Afghanistan : un sanctuaire néo-djihadiste très incertain

Organisation politico-religieuse sunnite, le régime taliban a trop besoin de la communauté internationale pour laisser l’Afghanistan redevenir une base-arrière de la mouvance djihadiste mondiale.

C’est ce qui ressort de deux études rendues publiques à Paris : une note réalisée par Jean-Luc Marret, maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) et publiée en septembre 2021 ; un dossier de l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) en novembre 2021.

Les enjeux sécuritaires. Le régime taliban, arrivé au pouvoir après la chute de Kaboul le 15 août, a été surpris par l’attaque de l’aéroport, mal sécurisé, de la capitale le 28 août. Cet attentat, perpétré par le mouvement djihadiste EI-K (branche de l’Etat islamique en Afghanistan), a provoqué la mort de 180 personnes. Le régime taliban est en effet jugé trop modéré par l’EI-K, qui lui reproche ses négociations avec les Etats-Unis (accords de Doha en 2020) et ses relations avec l’Iran chiite. Multi-ethnique mais en majorité pachtoune, il limite son ambition à l’Afghanistan, tandis qu’Al Qaïda, avec qui il entretient des liens étroits, veut établir un califat mondial contre l’Occident en déstabilisant les Etats-Unis et Israël. Alors que, précise le document de la FRS, l’armée soviétique avait rendu hors d’usage ses milliers de blindés abandonnés lors de d’évacuation de l’Afghanistan en 1989, la débâcle de l’Armée nationale afghane a fourni aux Talibans un important arsenal en bon état et d’origine américaine. Il s’agit notamment d’avions, d’hélicoptères, de systèmes portables de communication tactique cryptée, de véhicules de transport de troupe et de missiles anti-char. Toutefois, les absences de soutien logistique (pièces détachées et munitions) et de compétence en matière de maintenance entraîneront une attrition progressive. Dans l’immédiat, ces équipements modernes renforcent les capacités du régime contre les oppositions armées locales : l’Alliance du Nord/Résistance du Panchir, qui a affirmé avoir repoussé une attaque des Talibans le 30 août 2021 ; l’EI-K, regroupant d’anciennes organisations djihadistes, y compris ouïgoures et ouzbèkes, ou de Talibans transfuges ; des éléments de l’ancienne armée afghane ; les groupes d’auto-défense Hazara (chiite), dont le Front de résistance aurait repoussé des Talibans le 24 août 2021 près de son fief de Behsud, ou le groupe d’Abdul Hakim Shujoyi, actif à Uruzan. Par ailleurs, la libération, par les Talibans au fur et à mesure de leur avancée militaire, de militants opérationnels détenus dans les prisons afghanes préoccupe désormais le nouveau régime. Parmi eux, certains djihadistes étrangers pourraient se mobiliser et constituer de nouveaux réseaux. Le mouvement taliban a souvent intégré des anciens militants des réseaux proches d’Al Qaïda. Aujourd’hui, paraît inévitable l’accueil passif de sympathisants cherchant une base-arrière sûre ou « faisant l’Hégire », à savoir se séparer de ses proches en déménageant en terre musulmane pour pratiquer un islam pur. La constitution formelle d’une administration d’accueil de volontaires djihadistes étrangers aboutirait logiquement à la préparation d’attentats régionaux ou internationaux, estime Jean-Luc Marret. Mais cela risquerait de précipiter la fin du régime taliban par une répétition de l’invasion américaine anti-Al Qaïda de 2001 ou par la fourniture de moyens nécessaires aux groupes anti-Talibans pour acquérir la supériorité militaire. Mais, le « djihad numérique » offre des possibilités de radicalisation en ligne, grâce à la maîtrise des réseaux sociaux ouverts ou cryptés, type « Telegram ». Les Talibans seraient, éventuellement, en mesure de d’utiliser les installations existantes pour diffuser suffisamment de propagande pour mobiliser des sympathisants hors d’Afghanistan. Toutefois, la lutte armée contre l’EI-K pourrait leur permettre de bénéficier d’une certaine tolérance par la communauté internationale comme le Somaliland, conclut Jean-Luc Marret.

