La défense du vaste espace maritime français nécessite, pour la Marine nationale, une coopération avec les pays limitrophes, en matière de surveillance et de contrôle, et de disposer de bâtiments capables de durer sur zone, quel que soit l’état de la mer, pour remplir des missions… qui peuvent changer en cours de route !
Une table ronde a été organisée sur ce sujet, le 17 octobre 2012 à Paris, par l’Institut des hautes études de défense nationale, le Centre d’études supérieures de la marine, la Fondation pour la recherche stratégique et le magazine Défense et sécurité internationale. Sont notamment intervenus : le contre-amiral Bruno Thouvenin, sous-chef d’état-major de la Marine chargé des plans et programmes, et le contre-amiral (2S) Jean-Marie Lhuissier, coordonateur sécurité et sûreté maritimes chez Thales (systèmes de défense).
Les enjeux. L’espace maritime français dans le monde, délimité par la zone économique exclusive (ZEE), s’étend sur 11 Mkm2. Environ 90 % des richesses se trouvent dans les départements et collectivités d’outre-mer : gaz, terres rares et pétrole. En effet, du pétrole sera extrait à grande profondeur au large de la Guyane d’ici deux ans. Le programme « Extraplac », géré par le secrétariat général à la Mer (rattaché au Premier ministre) vise à accroître la ZEE dans le cadre de la convention de Montego Bay. Déjà 74 pays ont demandé l’extension de la leur pour accéder davantage aux richesses du plateau continental. Les eaux autour des terres australes françaises (îles Kerguelen) abritent la « légine », un poisson très cher et apprécié des Américains et des Japonais. La souveraineté française sur les îles outre-mer de Clipperton, Eparses, Matthew et Hunter est aujourd’hui contestée. En métropole, il s’agit de sauvegarder et sécuriser les parcs éoliens situés près des côtes. Avions, navires et satellites assurent la surveillance de la ZEE. La pêche, le sauvetage en mer et la lutte contre la pollution dépendant d’administrations diverses avec leurs processus et culture propres, la coordination de la surveillance se fait en interministériel et avec des canaux de transmissions différents. Le partage des informations nécessite des canaux appropriés et des systèmes spécifiques pour les trier et les corréler, explique l’amiral Lhuissier. De même, pour la lutte contre les trafics illicites, il faut disposer d’outils capables de détecter les petites embarcations suspectes, qui se glissent entre les navires assurant des trafics tout à fait légaux. Enfin, la connaissance des activités maritimes repose aussi sur la performance des moyens navals des pays voisins. Or, il n’existe pas de « tuyaux de communication » entre la Grèce, l’Italie et la France. De son côté, l’Agence européenne de défense monte un projet sur des moyens de transmission entre les divers organismes européens de contrôle des pêches et de lutte contre la pollution, l’immigration clandestine et les trafics illicites. Cela devrait permettre une vision plus riche qu’aujourd’hui, en sécurisant le niveau des informations à partager.
Les capacités. Les distances sur la ZEE se comptent en centaines de milles marins (1.852 m), rappelle l’amiral Thouvenin. La permanence de la surveillance est assurée par le prépositionnement d’un bâtiment polyvalent, en complémentarité avec les satellites d’observation… qui ne peuvent repérer les sous-marins. La lenteur de la propagation acoustique sous la mer empêche la réalisation d’une couverture instantanée, comme celle, par radars, du Commandement de la défense aérienne et des opérations aériennes. Par ailleurs, en cas d’attaque contre la terre (Libye, 2011), le niveau d’interdiction de survol d’une zone peut changer chaque jour. Seul, un porte-aéronefs (avions ou hélicoptères) est capable de faire monter ou descendre la pression selon la gradation de la crise. L’avion de patrouille maritime Atlantique 2 permet de détecter les activités de conquête de petits pays voisins. Une intervention peut être ordonnée à un endroit précis, mais exclue ailleurs. Afin d’éviter les dommages collatéraux, il ne faut pas se tromper et le préciser à plusieurs reprises aux pilotes de chasse embarquée. En raison de son budget limité, la Marine doit pouvoir disposer, « au juste nécessaire », d’une architecture et d’équipements alliant : robustesse, de la conception à la réalisation puis au maintien en condition opérationnelle ; interopérabilité interarmées, puis coopération et mutualisation ; efficacité par la recherche, l’innovation et l’adaptation aux menaces ; souveraineté par le maintien des capacités industrielles critiques ; cyberdéfense. Ainsi, la réparation d’une panne de moteur sur une frégate antiaérienne, entrée en service il y a 25 ans, dure 10 heures, contre 2 heures sur une frégate multimissions. Parallèlement, l’équipage est passé de 250 personnes à 94 avec une meilleure optimisation des moyens. Mais, les deux familles de bâtiments vont servir ensemble pendant 10-15 ans. Par ailleurs, la Marine a réalisé des synergies avec l’armée de l’Air : formation de personnels, utilisation des mêmes équipements et maintenance en commun. Une synergie s’annonce possible pour la gestion future des drones à ailes fixes et tournantes. Selon l’amiral Thouvenin, les petites et moyennes entreprises constituent une richesse intellectuelle susceptible de répondre à un besoin particulier mais pas nécessairement pérenne. Par ailleurs, la coopération internationale portera sur les développements d’un système de guerre des mines identique avec la Grande-Bretagne et d’une torpille unique avec l’Italie ou l’Allemagne. Pour l’outre-mer, les remplaçants des bâtiments amphibies de transport léger n’étant programmés qu’à partir de 2017-2020, trois gros bâtiments de soutien civils seront acquis et gérés dans le cadre d’un programme interministériel, mais armés par la Marine nationale.
D’une façon générale, souligne l’amiral Thouvenin, la capacité d’un bâtiment de durer à la mer dépend de sa taille, s’il n’a pas de possibilité de ravitaillement à proximité. Des navires de 2.000-3.000 t de déplacement prépositionnés à l’entrée de la ZEE, doivent être capables de remplir les missions de reconnaissance, d’anticipation et de protection, même après une première intervention en haute mer.
Loïc Salmon
Les opérations, toujours en interarmées, nécessitent une capacité de brutalité et de précision de frappe dans la profondeur, en vue d’un résultat rapide. Un bâtiment de projection et de commandement, équipé de 16 hélicoptères capables de parcourir environ 4 km/minute, peut agir jusqu’à 200 km du rivage. Mais, un porte-avions, qui embarque 30 avions (15 km/minute), peut se positionner à plus de 900 km. En conséquence, les outils de puissance restent le porte-avions et… le sous-marin nucléaire d’attaque ! En effet, ce dernier peut, par sa capacité de renseignement (capteurs électroniques et optroniques), sa vitesse et son autonomie, couvrir des zones importantes. Il fait peser une incertitude sur la Marine et les ports militaires adverses, du fait de sa seule présence. Enfin, le déploiement de forces en mer n’entraîne aucune complication diplomatique.