Troupes de montagne : dominer le terrain puis l’adversaire

La 27ème Brigade d’infanterie de montagne (BIM) fête ses 130 ans. Elle a accumulé des savoir-faire, qu’elle déploie dans les zones en conditions climatiques extrêmes et au relief escarpé, fréquentes dans les conflits.

Son commandant, le général Vincent Pons, en a présenté la singularité à la presse, le 5 avril 2018 à Paris, à l’occasion de l’exercice hivernal majeur « CERCES 2018 » du 23 au 26 avril.

La verticalité, expertise de combat. « CERCES 2018 » s’est déroulé sur le grand champ de tir des Alpes, dans la zone des Rochilles-Mont Thabor (frontière franco-italienne). Environ 600 soldats de la BIM ont été renforcés par des éléments du 511ème Régiment du train et du 7ème Régiment du matériel. Pour la première fois, des hélicoptères Tigre de la Brigade d’aérocombat ont participé à cet exercice et tiré au canon de 30 mm. Pour s’entraîner, les soldats de la BIM effectuent des raids de deux à trois semaines dans le Groenland et en Islande, en vue des grands exercices OTAN en Norvège. La BIM, héritière des troupes de montagne créées en 1888 pour défendre les Alpes face à la menace italienne de l’époque, a été déployée sur divers théâtres depuis la fin de la guerre froide (1947-1991) : Bosnie (1995) dans le cadre d’une opération de maintien de la paix de l’ONU ; Afghanistan (2008-2010) dans celui de la lutte contre le terrorisme en tant que composante au sol d’un groupement tactique hélicoptères. Aujourd’hui, indique le général Pons, elle est engagée dans l’opération « Barkhane » au Sahel selon un dispositif similaire. Pendant l’opération « Chammal » contre Daech en Irak, elle a participé à la reconquête de Mossoul au sein de la Task Force « Wagram » (canons Caesar). Ses véhicules de haute mobilité ont été récemment déployés en Estonie. Enfin, ses soldats participent à l’opération « Sentinelle » à Paris, en province et aux frontières montagneuses avec l’Italie. Par ailleurs, une dizaine d’alpinistes de haut niveau expérimentent les conditions extrêmes pour transmettre leurs savoir-faire aux forces spéciales. Lors des jeux olympiques d’hiver en Corée du Sud (2018), les 18 militaires de la participation française (100 athlètes) ont remporté la moitié des médailles.

Interventions intégrées. La 27ème BIM, intégrée depuis 2016 à la 1ère Division « Scorpion », doit concevoir et conduire la manœuvre interarmes de ses unités dans des cadres interarmées et interalliés. Forte de 6.500 soldats de montagne, elle dispose d’une réserve opérationnelle d’environ 1.000 personnels et destinée surtout aux missions sur le territoire national. Installée à Varces (Isère), elle compte 4 capacités opérationnelles : infanterie avec les 7ème, 13ème et 27ème Bataillons de chasseurs alpins ; engagement blindé avec le 4ème Régiment de chasseurs ; feux dans la profondeur, défense sol-air et renseignement avec le 93ème Régiment d’artillerie de montagne ; appui génie avec le 2ème Régiment étranger de génie. En outre, les 200 commandos de montagne, issus de toutes ces unités, peuvent être employés pour des missions d’appui à l’engagement, de renseignement et de combat dans les milieux montagneux et polaires. La 27ème BIM dispose d’un centre de formation initiale pour les militaires du rang et d’une école pour la promotion des sous-officiers et la formation des cadres et experts. Son groupe militaire de haute montagne développe l’expertise, l’expérimentation et le rayonnement. Enfin, son groupement d’aguerrissement prépare toutes les unités de l’armée de Terre au combat en montagne et aux tirs en neige.

Loïc Salmon

ALAT : les hélicoptères NG, nouveaux systèmes d’armes

Forces spéciales : opérations selon le droit de la guerre




Terrorisme : compétence judiciaire dès la préparation

La Justice intervient pour les cas de radicalisation violente, en vue d’un attentat terroriste ou d’attaque par des groupes djihadistes armés. Des magistrats spécialisés travaillent en toute confiance avec la Direction générale de la sécurité intérieure.

Cet aspect a été abordé par le procureur de la République, François Molins, lors d’un « Lundi de l’IHedn », conférence-débat organisée, le 12 février 2018 à Paris, par l’Institut des hautes études de défense nationale.

Menaces et enjeux majeurs. Certains candidats au djihad, ne trouvant pas leur place dans la société française, sont partis en Syrie et en Irak rejoindre l’Etat islamique (Daech) pour un motif identitaire. Un tournant s’est produit depuis que ce dernier a perdu 95 % de son territoire en 2017. La localisation des djihadistes devient alors difficile, car certains restent sur place ou se rendent dans les Territoires palestiniens, en Indonésie, en Afghanistan, au Maghreb (les binationaux) ou en Afrique de l’Ouest, explique le procureur. Sur le territoire national, des individus désireux de partir en Syrie ou en Irak ne le peuvent plus en raison des mesures de surveillance. En outre, en 2017, Daech a lancé un appel les incitant à rester en France pour commettre des actes isolés contre des cibles opportunistes (militaires ou policiers). Le milieu pénitentiaire, où 504 islamistes étaient détenus au 12 février 2018, sert d’incubateur aux 1.200 « radicalisés », incarcérés pour délits de droit commun et dont il convient de suivre l’évolution du comportement. En Afrique de l’Ouest et dans la bande sahélo-saharienne, Daech a appelé ses sympathisants à perpétrer des attentats contre la France. En conséquence, le partage de l’information devient primordial. Depuis janvier 2015, les services de renseignement (SR) peuvent intervenir dans un cadre légal. La justice leur donne un code de procédure pour mieux lutter contre les apprentis terroristes. Avec la disparition des tribunaux militaires en 2011, le parquet de Paris traite les cas susceptibles de « judiciarisation », comme les conditions de neutralisation d’un individu capturé au combat. Dans l’ensemble l’arsenal législatif semble efficace, estime le procureur. L’accès au dossier des récidivistes permet de suivre l’évolution de leur dangerosité. Jusqu’à 2020, les sorties de prison seront, pour certains, suivies d’une période de « probation » (peine en milieu ouvert) ou définitives pour ceux qui auront purgé leurs peines. Les mineurs constituent des bombes à retardement, car leur enfance a été marquée par les atrocités de Daech.