L’environnement socio-économique. Selon le document officiel « Afghanistan living Conditions Survey », en 2016-2017, 36 % des Afghans avaient accès à l’eau potable et 31 % à l’électricité. Le taux d’alphabétisation des 15-24 ans atteignait 53,6 %. Celui de l’inscription en école primaire des dernières classes d’âge se montait 72,5 %, dont 84,4 % pour les garçons et 58,9 % pour les filles, chiffres supérieurs à ceux de la plupart des pays en développement. Par ailleurs, d’après des études américaines, l’Afghanistan pourrait détenir 60 Mt de cuivre, 2,2 Mdst de minerai de fer, 1,4 Mt de terres rares, des gisements d’aluminium, d’or, d’argent, de mercure et de lithium ainsi que des réserves de pétrole et de gaz. Le dossier de l’IHEDN indique que l’économie du pays dépend pour moitié de l’agriculture. Jusque dans les années 1970, seule une minorité chiite du Badakshan cultivait le pavot, d’où est extrait l’opium transformé ensuite en héroïne. Interdite par le premier régime taliban de 2000, cette culture a prospéré pendant 20 ans après son expulsion et représente 85 % de la production mondiale d’opium. Malgré son opposition de principe, le nouveau régime récupère une part substantielle des bénéfices de sa vente par diverses formes de taxation et de racket. En 2021, le pays connaît un effondrement économique et une grave sècheresse. Touchée par la pandémie du Covid-19, la population se trouve dans une situation humanitaire très difficile avec 14 millions de personnes nécessitant l’aide alimentaire internationale et 4 millions de personnes déplacées.

La situation diplomatique. Le dossier de l’IHEDN présente l’état des relations internationales de l’Afghanistan. Longtemps, le Pakistan a toléré une porosité de sa frontière en accueillant des exilés afghans des deux camps, au risque de relancer la question territoriale de la « ligne Durand », frontière héritée de la colonisation britannique et contestée par les Afghans. L’Inde, qui a toujours cherché un équilibre des puissances autour de cette ligne, pourrait perdre de son influence. La Chine convoite les richesses minières de l’Afghanistan et y avait déjà investi 8 Mds$ en 2009 dans une mine de cuivre sous contrôle taliban. Depuis 2000, la Russie partage avec les Talibans l’objectif politique commun d’humilier les Etats-Unis. Sa priorité demeure la stabilité de son voisinage immédiat et de l’Asie centrale. Afin de sécuriser ses frontières, l’Iran a amélioré ses relations avec les Talibans depuis plusieurs années, préservant ainsi les minorités chiites afghanes. Depuis des décennies, le Qatar s’est trouvé au centre des rencontres diplomatiques informelles entre les Talibans et leurs contacts internationaux, notamment américains. Toutefois en août 2021, il a accueilli un nombre considérable de réfugiés afghans en transit vers d’autres pays. La Turquie cherche à se positionner comme intermédiaire diplomatique pour faire participer ses entreprises de travaux publics à la reconstruction du pays. Quant aux Etats occidentaux, conclut le document de l’IHEDN, le départ des troupes américaines d’Afghanistan pourrait marquer la fin de leurs interventions militaires dans la lutte anti terrorisme, remplacée progressivement par une compétition accrue entre puissances régionales avec le retour possible de conflits de haute intensité.

Loïc Salmon

Lieutenants en Afghanistan, retour d’expérience

Afghanistan : la Task Force La Fayette s’en va

301 | Dossier : « Le conflit en Afghanistan, neuf ans déjà… »

 




Afrique : golfe de Guinée, zone de coopération stratégique

Présence de Marines non africaines et montée en puissance des capacités navales des pays riverains assurent la liberté de la navigation dans le golfe de Guinée, espace riche, à risques et sujet à une instabilité politique endémique.

La situation dans cette zone a été présentée au cours de deux interventions à Paris : le 4 novembre 2021 devant la presse, par le vice-amiral d’escadre Olivier Lebas, préfet maritime et commandant de la zone et de l’arrondissement maritime Atlantique (CECLANT) ; le 24 novembre, par le contre-amiral Xavier Petit, en charge des opérations de la Marine, lors d’une conférence organisée par le Centre d’études stratégiques de la Marine.

