Moyen-Orient : Turquie et Arabie saoudite, vers la détente

Après une décennie de tensions consécutives à une divergence religieuse et une rivalité géopolitique régionale, la Turquie et l’Arabie saoudite s’orientent vers un rapprochement sur les plans diplomatique, militaire, stratégique et économique, en raison de l’évolution de la situation internationale.

C’est ce qui ressort d’une note de la Fondation pour la recherche stratégique, publiée en mai 2022 et rédigée par Georges Clementz et Rodolph El Chami, assistants de recherche.

Contexte régional. En 2011, la Turquie soutient les révolutions des « Printemps arabes », qu’elle considère utiles à l’exportation de son modèle islamiste dans les pays arabes. Mais pour l’Arabie saoudite et les monarchies du Golfe, la Turquie promeut en fait la ligne des Frères musulmans, opposée à la doctrine religieuse wahhabite de Ryad. Cet antagonisme s’est manifesté au Maghreb, où a émergé un axe Turquie-Qatar soutenant les partis islamistes démocratiquement élus, face à un axe Arabie-Émirats arabes unis (EAU). De même en Égypte, le premier axe a aidé, sur les plans médiatique et financier, le président Mohamed Morsi (mouvance Frères musulmans), élu en 2012 mais destitué l’année suivante par un coup d’État militaire à l’instigation du second axe. Ryad s’est en effet engagé à compenser toutes les sanctions économiques prises par l’Occident contre l’Égypte, invoquant la lutte contre le terrorisme et l’extrémisme. En Libye à partir de 2020, la Turquie soutient militairement le gouvernement d’union nationale en lutte contre le maréchal Khalifa Haftar, soutenu par la Russie, l’Arabie saoudite, les EAU et l’Égypte. En Tunisie, Ankara, favorable au mouvement islamiste An-nahda du président du Parlement, s’est vu refuser, par le président de la République Kaïs Saied, l’acheminement de forces et de matériels militaires vers la Libye via la Tunisie. En 2017, l’Arabie saoudite, Bahreïn et les EAU ont accusé le Qatar de financer le terrorisme et lui ont imposé un blocus terrestre, maritime et aérien et exigé la fermeture de la base militaire turque sur son territoire. La Turquie a riposté par une augmentation de ses effectifs militaires au Qatar et l’envoi d’une aide alimentaire. En 2018, l’assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi, dans l’enceinte du consulat saoudien à Istanbul, a encore dégradé les relations entre Ryad et Ankara. Mais en avril 2022, à la demande de Ryad, la justice turque a mis un terme au procès des ressortissants saoudiens accusés de l’assassinat et transféré son dossier aux autorités saoudiennes. Ce revirement s’explique d’abord par le recul de l’intérêt des États-Unis pour le Moyen-Orient. Dès l’élection de Joe Biden en 2020, l’Arabie saoudite a conclu un accord de réconciliation avec le Qatar et a levé le blocus en vigueur. En outre, les échecs des Printemps arabes et du coup d’État de 2016 en Turquie ont incité Ankara à s’éloigner du mouvement islamiste des Frères musulmans. S’y ajoute la menace commune, constituée par la prolifération des milices chiites soutenues par l’Iran. Ainsi, une milice irakienne a attaqué directement le territoire des EAU et le mouvement yéménite politico-militaire houthiste celui de l’Arabie saoudite. De son côté, la Turquie a dû combattre des milices chiites dans le Nord de la Libye. Or, les négociations sur l’accord nucléaire entre les États-Unis et la République islamiste d’Iran pourraient ne pas tourner à l’avantage des monarchies du Golfe.

Diplomatie et défense. Des entretiens bilatéraux de haut niveau ont eu lieu en mai et juillet 2021. Puis, l’Arabie saoudite a levé le boycott informel sur les produits turcs en janvier 2022 et la Turquie a mis un terme aux restrictions imposées à certains médias saoudiens, dont la chaîne Al Arabiya installée à Dubaï. En février 2022, le président turc Recep Tayyip Erdogan s’est rendu aux EAU pour signer 13 accords de coopération et une lettre d’intention sur la coopération entre les industries de défense. En avril 2022, ce sujet a été au cœur de ses entretiens avec le prince héritier Mohammed ben Salman à Ryad. Les forces armées turques pourraient entraîner les troupes saoudiennes et organiser des exercices militaires conjoints. L’Arabie saoudite pourrait acheter des drones, des missiles, des technologies de radar, des matériels électroniques et des systèmes de défense anti-aérienne à la Turquie.

