Renseignement : pouvoir et ambiguïté des « SR » des pays arabes

Les services de renseignement (SR) des pays arabes jouent des rôles sécuritaire, politique et d’ascension sociale. Quoique tout-puissants et omniprésents, ils n’ont pas vu venir les mouvements de contestation populaire de 2011, qu’ils ont tenté de canaliser ensuite.

Le général (2 S) Luc Batigne, ancien attaché de défense en Syrie et en Irak, et Agnès Levallois, consultante et spécialiste du monde arabe, en ont analysé les particularités au cours d’une conférence-débat organisée, le 21 janvier 2014 à Paris, par l’Association nationale des auditeurs jeunes de l’Institut des hautes études de défense nationale.

« Sécuritocratie ». Ce terme, utilisé par les chercheurs arabes, souligne les liens étroits des SR avec l’État puis le régime, le clan et enfin la famille dirigeante. Lors de la constitution des États nations, les communautés dominantes ont choisi les domaines politique ou économique et les minorités les armées et surtout les SR, qui ont pris de l’importance en défendant des régimes autoritaires plutôt qu’en travaillant comme leurs homologues occidentaux, explique Agnès Levallois. Détenteurs de pouvoirs exorbitants et jouissant d’une impunité totale et de nombreux privilèges, les SR arabes attirent des gens compétents, mais recrutent aussi à tout va de gros bataillons d’informateurs. La création de l’État d’Israël (1948) a été perçue comme une menace pour les régimes arabes. Chacun a développé ses SR et les a multipliés pour surveiller la population et éviter que l’un d’entre eux ne devienne trop puissant et donc un danger pour le régime. Suivant l’évolution des alliances extérieures au Moyen-Orient et au Maghreb, les SR locaux ont été formés par la France et la Grande-Bretagne, puis l’URSS et enfin les États-Unis, qui ont également équipé les armées et les services de sécurité. Un SR arabe doit d’abord garantir la pérennité du régime par le contrôle de la population. Face aux dangers extérieurs, il doit rechercher des alliances et surveiller les diasporas des mondes anglophone et francophone : opposants exilés, étudiants à recruter, organisations de travailleurs à infiltrer et lieux de culte à bien connaître. Pour influencer l’opinion publique arabe, les divers pays protègent leurs intérêts régionaux en invoquant le grand idéal du « panarabisme » et en défendant des causes « justes » : Palestine, Cachemire et ….Kurdes du pays voisin ! Les SR arabes pratiquent le clientélisme : dans des sociétés minées par la corruption administrative, la « règle du  service rendu » permet de recruter des « obligés », qui suivront immédiatement les directives. Pour effrayer les individus récalcitrants, la violence peut être utilisée, mais avec doigté. Le soutien au terrorisme international a même servi ponctuellement au régime libyen de Kadhafi pour faire passer un message. La manipulation des pays occidentaux est du ressort des SR arabes, qui connaissent bien leurs homologues d’en face. Moins un régime se sent légitime, plus il multiplie les SR, souligne le général Batigne. Il s’ensuit une pléthore de SR en concurrence « où chacun cherche à dire ce qui fait plaisir au chef ». Pour le contrôle intérieur, les SR égyptiens ont mis l’accent sur les moyens humains, qui n’ont guère empêché la contestation de 2011. En revanche, les SR syriens, qui avaient investi dans l’informatique, ont pu réagir immédiatement sur les réseaux sociaux après les événements du Caire.

Exécutants et/ou décideurs. L’armée et le SR militaire, apolitiques, acquièrent une légitimité et constituent un recours, tandis que la police, au contact de la population, reste liée au régime. Pour analyser les relations entre les SR et les régimes en place, Agnès  Levallois et le général Batigne ont classé les pays arabes selon trois critères :  SR outil du pouvoir ; SR centre « de » pouvoir ; SR centre « du » pouvoir. Dans la 1ère catégorie, figurent d’abord les monarchies du golfe Arabo-Persique et la Jordanie, qui contrôlent leurs SR plus qu‘ailleurs. Au Maroc, la monarchie a repris en mains les SR militaires et civils. Dans les Territoires Palestiniens, malgré le contrôle de Gaza par le mouvement islamiste Hamas, les SR travaillent avec leurs homologues occidentaux. En Tunisie, Ben Ali avait confié la sécurité de son régime à la police. Dans la 2ème catégorie, entre d’abord le Yémen où les SR occupent une place importante dans le système tribal. Au Soudan, ils sont aux ordres du régime. En Libye, l’ancien chef des SR de Kadhafi s’est réfugié au Qatar. Depuis, chaque mouvance ou clan dispose de SR qui se font concurrence. Au Liban, un SR n’étant pas considéré comme un organe du régime, chaque communauté veut le sien pour se protéger : un chrétien dirige le SR militaire et un musulman sunnite celui du ministère de l’Intérieur. En Irak, Saddam Hussein avait organisé une concurrence permanente entre ses services. Après l’intervention américaine de 2003, la CIA a créé un SR sunnite. Dans la 3ème catégorie, se trouvent les pays où les armées, très fortes, bénéficient d’une assise économique. En Algérie, pas un fonctionnaire n’est nommé sans le consentement du Département du renseignement et de la sécurité. Mais après la prise d’otages dans le centre gazier d’Imn Amenas en 2013, la sécurité intérieure lui a été retirée et placée sous la tutelle directe de la présidence de la République. Toutefois, l’armée a conservé le service des écoutes. En Égypte, le GIS (Government Intelligence Service), tombé en disgrâce à la chute de Moubarak, a transféré ses dossiers à la Direction du renseignement militaire (ministère de la Défense). En Syrie, les SR ne s’appuient pas sur des clans de l’armée comme en Algérie ou en Égypte. Mal vue par les communautés chiite et sunnite, celle des alaouites a fait carrière dans les armées et les SR et, quoique très minoritaire, dirige le pays.

Coopérations ambigües. Très intéressés par toute ce qui se passe dans la région, les SR israéliens travaillent avec leurs homologues occidentaux pour obtenir en échange des renseignements sur les pays où ils ne peuvent aller. Ils entretiennent des coopérations avec certains homologues arabes : officielles avec ceux de Jordanie et bonnes avec ceux de l’Égypte. Ils gardent aussi des contacts avec les SR palestiniens pour assurer la sécurité de Gaza. En Libye, la CIA américaine et les MI6 et MI5 britanniques ont travaillé avec les SR de Kadhafi pour infiltrer les réseaux islamistes de Grande-Bretagne. Aujourd’hui, les pays arabes coopèrent de façon ambiguë avec l’Occident. Leurs SR travaillent avec leurs homologues pour lutter contre le terrorisme, mais agissent parfois contre les intérêts des pays d’accueil.

Loïc Salmon

DGSE : le renseignement à l’étranger par des moyens clandestins

DCRI : anticiper les menaces futures

Les « printemps arabes » de 2011 n’ont pas eu les mêmes conséquences dans les pays concernés. Les réalités sociales, économiques et militaires sont en effet  différentes au Liban et en Irak, Syrie, Égypte, Tunisie et Algérie. Le changement né de ces « révolutions » préoccupe le Conseil de coopération du Golfe, qui regroupe l’Arabie Saoudite, Bahreïn, les Émirats arabes unis, Koweït, Oman et le Qatar. Ces monarchies, assises sur leurs privilèges et gisements d’hydrocarbures, entendent préserver leurs régimes, maintenir l’Iran et l’Irak à distance et gérer elles-mêmes le cas du Yémen, qui les inquiètent au premier chef.




Espace : nécessité d’une capacité commune de surveillance

La France développe, en coopérations multiples, une capacité de surveillance de l’espace, de plus en plus menacé, pour y garantir sa liberté d’action et protéger ses intérêts et ses forces militaires déployées, tout en respectant ses engagements internationaux.

Le général de division aérienne Yves Arnaud, commandant le Commandement interarmées de l’espace, a fait le point sur la question au cours d’une conférence-débat organisée, le 17 décembre 2013 à Paris, par l’Association nationale des auditeurs jeunes de l’Institut des hautes études de défense nationale.