Actions judiciaires. La politique pénale a été adaptée en 2012 en raison de la menace décelée par les SR, quand la finalité d’un voyage au Levant ne relève ni de l’action humanitaire ni du combat contre le régime syrien. Mise en cohérence avec l’évolution de la menace, cette politique a conduit à l’ouverture de 490 dossiers de terrorisme sur 1.563 individus judiciarisés, 430 mises en examen et 850 mandats d’arrêt lancés. Des combattants français sur zone, identifiés lors de leur séjour et repérés par les SR, sont interpellés à leur retour, placés en garde à vue, déférés devant un juge d’instruction et mis en détention provisoire. Après l’attentat contre la publication satirique Charlie Hebdo en janvier 2015, Daech a lancé un appel permanent au meurtre de tous les Français. Ceux qui ont rejoint une organisation terroriste veulent agir. L’action judiciaire s’étend à toute la filière. Le premier volet porte sur la démonstration à une participation opérationnelle (combattant sur zone) ou de police islamique en Irak (patrouille frontalière). Il a été validé par la Cour de cassation, qui a estimé légitime de retenir la qualification de « criminelle ». Le deuxième volet concerne le soutien logistique, surtout en France, consistant à assurer le transport des volontaires sur le lieu du combat. En outre, Tracfin, SR du ministère de l’Economie, identifie ceux qui se sont rendus sur zone pour poursuivre le financement de terroristes, alors que leur famille ignorait leur départ. Le troisième volet concerne les velléitaires affichant leur volonté d’intégrer une fratrie et les isolés. Il s’agit alors de démontrer leur perspective d’intégration et leur adhésion à un islamisme radical. Par ailleurs, la lutte contre le terrorisme concerne le parquet de Paris et tous les parquets de France, qui disposent d’un « référent terrorisme ». L’apologie du terrorisme et la détention de téléphones portables en prison sont considérées comme des infractions. Mais, indique le procureur, la qualification de « terroriste » ne doit pas intervenir trop tôt, au risque de faire long feu, ni trop tard, à cause des pressions politique et médiatique. En outre, elle ne s’applique pas aux cas de psychiatrie lourde.

Femmes et enfants du djihad. Au début, simples génitrices pour le califat de l’Etat islamique, certaines femmes de nationalité française sont devenues les instigatrices au départ de leur époux. D’autres ont participé au djihad en toute conscience au point d’être prêtes à mourir. Aujourd’hui, elles se trouvent dans des camps en Syrie, où peut se rendre le Haut-Commissariat des nations unies pour les réfugiés. De leur côté, les Kurdes entendent juger celles qu’ils ont capturées en Irak. Comme les hommes, les femmes relâchées sur zone sont arrêtées à leur retour en France et interrogées. Au 12 février 2018, 120 femmes étaient mises en examen et 40 placées en détention provisoire pour association de malfaiteurs terroristes ou pour motif « criminel ». Des dossiers judiciaires ont été établis pour les couples. Par ailleurs, Daech a appelé, à trois reprises en 2017, les femmes et les enfants à participer au djihad armé. Les mineurs, partis avec leurs parents sur zone ou nés sur place, ont été confrontés à la violence et à l’endoctrinement. De jeunes garçons ont été utilisés dans l’exécution d’otages à des fins de propagande. Seront judiciarisés ceux qui ont atteint la barre du discernement, soit 13 ans, âge minimum d’un mandat d’arrêt. Les autres sont placés en garde à vue pour le recueil de témoignages. Depuis mars 2017, une circulaire fixe la prise en charge des mineurs sous la seule juridiction du parquet de Brétigny. Suivant leur évolution médicale et psychologique, ils sont placés dans une famille d’accueil ou restitués à la leur.

Loïc Salmon

Terrorisme : évolutions stratégiques et sociologiques

Les sœurs du Djihad

Terrorisme : Daech, propagande habile et maîtrise technique

Début 2018, 14 magistrats spécialisés du parquet de Paris jugent les auteurs présumés d’actes terroristes. Les peines varient de 10 ans d’emprisonnement, pour ceux convaincus d’association de malfaiteurs terroristes, à la réclusion à perpétuité pour les dirigeants de Daech ou d’Al Qaïda. La préparation d’un acte terroriste implique la volonté d’agir en commun et repose sur des faits matériels : achats de matériels et échanges d’informations sur le califat, via les réseaux sociaux. La participation à un attentat inclut le recrutement, l’endoctrinement l’hébergement, le soutien logistique et le fait d’être parti en Syrie ou l’Irak pour rejoindre une organisation labellisée « terroriste ». Avant le passage à l’acte, l’intention doit être prouvée. Le terrorisme répond à une définition juridique en France mais politique dans d’autres pays. En raison des connexions entre les attentats, le Centre européen chargé de la lutte contre le terrorisme (créé en 2016) coopère avec les services dédiés américains, belges, allemands, italiens, néerlandais et français, facteur majeur de réussite.




Diplomatie : prise en compte du fait religieux dans le monde

La République française recourt au principe juridique de la laïcité pour la mise en œuvre de sa devise : « liberté, égalité, fraternité ». Sa diplomatie s’appuie sur le réseau d’ambassades et de consulats, des acteurs spécialisés et des partenaires pour favoriser le dialogue interreligieux.

L’ambassadeur Jean-Christophe Peaucelle, conseiller pour les affaires religieuses au ministère des Affaires étrangères, l’a expliqué au cours d’une conférence-débat organisée, le 11 décembre 2017 à Paris, par l’Institut des hautes études de défense nationale.

Les principes. Pays laïc depuis la séparation de l’Eglise et de l’Etat par la loi de 1905, la France ouvre un poste diplomatique au Vatican dès 1920 et renoue avec le Saint-Siège (voir encadré). Le monde actuel ne se comprend pas sans le fait religieux et la diplomatie française ne peut en faire l’économie, souligne l’ambassadeur. Il convient d’abord de connaître les religions et, dans une approche globale, de discerner ce qui n’est pas vraiment de leur ressort. Il s’agit ensuite de refuser l’instrumentalisation de la religion au nom de l’universalité des droits de l’homme. Le traité européen de Westphalie (1648) a élaboré le concept d’Etat-Nation, où la diplomatie se détache du fait religieux, donc de l’influence du pape des croisades (1095-1291) à la bataille navale de Lépante contre l’Empire ottoman (1571). Pendant la conquête de l’Algérie, l’émir Abd el-Kader, en tant que chef religieux, organise la résistance contre la France (1832-1847) puis met fin au massacre des chrétiens par les Druzes en Syrie (1860). L’Occident rationaliste a été réveillé brutalement par le fait religieux, à savoir la proclamation de la République islamiste d’Iran en 1979, qui manifeste sa volonté d’influence sur le monde. Avec le slogan « L’islam est la solution » qu’il diffuse, l’Iran invente un gouvernement politico-religieux. La même année, lors de l’invasion de l’Afghanistan par l’URSS, l’Occident soutient les résistants afghans, religieux, qui vont élaborer le djihadisme. Avec l’élection de Ronald Reagan à la présidence des Etats-Unis en 1980, les évangélistes et le fondamentalisme chrétien pèsent pour la première fois sur la politique américaine. Les chutes du mur de Berlin (1989) et de l’Union soviétique (1991) entraînent un renouveau du sentiment religieux en Russie…et l’apparition du terrorisme au nom de l’islam en Tchétchénie. Par sa connivence avec les autorités politiques russes, l’Eglise orthodoxe devient un instrument de leur politique. La société saoudienne s’est véritablement islamisée après la prise, temporaire, de la grande mosquée de La Mecque (1979). Son affrontement avec l’Iran, essentiellement politique, remonte au choix du chiisme comme religion d’Etat au XVIIème siècle par ce pays pour se différencier des peuples arabes. L’Inde est dirigée par le parti nationaliste hindou et la Birmanie, comme la Thaïlande, par le fondamentalisme bouddhiste. La montée du sentiment religieux en Chine la transformera en principal pays chrétien (toutes catégories confondues) dans le monde en 2030, estime l’ambassadeur.