Intérêt international croissant. Outre la présence navale de la France par l’opération « Corymbe » depuis les années 1990, indique l’amiral Lebas, le golfe de Guinée est régulièrement fréquenté par des bâtiments militaires de l’Espagne, du Portugal, de l’Italie, de la Grande-Bretagne, du Danemark, du Brésil, des Etats-Unis et, récemment, de la Turquie et de la Russie. D’une superficie de 2,35 Mkm2, le golfe de Guinée se trouve en effet à la croisée des grandes routes maritimes et abrite d’importantes ressources pétrolières, halieutiques et minérales (voir encadré). Enjeu majeur pour l’Afrique de l’Ouest, la pêche illicite constitue la première menace de la zone. De plus, les actes de brigandage, dans les ports, et de piraterie, en haute mer, peuvent perturber la navigation commerciale et mettre en danger la vie des équipages et des passagers. Par ailleurs, le terrorisme, qui sévit dans le Nord, n’a aucun lien avec le brigandage et la piraterie des côtes. Les pirates s’équipent grâce aux recettes des trafics d’armes et de drogue et aux rançons versées par les armateurs. Surtout originaires du Nigeria, ils se replient jusqu’à 200 milles marins (370 km) vers le Sud, car l’adaptation de l’arsenal juridique à la piraterie réduit l’impunité et rend cette activité plus difficile. La coopération internationale doit permettre d’éradiquer cette menace.

Drogue, flux migratoires et piraterie. Selon l’amiral Petit, l’Afrique est devenue une zone de transit des narcotrafics de l’Amérique du Sud vers l’Europe et subit une forte consommation locale. Parti de Colombie, de Bolivie, du Pérou et du Brésil, le trafic de cocaïne circule par le Nigeria, le Bénin, le Togo, le Ghana, la Guinée, la Guinée-Bissau, le Sénégal, le Mali, le Niger, la Mauritanie, l’Algérie et la Libye. Les saisies de cocaïne en mer sont passées de 3,3 t (157 kg pour l’Afrique de l’Ouest) en 2017 à 5,6 t (278 kg) en 2018 et 20 t (16 t) en 2019. Les flux migratoires de l’Afrique, qui déstabilisent les Etats locaux, ont été multipliés par huit en six ans. Même si 90 %, soit 7,6 millions de personnes en 2020, restent internes, ceux vers l’Europe augmentent globalement. Les flux par terre sont tombés de 11.624 personnes en 2015 à 1.535 en 2020, mais ceux par mer sont passés de 5.312 personnes en 2015 à 40.326 en 2020. Quoiqu’en décroissance, les actes de piraterie et de brigandage se poursuivent. Selon le MICA Center, 200 actes de piraterie et de brigandage ont été signalés dans le monde en 2020. Le nombre de navires piratés dans le golfe de Guinée se monte à 71 (35 % du total), à savoir 42 au Nigeria, 16 au Ghana et 13 au Bénin. En 2020, ont été signalés : 45 vols dans les ports ; 114 actes de piraterie (approches, attaques et navires piratés) ; 142 enlèvements en mer (90 % du total mondial). Les pirates, armés de fusils d’assaut AK47, modifient leur mode d’action selon les saisons et disposent de moyens de ravitaillement pour agir au large. Quoique violents, ils prennent vite la fuite. La sécurité maritime repose sur la stratégie commune de l’architecture interrégionale de Yaoundé de 2013.

