Indopacifique : trafics d’armes à feu légères en hausse

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Les trafics d’armes légères et de petit calibre (ALPC), liés à ceux de la drogue et d’êtres humains, au braconnage et à la piraterie, augmentent dans la zone Indopacifique, qui ne bénéficie d’aucune institution régionale de coordination de lutte et de prévention.

C’est ce qui ressort d’une étude, publiée, en mars 2023 à Paris, par l’Institut de recherche stratégique de l’Éole militaire. Y ont notamment contribué : Marie-Pierre Arnold, section de lutte contre les armes à feu, Office des Nations unies contre les drogues et le crime (ONUDC) ; Himayu Shiotani, directeur de la politique internationale à l’organisation britannique non gouvernementale Conflict Armement Research (CAR) ; Cyrille Poirier-Coutansais, directeur de recherche au Centre d’études stratégiques de la marine.

Les menaces. Selon un rapport du secrétaire général des Nations unies, les ALPC ont causé environ 30 % des décès civils dans les conflits armés en 2020 et ont été utilisées pour mener plus de 85.000 attaques terroristes entre 2011 et 2020. Des liens directs existent entre trafics d’armes, terrorisme et conflits armés, souligne Marie-Pierre Arnold. Les organisations criminelles, actives dans les trafics d’armes, d’ivoire, d’écailles de pangolin, d’animaux sauvages et de bois, vendent aux groupes terroristes les armes qu’ils auraient de grandes difficultés à acquérir, comme des missiles air-sol américains en échange de drogue d’origine sri-lankaise. En Asie du Sud-Est, le trafic illégal de bois nécessite des ALPC pour assurer la protection des sites déboisés et du transport du bois. En outre, certains États vendent légalement des bois à des groupes de criminalité organisée en échange d’armement. Par ailleurs, le Pakistan et l’Afghanistan jouent un rôle majeur dans les trafics d’armes dans la zone Indopacifique. Depuis les années 1980, de nombreuses armes en parfait état ont été laissées en Afghanistan par les forces armées soviétiques puis de l’OTAN. Puis, les talibans vendent ces armes, trop modernes pour eux, à des groupes terroristes capables de les utiliser. Les circuits des armes suivent ceux de la drogue d’Afghanistan vers l’Asie du Sud et l’Asie du Sud-Est. Contrairement à CAR (voir plus loin), l’ONUDC ne peut effectuer d’enquêtes sur le terrain. Il se base sur les informations transmises par les États eux-mêmes et en disposent peu pour la zone Indopacifique. L’ONUDC est chargé du respect du Protocole contre la fabrication et le trafic illicite d’armes à feu, de leurs pièces éléments et munitions mais pas de celui du Traité sur le commerce des armes (TCA). Or ces instruments juridiques, très complémentaires, suscitent peu d’adhésions dans la zone. Ainsi, l’Australie, l’Archipel des Palaos et la Corée du Sud ont ratifié les deux, le Japon n’a pas ratifié le Protocole, l’Inde n’a pas signé le TCA et la Thaïlande n’a signé aucun des deux. Enfin, l’ONUDC a élaboré un programme d’enquêtes sur les flux financiers relatifs aux trafics d’ALPC, car les réseaux criminels ne sont pas toujours situés sur le territoire de certains États, mais utilisés au sein de leur diaspora à l’étranger.