Convergences stratégiques. L’amélioration des relations entre les deux pays pourrait déboucher sur une vision politique commune sur la Syrie, l’abandon par Ryad de sa position favorable à Athènes et une reprise des relations entre Ankara et Le Caire. En outre, ce rapprochement va isoler l’Iran, dont l’influence s’étend de la Syrie au Yémen. En 2020, Ryad et Ankara avaient conclu un contrat de 200 M$ portant sur l’achat de drones turcs… utilisés dans la guerre au Yémen. Celle-ci a entraîné des restrictions dans les contrats d’armement de l’Arabie saoudite conclus avec les États-Unis. Par ailleurs, la CIA a publié un rapport sur le rôle du prince Ben Salman dans l’affaire Khashoggi. Outre ses messages positifs quant à l’accord sur le nucléaire iranien, l’administration Biden a retiré les Houthis de la liste américaine des groupes terroristes. Dès mars 2021, Ankara s’est déclaré concerné par les attaques des Houthis sur le territoire saoudien. En janvier 2022, il a exprimé sa solidarité avec Ryad au sujet des attaques houthies visant des civils et les qualifiant de « terroristes ». Les médias turcs pro-gouvernementaux estiment indispensable une intervention militaire turque au Yémen, au sein de la coalition internationale conduite par l’Arabie saoudite depuis 2015. Par ailleurs, la guerre entre la Russie et l’Ukraine devrait renforcer cette convergence d’intérêts. L’Arabie saoudite évite de s’engager en faveur de l’une ou l’autre, alors que la Turquie soutient l’Ukraine sans s’opposer à la Russie. Cette position d’Ankara, difficile à maintenir sur le long terme, rend encore plus nécessaire son rapprochement avec Ryad.

Conséquences économiques. Les monarchies pétrolières du Golfe tentent de diversifier leurs politiques économiques. De son côté, la Turquie connaît une grave crise économique et une dévalorisation de sa monnaie depuis deux ans. La pandémie du Covid19 et les répercussions économiques de la guerre en Ukraine ont porté l’inflation à plus de 60 %. Toutefois, au premier semestre 2021, les échanges économiques entre la Turquie et les EAU ont doublé en un an. Lors de sa visite à Ankara en novembre 2021, le dirigeant des EAU a annoncé le lancement d’un fonds de 9 Mds en soutien des investissements en Turquie. En Arabie saoudite, l’initiative « Vision 2030 », destinée à faciliter les investissements étrangers, pourrait profiter aux entreprises turques du bâtiment et du tourisme. Par suite de l’embargo, les ventes des produits turcs à l’Arabie saoudite sont passées de 2,4 Mds$ en 2020 à 215 M$ en 2021. Sa levée a permis de les relancer. Le projet des « Nouvelles Routes de la Soie », mis en œuvre par la Chine, pourrait renforcer la coopération économique entre la Turquie et l’Arabie saoudite. Celle-ci constitue une priorité dans la Route de la Soie maritime pour les échanges entre la Chine et l’Europe. De son côté, la Turquie souhaite s’intégrer au projet chinois et compte sur un financement de l’Arabie saoudite.

Loïc Salmon

Moyen-Orient : rivalités entre Arabie Saoudite, Iran et Turquie

Turquie : partenaire de fait aux Proche et Moyen-Orient

Industrie de défense : émergence de la Corée du Sud et de la Turquie à l’exportation




Moyen-Orient : rivalités entre Arabie Saoudite, Iran et Turquie

La dégradation de la situation régionale profite à l’Arabie saoudite, l’Iran et la Turquie, qui cherchent à affirmer leur influence et peut-être leur légitimité.

Didier Billion, directeur adjoint de l’Institut de relations internationales et stratégiques, l’a expliqué au cours d’une conférence-débat organisée, le 28 novembre 2019 à Paris, par l’Association des auditeurs IHEDN région Paris Ile-de-France.

Le contexte stratégique. Sauf en Tunisie, les révoltes arabes de 2011 ont conduit à des répressions intérieures et des tensions à l’extérieur, au Soudan, en Syrie, au Liban, en Irak et en Iran. Les conflits externes ont débouché sur des impasses militaires, faute de solutions politiques. Daech a perdu ses bastions territoriaux, mais le terrorisme perdure. Le Moyen-Orient est devenu une région « apolaire », car les pôles d’attractivité que constituaient l’Irak, l’Egypte et la Syrie n’existent plus.

