. La frontière entre les seuils de paix et de guerre reste floue.
Loïc Salmon
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