Enjeu de puissance. Aujourd’hui, quelque 50 pays disposent d’une capacité spatiale par l’acquisition de satellites, sans posséder de lanceurs. « Google Earth » réalise des images satellites avec des résolutions inférieures à 50 cm… que peuvent éventuellement se procurer des organisations terroristes. L’espace est devenu un instrument de politique étrangère et un multiplicateur de forces militaires. Grâce au niveau élevé de ses ingénieurs et une volonté de soutien à l’industrie et la recherche, la France est la seule en Europe à mettre en œuvre une capacité spatiale complète : alerte avancée pour détecter le départ de missiles, navigation par satellites (système de positionnement Galileo) et lancement (Ariane Espace et Soyouz depuis la base de Kourou). Sa capacité autonome de situation lui donne son autonomie stratégique. La capacité spatiale permet de remplir les missions militaires. Le Livre blanc 2008 sur la défense et la sécurité nationale précise : « L’espace extra-atmosphérique est devenu un milieu aussi vital pour l’activité économique mondiale et la sécurité internationale que les milieux maritime, aérien et terrestre ». Sur le plan juridique, l’espace n’appartient à personne, mais le Traité de 1967 interdit d’y placer des armes de destruction massive. Toutefois, l’espace est devenu une zone de confrontation, où certains États ont déjà manifesté leur capacité d’agression. Ainsi, la Chine, qui a réalisé en quelques années des progrès remarquables dans le domaine spatial, a tiré en 2007 un missile sur un de ses satellites en orbite. L’année suivante, les États-Unis ont fait de même sur un satellite en orbite plus basse… démontrant ainsi leur propre capacité. Leur système de positionnement GPS, constitué d’une constellation de satellites en orbite à 20.400 km d’altitude, permet de prévoir les précisions de tir sur un théâtre donné. L’autorisation de tir de l’arme dépend en effet de la qualité du signal. En outre, le GPS fournit l’horloge de référence pour toutes les opérations bancaires dans le monde, dont le dysfonctionnement engendrerait un véritable chaos. Mais, leurs propres intérêts les obligent à en garantir l’accès aux services civils. Les petits satellites ont une orbite et une durée de vie inférieures aux gros satellites militaires, qui emportent de lourds moyens optiques performants. Ainsi, les satellites « Pleiades » français pèsent 980 kg et « Hélios » 4,2 t. Ils surveillent les zones où sont déployées les forces et renseignent les autorités politico-militaires. Les études des satellites post-Pleiades et post-Hélios commenceront en 2017.

Surveillance indispensable. Un débris de 1 cm2, qui se déplace dans l’espace à 7 km/s,  détruit un satellite de plusieurs tonnes. Le 10 février 2009, la collision entre le satellite américain « Iridium-33 » de téléphonie mobile et le satellite russe « Cosmos-2251 » a causé plusieurs milliers de débris d’une surface supérieure à 1 cm2 et dispersés sur des orbites de 250 km à 1.300 km. Ces « nuages » de débris menacent notamment les orbites des satellites français « Hélios » (observation optique) et « Elisa » (écoute électromagnétique pour la détection des radars). Une collision similaire polluerait, par une réaction en chaîne, la totalité des orbites basses. Actuellement, 30.000 débris en orbite basse sont « traçables ». Un satellite, dont l’orbite est modifiée, peut éviter une collision, mais au détriment de sa durée de vie. La redondance de ses appareils vitaux, placés à des endroits séparés, augmente sa capacité de survie. En outre, la rentrée d’un satellite dans l’atmosphère représente un risque pour les populations sur terre. Par ailleurs, la menace, intentionnelle et identifiée, contre un satellite en orbite constitue un acte de guerre. La surveillance de l’espace porte donc sur la détection des risques et menaces et la protection des satellites contre collisions et attaques. La France met en œuvre le radar « Graves » (grand réseau adapté à la veille spatiale), conçu pour détecter les objets en orbite de 400 km à 1.000 km, en suit environ 2.400. Les Etats-Unis, la Russie, la Chine et le Japon disposent des mêmes capacités. Les autres moyens français incluent les radars de trajectographie « SATAM » (centres d’essais et champs de tir) et « TIRA » (franco-allemand) et ceux du Monge, bâtiment d’essais et de mesures des tirs de missiles balistiques (dissuasion nucléaire). Les logiciels français « Ciborg » et américain « STK » analysent les données de « Graves ». Depuis 2012, le programme « Oscegeane » permet d’observer depuis la terre les satellites géostationnaires à 36.000 km d’altitude et de suivre les satellites d’écoute de communications.  C’est aussi à partir des données de « Graves » et des radars américains plus performants que le Centre national d’études spatiales élabore les risques de collision. Son centre opérationnel d’orbitographie détecte également des objets d’intérêt militaire en coordination avec le Commandement de la défense aérienne et des opérations aériennes.

Coopérations incontournables. Les coopérations opérationnelle et de partage de données avec les États-Unis, diplomatiques au début, sont devenues commerciales. La confidentialité est de règle, car chaque pays connait les orbites fines des satellites de l’autre. Les satellites optiques français complètent les satellites radars allemands et italiens. Une observation optique donne une image réelle…quand le ciel est dégagé. Une observation radar est de moins bonne qualité, mais possible par tous les temps ! Toutefois, son interprétation est plus complexe que celle de l’image optique. Enfin, la coopération franco-allemande (armée de l’Air, CNES et centre allemand GSSAC) constitue le noyau du programme européen de surveillance de l’environnement spatial à l’horizon 2020 (« Galileo » et « Copernicus »).

Loïc Salmon

Renseignement militaire : cinq satellites français de plus

Inde : industrie spatiale civile, mais de plus en plus militaire

Chine : l’espace au cœur du complexe militaro-industriel

Les « géocroiseurs » ou astéroïdes susceptibles de rencontrer la terre y causeraient des dégâts considérables. Les effets des rayons solaires peuvent perturber le fonctionnement ou même endommager les satellites. S’y ajoutent les millions de débris de toutes sortes dans l’espace (photo), dont la durée de vie varie de 6 mois à plus de 10.000 ans selon les orbites. Le Centre national d’études spatiales (CNES) et l’Agence spatiale européenne assurent la météorologie de l’espace. A ce titre, le CNES entretient des relations avec la Russie et la Chine. L’armée de l’Air surveille l’espace pour détecter les collisions possibles et les rentrées à risques dans l’atmosphère. Elle évalue aussi les menaces que représentent les survols de satellites adverses ou le rapprochement de satellites français d’intérêt militaire.




Le 61ème Régiment d’artillerie (drones et imagerie)

Unique régiment d’artillerie à porter la fourragère de la Légion d’Honneur avec le ruban de la croix de Guerre 1914-1918, le 61ème Régiment d’artillerie (RA) de Chaumont s’est spécialisé dans le renseignement pour l’armée de Terre au moyen des drones et de l’imagerie, après avoir utilisé tous les types de canons de 1910 à 1999.

L’action des drones combinée au renseignement permet d’anticiper départs de crises, préparations de conflit et déplacements de population. Dans la conduite des missions, l’imagerie fournit une aide à la navigation et identifie l’objectif à l’aide de points de recalage. Pour la frappe, elle positionne la cible dans son environnement, l’acquiert à vue, la désigne et guide l’arme jusqu’au point d’impact. Enfin, elle contribue à la restitution des missions et l’évaluation des dommages, grâce aux capteurs ayant servi à la frappe ou par l’envoi d’une mission spécifique sur des objectifs déjà traités. Par ailleurs, les images constituent des preuves dans le domaine politico-stratégique : prévention ou gestion des crises ; contrôle du désarmement ; suivi de la prolifération ; contrôle de l’application des traités internationaux ; aide à l’engagement des forces ; prévention et évaluation des dégâts causés par une catastrophe naturelle ; participation aux efforts d’aide humanitaire. La planification d’une opération repose sur la cartographie, les bases de données sur les sites d’intérêt stratégique et un processus de ciblage qui dépendent du renseignement d’origine image. Ce dernier interagit avec les renseignements d’origines humaine et électromagnétique. En synergie avec l’analyse géographique, tous les renseignements participent au « renseignement multicapteurs », spécificité de la Brigade du renseignement. Fondée le 1er juillet 2011, celle-ci, forte de plus de 4.000 personnels, compte un état-major et 5 unités : le 2ème Régiment de hussards pour la recherche de renseignement dans la profondeur et le recueil de l’information d’origine humaine ; le  54ème Régiment de transmissions pour le renseignement électromagnétique de proximité et au contact ; le 28ème Groupe géographique ; le 44ème Régiment de transmissions pour le renseignement d’origine électromagnétique dans la profondeur ; le 61ème RA. Afin de produire du renseignement directement utilisable par les échelons supérieurs, 3 de ces régiments, dont le 61ème RA, ont constitué une unité d’analyse et de diffusion. Celle-ci arme le poste de commandement d’un bataillon de renseignement multicapteurs : orientation et coordination de la recherche des différents capteurs, récupération de l’information brute, son exploitation par recoupement et enfin sa diffusion. Les interprètes images préparent les missions du « combat camera » au moyen de caméscopes et d’appareils photos avec localisation par GPS embarqués sur des hélicoptères. En outre, le 61ème RA dispose d’un groupe d’exploitation d’images de satellites militaires, civils et interalliés. En 4 ans de séjour en Afghanistan, ce régiment a réalisé environ 800 missions de reconnaissance ou de surveillance et des centaines de dossiers d’objectifs pour la Force internationale d’assistance à la sécurité. Mélanie Bénard-Crozat présente en détail le 61ème RA avec de nombreuses illustrations et descriptions de matériels ainsi que des témoignages des « Diables Noirs » qui les servent.