L’organisation. La laïcité française a pris une dimension internationale, également dès 1920, avec la nomination d’un diplomate, conseiller pour les affaires religieuses, interlocuteur des différentes communautés pour le travail d’intermédiation et d’accueil, explique Jean-Christophe Peaucelle. L’ambassadeur de France au Vatican, en relation avec le Saint-Siège toujours le mieux informé, est assisté d’un prêtre. Le consulat général à Jérusalem est ouvert depuis le XVIème siècle, lorsque l’Empire ottoman confie à la France la protection des pèlerins et des chrétiens d’Alep à Jérusalem, accord codifié par le gouvernement français en 1901. Le consulat général à Djeddah assure la protection juridique des 17.000 à 20.000 pèlerins français qui se rendent chaque année à La Mecque. En outre, un protocole d’accord de coopération sur des projets humanitaires a été conclu avec l’Ordre de Malte, avec le soutien politique et financier de la France. La Communauté de Sant’Edigio a acquis un savoir-faire pour entrer dans la douleur du camp d’en face et faciliter l’adhésion de la population. Pour la recherche de solutions personnelles, elle peut s’adresser à certains interlocuteurs…à la place de la diplomatie française ! L’ambassadeur Peaucelle travaille aussi avec des chercheurs universitaires, les autorités religieuses protestantes, juives et musulmanes de France et le nonce du Saint-Siège. Garant de la neutralité de l’Etat, il coopère avec le ministère de l’Intérieur et des Cultes pour la nomination des évêques, dont l’objection, éventuelle, serait politique.

Les objectifs. Le but de la diplomatie reste la paix, sa construction et sa préservation, rappelle Jean-Christophe Peaucelle. Il s’agit d’identifier la part religieuse d’un conflit. Pour la France, très attachée à la Déclaration des droits de l’homme, chacun peut pratiquer librement sa religion en privé ou en public. Lors du conflit interne en Centrafrique entre chrétiens et musulmans, l’opération « Sangaris » a été menée de concert avec les acteurs religieux locaux, à savoir l’évêque, le pasteur et l’imam de Bangui, qui ont risqué leur vie du début de l’intervention militaire à la recherche d’une solution politique. Sans eux, « Sangaris » n’aurait pu réussir, estime l’ambassadeur. En France, l’Etat doit travailler avec les autorités musulmanes pour lutter contre le salafisme pour évaluer le discours de « déradicalisation ». Il s’agit d’accompagner l’évolution d’un islam moderne, qui rencontre des aspirations dans le monde musulman. Cela passe par le développement de l’islamologie, action presque centenaire de l’Ecole pratique des hautes études, et une offre universitaire à des étudiants étrangers musulmans. Le fait religieux compte de plus en plus dans les relations internationales. Il peut être traité avec beaucoup de liberté et d’assurance sur des thèmes concrets dans le cadre de la laïcité, conclut le conseiller pour les affaires religieuses.

Loïc Salmon

Arabie Saoudite : retour du sacré dans les relations internationales

Diplomatie : gérer les crises et déceler les menaces diffuses

Les diplomates, acteurs de la politique étrangère et représentants de la France

Responsable des relations diplomatiques de l’Etat du Vatican installé à Rome, le Saint-Siège entretient des relations avec 180 Etats. En outre, son statut d’observateur permanent sans droit de vote à l’ONU et à tous ses institutions, lui permet d’assister à toutes les réunions et de participer aux débats, afin de leur donner une dimension spirituelle et morale. Le pape, autorité suprême de l’Eglise catholique, dispose d’un gouvernement pour gérer le Vatican, la Curie. Un cardinal secrétaire d’Etat dirige la Curie et le Saint-Siège. Les agents diplomatiques, tous évêques de différentes nationalités, sont formés à l’Académie pontificale ecclésiastique ainsi que les « nonces apostoliques » (ambassadeurs) et les laïcs intervenant au nom du pape. En outre, le Saint-Siège dispose d’un réseau d’influence, à savoir les organisations internationales catholiques, composées de prêtres et de laïcs et impliquées dans les activités sociales, professionnelles et à caractère humanitaire et caritatif. Elles interviennent notamment dans les milieux de la communication et des pôles de réflexion sur la paix et le développement. Elles peuvent aussi prendre des positions « politiques », sans impliquer directement le Saint-Siège.




Les sœurs du Djihad

Les organisations djihadistes, surtout Daech (Etat islamique), parviennent à recruter des Européennes converties, destinées d’abord à procréer des combattants de l’islam radical. Si elles en ont les qualifications, elles peuvent occuper des emplois dans la santé, l’enseignement, la communication, l’informatique et même la sécurité !

Selon diverses études et recueils de témoignages (vidéos, confessions sur internet et écrits), le nombre de conversions à l’islam en Europe augmente de 20 % par an depuis 2010 et les femmes représenteraient environ 60%-70% des convertis. Il en ressort que les conversions se répartissent principalement en quatre types : rencontre amoureuse aboutissant souvent à un mariage, pour la majorité des jeunes femmes ; environnement social musulman de proximité ; quête de spiritualité après une déception vis-à-vis de la religion d’origine ; motivations politiques ou radicales, plus rares chez les femmes. Contrairement au catholicisme et au judaïsme qui demandent une grande implication et plusieurs étapes, la conversion à l’islam peut se réduire, pour les recruteurs salafistes, à la récitation en arabe phonétique de la profession de foi devant deux témoins : « J’atteste qu’il n’y a de Dieu qu’Allah et que Muhammad est son messager ». Le nouveau musulman doit se conformer aux quatre piliers de l’islam : cinq prières quotidiennes n’importe où et en direction de la Mecque ; verser l’aumône aux plus pauvres selon ses moyens ; jeûner le mois du ramadan, de l’aube au coucher du soleil ; aller en pèlerinage à la Mecque une fois dans sa vie, si ses moyens physiques et financiers le lui permettent. Alors que l’islam modéré recommande une modification progressive du comportement vestimentaire et alimentaire, la mouvance rigoriste incite les nouveaux venus à se couper de leur environnement d’origine en deux ou trois mois. A la différence du chiisme iranien, l’imam sunnite, dépourvu de statut juridique ou légal, n’exerce pas de fonction « sacrée ». Il guide les croyants et les éclaire de ses connaissances du Coran et des « hadiths » (actes et paroles relatives à Mahomet et ses compagnons), acquises sans obligation d’une formation théologique sanctionnée par un diplôme officiel, décerné par une institution spirituelle islamique. De fait, beaucoup d’imams s’autoproclament tels ou sont même parfois téléguidés par l’Arabie Saoudite, le Qatar ou l’Algérie pour étendre leur influence. De son côté, Daech est parvenu à entraîner de nombreux départs de jeunes femmes européennes vers les zones de guerre en Syrie, Irak et Libye, entre sa proclamation du califat en 2014 et sa défaite militaire face à une coalition internationale et l’intervention russe en 2017. Il a présenté le djihad comme une cause humanitaire et offert une vision utopique de l’Etat islamique. Il a su tirer parti de l’addiction de jeunes filles, naïves ou psychologiquement fragiles, aux réseaux sociaux Facebook, Twitter, Instagram, WhatsApp, SkyBlog, Pinterest, Flicker, YouTube ou DailyMotion. Il leur a promis une vie romantique et démontré la cohésion sociale réalisée par la solidarité entre « sœurs », une fois intégrées à une communauté à l’écoute. Il leur a proposé une prise en charge intégrale par le groupe, sorte d’assistanat intégral et rassurant car évitant de prendre des responsabilités. Enfin, il leur a fait miroiter la possibilité de participer à un destin collectif exceptionnel, donnant ainsi un sens supérieur à leur vie.