L’Arabie Saoudite. Peuplé de 33 millions d’habitants, le royaume d’Arabie Saoudite veut s’affirmer dans la région. La contestation arabe de 2011 et ses revendications politico-sociales de dignité et de liberté ont effrayé ses dirigeants. L’abandon du président égyptien Hosni Moubarak par ses forces armées et les Etats-Unis leur a fait prendre conscience d’un risque identique. Ils ont alors réagi, avec succès, par une assistance sociale et un programme d’infrastructures totalisant 36 Md$, soit 8,5 % du produit national brut. Depuis sa création en 1932, le royaume saoudien était dirigé par une gérontocratie, où la succession s’effectuait de frère en frère. A son avènement en 2015, le roi Salman (79 ans) va la changer en désignant, deux ans plus tard, son fils Mohamed ben Salman (MBS) comme prince héritier, chargé de l’économie, de la police et des forces armées. Son clan met fin au Conseil d’allégeance fonctionnant par consensus. MBS, qui comprend une partie des aspirations populaires, décrète certaines réformes, comme l’autorisation de conduire une voiture pour les femmes, la tenue de concerts et l’ouverture de quelques cinémas. Pour réduire la dépendance à la volatilité des prix du pétrole, il procède à la diversification de l’économie et à la « saoudisation » des emplois. En outre, il enferme, dans un hôtel de luxe, 200 responsables de hauts niveaux pour qu’ils paient effectivement leurs impôts. A l’extérieur, son action s’enlise dans une guerre contre le Yémen, déclenchée en 2015 et qui perdure en 2019, et une tentative, manquée, de déstabilisation du Qatar en 2017, lequel en profite pour se moderniser. Pourtant, l’Arabie saoudite parvient à conserver le soutien des Etats-Unis, grâce à ses achats d’armement. De son côté, Washington veut s’appuyer sur un Etat stable avec une capacité d’influence par la religion. Les réserves saoudiennes d’hydrocarbures conservent leur importance, car l’exploitation massive des gaz de schiste commence à causer de graves dégâts écologiques dans certaines régions des Etats-Unis. L’opposition récurrente de l’Arabie Saoudite à l’Iran repose davantage sur une concurrence géopolitique que sur un antagonisme religieux (sunnisme saoudien contre chiisme iranien), instrumentalisé par les deux Etats.

L’Iran. Peuplé de 80 millions d’habitants, l’Iran occupe une position centrale sur le plan géographique, avec des frontières terrestres et maritimes avec 15 Etats, et aussi en raison de ses réserves considérables en hydrocarbures et sa fierté nationaliste résultant de sa très longue histoire. Au cours du XXème siècle, il a connu une révolution constitutionnelle en 1906, la nationalisation de son industrie pétrolière en 1951 et la chute de la monarchie en 1979. La République islamique d’Iran combine les légitimités religieuse et républicaine (par des élections). Elle a mis fin à son prosélytisme révolutionnaire lors de sa guerre contre l’Irak (1980-1988), où toutes les énergies ont été mobilisées pour défendre le pays et qui lui a coûté 500.000 morts. Depuis, l’Irak, qui déplore 180.000 morts dans cette guerre, se méfie de son voisin. En revanche, l’Iran souhaite continuer à exercer son influence séculaire au Moyen-Orient, grâce à son corps diplomatique chevronné. L’accord de 2015 sur son dossier nucléaire, valable pendant 10 ans et qui a impliqué tous les membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU (Etats-Unis, Grande-Bretagne, France, Russie et Chine), a été scrupuleusement respecté, avec possibilité d’inspections de l’Agence internationale de l’énergie atomique. Sa dénonciation unilatérale par Washington, le 8 mai 2018, a été suivie un an après, jour pour jour, de la reprise de l’enrichissement de l’uranium par Téhéran. La question des missiles balistiques iraniens, également dénoncée par Washington, n’était pas incluse dans l’accord sur le nucléaire.