Loïc Salmon

Opex : enjeux et perspectives des drones militaires

Renseignement aérospatial : complémentarité entre drones et aéronefs légers ISR

« 61ème Régiment d’artillerie » par Mélanie Bénard-Crozat. Éditions Crépin-Leblond, 192 page.s 27€




Armée de Terre : un état-major de forces immédiatement projetable

La France développe sa capacité d’entrer en premier sur un théâtre d’opérations extérieur et celle de nation cadre dans une coalition. Outre des missions sur le territoire national, son système d’état-major de forces lui permet de projeter immédiatement un commandement opérationnel.

Ce système comprenait 4 états-majors de forces (EMF), réduits aujourd’hui à 2 et interchangeables : l’un à Besançon (EMF N°1) et l’autre à Marseille (EMF N°3). Ce dernier est commandé par le général de division Philippe Pontiès, qui l’a présenté, avec son équipe de direction, à l’Association des journalistes de défense le 25 novembre 2013 à Marseille. L’EMF 3 est en posture de projection pendant toute l’année 2014, tandis que l’EMF 1 reste en alerte et en préparation opérationnelle au moyen de divers exercices. Les rôles s’inverseront en 2015.

Opérations extérieures. Tous les personnels des EMF ont participé à des opérations extérieures. Pendant un an, un EMF est en mesure de projeter immédiatement environ 20 % de son effectif en temps ordinaire, chiffre passé à 80 % fin 2013 pour l’EMF 1 en raison de la relève dans l’opération « Serval » au Mali. Pour honorer le contrat opérationnel de l’armée de Terre (voir encadré), il remplit 4 missions : planifier et conduire des opérations interarmées de niveau division de l’OTAN ; assurer la mise sur pied d’un poste de commandement interarmées à dominante terrestre (PC opératif type « Serval ») pour un engagement national limité à 5.000 hommes en alerte « Guépard » ; armer un PC de circonstance dans le cadre de la défense du territoire national ; renforcer un PC interarmées à dominante aérienne ou maritime dans le cadre d’une opération. Il s’agit de s’adapter au contexte d’une guerre et dans l’urgence. L’EMF apporte la capacité de travailler ensemble, à la différence de la juxtaposition de compétences individuelles. La clé de son succès réside dans la cohérence, la connaissance mutuelle, la confiance et les automatismes. « Il faut bien connaître la doctrine pour mieux s’en affranchir », souligne le général Pontiès. L’efficacité repose sur la qualité des combattants, du 2ème classe au général et acquise par la formation, sur celle du dispositif de commandement et de contrôle et sur celle de la préparation opérationnelle. Pour rester à niveau, cette dernière correspond, idéalement, à 90 jours d’entraînement par homme et par an et à 180 heures de vol pour les équipages de l’Aviation légère de l’armée de terre. Des exercices d’EMF avec des pays alliés entretiennent la préparation opérationnelle. Avec le Qatar, cela envoie un signal fort dans la région du Moyen-Orient. Suite aux accords de Lancaster House, 60 personnels d’EMF sont envoyés en Grande-Bretagne dans le cadre de la force expéditionnaire commune. Renseignement. Tous les personnels officiers et sous-officiers viennent de l’École du renseignement de l’armée de terre (Saumur), de la Direction du renseignement militaire (DRM) et de la Direction générale de la sécurité extérieure. Pendant 4 semaines et dans des bâtiments sécurisés, ils se forment à l’outil SAERc (Solution d’aide à l’exploitation du renseignement « convergé »), dont la production est diffusée à toute personne habilitée de la planification et de la conduite des opérations. La chaîne SEARc assure une cohérence bout à bout pour un meilleur partage et une exploitation plus performante du renseignement. Un moteur de recherche dédié stocke des volumes très importants d’informations diverses (textes, images et sons), retrouve des données pertinentes (pays, armement, personnes etc.) et extrait au bon moment et rapidement celles recherchées. Il identifie : les relations entre plusieurs types d’entités dans une même phrase (personnes et mots clés par exemple) ; les principaux thèmes et catégories d’informations à partir d’un corpus documentaire. Il visualise : les relations entre les différentes entités (ébauche de réseau mafieux) ; les redondances dans le temps, coïncidences ou rapprochement entre différents types d’entités (présence dans un attentat d’un individu fiché) ; les entités géolocalisées (réseaux mafieux identifiés). Quelque 60.000 fiches thématiques permettent de faire des analyses statistiques et thématiques, de comprendre l’enchaînement d’événements et d’en déterminer le « centre de gravité ». Pendant la préparation opérationnelle, la cellule renseignement de l’EMF s’entraîne à partir des comptes rendus de situation d’un théâtre d’opération réel provenant de la base de données du Centre de planification et de conduite des opérations à Paris. Lors de la projection de l’EMF, elle assure la veille en relation avec le Système d’information et de commandement des forces.

Environnement opérationnel. Outre la logistique, le renseignement, la planification et  la conduite des opérations, les fonctions de l’EMF incluent les actions sur les perceptions et l’environnement opérationnel : ciblage, opérations d’information, opérations militaires d’influence et actions civilo-militaires. Le ciblage consiste à identifier puis sélectionner des cibles pour agir sur elles avec des moyens létaux ou non, en vue d’obtenir l’effet recherché. Il est assuré par les forces spéciales, la guerre électronique, la cyberdéfense et les opérations d’information. Ces dernières visent à utiliser ou à défendre l’information, les systèmes d’information et les processus décisionnels pour appuyer une stratégie d’influence en respectant les valeurs défendues. Il s’agit d’informer la population et les responsables locaux neutres, de promouvoir les gens favorables à la cause défendue et de discréditer les opposants. Contrairement à la propagande, tout ce qui est diffusé par tracts ou par radio doit être exact et vérifiable. Les opérations militaires d’influence cherchent à obtenir un effet sur les comportements d’individus, de groupes ou d’organisations afin d’atteindre des objectifs politiques et militaires. En Afghanistan, les personnels français chargés des opérations militaires d’influence et des actions civilo-militaires ont été formés à l’OTAN. Après leur départ, le relais a été pris par l’ambassade de France et des organisations non gouvernementales, car l’effet durable se fera sentir… au bout d’une génération !

Loïc Salmon

Coalition 2012 : exercice majeur d’état-major à l’Ecole de guerre

« Serval » : manœuvre aéroterrestre en profondeur et durcissement de l’engagement

Selon le Livre blanc 2013 sur la défense et la sécurité nationale, l’armée de Terre doit pouvoir disposer de 66.000 personnels projetables à l’horizon 2025, dont : 10.000 sur le territoire national ; 7.000 en tout dans 2 ou 3 opérations de gestion de crises ou 15.000 dans 1 opération de coercition avec préavis et après réarticulation du dispositif engagé en opération ; 1.500 dans un groupement tactique interarmes de la Force interarmées de réaction immédiate (2.300 h) et déployable jusqu’à 3.000 km en 7 jours. L’État-major de forces N°3 (Marseille) compte 291 personnels, dont 107 officiers (3 généraux), 107 sous-officiers et 77 militaires du rang. Il inclut un escadron de quartier général pour le déploiement du système d’information et de commandement et la protection immédiate. S’y ajoutent 128 réservistes et 13 personnels civils.