Concentration des moyens de lutte. Dans le golfe de Guinée, la France dispose des deux entités militaires pour le soutien logistique des opérations « Barkhane » et « Takuba » (opération européenne) au Sahel, à savoir les Forces françaises en Côte d’Ivoire (950 militaires) et les Eléments français au Sénégal (400 militaires et civils). Sur le plan maritime, indique l’amiral Lebas, CECLANT déploie, selon les cas, un patrouilleur de haute mer, un porte-hélicoptères amphibie, une frégate de surveillance ou un avion de surveillance maritime Falcon 50 M basé à Dakar. Dans le cadre de « Corymbe », la Marine nationale aura effectué, en 2021, de 20 à 30 patrouilles opérationnelles dites « Sagne » avec des bâtiments de surface, et près de 50 avec le Falcon 50 M, en coopération avec les Marines riveraines et les centres nationaux des opérations maritimes. L’année 2021 aura donné lieu à 25 exercices : 1 GANO (Grand African Nemo) ; 2 African Nemo (plus restreints) ; 4 Euromarsec (exercices européens de sécurité maritime) ; 18 Passex (exercices navals bilatéraux). Pour l’analyse et l’évaluation de la situation sécuritaire maritime, les centres britannique UKMTO et français MICA Center mettent en œuvre, depuis 2016, le mécanisme de signalement et d’alerte « MDAT-GoG » au profit des navires marchands qui le souhaitent. Depuis 2015, la France organise un symposium annuel des chefs d’état-major des Marine du golfe de Guinée pour le partage des retours d’expérience et de bonnes pratiques. Elle soutient l’Institut de sécurité maritime interrégional d’Abidjan (Côte d’Ivoire) et l’Ecole nationale à vocation régionale de Tica (Guinée équatoriale). Le 10 juin 2021, avec la Côte d’Ivoire, elle a inauguré l’Académie internationale de lutte contre le terrorisme. Avec l’Union européenne (UE), la France participe au mécanisme « Présences maritimes coordonnées » concernant les moyens navals déployés et les actions de coopération. Dans le cadre de l’Initiative européenne d’intervention, le Danemark a lancé, en 2020, un groupe de travail sur la coopération opérationnelle entre les pays européens impliqués dans la région, en dehors du cadre de la Politique de défense et de sécurité commune. Enfin, le forum international « G7++ Friends of the Gulf of Guinea », composé de l’UE et des 19 Etats riverains, met en œuvre la coordination des actions internationales dans la région. La France et le Ghana l’ont présidé en 2019, suivis des Etats-Unis et du Gabon en 2020 et de la Grande-Bretagne et du Sénégal en 2021.

Loïc Salmon

Les routes maritimes du golfe de Guinée acheminent 10 % de la production mondiale de marchandises, 15 % du pétrole et 30 % de l’uranium. Elles permettent 90 % des échanges des 19 Etats riverains par des trafics mêlant haute mer et cabotage sur 5.700 km de côtes. Le golfe de Guinée dispose de 4.000 milliards de m3 de réserve de gaz naturel et abrite environ 50 % de la production pétrolière du continent africain (10 % du total mondial), dont 40.000 barils/jour sont perdus à cause des actes illicites. Chaque année, la pêche se monte à 1 million de tonnes, dont 40 % proviennent de la pêche illicite représentant une perte 1,5 Md$ pour les Etats de la zone. Le golfe de Guinée abrite 80.000 ressortissants français (en progression de 5 % à 10 % depuis 2010) et 400.000 Européens, surtout des personnels des grandes entreprises des secteurs pétrolier, bancaire, des télécommunications et de l’audiovisuel. Y transitent 12 % du pétrole importé en France et 10 % à 12 % de celui destiné à l’Union européenne.

Afrique : exercice majeur sur la sécurité maritime régionale

Golfe de Guinée : sécurité et sûreté en mer et à terre

Défense : montée en puissance de l’Initiative européenne d’intervention




Afrique : exercice majeur sur la sécurité maritime régionale

Dans le cadre de l’action de l’Etat en mer, 29 pays, dont la France, participent à l’exercice « Grand African NEMO », qui se déroule du 2 au 7 novembre 2021 dans le golfe de Guinée sur une zone maritime allant du Sénégal à l’Angola.

Cet exercice annuel, le 4ème depuis 2018, vise à partager les savoir-faire et améliorer le niveau opérationnel en matière de lutte contre la pêche illégale, la piraterie, la pollution maritime, les trafics illicites et le sauvetage en mer.