Loïc Salmon

Terrorisme djihadiste : prédominance de la dimension psychoculturelle

Arabie Saoudite : retour du sacré dans les relations internationales

Qatar, vérités interdites

« Les sœurs du Djihad » par Jean-Christophe Damasin d’Arès. Editions JPO, 192 pages, 14,90 €.




Terrorisme : évolutions stratégiques et sociologiques

Le terrorisme en Occident, autrefois le fait de professionnels motivés par une idéologie et qui préservaient leur vie, est devenu celui de jeunes qui y sont nés et souhaitent perdre la leur dans l’action.

Ce thème a fait l’objet d’une conférence-débat organisée, le 16 octobre 2017 à Paris, par l’Institut national des hautes études de défense nationale. Y est intervenu Olivier Roy, professeur de sciences politiques à l’Institut universitaire européen de Florence et spécialiste des religions comparées.

Recherche de légitimité. Le « djihad » (guerre sainte) concerne un territoire précis et relève d’autorités reconnues, à savoir les « ulémas » (théologiens de référence), gardiens de la tradition musulmane et qui veulent conserver le monopole de la force légitime, explique Olivier Roy. Daech se réclame des origines de l’islam pour justifier son existence. Le djihad forme un(e) islamiste global(e), détaché(e) d’une langue et d’un pays. Dans les années 1980, les volontaires musulmans d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient constituent les premiers djihadistes « globaux », combattant l’armée soviétique en Afghanistan. Les jeunes gens mineurs et même les jeunes filles peuvent s’y rendre sans autorisation de leurs parents. Le terrorisme islamiste survient dans les années 1990, quand Oussama ben Laden exclut de se fixer sur un territoire précis, trop vulnérable aux attaques soviétiques et kurdes. Sa stratégie consiste à se doter de zones sanctuarisées et de frapper les populations civiles pour établir le véritable « Etat islamiste ». S’inspirant de l’iconographie des « Brigades rouges » italiennes, Al Qaïda a pu recruter quelques centaines de jeunes radicalisés, venus chercher le « bon djihad » en Bosnie, en Tchétchénie, en Afghanistan et au Pakistan. Ensuite, des émirats islamistes sont apparus dans le Nord du Nigeria (Boko Haram) et de l’Indus, en Afghanistan, au Yémen, au Nord de l’lrak, au Mali et dans le désert du Sinaï. Il s’agit toujours de zones tribales aux liens familiaux très étroits…que le modèle djihadiste veut nier ! Daech estime que les sociétés occidentales, fragiles, seront mises à genoux par le terrorisme, aboutissement de la trajectoire d’un salafiste. En effet, la radicalisation salafiste prône une communauté de foi, qui oblige à vivre à part pour ne pas se laisser corrompre par la société. Daech a pu ainsi recruter quelques milliers de jeunes salafistes en Europe occidentale, dans les Balkans et en Amérique du Nord et même leur offrir un territoire entre Raqqah et Bagdad. Iconoclaste, il détruit tout ce qui peut rappeler le passé, y compris musulman (mosquée de Mossoul datant du XIème siècle). A partir de la culture des jeunes d’aujourd’hui, il élabore un imaginaire islamiste avec une esthétique de la violence. Les Khmères rouges et les nazis dissimulaient les exécutions, rappelle Olivier Roy. Par contre, Daech les exhibe et compte sur cette fascination pour s’opposer à un monde, où les sociétés, même musulmanes, se sécularisent sous l’influence de l’Occident. La radicalisation religieuse conduit de la violence symbolique à la violence réelle. Les jeunes radicaux recherchent l’action pour s’inscrire dans les grandes tendances géostratégiques, qui pourtant ne les concernent pas.

Profils et parcours. La radicalisation islamiste ne ressemble pas à celle des mouvements d’extrême-gauche, qui bénéficiaient du soutien de sympathisants. Pour Daech, c’est tout ou rien, souligne Olivier Roy. Ses adeptes n’ont pas de passé militant « islamo-gauchiste ». Ils comptent 65 % d’immigrés de la 2ème génération et 35 % de convertis à l’islam en Europe et 40 % aux Etats-Unis. En France, ils se trouvent parmi les jeunes Antillais et Africains de banlieue, non musulmans, et aussi parmi les Normands et les Bretons… mais pas les Corses ! Aucun n’a participé aux émeutes entre la police et les jeunes de quartiers sensibles. Malgré l’absence de passé religieux, ils croient qu’ils iront au paradis après leur rencontre avec leur modèle : Al Qaïda ou Daech. Comme les mouvements extrémistes (IRA provisoire et mafias), les entités islamistes profitent des traditions familiales, mais où les rôles s’inversent. Leur père n’étant pas considéré comme un « bon » musulman, les enfants vont endoctriner leur mère. Ils agissent souvent entre frères de sang. Lors des guerres du Daghestan (1999) et de Tchétchénie (1999-2009), des sœurs ou épouses reprennent le flambeau de leur frère ou mari, tué par la police. Depuis 2012, des jeunes femmes, volontaires ou forcées, rejoignent massivement Daech en Syrie, pour procréer ou y mourir. En effet, les jeunes radicalisés sont davantage nihilistes qu’islamistes et veulent mourir après l’attentat, réussi ou raté. Motivés par le suicide, ils se construisent une généalogie imaginaire pour devenir plus « saints » que leurs parents, dont la culture ne les intéresse pas. De leur côté, certains parents musulmans renient leurs enfants terroristes.

« Déradicalisation » difficile. Souvent petits délinquants au départ, les futurs djihadistes ont découvert la radicalisation en prison, sur internet ou auprès d’un pair radicalisé, explique Olivier Roy. La coopération européenne en matière de renseignement permet de les suivre et de démasquer les réseaux de radicalisation, malgré la difficulté à déceler l’individu isolé qui entrera en contact avec Daech trois mois plus tard. Les djihadistes occidentaux se considèrent comme des « militants », à l’exemple de ceux de l’extrême-gauche terroriste, en raison du choix qui a donné un sens à leur vie. Des mères tentent de « déradicaliser » leurs filles, revenues de Syrie et conscientes des excès de Daech. Autrefois en France, la laïcité se présentait comme une spiritualité et le communisme comme une forme de religion, tous deux porteurs de valeurs partagées. Aujourd’hui, l’appartenance religieuse redevient plus visible, mais avec des valeurs spécifiques. L’Etat peut décréter des normes, mais pas des valeurs.