Espionnage : de la réalité à la fiction par l’écriture

Les romans d’espionnage reposent sur du « vrai », à savoir l’expression de la vie quotidienne de ces hommes et femmes de l’ombre fiers de leur métier, mais soumis à la pression de résultats rapides que les décideurs exigent d’eux.

Trois auteurs au profil différent, dont deux anciens des Services de renseignement, en ont parlé au cours d’une conférence-débat organisée, le 30 octobre 2013 à Paris, par l’Association nationale des auditeurs jeunes de l’Institut des hautes études de défense nationale. Il s’agit de Bernard Besson (police), Paul Fauray (Commandement des opérations spéciales) et Pierre Boussel (presse).

Des gens peu ordinaires. En général, les personnels du renseignement ne connaissent rien les uns et des autres. Ils se croisent sans savoir s’ils se reverront plus tard. Leur capacité à observer, analyser et restituer leur donne une grande ouverture d’esprit et une créativité certaine. Par ailleurs, ils fréquentent des gens « peu fréquentables » et prennent des risques avec leurs informateurs avec qui ils créent des liens de confiance et parfois d’amitié, au nom de leur mission. Ils se sentent donc douloureusement seuls lorsque leurs supérieurs ne les soutiennent pas.  « Les Services de renseignement (SR) servent la République, rappelle Bernard Besson, si on ne leur dit rien, ils vont faire de la paperasse ». Mais en général, l’État sait ce qu’il veut. Les SR donnent des éléments pour l’aide à la décision. Les décideurs politiques leur posent des questions auxquelles ils répondent. Puis, de nouvelles interrogations surgissent. « La DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure), souligne Pierre Boussel, c’est énormément de métiers, de compétences qui s’expriment dans des domaines précis ».  Son travail s’enrichit de la collaboration des SR alliés et de celle de simples citoyens, qui peuvent servir leur pays en détectant un « signal faible ». « En Opex (opération extérieure), indique Paul Fauray, le respect mutuel (entre SR) se manifeste avec les Russes, les Britanniques et les Danois, mais moins bien avec les Américains ».

Une dimension planétaire. Les États-Unis disposent de 16 SR, dont le dernier assure la coordination entre les autres. La NSA, cette agence qui n’existait pas officiellement, a été créée dans les années 1950 par le président Truman pour écouter le monde entier. Aujourd’hui, elle emploie 50.000 fonctionnaires qui accumulent des données sur des personnalités et des missions, les traduisent, les analysent et traitent dans une vision prospective à moyen et long termes. Le contre-terrorisme ne peut fonctionner que par les interceptions de communications et aucun dirigeant politique ne prendra le risque d’en exclure une. L’exploitation des « métadonnées » (tout ce qui s’échange sur les réseaux) permet de croiser des données sur des entreprises et des gens, en vue de déterminer des surveillances particulières et le profil d’individus ciblés. Quant aux fuites dans la presse d’informations confidentielles sur les ambassades et les SR américains par l’association Wikileaks, Bernard Besson estime que le secret existe de moins en moins et que la vitesse le remplace en efficacité. « La qualité de l’information dépend de l’ignorance en amont, dit-il, ce qui marche le mieux, c’est là où les gens se parlent ». De son côté, Paul Fauray juge irresponsable l’attitude de Wikileaks, car elle met en péril des agents, dont nul ne sait s’ils travaillent encore sur le terrain : « Ces gens sont exposés et vont risquer leur vie ».

Des approches particulières. Les trois auteurs s’accordent sur l’important travail de recherche que demande l’écriture d’un roman d’espionnage. Selon Bernard Besson, la NSA est toujours citée dans les romans où les enjeux sont économiques et Wikileaks donne une vision américaine de la France, source d’informations pour un romancier. Quant à lui, il ne relate pas les affaires qu’il a traitées. Il invente des personnages qui pensent comme les gens du monde du renseignement. Quoique ses récits soient de pure fiction, leurs contextes correspondent aux grands cadres géostratégiques. Le roman d’espionnage se présente comme une opportunité de mettre en scène des hommes et des femmes, tenus au devoir de réserve de la neutralité républicaine, et de leur faire dire ce qu’ils ont sur le cœur. Les Français n’ont pas la culture du renseignement, qui renvoie à des périodes douloureuses de leur Histoire (l’Affaire Dreyfus et l’Occupation). En revanche, les Américains, les Britanniques, les Israéliens et les Chinois sont plus alertes dans ce domaine et font spontanément du renseignement d’ambiance au cours de leurs voyages à l’étranger. Pierre Boussel a commencé par écrire des romans d’aventures inspirés de son expérience de reporter. Il a rencontré des gens du monde du renseignement, dont il apprécie la connaissance des langues étrangères, le regard qu’ils portent sur le monde et les qualités humaines. L’important dans un roman d’espionnage, estime-t-il, n’est pas le « factuel » des événements, mais le « ressenti » des personnages. Il insiste sur la « temporalité ». Il veut savoir « comment le combattant se conçoit dans un temps politique ou théologique ». Alors que les romans américains jouent sur « une hystérie du temps où tout est très rapide », il préfère prendre le temps de faire sentir la vie des gens de l’ombre pour toucher un grand public. De son côté, Paul Fauray rappelle que le premier roman d’espionnage date de 1898 et fait intervenir la France, l’Allemagne et la Grande-Bretagne. « Tout colle à la politique du moment », avec un cadre enchanteur, un sous-marin et une femme fatale, bref les ingrédients qui feront plus tard le succès des romans de Ian Fleming (« James Bond »). Auditeur d’une session nationale de l’Institut des hautes études de défense nationale, il y a trouvé des liens communs avec le renseignement : de la géopolitique, des problèmes stratégiques et une grille de lecture de l’actualité internationale. L’approche transversale et la présence de gens de terrain du renseignement parmi les auditeurs permettent de faire de la prospective, à savoir la réflexion à six mois ou un an. Mais quid du personnel de ce monde de l’ombre dans tout ça ? Un personnage de son dernier roman lance cyniquement à un collègue amer : « Vous n’êtes qu’un de ces pions qui évitent qu’on se foute sur la gueule » !

Loïc Salmon

Renseignement et littérature : un filon pour les écrivains

Renseignement et cinéma : des logiques difficilement compatibles

Auteur de « Les confessions de l’ombre », Pierre Boussel (à gauche) est journaliste à « Radio Méditerranée Internationale », station de radio bilingue (français et arabe) à capitaux marocains (51 %) et français (49 %). Il affirme n’avoir jamais travaillé pour la Direction générale de la sécurité extérieure. Auteur de « Le partage des terres », Bernard Besson (au milieu) est contrôleur général honoraire de police. Ancien des Renseignements généraux et de la Direction de la sûreté du territoire, il est aujourd’hui consultant en intelligence économique. Auteur de « La bombe des mollahs », Paul Fauray (à droite) est officier et haut fonctionnaire. Médecin de Marine et ancien élève de l’École nationale d’administration, il a servi au Commandement des opérations spéciales. Aujourd’hui, il apporte à l’État-major des armées son expertise sur le monde arabe, le terrorisme et le nucléaire.




Renseignement aérospatial : complémentarité entre drones et aéronefs légers ISR

En matière de renseignements d’origine électromagnétique (« sigint » et « comint ») et par imagerie les drones complètent les aéronefs légers de renseignement, surveillance et reconnaissance (ISR), selon les critères de missions définis par leurs utilisateurs.

Certains aéronefs (avions, drones, hélicoptères et dirigeables) peuvent opérer avec ou sans pilote. Leur « dronisation » a fait l’objet d’un colloque organisé le 30 septembre 2013 à Paris, par le Club Participation et Progrès, le magazine Air et Cosmos et la revue Défense nationale.