« Grand African NEMO ». Nation pilote, la France y déploie un avion de surveillance maritime Falcon 50 de la flottille 24 F et la frégate de surveillance Germinal, actuellement sur zone dans le cadre de l’opération « Corymbe ». « Grand African NEMO » mobilise une trentaine d’unités de surface (frégates, patrouilleurs et embarcations rapides) et cinq aéronefs (avions et hélicoptères) des Marines des 19 pays riverains, à savoir Angola, Bénin, Cameroun, Cap Vert, Congo, Côte d’Ivoire, Gabon, Gambie, Ghana, Guinée, Guinée-Bissau, Guinée Equatoriale, Liberia, Nigeria, République démocratique du Congo, Sao-Tomé et Principe, Sénégal, Sierra-Léone et Togo. S’y ajoutent 5 bâtiments de surface, 1 avion de surveillance maritime et des observateurs à terre de France, d’Espagne, de Grande-Bretagne, d’Italie, du Brésil, des Etats-Unis, du Portugal, du Danemark, de Belgique et du Maroc. Cet exercice contribue au renforcement de l’architecture de coopération interrégionale, issue du sommet sur la sécurité maritime de Yaoundé (2013). Cette architecture repose sur trois piliers juridiques : le code de conduite ; la déclaration des chefs d’Etat et de gouvernement ; le mémorandum d’entente entre les organisations régionales. Au cours de « Grand African NEMO », le programme GoGIN de l’Union européenne doit valider l’emploi opérationnel du système d’informations Yaris, développé au profit des Etats Côtiers de la CDEAO (Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest) et de la CEEAC (Communauté économique des Etats d’Afrique centrale). Enfin, l’Office des nations unies contre la drogue et le crime s’associe à l’exercice.

Opération « Corymbe ». Le golfe de Guinée, qui s’étend sur 5.707 km de côtes, constitue une zone riche en minerais et en ressources halieutiques, pétrolières et gazières. Il concentre le quart du trafic maritime autour de l’Afrique avec 400 navires de commerce en transit par jour. Depuis 1990, la France y déploie un ou deux bâtiments de façon quasi permanente dans le cadre de la mission « Corymbe ». Celle-ci vise d’abord à protéger les ressortissants français par la présence d’un bâtiment en mesure d’effectuer une évacuation d’urgence et d’appuyer les opérations françaises à terre. Ensuite, elle soutient les pays riverains du golfe de Guinée dans la sécurisation de leurs approches maritimes, conformément au processus de Yaoundé. Enfin, elle renforce la coopération internationale dans la zone. Les unités de la Marine nationale bénéficient de l’appui des forces pré-positionnées au Sénégal (350 militaires), en Côte d’Ivoire (600 militaires) et au Gabon (450 militaires) et du réseau des coopérants militaires français intégrés aux Marines riveraines. L’opération « Corymbe » inclut systématiquement des formations dans les domaines techniques et opérationnels, lors des escales et à la mer. Des embarquements sont proposés aux officiers africains pendant les transits entre deux escales. Des patrouilles opérationnelles communes permettent d’accompagner et de soutenir directement les pays africains partenaires dans le contrôle de leur zone économique exclusive.

Loïc Salmon

Golfe de Guinée : sécurité et sûreté en mer et à terre

Afrique : coopération française en matière de sécurité maritime

Afrique : Ghana et Togo, face à leurs vulnérabilités

 




Sécurité : la contrefaçon et ses conséquences économiques, sanitaires et criminelles

Les produits contrefaits, accessibles sur internet, privent l’État de recettes fiscales, pillent les fruits des recherches des entreprises, menacent les emplois et mettent en péril la santé et la sécurité des consommateurs. En outre, leurs ventes financent le terrorisme et les organisations criminelles.

La lutte contre la contrefaçon a fait l’objet d’un colloque organisé, le 23 septembre 2015 à Paris, par le cabinet Rivington. Parmi les intervenants figurent : Bernard Brochand, député et ancien président du Comité national anti-contrefaçon ; Véronique Louwagie, députée et membre de la commission des finances ; Cécile Untermaier, députée et membre de la commission des lois ; Didier Hillion, directeur Propriété intellectuelle du groupe Renault ; Pascal Asselot, directeur de Licensing France Brevets ; Joël Rosenberg, études industrielles du ministère de la Défense ; Delphine Sarfati-Sobreira, directrice générale de l’Union des fabricants (UNIFAB) ; Céline Gouyer, Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières ; Didier Douilly, Gendarmerie nationale.

