Les Etats membres de l’Union européenne (UE) se trouvent confrontés à une situation inédite : gérer l’incertitude et les crises immédiates… dans un monde brutalement transformé par les révolutions informatique et médiatique !
A l’occasion de la remise du prix Nobel de la paix à l’UE, le Conseil supérieur de la formation et de la recherche stratégiques (CSFRS), l’Institut des hautes études de défense nationale et l’Institut national de hautes études de la sécurité et de la justice ont organisé, le 11 décembre 2012 à Paris, plusieurs tables rondes sur les défis de l’Europe en matière de temps, de mutations et aussi de population (voir encadré). Le président du CSFRS, Alain Bauer, a défini la stratégie comme « l’art de mener les guerres, même quand elles ne sont pas militaires ». Il s’agit notamment des crises financières, économiques et interétatiques.
Le temps. Des attaques terroristes pourraient survenir contre les lieux de concentration d’outils complexes dans un espace restreint, d’après Noël Pons, conseiller auprès du Service central de prévention de la corruption. Les échanges financiers s’effectuent au moyen d’algorithmes et de logiciels, qui doivent se trouver auprès de sources d’énergie et des lieux d’opérations bancaires. Depuis avril 2012, l’unité de temps n’est plus la milliseconde, mais la nanoseconde (milliardième de seconde). Des gains financiers considérables sont possibles en profitant de cette rapidité, où l’intervention humaine a disparu, pour jouer sur les failles du système, compte tenu des sommes colossales engagées. L’effondrement des actifs de banques, d’entreprises ou d’Etats constitue un risque majeur, dû à l’informatique, sans oublier la fraude. Deux cas de « crash » se sont produits le 6 mai 2010 et le 8 août 2012, lorsqu’un logiciel, par suite d’une erreur humaine, s’est mis à vendre certains types d’actions, créant un coup de folie car les autres logiciels ont suivi, entraînant des pertes financières importantes. La régulation, indique Noël Pons, ne peut s’obtenir qu’en coupant l’électricité ! Sur un plan plus large, il préconise le renforcement de l’arsenal pénal pour lutter contre la fraude. Cela passe par : l’exigence de faire connaître les paramètres de ces robots pour détecter les flux financiers ; l’élaboration de logiciels de contrôle ; un taxe sur l’usage excessif de transactions, dont 95% ne correspondent pas à des ventes et achats réels et se chiffrent à 66.000 Md$, soit plus que l’économie réelle. De leur côté, souligne Antoine Frérot, président-directeur général de Veolia Environnement, les entreprises cotées en bourse sont écartelées entre la réalisation de projets à long terme et les réponses à donner, dans la journée, à la presse en cas de crise. Si celle-ci risque de ruiner la réputation d’une entreprise, elle permet aussi de révéler sa créativité en bouleversant ses méthodes de travail et favorisant l’innovation et la diversification pour préparer l’avenir. Les entreprises demandent du temps long au personnel politique… dont le temps se limite à la prochaine échéance électorale ! Au niveau de l’UE, les textes relatifs à une décision du Conseil européen… sortent un an ou 18 mois après !
Les mutations. Assurer la sécurité de l’individu dans toutes ses dimensions va de pair avec la globalisation et un seul événement nécessite plusieurs grilles de lecture, estime l’ambassadeur Eric Danon. La France met donc en œuvre plusieurs continuums. Le premier, « diplomatie/défense », avec des engagements militaires en opérations extérieures, s’inscrit dans les résolutions à l’ONU négociées par les diplomates (Libye et peut-être Syrie en cas d’emploi d’armes chimiques). Le deuxième, « diplomatie/sécurité », implique des négociations, contraintes et sanctions (l’Iran et son programme nucléaire militaire). Le troisième, « défense/sécurité/coopération » porte sur la capacité des militaires à exercer une influence dans d’autres pays par des actions de formation ou de simple présence : instruction des forces armées et de sécurité afghanes ou de militaires tanzaniens pour lutter contre la piraterie maritime. Il s’agit d’une approche préventive, adaptée au contexte d’aujourd’hui. La sécurité exigeant de travailler ensemble, la Direction des affaires stratégiques et la Coordination du renseignement œuvrent pour éviter le cloisonnement de l’information au sein des administrations françaises concernées. L’UE s’en remet à l’OTAN pour sa défense. Toutefis, elle a assuré des actions militaires et civilo-militaires dans les Balkans, en Afrique et au Moyen-Orient : 25 opérations en dix ans, dont 50 % civiles (police, actions humanitaires et surveillance pour faire respecter des accords internationaux). Au delà de l’action militaire, il s’agit de préparer l’après-conflit. Cette valeur ajoutée consiste à travailler sur l’ensemble du spectre de la gestion des crises. Il existe bien une politique étrangère européenne commune, constate l’ambassadeur, mais la volonté politique est absente. Aujourd’hui, aucun pays ne peut régler seul une crise. Un accord entre les 27 Etats membres donne la légitimité, mais il est encore difficile de passer à l’acte. « On dit le droit et la morale dans une logique nationale ou occidentale avec les Etats-Unis, mais pas européenne ». S’y ajoutent des lacunes dans les moyens opérationnels, la mutualisation des moyens et la capacité de déploiement lointain. Selon Eric Danon, le risque de décalage existe entre l’UE et les Etats-Unis, qui auront du mal à travailler avec elle dans la gestion des crises. Enfin, des acteurs, non étatiques, sont apparus : grandes entreprises (IBM, Google, Microsoft) et organisations non gouvernementales (Greenpeace, Amnesty International), capables d’influencer les réseaux dans lesquels ils agissent pour se faire entendre dans les affaires du monde.
Loïc Salmon
Selon Eurostat, avec une population de 503,7 millions d’habitants au 1er janvier 2012, l’Union européenne (UE) était derrière la Chine (1,3 milliard d’habitants) et l’Inde (1,2 milliard d’habitants), mais devant les Etats-Unis (315 millions d’habitants). D’après Catherine Withol de Wendel, démographe au CNRS, le succès du planning familial a fait baisser de 6 à 2,1 le nombre d’enfants par femme dans les pays musulmans. La moyenne d’âge atteint 25 ans au sud de la Méditerranée, contre 40 en Europe (28 il y a 50 ans). Celle-ci connaît deux phénomènes démographiques : sa population vieillit, mais les gens sont en meilleure santé qu’il y a 30 ans au même âge. Il s’ensuit une mobilité accrue vers le sud et aussi de l’est vers l’ouest depuis la chute du mur de Berlin (1989). L’UE reste un point de référence mondial, en raison de sa facilité d’accès et ses liens médiatiques. Cependant, elle ferme ses frontières, avec seulement 5 millions de « sans papiers » étrangers contre 12 millions aux Etats-Unis. En outre, elle déboute 80 % des demandes d’asile de réfugiés. Pourtant, elle dépend de la migration pour réguler son marché du travail. Sa politique migratoire, sujette aux aléas des sondages d’opinion, se trouve souvent en décalage avec la réalité des flux. Enfin, selon le criminologue Pierre Delval, 80 millions de personnes vivent au dessous du seuil de pauvreté en Europe.