Systèmes et emplois. En 2008, le secrétaire américain à la Défense Robert Gates, ancien directeur de la CIA, lance le programme « Liberty » de plate-forme ISR pour les opérations en Irak et en Afghanistan en vue de dresser des cartes de renseignement sans intervention des troupes au sol, explique le lieutenant-colonel Eric Tantet de l’état-major de l’armée de l’Air. « Liberty » a récupéré un avion civil à faible coût de maintien en condition opérationnelle. Le cahier des charges varie selon la taille du vecteur et le nombre de capteurs installés. La plate-forme emporte divers types de charges utiles dont notamment: la boule optronique (imagerie) à « champ étroit » ; le radar à « champ moyen », indicateur de cibles mobiles et utilisable tous temps ; le capteur de communications à « champ large » pour localiser des émetteurs dans des zones désertiques ; la télédétection par laser ; la caméra hyper-spectrale ; le système américain « Gorgon Stare » (5 caméras électro-optiques et 4 autres infrarouges) pour couvrir le maximum de terrain ; le système de fusionnement des informations des capteurs. Le concept d’emploi de l’avion léger de surveillance et de reconnaissance (ALSR) s’articule ainsi : « champ large » pour la recherche de cibles sur la zone d’intérêt définie ; « champ moyen » pour la détection et la localisation des cibles ;  « champ étroit » pour leur identification ; production et transmission des renseignements vers les autorités politico-militaires ou les éléments terminaux de la chaîne d’action (troupes au sol, bâtiments et aéronefs de combat) ; poursuite éventuelle de la cible ou surveillance de la zone. Dans le cadre d’une crise émergente, l’ALSR peut être utilisé sous faible préavis pour renforcer les moyens de recueil déployés sur un théâtre extérieur. Sur le territoire national, il peut participer à un dispositif de sûreté du ministère de la Défense ou en appui d’autres ministères pour la lutte anti-drogue, la sécurité intérieure, la lutte contre la piraterie, l’anti-terrorisme et l’évaluation rapide de la situation après une catastrophe naturelle ou technologique. Divers ALSR sont en service dans les armées de Terre et de l’Air aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne et dans les forces aériennes du Canada, d’Israël et d’Algérie. D’autres sont déjà commandés par celles d’Irak et de Singapour.

Comparaison et perspectives. Guillaume Steuer (Air et Cosmos) a dressé un tableau comparatif entre le drone moyenne altitude longue endurance (Male) et l’ALSR. Tous deux se valent en discrétion moyenne. Le drone Male l’emporte pour l’endurance (plus de 24 h sur zone contre 6-8 h pour l’ALSR) et l’armement éventuel. L’ALSR présente des avantages en termes de flexibilité d’emploi, d’évolution dans l’espace aérien civil, d’acquisition (offres multiples) et d’autoprotection. L’armée de l’Air américaine (USAF) dispose de 160 drones armés MQ-1 B « Predator » mis en service opérationnel en 2005, 100 drones de combat MQ-9 « Reaper » (2007) et 42 ALSR MC-12 W « Liberty » (2009). Le Commandement des opérations spéciales de l’USAF déploie des MQ-1B « Predator » sur 6 orbites permanentes et des MQ-9 « Reaper » sur 4. Il emploie aussi 36 petits avions Pilatus PC-12/U-28 capables d’utiliser des pistes sommairement aménagées et en a commandé 18 exemplaires pour les forces spéciales afghanes. Outre ces trois types de vecteurs, la CIA possède des DHC6 « Twin Otter » équipés de roues, de skis ou de flotteurs. Depuis sa base de Waddington, l’armée de l’Air britannique déploie 10 MQ-9 « Reaper » et 6 petits avions « King Air 350 » équipés de multicapteurs. En France, indique Guillaume Steuer, les drones Male sont peu nombreux et peu adaptés aux besoins : optronique obsolète et absence de capacité « sigint ». En outre, les capacités ISR aéroportées sont éparpillées entre les avions de transport tactiques « Transall » et « Hercules », les avions de patrouille maritime « Atlantique 2 »  et le C-160 « Gabriel » de guerre électronique. Le projet de loi de programmation militaire 2014-2019 prévoit des vecteurs aéroportés complémentaires des renseignements d’origine image. Finalement, les drones Male devraient être affectés d’abord au soutien des forces et les ALSR au Commandement des opérations spéciales, à la Direction du renseignement militaire (DRM) et à la Direction générale de la sécurité extérieure.

« Dronisation » et complémentarité. Malgré le développement du drone, l’ALSR rebondit en raison de son moindre coût et du savoir-faire venu du monde civil, indique le général de corps aérien (2S) Jean-Patrick Gaviard, ancien sous-chef opérations de l’État-major des armées. Mais, il ne fonctionne qu’avec la supériorité aérienne, comme pour les interventions en Libye (2011) et au Mali (2013). En temps de crise, les « sigint » et « comint », captés aussi par les sous-marins et navires de surface, constituent les renseignements initiaux, que doivent compléter l’imagerie et l’infrarouge pour l’identification des cibles. « Même pour les théâtres africains, ça commence par là ». Le successeur de l’avion C-160 « Gabriel » devra disposer d’une capacité « sigint » plus importante pour informer la DRM et les forces sur le théâtre des bandes d’émissions à brouiller. Une réflexion est en cours sur la reconstitution d’une escadre de reconnaissance, basée dans le centre de la France et incluant les drones, les ALSR et du personnel hautement qualifié. De son côté, le général de corps aérien (2S) Michel Asencio, ingénieur consultant en technologies nouvelles, rappelle la vulnérabilité des moyens de transmissions des renseignements des drones. Ainsi informé début août 2013, le mouvement chiite Hezbollah avait pu piéger le passage de commandos israéliens en territoire libanais, faisant plusieurs blessés.

Loïc Salmon

Renseignement militaire : clé de l’autonomie stratégique et de l’efficacité opérationnelle

Renseignement militaire : cinq satellites français de plus

La guerre électronique : nouvel art de la guerre

Le drone français (mode piloté en option) « Patroller » peut croiser sur zone à 25.000 pieds (7.620 m) d’altitude plus de 20 heures et même jusqu’à 30 heures dans sa configuration capteur optronique jour/nuit avec deux réservoirs sous voilure. Il emporte des caméras TV (couleurs ou noir et blanc) et infrarouges, des radars météorologiques, de détection NBC (nucléaire, chimique et biologique) et à synthèse d’ouverture et un télémètre laser. Il transmet directement des images aux personnels au sol ou aux véhicules d’intervention via un terminal tactique vidéo portable. Aéronef à décollage et atterrissage automatiques, le « Patroller » est aérotransportable par avion-cargo. Son rayon d’action varie de 200 km (liaison de données à portée optique) à 2.000 km (liaison satellite).




L’anticipation géopolitique aidée par l’intelligence collective

La mesure systématique de l’intelligence collective pour anticiper des événements, même de nature géopolitique, permet de réduire l’incertitude grâce à la décentralisation des sources, la diversité des opinions et l’indépendance d’esprit.

C’est ce qu’a expliqué Emile Servan-Schreiber, directeur général de Lumenogic, lors d’une conférence-débat organisée le 8 octobre 2013 à Paris par l’Association nationale des auditeurs jeunes de l’Institut des hautes études de défense nationale.

Les bases théoriques. Le philosophe grec Aristote (384-322 avant J.C.) définit l’intelligence collective comme le rassemblement de nombreux individus ordinaires mais capables, ensemble, d’être meilleurs que les quelques meilleurs d’entre eux. En 2010, une étude américaine met en évidence que le quotient intellectuel (QI) d’un groupe, tangible et mesurable, se détermine non par la moyenne des QI individuels ni l’âge moyen, mais par la proportion des femmes en son sein. En outre, l’égalité du temps de parole et la sensibilité sociale (capacité de se mettre à la place de l’autre) rendent le groupe plus performant. Dans son livre « La sagesse des foules », James Surowiecki démontre que l’intelligence d’un groupe repose sur le savoir cumulatif de chacun des membres, dont les « subsidiarités » s’annulent. L’intelligence du groupe se détermine par la qualité des communications entre ses membres et sa diversité cognitive, à savoir les différentes approches d’un problème. Les sociétés les plus innovantes sont celles qui impliquent le plus de monde et non le plus d’argent. L’agilité à s’associer intellectuellement à d’autres personnes améliore l’intelligence collective. Il convient d’y ajouter un autre élément : le pari ! En effet, le fait de parier mobilise, dans le cerveau, des neurones spécialisés dans l’évaluation des risques et des récompenses. De plus, l’émotion est refoulée et le raisonnement privilégié. Parier encourage la confrontation d’idées plutôt que la conformité. Les parieurs prennent en effet des risques avec leur argent ou leur réputation si le pari n’est pas monétaire. Ainsi motivés, ils recherchent la « bonne » information. Pour eux, il s’agit d’avoir raison avant les autres. L’organisation de paris sur des pronostics d’événements constitue un véritable marché « prédictif », où la question posée aux parieurs est directement liée à l’objet de la prédiction. Tous les parieurs essaient de maximiser leurs gains et modifient leurs options d’achat ou de vente s’ils y trouvent un intérêt, rendant ainsi leur pronostic équilibré. Celui qui ne connaît rien du domaine concerné ne va pas jouer en bourse. Par contre, celui qui le connaît bien va jouer de plus en plus gros et son opinion va peser plus lourd. Selon des études américaines, les prévisions du marché se vérifient dans le monde réel : actualité, politique, économie, sciences et technologies. Dans son livre « Expert Political Judgement », Philip Tetlock donne les résultats d’une enquête réalisée entre 1985 et 2005 sur 82.000 prévisions et 284 experts américains. Il dresse une typologie des « renards » et des « hérissons ».  Le « renard » apparaît comme « visionnaire », ouvert à tout et connaissant beaucoup de petites choses. L’écrivain Michel de Montaigne (1533-1592) correspond à ce type. Le « hérisson », qui ne connaît qu’une chose ou un principe très important, apparaît comme un « idéologue ». Le philosophe et mathématicien Blaise Pascal (1623-1662) et le président George W. Bush s’approchent de ce type. Philip Tetlock conclut que les experts ne sont pas meilleurs que les amateurs avertis et que les « renards » sont bien meilleurs que les « hérissons ». Pourtant, les média préfèrent les gens bardés de certitudes : c’est plus divertissant et plus convaincant ! Les décideurs font naturellement confiance aux experts…  qui savent très bien se justifier.