Les détournements d’armes. Selon Himayu Shiotani, les enquêtes de terrain de CAR ont identifié plus de 600.000 armes, munitions et matériels connexes détournés dans 26 États. Ces détournements se classent en quatre catégories. La première porte sur la mauvaise gestion des stocks nationaux d’armes, facilitant des détournements accidentels ou volontaires par manque de suivi des livraisons, dont ont profité les talibans et d’autres groupes armés. La deuxième catégorie concerne les re-transferts non autorisés. Un importateur officiel redirige les armes vers un autre importateur, mais sans l’accord de l’exportateur initial. Des missiles antichars bulgares ont ainsi été exportés vers un pays tiers, d’où ils ont été retransférés à des destinataires irakiens. Soit l’exportateur initial n’avait pas demandé de garanties suffisantes quant à la réexportation des armes vendues, soit cela résulte de lacunes dans les contrôles post-livraisons, de difficultés posées par le traçage des armes détournées ou du manque de partage d’informations. La troisième catégorie porte sur la captation d’armes sur le champ de bataille. Ainsi, des systèmes portatifs de défense aérienne polonais, issus d’un lot envoyé en Géorgie pendant la guerre contre la Russie en 2008, ont été retrouvés en 2018 chez des groupes armés illégaux dans la région du Donbass (Ukraine). La quatrième catégorie concerne les détournements consécutifs à l’effondrement d’un État. Par exemple, des grenades antichars RPG-7 nord-coréennes, volées dans une caserne libyenne après la chute du régime Kadhafi en 2011, ont été interceptées en 2014 au Liban à bord d’un cargo venu de Libye. D’autres grenades, issues du même lot, ont été retrouvées en Centrafrique. Selon CAR, ce risque de détournement d’armes peut être évalué par des indices relatifs à l’importateur, à l’entité finançant l’achat, au destinataire ou à la logistique du transfert. Une enquête approfondie sur les réseaux de fournitures d’armes à l’État islamique, en Syrie et en Irak, a établi son intérêt pour le développement de moteurs d’aéronefs capables de larguer des engins explosifs improvisés, en montant de fausses entreprises dans des pays voisins et en y détournant des composants d’explosifs à l’insu des producteurs. En cas de détournement d’armes, souligne CAR, il faut d’abord identifier celles-ci. Les analyses de saisies d’ALPC ont identifié des copies non enregistrées d’armes, des oblitérations de leurs éléments d’identification ou des assemblages, sur place, d’armes envoyées en pièces détachées. En 2021-2022, CAR a répondu à plus de 4.500 demandes de traçage d’armes avec un taux de réussite de 42 %.

La voie maritime. La mondialisation et l’internet ont entraîné une extension considérable des trafics illicites par voie maritime sur toute la planète, indique Cyrille Poirier-Coutansais. La cocaïne entre massivement en Europe à bord de porte-conteneurs, car l’économie à flux tendus rend impossible un contrôle approfondi et facilite la dissimulation de quelques conteneurs remplis de drogue parmi des centaines d’autres. Par ailleurs, avec la fin de la guerre froide (1991), les États-Unis, la Russie et les pays européens ont réduit leur présence navale partout. Toutefois, un réarmement naval des pays asiatiques se manifeste dans toute la zone Indopacifique. En outre, depuis la crise financière de 2007-2008, la production industrielle se relocalise dans de grandes aires régionales. Malgré une reprise du transport maritime en 2020-2021 après la pandémie du Covid-19, sa croissance reste inférieure à celle du produit intérieur brut mondial depuis 2007-2008. La numérisation de l’industrie, qui accompagne la relocalisation de la production, renforce les compétitivités européenne et américaine face à la concurrence asiatique. Par ailleurs, la vision universaliste fait place à un raisonnement réduit à l’échelle d’un continent, estime Cyrille Poirier-Coutansais. Ainsi en matière de lutte contre le réchauffement climatique, l’Union européenne envisage l’instauration d’une taxe carbone à ses frontières, qui constitue, de fait, une barrière douanière et protège le fonctionnement propre à son organisation. Parmi les autres États européens, seule la France possède des intérêts directs dans la zone Indopacifique. La lutte contre la piraterie somalienne a nécessité une coopération entre les Marines européennes, américaine, indienne, chinoise, japonaise et russe dans la zone Indopacifique. Mais la guerre en Ukraine révèle déjà une forme d’indifférence vis-à-vis des événements internationaux dans certaines régions éloignées. En outre, les adoptions de convention internationales d’intérêt commun, comme l’utilisation durable de la biodiversité marine en haute mer, deviennent très difficiles, même dans le cadre de l’ONU. Or la lutte contre les trafics d’ALPC en Indopacifique nécessite un accord international pour la mise en œuvre d’outils juridiques et de moyens efficaces de surveillance des conteneurs (traqueurs de localisation et drones).

Loïc Salmon

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