Fléau multisectoriel. Le marché de la contrefaçon, qui touche 15 % du commerce mondial pour un montant de 450 Md€, a fait perdre 40.000 emplois en France et 100.000 en Europe, estime Bernard Brochand. Quelque 6 millions d’objets contrefaits ont déjà été saisis en 2015. Investir 1.000 € rapporte 20.000 € dans la drogue, mais 500.000 € dans la contrefaçon ! Celle-ci touche même les produits culturels. Ainsi, la Ville de Cannes a dû déposer la marque  « Cannes » pour protéger son patrimoine, car la Corée du Sud et la Turquie l’apposaient sur leurs produits. Environ 1 médicament sur 10 est dangereux car contrefait. Ceux « made in China » peuvent contenir des excipients toxiques. De son côté, Véronique Louwagie rappelle que, selon l’Organisation mondiale de la santé, 50 % des médicaments accessibles sur internet sont frelatés, ce qui pose un problème de santé publique. La vente en ligne porte aussi sur le tabac, les cosmétiques, les produits de luxe et ceux à haute valeur ajoutée. Leur contrefaçon représente une source de revenus criminels de l’ordre de 250-500 Mds$ par an. Par ailleurs, « l’impression en 3 D » (dimensions) ouvre un champ nouveau à la contrefaçon, explique Joël Rosenberg. Elle permet en effet la reproduction d’objets en plastique, métal ou céramique, même de grandes dimensions. Il suffit de scanner les fichiers techniques de millions d’objets disponibles dans les bibliothèques pour en recomposer l’identité numérique extérieure et intérieure, rendant difficile la protection de la propriété industrielle. Cette révolution technologique accélère le temps de fabrication, car les fichiers numériques sont envoyés directement à des machines automatisées. A terme, en cas de rupture de stock de pièces de rechange d’un véhicule, il sera plus rapide, par l’impression 3 D, d’en réaliser de plus en plus sophistiquées, de bonne tenue dans le temps et selon des caractéristiques proches de celles des pièces d’origine.

Protection et prévention. Tout marché de pièces de valeur suscite celui de la contrefaçon, poursuit Joël Rosenberg. La principale protection réside dans l’innovation, afin d’avoir une longueur d’avance. Ensuite, la qualification des pièces d’origine et la certification des modes de production deviennent indispensables. Par ailleurs, il faut identifier les faux brevets et porter l’affaire devant les tribunaux du pays du contrefacteur, souligne Pascal Asselot. Comme se défendre coûte de plus en plus cher, les grands groupes industriels veulent épuiser les petites sociétés demanderesses. Actuellement, les entreprises américaines, très actives sur les réseaux sociaux, font le siège des institutions européennes pour affaiblir les réglementations des pays membres sur les brevets. Toutefois, un brevet « européen » devrait voir le jour en 2017. La Chine, qui a commencé par copier, dépose aujourd’hui des brevets et veut les protéger. Selon Delphine Sarfati-Sobreira, elle a compris que le droit de propriété intellectuelle permet aux inventeurs de vivre et à la technologie d’avancer. En conséquence, elle entreprend de sensibiliser les enfants dès les petites classes. En France, l’UNIFAB intervient dans les grandes écoles, pour que l’enseignement aille au-delà de la simple sensibilisation. En 2014, elle a lancé avec Interpol une campagne d’information sur internet et les réseaux sociaux.

Traque et répression. Le renseignement vise à matérialiser des informations en vue d’une action judiciaire, explique Céline Gouyer. A cet effet, la Douane dispose d’attachés en poste en Chine et dans divers États dans le cadre d’unions douanières (accords commerciaux entre États membres ayant adopté une politique commune vis-à-vis de pays tiers). En outre, un plan d’action européen (2009-2017) auprès des groupes industriels est piloté en France par le ministère de l’Économie. Depuis 2014, la loi autorise l’infiltration physique et électronique des livraisons de produits contrefaits. Un achat sur internet permet de remonter la filière. Ainsi, la saisie de 8,8 millions d’objets en 2014 a débouché sur le démantèlement de réseaux et l’identification des contrefacteurs. Chaque année, quelque 1.200 expertises, réalisées en partenariat avec les entreprises et les titulaires de droits industriels, facilitent l’identification de contrefaçons. Toutefois, les douaniers ne peuvent intervenir sur les marchandises en transbordement… qui n’entrent pas dans l’Union européenne !