Les applications opérationnelles. Dans le domaine géopolitique, personne ne peut prétendre avoir toutes les connaissances nécessaires, rappelle Emile Servan-Schreiber. La mise à jour en temps réel des données se fait au fil de l’information auprès de ceux qui sont sur le terrain. Par exemple, les prix des produits laitiers ont été multipliés par 3 en quelques mois, car les pays émergents ont perturbé ce marché. Les principales données doivent être calibrées, numérisées et « discriminantes ». Quand elles deviennent  floues, elles sont mieux analysées par plusieurs cerveaux travaillant ensemble que par un ordinateur. Les marchés « prédictifs » se sont avérés plus déterminants et surtout plus rapides (quelques minutes) que les sondages (deux jours). Les premiers donnent une prévision du résultat final, en continu, auprès de participants auto-recrutés par la connaissance du sujet et interactifs. Les sondages indiquent une préférence à un jour donné et une photographie ponctuelle d’un échantillon représentatif, mais aucunement impliqué. Ainsi, une étude des marchés des élections présidentielles américaines de 1884 à 1940 révèle qu’ils ne se sont trompés qu’une seule fois en 1916 (réélection de Woodrow Wilson). Ces paris, interdits depuis aux Etats-Unis, sont autorisés en Grande-Bretagne où la presse a plutôt tendance à regarder les marchés « prédictifs » que les sondages de moins en moins représentatifs. De son côté, la CIA a lancé une étude sur 4 ans (2011-2015) pour améliorer considérablement l’exactitude, la précision et la rapidité des agences de renseignement américaines. Il s’agit de : développer des techniques de pointe qui suscitent, pondèrent et combinent les jugements de nombreux analystes ; mesurer systématiquement la justesse des prévisions à l’aune d’événements géopolitiques réels. Ce projet intitulé « Good Judgement » (bonne évaluation en vue d’une décision) est confié aux universités de Pennsylvanie et de Berkeley et à… Lumenogic ! Cinq équipes université/industrie sont mises en concurrence pour développer les meilleures méthodes. Des dizaines de politologues, psychologues, statisticiens et praticiens analysent les réponses de plusieurs milliers de participants (payés 200 $/an) aux 100 à 200 questions annuelles de la CIA. En 2013, un premier résultat montre que les meilleurs parieurs sont capables de faire mieux que les professionnels à plein temps de la CIA qui disposent d’informations « sensibles » !

Loïc Salmon

Le cyberespace : enjeux géopolitiques

Diplômé de mathématiques appliquées et de psychologie, Émile Servan-Schreiber est le fils de Jean-Jacques Servan-Schreiber, fondateur de l’hebdomadaire « « L’Express », et le petit-fils d’Émile Servan-Schreiber, co-directeur du quotidien économique « Les Echos ». Arrivé à 18 ans aux Etats-Unis, il a obtenu la nationalité américaine en 1993. Il y a créé plusieurs entreprises, dont Lumenogic. Son métier, a-t-il expliqué en avril 2012 à « France-Amérique, le journal français des Etats-Unis », consiste à mettre en place, dans les entreprises, des systèmes sur Internet qui permettent à l’intelligence collective de s’exprimer pour aider à prendre les meilleures décisions. Ainsi, Lumenogic combine l’expertise en technologies de l’intelligence collective, l’analyse sociale et la gestion des processus.




Renseignement et intelligence économique : complémentarité et divergences culturelles

L’intelligence économique monte en puissance et le renseignement devient un outil incontournable des entreprises pour se maintenir sur le marché mondial. En effet, les techniques du second complètent la première, dont la perception varie selon les pays.

C’est ce qu’a expliqué Éric Denécé, directeur du Centre français de recherche sur le renseignement, au cours d’une conférence-débat organisée, le 17 septembre 2013 à Paris, par la Mairie de Paris et l’Association IHEDN région Paris-Ile-de-France.

Risques et menaces. Le renseignement d’affaires sert à gérer les risques, d’abord ceux d’ordre géopolitique ou international. Ainsi, terrorisme et guerre civile rendent nécessaire l’obtention d’informations en amont, avant d’entreprendre des travaux dans un pays du tiers monde. Le grand banditisme infiltre le monde de l’entreprise par le réseau des actionnaires. Il faut aussi surveiller la concurrence et exercer une influence sur les décisions des institutions économiques aux niveaux national et international. S’y ajoutent les risques sociétaux sur les rapports entre individus et groupes humains, notamment le développement de sectes, souvent originaires d’outre-Atlantique, au sein des entreprises. Par ailleurs, profitant du fait que 45% des musulmans d’Europe vivent en France, les adeptes de l’Islam radical infiltrent les syndicats et, par exemple, refusent de serrer la main de leurs collègues féminins ou manifestent un comportement sectaire, comparable à la « scientologie ». L’évolution préoccupante du militantisme écologique, au nom de la sécurité du consommateur ou de la défense des animaux ou de la planète, peut représenter une menace pour certaines entreprises. Selon Éric Denécé, le processus commence par un petit groupe autour d’un théoricien du sujet. Puis une association se met en place et se lance dans le prosélytisme à la sortie des supermarchés. Cela peut déboucher, par exemple, sur l’interdiction de la consommation du foie gras en Californie. L’activisme violent se manifeste par des intrusions dans les laboratoires et même par des attentats à la bombe au nom de « la cause ». Par ailleurs, le temps libre  a doublé en une vingtaine d’années, en raison de l’entrée tardive des jeunes sur le marché du travail, de l’accroissement du chômage et de l’allongement de la durée de la vie. Par désœuvrement, certains se laissent entraîner dans des organisations « éco-terroristes », qui peuvent aller jusqu’à s’allier à des mouvements politiques d’extrême-droite, par exemple, opposés à l’abattage rituel des moutons. Ces implications pour toute une société relèvent du renseignement. Il s’agit de savoir quels sont ces mouvements et comment ils pourraient s’en prendre aux entreprises. En outre, la cyberguerre, omniprésente, se matérialise surtout par le cybersabotage, mais pas encore par le cyberterrorisme . « Le monde des affaires n’est pas éthique, indique Éric Denécé, mais il facilite la créativité intellectuelle pour trouver des solutions ». L’espionnage économique, par intrusion dans les locaux d’une entreprise et photocopies de documents confidentiels, est plus rapide et moins cher que l’intelligence économique, mais guère créatif. En outre, il est puni par le code pénal de tous les pays. En revanche, la consultation sur internet de l’annuaire téléphonique, du « trombinoscope » et de l’organigramme d’une entreprise, complétée par une enquête par téléphone, n’a rien d’illégale. Cette méthode permet de comprendre beaucoup de choses sur elle.