Loïc Salmon

Défense et sécurité : s’organiser face au terrorisme protéiforme

Moyen-Orient : crises, Daech et flux de migrants en Europe

Géopolitique : frontières ignorées et affrontements futurs

Entre 1968 et 1990, des groupes d’extrême-gauche ont perpétré des attentats en Europe. Ainsi, en Allemagne de l’Ouest, la « Fraction armée rouge », financée et aidée par l’Allemagne de l’Est, a exécuté 34 personnes, dont Hanns-Martin Schleiyer, représentant du patronat allemand (1977) et Alfred Herrhausen, président de la Deutsche Bank (1989). En Italie, les « Brigades rouges » ont tué 84 personnes, dont l’ancien chef du gouvernement Aldo Moro (1978). En Grande-Bretagne, l’IRA provisoire a pratiqué les attentats à l’explosif contre l’amiral Louis Mountbatten (1979) et en Irlande du Nord, dont celui d’Omagh avec 29 morts et 220 blessés (1998). En Espagne, l’ETA basque a utilisé des explosifs, notamment à Madrid contre l’amiral Luiz Carrero Blanco (1973) et dans un centre commercial à Barcelone causant 21 morts et 40 blessés (1987). En France, « Action directe » a assassiné l’ingénieur général René Audran (1985) et le président directeur général de Renault Georges Besse (1986). Entre 2001 et 2015, le terrorisme islamiste a tué 232 Français en France et à l’étranger. L’attentat le plus meurtrier a eu lieu le 13 novembre 2015 dans Paris et sa banlieue (130 morts et 415 blessés), suivi de celui du 14 juillet 2016 à Nice (86 morts). Enfin en Espagne, l’attentat du 17 août 2017 à Barcelone a fait 14 morts et une centaine de blessés de 35 nationalités différentes.




Armée de Terre : faire face à toutes menaces, ici et là-bas

Posture dynamique sur le territoire national et recherche de l’innovation dans les engagements de haute intensité sur les théâtres d’opération extérieurs.

Cette vision pour l’armée de Terre a été exposée par son chef d’état-major, le général Jean-Pierre Bosser, lors de sa présentation, le 19 octobre 2017 à Satory (banlieue parisienne), devant les officiers stagiaires de l’Ecole de Guerre, les auditeurs de l’Institut des hautes études de défense nationale et la presse.

La 3ème Division à l’honneur. Vedette de cette journée de présentation, la 3ème Division fournit des unités entraînées aux 2 division de l’armée de Terre (AdT). Elle comprend 3 brigades (parachutiste, blindée et légère blindée) et 3 régiments organiques des forces terrestres (cavalerie, génie d’appui et artillerie). Son état-major, basé à Marseille, constitue un centre expert de décision et d’exécution pour la préparation à l’engagement opérationnel et la génération de forces. Les équipements de ses unités seront renouvelés par les systèmes d’armes du programme Scorpion. Sa démonstration du 19 octobre 2017 s’est articulée autour de deux présentations de combat aéroterrestre. La première a mis en valeur les actions menées, contre un ennemi asymétrique, par une approche globale de résolution de conflit dans le cadre d’un partenariat avec un pays ami menacé. Cette approche inclut : l’assistance militaire opérationnelle ; la neutralisation de groupes armés ennemis par les forces spéciales ; les opérations militaires d’influence ; la reconnaissance d’un axe pour un convoi logistique et la réaction à une attaque par engin explosif improvisé. La seconde présentation a montré l’action de l’AdT dans un conflit de haute intensité. Sa capacité porte sur : l’identification de la menace ; le renseignement sur l’ennemi ; la préparation à l’engagement ; l’évaluation de l’ennemi sur le terrain ; l’ouverture du feu dès le contact.

Les impératifs d’une ambition. Conformément à l’objectif fixé par le président de la République de devenir les premières en Europe, les armées françaises verront leur budget augmenter de 1,8 Md€ en 2018, puis de 1,7 Md€ par an jusqu’en 2022, en vue d’atteindre 2 % du produit intérieur brut en 2025. Selon le général Bosser, cela implique, pour l’AdT, de maintenir son modèle complet, ou presque, en vue d’intervenir seule en premier et affronter un ennemi conventionnel, hybride ou irrégulier. Cela exige de la « masse » pour durer, pourvoir renouveler hommes, munitions et équipements et enfin de créer un effet d’entraînement vis-à-vis des armées partenaires. Suffisamment aguerris, les soldats français devront combiner haute technologie et rusticité, continuer à combattre malgré les pertes et accepter de payer le prix du sang. La possession des équipements les plus modernes assurera une meilleure protection, permettra de pratiquer un combat interarmes « infovalorisé » (échange automatique des flux massifs d’informations entre systèmes d’armes) et garantira de rester dans la course à l’innovation. S’y ajoute la capacité à constituer ou soutenir une coopération, en la dirigeant ou en lui apportant un concours. De plus, permettre aux soldats et à leurs familles de vivre et travailler dans de bonnes conditions préservera l’attractivité du métier des armes. Par ailleurs, constate le général Bosser, l’adversaire durcit ses modes d’action et les conflictualités se diversifient. Les forces terrestres subissent un étalement, lié au nombre, à la dispersion et aux élongations des théâtres d’opérations, provoquant des tensions sur les hommes, les compétences et les équipements. De plus, la perception des faits l’emporte de plus en plus sur leur réalité, à savoir l’influence des émotions, idéologies et croyances personnelles sur l’opinion publique. Il s’agit donc, à tous les niveaux de responsabilité, de vaincre et de convaincre, souligne le chef d’état-major de l’AdT. Celle-ci doit retrouver, en 2018, son niveau d’entraînement d’avant les attentats de 2015, qui ont déclenché son redéploiement sur le territoire national pour en renforcer la sécurité. La reprise de la préparation opérationnelle interarmes, amorcée en 2017, sera amplifiée en 2018. En matière d’équipements, le projet MCO-T 2025 (maintien en condition opérationnelle Terre à l’horizon 2025) va séparer l’entretien opérationnel, au plus près des forces, de la maintenance industrielle pour produire simultanément du potentiel et de la disponibilité. L’Adt devra recruter du personnel civil et dégager des financements pour confier davantage de maintenance aux entreprises privées.

