Outre le maintien de son intégrité territoriale, ses proximités historiques avec le Sud de la Méditerranée et l’Amérique latine caractérisent la politique de défense et de sécurité de l’Espagne.
Une quinzaine de membres de l’Association des auditeurs de l’Institut des hautes études de défense nationale l’ont constaté lors d’un voyage d’études à Madrid du 22 au 26 octobre 2022, au travers des propos tant de diplomates français et d’officiers de liaison français en poste à l’État-major espagnol, que d’officiers espagnols, de journalistes, de directeurs de think tanks et des dirigeants de deux centres internationaux de surveillance aérienne. Bien des similitudes existent entre l’Espagne et la France aux heures de leurs « puissances » passées, liées à des intérêts partagés, et parfois d’ordre conflictuel. Après la longue « reconquête » de ses différents territoires sous domination musulmane (722-1492), l’Espagne domine l’Europe et se lance à la conquête de l’Amérique Centrale et du Sud… d’où de substantielles ressources. Mais son rayonnement se ternit au XIXème siècle du fait des luttes de pouvoir et des guerres qui débouchent au XXème siècle sur une guerre civile, qui a laissé une fracture idéologique persistante entre milieux conservateurs et libéraux.
Les grandes lignes. Aujourd’hui, la politique de défense de l’Espagne poursuit deux objectifs majeurs : la défense de l’intérêt national et la stabilité internationale. D’autres problématiques souvent rappelées en France, à savoir les mouvements séparatistes de l’ETA basque et la volonté d’indépendance de la Catalogne, ne semblent pas au centre des préoccupations à Madrid. La population espagnole considère que son « intérêt national » la concerne sur un territoire « indivisible », composé de la péninsule ibérique, des Canaries et, sur le continent africain, des villes de Ceuta et Melilla, inscrites comme parties intégrantes de l’Espagne dans la constitution de 1978, avec la même autonomie de gestion que les autres communautés autonomes du pays depuis 1995. La question des « enclaves » est au cœur des relations croisées entre la France et l’Espagne, l’Algérie et le Maroc. Elle se trouve liée aux problèmes des migrants, où l’Espagne est en première ligne, tout en n’étant pas seule impliquée dans des solutions à dégager. Ici, les intérêts espagnols sont parfois difficiles à concilier avec les intérêts français. Actuellement en Europe, l’attention est plutôt dirigée vers l’Est, mais la guerre en Ukraine s’arrêtera, alors que les problèmes sur la rive Sud de la Méditerranée persisteront encore longtemps. L’Espagne regrette de ne pas voir ses difficultés reconnues et ses intérêts communs à d’autres pays européens bien analysés. Ainsi, en matière d’immigration, elle souligne qu’elle n’est qu’un pays de transit …d’où la nécessité de traiter le dossier en commun au niveau européen.
La contribution au maintien de la paix. Les opérations de stabilisation de la situation internationale constituent l’axe majeur de la politique extérieure de défense de l’Espagne. Elle a envoyé un contingent militaire au Mali et en a déployé plusieurs dans les pays baltes, en Bulgarie et en Pologne. Elle participe à la mission « Atalante » de lutte contre l’insécurité maritime dans le golfe d’Aden et l’océan Indien. Elle est partie prenante dans les opérations de maintien de la paix au Liban et assure des missions d’observation dans le cadre de l’ONU. Consciente des aires d’instabilité, elle perçoit la nécessité de s’investir en Méditerranée, dans le Sahel et dans le golfe de Guinée, en raison du terrorisme, de l’insécurité liée aux flux migratoires. S’y ajoutent diverses menaces : cyber ; catastrophes naturelles ; épidémies ; accidents ou sabotages sur des câbles sous-marins et des gazoducs.