Grand banditisme. Les enquêtes sur la contrefaçon et la drogue vont de pair. En effet, le même véhicule peut acheminer les deux pour rentabiliser le transport, indique Didier Douilly. Contrefaçon impliquant travail illégal et blanchiment d’argent, les recherches portent sur les achats immobiliers ou d’importants biens meubles, afin de démanteler les réseaux criminels organisés. Quand la Gendarmerie ne peut agir en France, elle envoie des informations à ses homologues étrangers. En outre, elle dispose de 250 spécialistes des nouvelles technologies, car 70% des ventes de contrefaçons s’effectuent sur internet. Enfin, l’argent saisi sert à indemniser les victimes physiques (inventeurs) ou morales (entreprises).

Loïc Salmon

Lutte contre le trafic de drogue : réponse internationale

La Douane : actions tournées vers la défense et l’international

Sûreté : élément stratégique des entreprises internationales

La convention internationale « Médicrime » contre les produits médicaux contrefaits et les infractions similaires menaçant la santé publique érige en infraction pénale : la fabrication de produits médicaux de contrefaçon ; la fourniture, l’offre de fourniture et le trafic de produits médicaux contrefaits ; la falsification des documents ; la fabrication ou fourniture non autorisée de médicaments et la commercialisation de dispositifs médicaux ne satisfaisant pas aux exigences de conformité. La convention établit un cadre favorisant l’instauration d’une coopération nationale et internationale entre les autorités sanitaires, policières et douanières compétentes tant au niveau national qu’international, l’adoption de mesures destinées à prévenir la criminalité en y associant le secteur privé ainsi que la poursuite effective des délinquants en justice et la protection des victimes et des témoins.




Lutte contre le trafic de drogue : réponse internationale

La drogue est un problème de santé publique qui menace la stabilité de l’Etat et contre laquelle il faut une réponse globale, adaptée et coordonnée au niveau international, estime le préfet Patrick Espagnol, délégué national à la lutte contre le trafic de drogue. Il a expliqué pourquoi au cours d’une conférence-débat, organisée le 15 décembre 2011 à Paris, par l’Association nationale des auditeurs jeunes de l’Institut des hautes études de défense nationale.

Importance du trafic : selon les statistiques de l’ONU, de l’Observatoire français des drogues, du corps médical et des organismes de travailleurs sociaux, 4 % de la population mondiale, soit 200 millions de personnes, ont consommé une fois du cannabis et 30 à 40 millions de personnes une fois de la cocaïne ou de l’héroïne. Sur le plan financier, le trafic de drogue réalise un chiffre d’affaires annuel de 450 Md$, soit juste après ceux du pétrole et des produits alimentaires. En France, 1,5 million de personnes ont consommé au moins une fois du cannabis (la moitié en prend quotidiennement), dont le trafic génère 1 Md$. A titre indicatif, un pied de pavot cultivé en Afghanistan se vend 1 $ sur le marché local… mais 400 $ à Marseille ! Outre les infractions à caractère pénal (vols et violences) et la prostitution qui s’ensuivent, ce trafic, dont 60 % de l’argent récolté est blanchi, gangrène les économies nationales. C’est le cas des pays d’Afrique de l’Ouest, où transitent les trafics en provenance d’Amérique du Sud et à destination de l’Europe et des Etats-Unis. La Colombie s’étant impliquée dans la lutte contre la drogue, le trafic se déplace vers le Mexique, où les guerres entre cartels ont fait 4.000 morts en 2010. Les trafiquants, qui  disposent de revendeurs et d’une solide logistique, corrompent les administrations des Etats producteurs. Enrichis, ils réduisent leur chaîne logistique à tous les niveaux et investissent dans les drogues de synthèse à plus grande valeur ajoutée, réalisables aujourd’hui par des chimistes directement dans les pays consommateurs.

