Indo-Pacifique : convergence stratégique possible entre les Etats-Unis et la France

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La France peut apparaître comme un partenaire crédible pour les États-Unis dans la zone Indo-Pacifique, à condition de limiter ses ambitions à ses moyens sans ignorer le rôle de Washington.

Lisa Curtis, directrice du programme de sécurité Indo-Pacifique du « think tank » américain Center for a New American Security, l’a expliqué au cours d’une conférence organisée le 15 novembre 2022 par la Fondation pour la recherche stratégique et l’association Jeunes IHEDN.

Centre de gravité mondial. Au cours du premier mandat du président démocrate Barack Obama (2009-2017), la zone Indo-Pacifique, a été replacée au cœur de la priorité géopolitique américaine. Ce pivot vers l’Asie n’a pas été remis en question par l’alternance républicaine de Donald Trump (2017-2021), malgré son retrait unilatéral de l’accord de Partenariat transpacifique en 2017. En comparant le « Cadre stratégique de l’Indo-Pacifique », suivi par l’administration Trump, et la « Stratégie pour l’Indo-Pacifique », publiée par l’administration de son successeur démocrate Joe Biden, les objectifs apparaissent identiques, à savoir garantir la liberté, l’ouverture, la prospérité et la sécurité de ce bassin océanique vital pour les intérêts américains. La Chine, la Corée du Nord et la Russie demeurent les adversaires désignés de ce cadre sécuritaire régi par les normes internationales. Cependant, l’administration Biden préfère aujourd’hui désigner le changement climatique comme principale menace à la stabilité de la région, plutôt que le terrorisme. Une approche multilatérale est à nouveau privilégiée pour obtenir l’abandon du programme nucléaire de Pyongyang et endiguer les ambitions de Pékin.

La Chine. Les États-Unis voient la Chine comme leur principale concurrente et la première opposante systématique au modèle d’économie de marché en Asie. La paix semble remise en question par le discours du président chinois Xi Jinping, qui souhaite parvenir à la réunification avec Taïwan, y compris par la force si nécessaire. Dans le cas d’une guerre sino-taïwanaise, une intervention des États-Unis ne fait aucun doute selon les récentes déclarations du président Biden. L’ambiguïté de la stratégie américaine, rappelle Lisa Curtis, repose sur le degré réel de cette intervention, dont le secret est censé dissuader toute prise de risque. En outre, la tactique de la « zone grise », pratiquée par la Chine pour imposer sa souveraineté en mer de Chine méridionale par des activités maritimes illicites, devient préoccupante. Un conflit menacerait la liberté de navigation dans cette zone riche en ressources et où transite un tiers des trafics pétroliers et de conteneurs. Le projet chinois des Nouvelles Routes de la Soie soulève de nombreuses inquiétudes pour la sécurité et le libre-échange en Asie. Les investissements fonctionnent, selon Washington, comme « un piège à dette » qui remet en question la souveraineté des États débiteurs. En défaut de paiement, le Sri Lanka a ainsi dû concéder le port de Hambantoa à la Chine par un bail de 99 ans et ne peut s’opposer aux escales de ses navires militaires.