Les ressources humaines. L’AdT devra aussi recruter des personnels, développer leurs compétences puis les fidéliser. En 2017, l’Adt, qui constitue 42 % de l’effectif total des forces armées, compte : 75 officiers généraux ; 11.000 officiers ; 31.000 sous-officiers ; 56.000 militaires du rang ; 19.000 réservistes opérationnels ; 8.200 civils. Elle emploie surtout des personnels sous contrat dans 400 métiers : 74 % parmi les militaires, dont 100 % chez ceux du rang. Sa moyenne d’âge se situe à 33 ans : 40 ans pour les officiers ; 38 ans pour les sous-officiers ; 28 ans pour les soldats. L’AdT encourage la promotion interne avec environ 50 % des officiers et sous-officiers sortis du rang. Enfin, son chef d’état-major souhaite redonner ses lettres de noblesse à l’Ecole de Guerre, définir le rôle et la place du renseignement de niveau tactique, structurer l’aguerrissement et rénover la doctrine de la cynotechnie.

La protection du territoire national. Créé en juin 2016, le Commandement Terre pour le territoire national (Com TN) a pour mission d’optimiser l’engagement de l’AdT en soutien à l’action de l’Etat, en métropole et outre-mer, dans un cadre interarmées et interministériel. Ainsi, en cas de crise, le préfet de département, directeur des opérations, la gère avec les forces de sécurité intérieure. En cas de besoin, il demande des renforts militaires au préfet de zone de défense et de sécurité. Ce dernier et l’officier général de zone de défense et de sécurité formulent une demande de concours ou une réquisition de capacités militaires. Puis le chef d’état-major des armées décide le déclenchement d’une opération ou d’une mission intérieure et la mise à disposition de moyens. L’AdT fournit alors des capacités militaires à la chaîne opérationnelle, afin de produire l’effet nécessaire à la résolution de la crise. Le Com TN se trouve ainsi en mesure de renforcer les structures de commandement opérationnel de crise.

Loïc Salmon

Armée de Terre : préparer les ruptures stratégiques et technologiques de demain

Armée de Terre : mise en place du modèle « Au Contact »

Armée de Terre : un état-major de forces immédiatement projetable

En 2017, l’armée de Terre regroupe : 106.000 personnels, dont 10 % de femmes ; une force projetable de 77.000 militaires ; 2 divisions de combat (1 en préparation opérationnelle et 1 en opération extérieure ou intérieure) de 7 brigades interarmes, dont la Brigade franco-allemande, et 1 brigade d’aérocombat. Elle est équipée de : 225 chars Leclerc ; 250 chars médians ; 3.300 véhicules blindés multi-rôles et de combat d’infanterie ; 160 hélicoptères de reconnaissance, d’attaque et d’appui ; 126 hélicoptères de manœuvre ; 25 drones tactiques ; 109 canons de 155 mm ; 863 porteurs polyvalents tactiques ; 93.080 fusils d’assaut HK416, livrés à partir de 2017 pour remplacer les Famas. Son budget se monte à 8,6 Mds€ contre 32,7 Mds€ pour celui de la Défense, inclus dans celui de l’Etat (322,4 Mds€).




Dans la peau d’un soldat

La vie quotidienne du soldat évolue lentement au fil du temps, alors qu’armes, équipements et techniques de la guerre connaissent des mutations.

Les objets de son univers, d’abord outils de survie, deviennent des compagnons intimes et rassurants. Son vêtement, uniforme et coloré à partir du XVIIème siècle, perd son utilité d’identification et de différenciation après l’invention de la poudre sans fumée (1884), au profit de tenues plus neutres pour se camoufler. Celle dite « léopard » des parachutistes français des guerres d’Indochine et d’Algérie, interdite en métropole après le putsch des généraux d’Alger (1961), réapparaît lors de la guerre du Golfe (1991) avec des variantes pour les théâtres européens. Protégé par son casque, sa cuirasse et son bouclier, le légionnaire romain sait se servir de toutes les armes existantes. Son éthique inclut le courage, le service de l’Etat et l’obéissance (« disciplina »). Au début du Moyen-Age, le guerrier, barbare, lié par la fidélité à son clan, lui doit un service militaire gratuit. Pendant la féodalité, la guerre devient l’affaire du cavalier noble, titulaire d’un fief en échange du service « d’ost » à son suzerain. Les charges de chevaliers à la lance couchée sous le bras, avec des montures spécialement dressées, en démultiplie la puissance. Ce dispositif reste au cœur de la tactique jusqu’au milieu du XVIème siècle. Les autorités politiques créent alors une « intendance » pour assurer leur subsistance et renouveler leurs armements et chevaux pendant la durée des opérations. Parallèlement, une administration dédiée veille au bon emploi des deniers du prince. Après la disparition de la chevalerie française à Azincourt, l’ordonnance royale de 1445 instaure la solde permanente. Progressivement, s’inspirant du modèle des piquiers suisses, l’infanterie et sa tactique s’imposent au détriment de la cavalerie. Le soldat ne dépend plus d’une maison noble, il vit et combat au milieu de son unité et de ses compagnons d’armes, ses égaux. Aux XVIIème et XVIIIème siècles, il ne connaît que le capitaine de sa compagnie, qui l’entretient, et le roi auquel il est personnellement lié par un engagement volontaire. Il apprend son métier pendant les campagnes par les exercices répétés et mécaniques de gestes et de mouvements. La discipline progresse et la désertion diminue, car les conditions de vie du soldat s’améliorent. Au XIXème siècle, à partir de la guerre de Sécession américaine, la logistique devient essentielle. Le chemin de fer devient un avantage militaire, même si le soldat continue de se déplacer souvent à pied ! Pendant la première guerre mondiale, les véhicules automobiles acheminent les troupes fraîches au front et en ramènent les blessés et les unités relevées. Au cours de la seconde, 20.000 véhicules de tous types débarquent en Normandie le 6 juin 1944. Dans le camp retranché de Dien Bien Phu (1954), la destruction des pistes d’atterrissage a interrompu l’évacuation des blessés graves. Aujourd’hui, dans toute opération extérieure, la conjonction des transports automobiles et aériens permet de les rapatrier en quelques heures. Avec les affrontements dits « asymétriques, le « front » n’existe plus. L’environnement, simplement hostile, peut se transformer en champ de bataille en quelques secondes. Tout soldat, quelle que soit sa spécialité, redevient un combattant. Le soldat de demain, « augmenté » et hyper protégé, devra quand même conserver un visage et une identité vis-à-vis des populations civiles et de ses compagnons d’armes.

Loïc Salmon

Exposition « Dans la peau d’un soldat » aux Invalides

Le soldat et la putain

 

« Dans la peau d’un soldat », ouvrage collectif. Éditions Gallimard/Musée de l’Armée, 256 p., 350 illustrations, 35 €




Territoire national : protection permanente contre intrusions aériennes et maritimes

En raison de l’état d’urgence en vigueur depuis les attentats terroristes de 2015 à Paris, les postures permanentes de sûreté aérienne et de sauvegarde maritime ont été renforcées en métropole et dans les départements et territoires d’outre-mer.

Approuvées par 84 % d’opinions favorables, ces missions ont fait l’objet de deux présentations à Paris : la participation de l’armée de l’Air par le général de division aérienne Jean-Christophe Zimmermann du Commandement de la défense aérienne et des opérations aériennes (CDAOA), lors d’une conférence de presse le 17 novembre 2016 ; un document de la Marine nationale rendu public à l’occasion d’une conférence organisée par le Centre d’enseignement supérieur de la marine le 16 novembre 2016.