Ravages sanitaires : les drogues continuent à tuer par overdose, coupages mortels, sida (seringues) et septicémie. Elles présentent des risques dans le monde du travail. Ainsi, le mélange de cannabis et de tabac, qui provoque une somnolence au volant, a augmenté considérablement le nombre d’accidents de la route. Dans les années 1980, les consommations portaient sur le cannabis, l’héroïne, la cocaïne et le LSD. Aujourd’hui, le cannabis et les drogues de synthèse montent en puissance. Ainsi, le cannabis génétiquement modifié a accru son effet de 48 %. En 2010, 24 substances nouvelles ont été répertoriées en France : 6 végétales et 18 produits chimiques dont des cannabiloïdes de synthèse (THC), qui évitent d’importer du cannabis naturel du Maroc. En Russie, est apparu un produit dénommé « crocodile » à base de cyanure, d’essence et d’acide sulfurique. Enfin, il a été constaté une progression très nette des « legal hights », mélanges d’herbes et d’odeurs d’ambiance pour salle de bain, disponibles sur internet. La tendance à la polytoxicomanie s’affirme : « joints », cocaïne, héroïne et produits d’entretien ne sont plus exclusifs les uns des autres. S’y ajoutent des surconsommations de tabac et d’alcool.

Moyens d’action : un consensus international fort s’est dégagé pour lutter contre les trafics de drogues, constate le préfet Espagnol. D’abord, les responsabilités sont partagées entre les Etats : les pays producteurs détruisent la jeunesse des pays consommateurs et les Etats de transit génèrent des habitudes dans leur propre population. Ensuite, il faut une approche intégrée de lutte simultanée contre l’offre et la demande.  Enfin, la prévention passe par un accompagnement économique. Ainsi, en Colombie, un programme spécifique d’intervention, avec financements internationaux, améliore la vie dans les quartiers pauvres de Medellin. Il s’agit de coordonner les luttes contre les associations criminelles, le blanchiment d’argent et la corruption, mais le contenu de ces notions varie d’un pays à l’autre. La coopération internationale passe par un plan d’objectifs et l’échange de renseignements (Interpol, Europol, douanes, gendarmerie et police).

Les industriels doivent être sensibilisés à des commandes, d’un volume inhabituel, et des livraisons, par un cheminement inhabituel, de produits chimiques « précurseurs » à la transformation du pavot et de la feuille de coca. Les « fermes » de production clandestine de stupéfiants, à la campagne et en ville, sont détectables par l’odeur et la chaleur dégagées. Un maillage terrestre, maritime et aérien est réalisé, notamment dans l’espace Schengen. Les modes d’approvisionnement ont en effet changé. Les voitures et embarcations, lourdement chargées mais parfois plus rapides que celles des douanes, ont été remplacées par un transport morcelé avec des véhicules courants et moins chargés. En France, un plan gouvernemental sur l’information, la prévention et la répression des trafics de drogues a été mis sur pied. Chaque mois, des représentants des ministères de l’Intérieur, de la Justice, des Affaires étrangères et européennes, de la Défense, de l’Economie et des Finances et de l’Industrie, de la Santé et du secrétariat général à la Mer se réunissent pour définir, animer, coordonner et évaluer les actions des services, sur le terrain et en coordination avec les organisations internationales. Les moyens techniques sont fournis en fonction des objectifs.

Sur le plan international, des plans d’action ont été élaborés à l’ONU en 2009 et au sommet du  G8 à Deauville en 2011 (trafic transcontinental de cocaïne). En 2012, le comité de pilotage du Pacte de Paris traitera de l’héroïne sur la route des Balkans. Par ailleurs, en ratifiant les conventions de 1961, 1971 et 1988 de l’ONU sur les stupéfiants, souligne le préfet Espagnol, la France s’est engagée… à ne pas légaliser la drogue !

Loïc Salmon

Patrick Espagnol est entré dans la police en 1981, puis a été admis à l’Ecole nationale supérieure de la police de Saint-Cyr au mont d’Or en 1986. Quatre ans plus tard, il est chef du groupe criminel du Service régional de police judiciaire de Lyon pour la répression du trafic de stupéfiants. Comme sous-préfet, il est notamment affecté en Guyane (2000),  à Calais (2004) et en Seine-Saint-Denis (2007). Promu préfet en 2010, il est délégué pour la sécurité et la sûreté des aéroports de Roissy-Charles De Gaulle et du Bourget. Le 23 février 2011, il est nommé délégué national à la lutte contre le trafic de drogue. Cette mission interministérielle dépend du Premier ministre, qui la délègue au ministre de l’Intérieur.