Les alliances. De la période franquiste (1936-1975) date un rapprochement avec les États-Unis en 1953, qui a permis une certaine normalisation des relations de l’Espagne avec le monde. Il s’ensuit une gratitude persistante et des liens étroits sur le plan militaire. Après la disparition de Franco et le rétablissement de la démocratie en 1975, l’Espagne devient membre de l’OTAN en 1982. Entrée dans la Communauté européenne en 1986, elle sait tirer profit des opportunités offertes et adhère à la vision politique et stratégique de l’Union européenne (UE). Très impliquée dans les instances européennes, le développement des relations avec l’Amérique latine est son apport. C’est là l’un des trois axes annoncés pour sa présidence de l’UE au deuxième semestre 2023, à côté du renforcement des accords commerciaux et du libre-échange et aussi de la diffusion de sa culture. Un attachement commun à l’Europe et à ses valeurs, en Espagne et en France, n’exclut pas des différences d’appréciation nettes au regard de l’OTAN pour des raisons historiques dans les deux pays. Comme plusieurs autres nations européennes, l’Espagne préfère acheter de l’armement américain, pensant ainsi bénéficier d’une meilleure protection sous le « parapluie », notamment nucléaire, de l’OTAN.
La « diplomatie de défense ». La culture et la diplomatie de défense occupent une place non négligeable au sein du ministère espagnol de la Défense. Des actions de communication sont menées annuellement auprès de la société civile pour mesurer sa perception de l’utilité des forces armées. Le retour à la conscription, suspendue en 2002, n’est pas d’actualité, mais la tendance générale est plutôt favorable, notamment chez les seniors, mais avec une vraie carence chez les universitaires. Si le lien Armée-Nation est présent dans les actions menées vers la jeunesse, il est parfois difficile à mettre en œuvre, du fait des responsabilités régionales en matière éducative. Il faut aussi noter que le retour à la conscription, suspendue en 2002, n’est pas d’actualité. Le rôle du Centre des hautes études de la défense nationale (CESEDEN) est à souligner. Département en charge de la culture et de la diplomatie de défense créé en 1964, il dispense aujourd’hui des formations destinées aux hauts fonctionnaires et hauts responsables de la vie économique et sociale de la nation, réservées uniquement aux ressortissants espagnols. Les fonctionnaires sont proposés par leurs ministères sans quota et l’État-major est souverain pour le choix des personnes sélectionnées. Deux sessions de trois mois et demi sont proposées à 40 personnes, soit 80 personnes par an. Le CESEDEN propose aussi des sessions internationales, des sessions thématiques et des sessions pour les jeunes. Les proximités avec l’Institut des hautes études de défense nationale français sont nombreuses, même si les liens entre la « maison-mère » et l’Association des auditeurs paraissent plus étroits en Espagne. Le CESEDEN et l’Association des auditeurs ont manifesté le souhait de nouer des liens avec leurs homologues français.
Recherche d’un nouvel équilibre. Après le départ de la Grande-Bretagne de l’Union européenne, l’Espagne se perçoit comme une troisième puissance en Europe sur le plan de la Défense après l’Allemagne et la France, occupant une place particulière aux portes de la Méditerranée vers l’Afrique et l’Atlantique. Après le traité du Quirinal avec l’Italie en 2021 et dans le contexte du 60ème anniversaire du traité de l’Élysée avec l’Allemagne le 22 janvier, la signature du traité d’amitié et de coopération avec la France à Barcelone, le 19 janvier 2023, implique une réflexion sur les nécessaires nouvelles formes d’équilibre plus axées autour de la Méditerranée.
Hélène Mazeran
Les effectifs des forces armées espagnoles se montent à environ 120. 000 hommes, dont 80.000 dans l’armée de Terre. En outre, environ 500 hommes sont déployés hors du territoire national. S’y ajoutent 4.500 réservistes. En 2023, l’augmentation du budget de la Défense sera de 25 %, passant de 10,1 Mds€ à 12,8 Mds€ avec une augmentation sensible pour la Base industrielle et technologique de défense. L’objectif des 2 % du produit intérieur brut pour le budget de la défense devrait être atteint d’ici à 2029, alors qu’il était de 1,02 % en 2022.
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