Approche française. Les Grandes Ecoles françaises forment des individus, dont la carrière s’annonce brillante dès l’âge de 25 ans. Toute information remettant cette certitude en cause est mal vue, souligne Éric Denécé.  « Par nature, l’élite française sait ! ».  Or, ces élites politique, militaire et économique se caractérisent par la faiblesse de leur culture du renseignement, qu’elles confondent avec l’espionnage. « On pense que tout ce qui ne provient pas de source ouverte est de l’espionnage ».  Pourtant, depuis 1995, l’Etat déploie beaucoup d’efforts pour faire évoluer cette forme de handicap culturel, à savoir le refus du renseignement, synonyme de « coups tordus » et de manipulations. Par ailleurs, conséquence de l’héritage du « siècle des lumières », l’économie, considérée comme un champ d’action pacifique et non pas d’affrontement pour détruire les ressources d’autrui, doit reposer sur des normes. L’Etat a alors développé une logique de l’offre par la création de cycles d’études supérieures spécialisées. Il existe aujourd’hui 45 « Master II » qui forment chaque année 900 étudiants… qui trouvent difficilement un emploi ! En outre, les cabinets d’intelligence économique foisonnent en France, mais moins de 20 cumulent les expériences du renseignement et de l’entreprise. Si l’Etat agit en stratège, les entreprises, surtout petites et moyennes, constituent les gros bataillons. Or, 90 % d’entre elles pensent que l’espionnage économique constitue une « arme magique » pour conquérir les marchés, sans avoir besoin d’investir.

Culture anglo-saxonne. Commerçants par nécessité, les Britanniques se sont intéressés très tôt aux cartes et savoir-faire maritimes, terreau de leur culture du renseignement. Pendant la seconde guerre mondiale, les autorités militaires américano-britanniques ont employé des économistes pour planifier les bombardements sur l’Allemagne. Ces méthodes du renseignement technique s’appliqueront au « marketing » dans les années 1960. Par ailleurs, les « fils à papa » américains diplômés d’université, envoyés faire la guerre dans les services de renseignement, entretiendront par la suite les liens entre ce monde et celui des affaires. Puis, la mentalité historique de la conquête de l’Ouest sera transposée sur celle des marchés à dominer. La Grande-Bretagne a institué des diplômes d’intelligence économique… après 30 ans d’expérience en la matière ! Ses cabinets spécialisés emploient 200 à 300  personnes, contre 2 ou 3 par leurs concurrents français. En général, dans les pays anglo-saxons, les associations professionnelles prennent l’initiative, pas l’Etat. De  plus, les personnels politiques vont travailler dans les entreprises privées et vice-versa. « En 2013, indique Éric Denécé, il faut encore tout expliquer » aux Français, tandis que les Britanniques leur disent : « You think, we do » (vous pensez, nous faisons) !

Loïc Salmon

Sûreté : élément stratégique des entreprises internationales

Le Centre français de recherche sur le renseignement regroupe une quinzaine de chercheurs, qui analysent le renseignement à travers l’Histoire et son fonctionnement aujourd’hui. Il identifie et suit les nouvelles menaces : terrorisme, conflits, espionnage économique, criminalité internationale, cybermenaces et extrémisme politique et religieux. L’intelligence économique consiste à collecter, analyser, valoriser, diffuser et protéger l’information économique stratégique, afin de renforcer la compétitivité d’un Etat, d’une entreprise ou d’un établissement de recherche. En France, la Délégation interministérielle à l’intelligence économique a été créée par décret en 2009.




Renseignement militaire : clé de l’autonomie stratégique et de l’efficacité opérationnelle

Le caractère interarmées des besoins exprimés et des réponses à fournir rend le renseignement militaire de plus en plus complexe. Outre l’évolution permanente de ses processus de mutualisation, il doit garantir une rapidité accrue de la boucle observation, analyse, décision et action.

Telle est l’impression qu’en retire le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian (photo), à l’issue de sa visite à la Direction du renseignement militaire à Creil (banlieue parisienne) le 13 septembre 2013, visite à laquelle la presse a été conviée.

La Direction du renseignement militaire (DRM), qui dépend directement du chef d’Etat-major des armées (CEMA), collecte tout ce qui concerne les forces et systèmes de combat d’adversaires potentiels au profit des autorités politiques et militaires. Elle échange des renseignements avec les services étrangers, surtout américains. Ses effectifs se montent à environ 1.700 personnes civiles et militaires (moyenne d’âge 38 ans), dont 24 % de femmes. Les militaires se répartissent entre les armées de Terre et de l’Air, la Marine et la Direction générale de l’armement. Près de 300 personnes sont réparties dans les 9 détachements avancés de transmission pour les interceptions de télécommunications : métropole (Giens), outre-mer (Guadeloupe, Mayotte, Nouvelle-Calédonie et Polynésie française), Sénégal, Gabon, Djibouti et Emirats arabes unis. Au sein du Centre de planification et de conduite des opérations (CPCO) du ministère de la Défense à Paris, la DRM dispose d’un bureau de renseignement interarmées dénommé J2 (appellation OTAN), résultant de la fusion des anciens 2èmes Bureaux Terre, Air et Marine et du Centre d’exploitation du renseignement militaire. La base aérienne 110 de Creil abrite les organismes techniques de la DRM : Centre de formation et d’emploi relatif aux émissions électromagnétiques ; Centre de formation et d’interprétation interarmées de l’imagerie (CF3I) ; Centre interarmées de recherche et de recueil de renseignement humain ; unité interarmées Helios (satellites de reconnaissance). Le ministre s’est fait expliquer le fonctionnement du CF3I à partir de consoles de visualisation d’images satellitaires précises, enrichies de cartes et de renseignements d’origines électromagnétiques et humaines et collectés par des moyens français et alliés. Ainsi, celles de la veille stratégique sur l’Iran montrent le centre spatial de Semnan, pour la prolifération d’armement, et la centrale nucléaire de Bushehr pour la prolifération nucléaire. Celles du suivi de crise en Syrie présentent les situations sécuritaires en plein cœur des villes de Damas et d’Alep. Celle de l’appui aux opérations au Mali étudie le terrain de l’aérodrome de Gao. Une autre expose la mission de reconnaissance en Guyane française  pour la lutte contre l’orpaillage illégal. Le réseau du CF3I de Creil inclut de façon permanente : le J2 du CPCO (Paris) ; les états-majors interarmées de Guyane, Djibouti, N’Djamena (Tchad) et Naqura pour le détachement français de la Force intérimaire des Nations unies au Liban ; le Centre d’exploitation du renseignement terrestre de Lille ; le Centre de renseignement air de Lyon-Mont Verdun ; le porte-avions Charles-De-Gaulle. Les images, captées par les senseurs des nacelles de reconnaissance montées sur les Rafale, sont transmises en vol en temps ou en différé à des stations d’aide à l’interprétation des images connectées au CF3I. Ce dernier reçoit et diffuse les renseignements sur les théâtres d’opérations en cours.

Le renseignement de terrain. Système de renseignement complet, la DRM oriente les recherches, selon les besoins, vers le commandement d’un théâtre qui les répercute vers les équipes de recueil au sein des unités engagées. Les renseignements sont ensuite transmis et fusionnés avec ceux d’origine spatiale ou provenant de drones, notamment américains, en vue de leur analyse puis d’une synthèse finale réalisée sur place et qui sera diffusée vers la DRM. Spécialisé dans la recherche de renseignement d’origine humaine, le 13ème Régiment de dragons parachutistes (RDP) remplit des contrats opérationnels auprès de la DRM et du Commandement des opérations spéciales (COS), dépendant lui aussi directement du CEMA. Intégré à la Brigade des forces spéciales Terre comme le COS, le 13ème RDP projette en permanence 150 à 200 personnels sur 9 théâtres d’opérations pour la DRM et 7 théâtres pour le COS. Son nouveau chef de corps est un colonel (chuteur opérationnel) d’à peine 40 ans ! Certains sous-officiers y effectuent toute leur carrière. En effet, ce régiment pratique une logique de recherche et de développement interne pour améliorer les performances des capteurs, les intégrer à l’environnement et en concevoir de nouveaux. Ainsi, entre autres « gadgets », a été présentée une pierre en résine contenant une balise de géolocalisation…  si bien imitée (poids compris) que l’informateur qui l’a déposée chez l’adversaire ne s’est rendu compte de rien ! Une équipe d’infiltration dispose d’un véhicule tout terrain (autonomie de 1.000 km pendant plusieurs jours), équipé d’une mitrailleuse, de capteurs optiques et électroniques et de moyens de transmissions autonomes. Le traitement, sur un ordinateur portable, d’interceptions de communications concentrées sur un destinataire permet de l’identifier comme chef.