Partenariats tous azimuts. Selon Lisa Curtis, le succès de la politique américaine réside dans la multiplication des dialogues internationaux permettant d’inclure davantage de partenaires, parfois au-delà des frontières traditionnelles de l’Indo-Pacifique. Cette relance multilatérale cible d’abord l’Association des nations d’Asie du Sud Est (ASEAN), qui regroupe l’Indonésie, la Malaisie, Singapour, la Thaïlande, les Philippines, Brunei, le Viêt Nam, le Laos, la Birmanie et le Cambodge. Les États-Unis désirent renforcer cette organisation intergouvernementale, qui entretient des rapports complexes avec la Chine, entre investissements massifs et différends maritimes. Au cours d’une réunion ASEAN-États-Unis en mai 2022, le président Biden a promis une aide de 150 M$ aux pays de la région dans les domaines de la santé, du transport, de l’éducation, de l’énergie et de la protection de l’environnement. De son côté, la Chine y a investi 13 Mds$ en 2021. C’est pourquoi la contribution d’autres États et organisations proches des États-Unis est indispensable pour proposer des investissements alternatifs aux Nouvelles Routes de la Soie. En 2017, les États-Unis ont ainsi relancé le dialogue quadrilatéral de sécurité (QUAD) avec l’Inde, l’Australie et le Japon. Son objectif est d’agir suivant une vision commune des enjeux de la région en matière de sécurité maritime et de développement économique durable. Lors du sommet du QUAD à Tokyo en mai 2022, un fonds de 50 Mds$ sur cinq ans a été décidé pour contribuer au développement des pays de la région. Un partage d’informations satellitaires a été mis en place pour lutter contre les actions illégales en mer de Chine méridionale. Selon Lisa Curtis, l’Union Européenne est aussi amenée à jouer un rôle par ses capacités financière et diplomatique via le programme « EU Global Gateway Initiative », fonds d’investissements centré sur la lutte contre le réchauffement climatique et sur la transition énergétique. Une enveloppe de 10 Mds€ a été actée par la Commission européenne en décembre 2022 au profit des pays de l’ASEAN.

La France. L’alliance militaire AUKUS entre l’Australie, la Grande-Bretagne et les États-Unis a été conclue en septembre 2021 pour endiguer la montée en puissance de la Chine. Ce traité comprend en particulier des échanges de technologies dans les domaines du nucléaire, de l’intelligence artificielle, de la cyberguerre et des sous-marins. Selon Lisa Curtis, la rupture par l’Australie du contrat de 90 Mds$ avec la France, portant sur un programme de sous-marins, ne signifie pas une opposition entre la France et les États-Unis dans la région. Elle concède que la création d’AUKUS aurait pu se conclure en consultant Paris au préalable. Elle souligne qu’il n’a jamais été question de tenir la France à l’écart, dont la zone économique exclusive et les moyens d’action en mer en font une partenaire incontournable. Depuis 2017, Paris porte un nouveau regard sur l’importance de la zone Indo-Pacifique dans sa politique internationale. Ses objectifs se rapprochent de ceux de Washington : développement économique ; lutte contre les effets du changement climatique ; sécurité maritime. Dans cette optique, la France a adhéré en décembre 2020 à l’Association des États riverains de l’océan Indien, où elle contribue à l’initiative de protection du domaine maritime par le partage d’images satellitaires. Toutefois, la question d’une intégration de la France dans le QUAD reste suspendue à une contribution matérielle et financière plus importante, estime Lisa Curtis. La notion de « puissance d’équilibre », mentionnée dans le document officiel français « Revue nationale stratégique 2022 », n’est pas clairement définie. Pour Washington, cela laisse planer une incertitude sur la volonté de la France de s’engager davantage.

Louis Lamiot

Les États-Unis maintiennent une présence militaire en Indo-Pacifique depuis plus de 70 ans. Entre l’Inde et le Pakistan et entre les îles Kouriles au Nord du Japon et l’Antarctique, la VIIème Flotte déploie un ou deux porte-avions, 50 à 70 navires de surface et sous-marins, 140 avions et environ 20.000 marins et « marines » (troupes de débarquement). Dans les golfes Arabo-Persique, d’Oman et d’Aden ainsi qu’en mer Rouge et mer d’Arabie, la Vème Flotte déploie deux porte-avions, 20 navires, une centaine d’avions et environ 20.000 marins et marines pour, notamment, surveiller le canal de Suez et les détroits d’Ormuz et de Bab el Mandeb. En outre, les États-Unis disposent de bases militaires sur la zone : Japon, 39.300 soldats ; Corée du Sud 23.400 militaires et système antimissile THAAD ; Australie,1.250 marines et 2.500 à terme ; Guam et Saipan, 6.000 militaires et système THAAD ; Djibouti, 4.000 soldats et drones ; Diego Garcia, base britannique concédée aux États-Unis jusqu’en 2036, 4.000 personnels militaires et civils. Enfin, les États-Unis ont conclu des traités d’alliance militaire avec la Corée du Sud, le Japon, la Thaïlande et Taïwan.

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