Sûreté aérienne. Le CADOA dispose de 400 personnels et de 90 radars pour garantir la souveraineté aérienne, explique son commandant en second. Il s’agit de déterminer les intentions, hostiles ou non, des 11.000 aéronefs de tous types qui survolent la France et d’assurer la sécurité d’événements importants (COP21 en 2015 et Eurofoot en 2016). Est considéré en infraction tout avion pénétrant dans l’espace aéromaritime national sans autorisation ni plan de vol ni contact radio. Une détection à une distance minimale de 80 km de la côte laisse le temps d’évaluer l’information et de préparer, éventuellement, des mesures plus coercitives. Certaines zones sont interdites de survol en permanence, d’autres pendant une période déterminée. A titre indicatif, il y a eu 80 décollages d’avions de chasse pour alerte réelle entre le 1er janvier et le 15 novembre 2016 (64 pour toute l’année 2015). De même, 38 décollages d’hélicoptères avec tireurs d’élite embarqués (94 en 2015) ont été motivés pour 72 pénétrations de zones interdites (50 en 2015), souvent involontaires, et 37 pertes de communication radio (31 en 2015). Le CDAOA prépare la neutralisation de l’aéronef hostile, mais l’ordre de tir relève du Premier ministre. Toutefois, l’absence de communication de plan de vol et contact radio à proximité de l’espace aéromaritime ne constitue pas une infraction en soi. Ainsi, le 22 septembre 2016, 2 bombardiers lourds supersoniques russes Tu-160 sont passés à l’Ouest de la Norvège et de l’Irlande, puis ont longé les côtes française et espagnole avant de repartir vers le Nord. Toute leur trajectoire a été accompagnée par des intercepteurs norvégiens, puis britanniques, français et espagnols. Dans la nuit du 16 novembre 2016, 3 bombardiers lourds Tu-95 et 3 Iliouchine ravitailleurs ont suivi le même cheminement et dans les mêmes conditions à 400 km des côtes jusqu’au Portugal avant de remonter vers la Russie. Un avion radar AWACS a décollé de Bretagne pour les pister. Par ailleurs, la surveillance spatiale porte sur la détection des passages de satellites étrangers au dessus des forces françaises et alliées, déployées au sol et en mer, et le maintien de la qualité des transmissions. En outre, le grand nombre de satellites en service augmente le risque de collision en orbite avec retombées des débris sur le territoire national. Le CDAOA, le Centre national d’études spatiales, la Direction générale de l’armement et l’Agence spatiale européenne collectent des informations, les analysent et les évaluent pour anticiper les effets possibles, alerter et coordonner. Ils disposent de divers moyens : le système Graves (détection), le centre militaire Cosmos (analyse), les radars Satam (orbitographie et trajectographie de précision), les 2 téléscopes Tarot, le bâtiment d’essais et de mesures Monge et le système d’alerte des tempêtes solaires Fedome (préservation des moyens de télécommunications).

Sauvegarde maritime. La Marine nationale concentre 10 % de ses effectifs à la défense maritime du territoire sur le littoral (22 km de la côte) et dans les eaux de 21 zones sous souveraineté ou juridiction française dans le monde (370 km), indique un document officiel. Le dispositif est articulé en métropole, autour des préfets maritimes de Toulon pour la Méditerranée, Brest pour l’Atlantique et Cherbourg pour la Manche, et outre-mer autour des délégués du gouvernement pour l’action de l’État en mer. Dans chaque préfecture maritime, une cellule de coordination de l’information maritime fusionne les renseignements venant de la Direction des affaires maritimes (DAM), des Gendarmeries maritime et départementale, de la Police de l’air et des frontières, des Douanes et des autorités portuaires, en vue du contrôle et de la surveillance. Ces renseignements sont partagés avec les compagnies maritimes françaises qui contribuent, sur une base volontaire, au contrôle naval. Ce dernier nécessite la signalisation des mouvements et intentions de navires par leurs capitaines qui, en retour, reçoivent les informations relatives aux situations nautique et militaire dans leur zone de navigation. Pour renforcer la prévention, la Marine et la DAM travaillent à la prise en compte, par les navires, de la menace interne (consignes à l’équipage et aux passagers). Chaque année, la Gendarmerie maritime procède à quelque 1.500 contrôles de sûreté de navires. Depuis l’été 2016, des gendarmes maritimes et des fusiliers marins embarquent, de façon aléatoire, sur les grands navires à passagers pour assurer la protection à bord. Des pelotons de 35 gendarmes maritimes peuvent intervenir sur les navires, dans les ports de commerce d’intérêt majeur et en zone d’attente, pour la surveillance, la sécurisation des espaces portuaires, l’escorte des navires sensibles et le contrôle des navires. Les capacités des gendarmes maritimes des ports de Sète et Nice ont été renforcées, afin de réduire les vulnérabilités du trafic des ferries avec la Corse et des navires de croisière en Méditerranée. Le dispositif du plan « Pirate-mer » inclut la Marine, les armées de Terre et de l’Air, le Groupement d’intervention de la gendarmerie nationale et aussi le Bataillon des marins-pompiers de Marseille pour le secours maritime de grande ampleur (plan ORSEC).

Loïc Salmon

Armée de Terre : création d’un commandement pour le territoire national

Théâtre d’opérations aériennes en métropole

Théâtre d’opérations maritimes en métropole

Outre la dissuasion nucléaire avec ses composantes aérienne et sous-marine, la protection du territoire national commence avec l’opération « Sentinelle » (10.000 personnels) et les postures permanentes de sauvegarde maritime et de sûreté aérienne. Elle se prolonge par les opérations de la défense de l’avant : « Barkhane » pour la lutte contre les groupes armés terroristes dans la bande sahélo-saharienne (3.500) ; « Chammal » contre l’État islamique (Daech) en Irak et en Syrie  (1.000) ; « Daman » au Liban (900) ; « Enduring Freedom » et « Atalante » (150 à 350) et des équipes de protection embarquée (70) en océan Indien ; « Corymbe » dans le golfe de Guinée (100) ; petites participations à des opérations sous l’égide de l’ONU, de l’Union européenne ou de l’OTAN (5 à 100 selon les théâtres). Les armées françaises sont aussi déployées comme forces de souveraineté en Nouvelle-Calédonie (1.450), zone Sud de l’océan Indien (1.600), Guyane (2.100), Antilles (1.000) et Polynésie française (900). Enfin, des forces de présence sont stationnées au Sénégal (350), en Côte d’Ivoire (900), au Gabon (350), aux Émirats arabes unis (650) et à Djibouti (1.450).




Sécurité : détection, identification et neutralisation des drones malveillants

La présence de drones malveillants à proximité des centrales nucléaires et des aéroports a conduit à la promulgation d’une loi à leur sujet et à l’élaboration de moyens techniques de lutte.

