« L’OTAN et l’Europe de la défense devraient fonctionner de concert » et l’Europe doit devenir « un acteur crédible pour défendre les intérêts communs, les zones où ils sont en jeu et les secteurs où ils sont menacés ».
Tel est l’avis du ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, qui s’est exprimé sur ce sujet à Paris le 5 décembre 2012, devant trois commissions de l’Assemblée nationale (Défense, Affaires étrangères et Affaires européennes), et le 11 décembre au cours des IIIèmes Assises nationales de la recherche stratégique organisées par le Conseil supérieur de la formation et de la recherche stratégiques (voir encadré).
Le ministre préfère parler « d’Europe de la Défense » plutôt que de « défense européenne », assumée aujourd’hui par les Etats membres avec l’aide des Etats-Unis dans le cadre de l’OTAN (clause d’assistance mutuelle du traité de Lisbonne 2007).
Constructions industrielle et capacitaire. L’Europe de la défense se construit de façon pragmatique et progressive par des coopérations structurées. L’Union européenne (UE), a insisté Jean-Yves Le Drian, doit « cesser d’être un consommateur de sécurité pour devenir un producteur de défense ». Elle doit consolider son industrie de défense en valorisant notamment les petites et moyennes entreprises, innovantes et compétitives au niveau international. Par ailleurs, les contraintes budgétaires de tous les Etats membres pourraient être compensées par une coopération accrue. Cela consiste à maintenir certaines capacités, en développer d’autres, éviter les duplications de capacités et d’outils industriels, accroître les interdépendances et parer au risque de déclassement stratégique. La France soutient les efforts de mutualisation et de partage capacitaire entrepris dans le cadre de l’Agence européenne de la défense (AED), y compris pour la conception des futurs programmes d’armement. Le Commandement européen de transport tactique (4 pays) est opérationnel depuis 2011. Onze dossiers sont en cours de traitement, dont celui du ravitaillement en vol (10 pays participants), le système d’information maritime Marsur, l’interopérabilité des communications tactiques, l’observation spatiale (France et Italie), les missiles sol/air et les drones. Un accord est intervenu entre l’AED, qui identifie les manques capacitaires et élabore les moyens d’y remédier, et l’Organisme conjoint de coopération en matière d’armement (OCCAR) qui se charge de l’acquisition. Cependant, des points de crispations subsistent au sein de l’UE. Ainsi, les groupements tactiques interarmes (GTIA) de 1.500 hommes, armés par des contributions volontaires d’un ou plusieurs Etats membres avec un tour d’alerte semestriel, ont été déclarés opérationnels en 2007. Mais aucun GTIA n’a encore été projeté, ce qui démotive les contributeurs éventuels, regrette Jean-Yves Le Drian. Ce dispositif permet pourtant à l’UE de disposer en permanence d’une force militaire de réaction rapide et déployable dans les dix jours suivant une décision politique.
Actions et opérations extérieures. « Nous devons tirer les enseignements du rééquilibrage des intérêts stratégiques américains vers la région Asie-Pacifique », a déclaré Jean-Yves Le Drian. En raison de la diversité, l’intensité et l’imprévisibilité des menaces ainsi que des tensions budgétaires des Etats membres, « l’Europe de la défense se présente à la fois comme une nécessité et comme une chance unique ». La sécurité commune inclut l’action militaire, la lutte contre les trafics, la formation en matière de police, le renseignement, la sécurité civile, la coopération sanitaire et l’aide au développement. Il s’agit de coordonner ces outils et d’élaborer une vision globale pour faire de l’UE un acteur reconnu des relations internationales. L’opération la plus efficace est maritime, à savoir « Atalante » dans la Corne de l’Afrique qui mobilise six bâtiments et quatre avions de surveillance pour lutter contre la piraterie, dont le taux de réussite des attaques a fortement diminué. La mission EUCAP-Nestor aide les pays riverains à se doter de moyens maritimes et juridiques. Les accords de Lancaster House cadrent la coopération (exercices communs et accords sur les drones notamment) avec la Grande-Bretagne, qui peut participer aux initiatives du groupe « Weimar + » (France, Allemagne, Pologne, Italie et Espagne). Ce groupe débat depuis longtemps de la génération de forces européennes pour les Balkans et réfléchit au rôle que pourrait jouer l’Europe dans une stratégie de sortie de crise en Syrie. Malgré la réserve que lui impose sa Constitution en matière d’intervention et de projection, l’Allemagne s’est montrée active dans l’initiative européenne sur le Mali. La question est en effet européenne car, à terme, la sécurité de l’Europe pouvait être menacée. La politique française au Sahel repose sur deux piliers, a indiqué le ministre : lutter contre le terrorisme et trouver une solution politique avec les groupes du Nord Mali, à condition que ceux-ci rejettent le terrorisme et l’idée d’une partition du Mali. Il s’agira d’une intervention européenne en soutien de la reconstitution de l’armée malienne, laquelle devrait participer à l’action que mèneront les pays de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et de l’Union Africaine en fonction d’objectifs validés par l’ONU (1). Enfin, sur un plan plus général, la Commission européenne a installé un groupe de travail sur la défense qui rendra ses conclusions mi-2013. De son côté, le Conseil européen tente d’aboutir à un dispositif avant la fin de 2013.
Loïc Salmon
(1) Le 20 décembre, le Conseil de sécurité a autorisé, à l’unanimité, le déploiement pour au moins un an d’une force militaire africaine dans le nord du Mali, aux mains des rebelles touaregs et d’islamistes depuis avril 2012. Il autorise aussi l’UE et d’autres pays membres de l’ONU à participer au renforcement des forces de sécurité maliennes. L’UE apportera un soutien en matière de formation estimé à 400 militaires, dont 200 formateurs.
Le Conseil supérieur de la formation et de la recherche stratégiques (CSFRS) est un groupement d’intérêt public constitué de l’Etat (plusieurs ministères, dont ceux de la Défense, des Affaires étrangères et de l’Intérieur), d’acteurs de la recherche et de la formation (Institut des hautes études de la défense nationale, Institut national des hautes études de sécurité et de la justice, CNRS, HEC Paris, l’ENA et l’Université de technologie de Troyes) ainsi que d’entreprises (Sanofi Aventis, EADS, Euro RSCG, EDF, Total, SNCF, Caisse des dépôts, Safran, Veolia Environnement, le Groupe La Poste et la RATP). Il a comme partenaires l’Agence française de développement et Renault. Le CSFRS encourage les projets d’études, de recherche et de formation en matière de sécurité et de défense. Les Assises de la recherche stratégique rassemblent plus de 500 chercheurs, formateurs, responsables ministériels, journalistes et directeurs du risque ou de la prospective. Les deux premières ont eu lieu en 2010 et 2011.