Amplifier l’effort. Dans la prochaine programmation militaire, a indiqué le ministre, « le renseignement d’intérêt militaire bénéficiera ainsi de la livraison des satellites CSO du programme Musis, de la réalisation du système satellitaire d’écoute Ceres, mais également du renforcement des moyens techniques mutualisés avec la DGSE (Direction générale du renseignement extérieur) ainsi que du renforcement des ressources humaines de l’ensemble des services ». En outre, la livraison des drones Male (moyenne altitude longue endurance) et tactiques se concrétisera. Enfin, seront également financés les nouveaux capteurs légers ISR (renseignement surveillance reconnaissance) et les programmes de capteurs électromagnétiques et optiques qui seront embarqués sur les frégates et les avions Rafale et A-400M.

Loïc Salmon

Renseignement militaire : cinq satellites français de plus

DGSE : le renseignement à l’étranger par des moyens clandestins

Le renseignement, clé pour la connaissance et l’anticipation

Un chuteur opérationnel du 13ème Régiment de dragons parachutistes (RDP) saute d’une altitude variant de 4.000 m à 10.000 m avec un inhalateur d’oxygène et emporte une charge lourde de 50 kg. En raison des missions du  13ème RDP, ses personnels effectuent des stages au Centre de formation interarmées au renseignement (CFIAR), situé à Strasbourg et dépendant de la Direction du renseignement militaire. Dans ce centre, sont notamment enseignées environ 40 langues étrangères, dont certaines rares : russe, polonais et tchèque avant la chute de l’URSS (1991), arabe depuis les années 1980, serbo-croate depuis 1990, pachtoune depuis l’engagement en Afghanistan (2001) et langues de la Corne de l’Afrique, utiles dans le cadre de la lutte contre la piraterie en océan Indien.




Renseignement : cadre législatif à améliorer, selon la DPR

La législation doit s’adapter aux évolutions, notamment technologiques, de la criminalité et du terrorisme afin de maintenir l’efficacité des services de renseignement, tout en préservant la sauvegarde des libertés.

Tel est le point de vue de la Délégation parlementaire au renseignement (DPR), qui a publié le 2 mai 2013 un rapport sur ce sujet pour 2012. En outre, le rapporteur de la mission d’évaluation du cadre juridique applicable aux services de renseignement, Jean-Jacques Urvoas, a présenté la situation au cours d’une conférence-débat organisée, le 15 mai à Paris, par l’Association nationale des auditeurs jeunes de l’Institut des hautes études de défense nationale. La DPR s’est réunie une journée par semaine pendant sept mois et a entendu 63 personnes à huis clos, sans trace écrite ni verbatim. Elle a rencontré notamment le ministre de l’Intérieur Manuel Valls, le coordonnateur national du renseignement Ange Mancini et l’ensemble des directeurs et leurs prédécesseurs de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) dont elle a visité un site d’installations techniques, de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), de la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières, de la Direction de la protection et de la sécurité de la défense, de la Direction du renseignement militaire et de Tracfin (Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers).

Constats. Selon Jean-Jacques Urvoas, la DPR a cherché à comprendre la communauté du renseignement pour faire évoluer ses moyens en fonction de ses missions. Elle a constaté que les services de renseignement (SR), institués uniquement par décrets, n’ont pas d’existence légale en France. En raison de l’absence de loi, cette dernière se trouve à la merci d’une condamnation de la Commission européenne des droits de l’homme. En outre, les moyens des SR sont maigres : usage restreint des fichiers, autorisations d’écoutes téléphoniques au compte-gouttes, mais recours massif aux réquisitions de « fadettes » (factures détaillées des appels téléphoniques). Les SR militaires concentrent leurs efforts sur la prévention du terrorisme. Le rapport de la DPR constate un retard de quatre ans du programme de renseignement électromagnétique Ceres, un report de celui du satellite d’alerte avancée et l’absence de modernisation du drone MALE (moyenne altitude, longue endurance). Or, la possession d’une capacité spatiale pérenne en matière d’écoute électromagnétique, précise le rapport, apparaît comme un instrument indispensable pour la connaissance et la surveillance des théâtres d’opérations ou zones d’intérêts importants (Sahel notamment) pour la sécurité de la France. Par ailleurs, le satellite Ceres, dont le coût global paraît moins élevé que d’autres programmes militaires, permettrait à la France d’acquérir une capacité de souveraineté unique en Europe. Toutefois, la mutualisation, depuis 2008, des moyens techniques de la DGSE a profité à la communauté du renseignement. Jean-Jacques Urvoas rappelle la menace juridique qui pèse sur l’anonymat des agents qui peuvent être appelés à témoigner. Il se déclare « effaré » par la publication de livres de souvenirs des anciens des SR !

Recommandations. La Commission des lois de l’Assemblée nationale a approuvé le rapport de la DPR à l’unanimité, indique Jean-Jacques Urvoas. Ce rapport note que la liste des personnes pouvant être entendues est limitée dans l’état actuel du droit. La DPR souhaite en effet pouvoir entendre des responsables des SR autres que les directeurs. De plus, suite à l’affaire Mohamed Merah (auteur de plusieurs assassinats, au nom du jihad, à Toulouse et Montauban entre les 11 et 19 mars 2012), elle estime qu’elle devrait être en mesure de connaître les dysfonctionnements relatifs à des opérations achevées. Jean-Jacques Urvoas rappelle que « le renseignement est vécu comme un objet sale en France et qu’on en parle qu’en cas de scandale » (affaires Ben Barka en 1965 et Rainbow-Warrior en 1985). En revanche, « en Angleterre, c’est un travail de gentlemen ». Mais depuis la création de la DPR en 2007, ces deux mondes (renseignement et Parlement) « ont appris à se connaître et construire une relation de confiance sur le long terme ». Selon la DPR, la DCRI devrait disposer d’une plus grande autonomie de gestion, afin de pouvoir recruter, par contrat, des linguistes et des spécialistes de haut niveau. L’idéal serait de la transformer en « Direction générale de la sécurité intérieure » pour reformater le renseignement intérieur (police) et profiter des compétences de la Gendarmerie en matière de renseignement généraliste. De son côté, « la DGSE est un outil qui fonctionne bien, souligne Jean-Jacques Urvoas, il faut lui donner les moyens de monter en puissance en termes humains, techniques et juridiques ».  Quant à la cyberdéfense, la DPR considère indispensable de fixer un objectif minimal de 500 agents en 2015 pour l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI) et de renforcer les effectifs affectés à cette tâche au sein des SR. Elle préconise l’obligation, pour les entreprises et opérateurs d’importance vitale, de signaler à l’ANSSI tout incident ou attaque informatique significative. D’après Jean-Jacques Urvoas, le retard de la France par rapport à d’autres démocraties occidentales pourrait se combler en s’inspirant de leurs bonnes pratiques : contrôle parlementaire (Grande-Bretagne, Israël, Allemagne, Canada) ; commission judiciaire (Nouvelle-Zélande) ; magistrat (Espagne). « Seule une loi peut définir durablement les missions des services qui peuvent déroger au droit commun ». La plupart des pays font un constat a posteriori des activités, mais pas sur celles en cours. « Ce sera probablement le cas en France ». Selon Jean-Jacques Urvoas, une loi présenterait trois atouts pour les SR : légalisation de leurs activités ; acquisition des moyens nécessaires ; certitude qu’ils ne servent pas le pouvoir, mais l’Etat. Enfin, un contrôle parlementaire « garantirait que les services de renseignement ne sont pas dévoyés par l’exécutif », conclut le président de la Commission des lois.

Loïc Salmon

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La Délégation parlementaire au renseignement, créée le 9 octobre 2007, est habilitée à suivre l’activité générale et les moyens des services de renseignement (Voir rubrique « Archives » 01/02/2012 : Renseignement et Parlement). Paritaire majorité/opposition, elle compte 8 membres (4 députés et 4 sénateurs). Son premier vice-président, Jean-Jacques Urvoas (à gauche) est également président de la Commission des lois de l’Assemblée nationale. Présidée par François Mattens (à droite), l’Association nationale des auditeurs jeunes de l’Institut des hautes études de défense nationale compte plus de 1.500 membres, qui ont suivi une formation courte à l’Institut des hautes études de défense nationale, en métropole et dans les départements et territoires d’outre-mer : séminaires Jeunes ; séminaires Cohésion nationale et Citoyenneté ; séminaires Master II « Sécurité-Défense » ; séminaires Grandes Ecoles.