Louis Gautier, secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale, et Yves Fort, directeur des opérations scientifiques de l’Agence nationale de la recherche, ont exposé la situation et organisé une présentation dynamique de trois démonstrateurs, le 18 novembre 2016 à la base aérienne de Villacoublay. L’appel à projets « Protection des zones sensibles vis-à-vis des drones aériens » en a reçu 24, dont 3 ont été retenus en avril 2015 et financés. Dénommés ANGELAS, BOREADES et SPID, ces projets, portés par des groupements d’industriels, de laboratoires publics et privés et d’opérateurs, ont abouti 12 à 18 mois plus tard à des systèmes intégrés de détection de petits drones, de leur identification (amis ou ennemis) et de leur neutralisation, testés en environnement opérationnel.

Démonstration de matériels. Des drones, mis au point par la SNCF pour l’observation des voies ferrées, ont servi de plastron à la démonstration, accompagnée d’une exposition statique des matériels (photo). Quatre scénarios ont été mis en œuvre : survol d’un site nucléaire par un drone isolé ; attaque lors d’un événement sportif dans un environnement semi-urbain ; attaque lors d’une cérémonie importante dans un environnement urbain ; survols de plusieurs drones à proximité des départs et des trajectoires d’approche d’avions d’un aéroport. Le projet ANGELAS utilise pour la détection : un radar actif d’une portée de 3 km et associé à un algorithme de pistage multicibles ; la goniométrie qui localise la direction des émissions du drone ou de la station sol jusqu’à plusieurs km ;  un radar passif (très longue portée) ; des moyens acoustiques (plusieurs centaines de mètres) ; un système laser qui scanne l’environnement et détecte les échos renvoyés. L’identification recourt à : des caméras haute résolution (portée supérieure à 3 km) ; des émissions infrarouges (jusqu’à 2 km) ; un radar passif qui sépare les objets à rotor de la scène ; l’imagerie qui identifie de jour et de nuit (jusqu’à 2 km). Enfin, la neutralisation du drone se fait par : brouillage par émission directive des liaisons de commande et vidéo ; éblouissement de la caméra vidéo par laser ; brouillage du système GPS. Le projet BOREADES consiste à brouiller et leurrer le système de navigation du drone pour en prendre le contrôle, choisir son point de récupération et estimer la position du télépilote. Le projet SPID présente des moyens similaires, sur véhicules spécialisés, pour la protection d’installations fixes, d’événements ou de théâtres d’opérations et de cibles mobiles (jusqu’à 500 m) avec interpellation du télépilote.

Encadrement juridique. Selon Louis Gautier, plus de 400.000 drones privés et 4.000 drones professionnels sont en service en 2016. La loi du 24 octobre 2016, relative au renforcement de la sécurité de l’usage des drones civils, concerne ceux d’une masse inférieure ou égale à 800 g. Ils sont soumis à un régime d’enregistrement par voie électronique et doivent être équipés de  dispositifs de signalements lumineux et électronique ou numérique. Un télépilote « professionnel » (hors usage de loisir) doit avoir suivi une formation visant à permettre le contrôle de l’évolution du drone, selon les règles de sécurité et les conditions d’emploi relatives à la navigation aérienne.

Loïc Salmon

Les drones : de l’OPEX au territoire national

Les drones, dualité militaire et civile

Drones civils : réponses opérationnelles et juridiques aux usages malveillants




Défense : montée en puissance et restructuration

Les moyens des armées sont accrus au cours des années 2016 et 2017 et leurs dispositifs adaptés, notamment pour mieux lutter contre le terrorisme sur le territoire national.

Financement et effectifs. Les chiffres clés des armées ont été présentés à la presse, le 1er septembre 2016 à Paris, par l’Observatoire économique de la défense. Ce ministère a réalisé 81 % des dépenses de l’État en 2015, soit 18 Md€, dont 14 Md€ pour l‘équipement des forces auprès des grands groupes de défense et de 26.000 petites et moyennes entreprises et entreprises de taille intermédiaire. Avec l’actualisation de la Loi de programmation militaire 2014-2019, son budget 2016 a été accru de 600 M€ pour atteindre 32 Md€ avec la création nette de 2.300 emplois. En 2017, il sera encore augmenté de 600 M€ avec la création de 10.000 postes entre 2017 et 2019, correspondant à l’annulation des suppressions d’emplois antérieurement programmées. Fin 2015, les 61 bases de défense totalisent 60.386 civils et 202.964 militaires. Ceux-ci se répartissent ainsi : armée de Terre, 109.444 personnels dont 13.821 officiers, 37.610 sous-officiers, 57.342 caporaux et soldats et 671 volontaires ; Marine nationale, 35.411 (4.495 officiers, 23.566 officiers-mariniers, 6.583 quartiers-maîtres et matelots  et 767 volontaires) ; armée de l’Air, 42.037 (6.429 officiers, 24.828 sous-officiers, 10.746 militaires du rang et 34 volontaires) ; autres services, 16.072 (7.961 officiers, 6.595 sous-officiers, 874 militaires du rang et 642 volontaires). S’y ajoutent 28.100 réservistes opérationnels et 2.778 réservistes citoyens (hors Gendarmerie nationale).

L’opération « Sentinelle » de  protection du territoire national a été maintenue au maximum pendant la période estivale 2016 : 10.000 militaires déployés sur 2.500 sites de 78 des 101 départements. Le dispositif a inclus des missions particulières, à savoir la protection de 47 événements et le contrôle des flux à 14 postes frontières.

Renforcements des unités. Fin juillet 2016, le ministère de la Défense a annoncé diverses mesures pour 2017, dans le cadre de la montée en puissance des domaines prioritaires : cybersécurité, renseignement et fonction protection. Ainsi, l’armée de Terre doit renforcer la 13ème Demi-brigade de la Légion Étrangère, le 5ème Régiment de dragons et le 5ème Régiment de cuirassiers stationné aux Émirats arabes unis. La Marine nationale étoffe ses unités de protection, la défense maritime du territoire et ses centres opérationnels. En outre, elle va créer un peloton de surveillance maritime et portuaire de la Gendarmerie maritime pour l’ensemble Dunkerque-Calais. L’armée de l’Air poursuit la concentration de ses moyens par pôles de spécialisation. Elle prépare également la montée en puissance de nouvelles flottes d’aéronefs : avions de transport et de ravitaillement Airbus A330 MRTT ; avions de transport tactique C 130J Hercules, version améliorée du C 130 ; drones Reaper. Par ailleurs, le Centre d’analyse en lutte informatique défensive et le Commandement opérationnel de la cyberdéfense se renforcent au sein des armées. La Délégation générale de l’armement bénéficiera de l’allègement des déflations d’effectifs au profit de ses domaines prioritaires. Le Service des essences des armées va actualiser ses mesures, entraînant un report ou annulation de certaines d’entre elles. Enfin, le quatrième centre du Service militaire volontaire doit ouvrir à Châlons-en-Champagne en janvier 2017, après ceux de Metz, La Rochelle et Brétigny-sur-Orge.

Loïc Salmon

Défense : les armées, leur image et leurs moyens

Défense : effectifs et engagements en 2014-2015

Défense : actualisation de la LPM 2014-2019