La Turquie. Peuplée de 80 millions d’habitants, la Turquie a connu d’importantes transformations sociologiques, économiques et politiques au cours des 25 dernières années. Le niveau de vie y a été multiplié par 2,5 en 7-8 ans depuis l’arrivée du président Recep Tayyip Erdogan. Son réseau d’entreprises de travaux publics s’est développé en Afrique, où le nombre de contrats est passé de 12 en 2002 à 41 en 2018, et en Amérique latine. Mais la situation s’est dégradée en juillet 2016 lors de la tentative de coup d’Etat, que les pays occidentaux n’ont pas condamnée. La réaction a conduit à 70.000 arrestations et à la révocation de 110.000 fonctionnaires, ébranlant l’Etat de droit. Pourtant, l’opposition a conquis la mairie d’Istanbul. A l’extérieur, le rétablissement de relations avec l’Occident, amorcé en 1967, s’est arrêté en 1974 avec l’annexion de la partie Nord de l’île de Chypre. En 2003, la Turquie a refusé l’utilisation de la base d’Incirlik par l’aviation américaine pour attaquer l’Irak par le Nord, attitude partagée à l’époque par la France, l’Allemagne et la Russie, opposées à toute action unilatérale. Surprise par la révolte arabe de 2011, elle a tenté, sans succès, une médiation dans la guerre civile syrienne. Après la défaite militaire de Daech en 2019, elle a envahi une bande au Nord du territoire syrien pour contrer l’organisation PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan), qualifiée de terroriste. Quoique membre de l’OTAN, elle a acheté des missiles anti-aériens S400 à la Russie, soutien militaire et diplomatique du régime syrien.

Loïc Salmon

Israël, souligne Didier Billion, pratique la fuite en avant grâce au soutien inconditionnel des Etats-Unis, qui lui procure un sentiment d’impunité vis-à-vis de la question palestinienne. Le nombre de colons dans les territoires qu’il occupe est passé de 10.000 en 1973 à 600.000 en 2019. Israël n’accepte pas la solution de deux Etats pour une raison démographique. L’appui américain s’est renforcé avec l’administration Trump : déplacement de l’ambassade de Tel Aviv à Jérusalem (2018) ; reconnaissance de la légalité de la colonisation par le secrétaire d’Etat Mike Pompeo (2019). En outre, l’Etat hébreu s’est rapproché de l’Arabie saoudite et des Emirats arabes unis, adversaires, comme lui, de l’Iran. Quoique micro-Etat, le Qatar s’est placé au centre des jeux d’influence par sa richesse en gaz naturel et sa diplomatie sportive. Il compense sa faiblesse militaire par la présence de bases américaine et turque sur son territoire.

Arabie Saoudite, de l’influence à la décadence

Iran : acteur incontournable au Moyen-Orient et au-delà

Turquie : partenaire de fait aux Proche et Moyen-Orient

Moyen-Orient : géopolitique des rivalités des puissances




Syrie : le rapport de force après la défaite de l’Etat islamique

Après la disparition territoriale de l’Etat islamique (EI) de Syrie en mars 2019, le régime de Bachar el Assad continue de bénéficier de l’appui de la Russie, dont les forces spéciales ont remplacé celles des Etats-Unis sur place. En outre, par son soutien, l’Iran a suscité une alliance imprévue entre l’Arabie saoudite et Israël, ses adversaires déclarés.

Ce thème a fait l’objet d’une conférence-débat organisée, le 4 juin 2019 à Caen, par le Forum mondial pour la paix. Y sont intervenus : Nabil Fawaz, membre du Parti démocratique du peuple syrien et ancien maire de Raqqah, où l’EI avait établi sa « capitale ; Mgr Pascal Gollnisch, directeur général de l’Œuvre d’Orient ; David Rigoulet-Roze, chercheur à l’Institut Prospective et Sécurité en Europe. Le conflit contre l’EI en Syrie (2014-2019) s’est soldé par plus de 300.000 morts, 1,5 million d’invalides, 80.000 détenus, 7 millions de réfugiés au Liban et en Turquie et 6 à 7 millions de Syriens déplacés.

Précarité politique. Le régime de Damas a gagné sa guerre grâce au soutien iranien au sol puis russe dans les airs depuis 2015 et aussi des hésitations des pays occidentaux, explique David Rigoulet-Roze. Il contrôle 40 % du territoire et 60 % de la population du pays et maintient une pression militaire sur les enclaves sunnites. Le Nord se trouve sous protectorat turc, sous le prétexte d’une menace terroriste kurde. Le Front démocratique syrien a été soutenu par les pays occidentaux pour la reconquête de Raqqah, mais réalisée surtout par les Kurdes avec des éléments arabes. L’Iran veut maintenir Hassad au pouvoir et la Russie sauver son régime. Malgré sa stabilité garantie pour une clarification territoriale, ce dernier doit assurer sa survie par la reconstruction du pays estimée à 400 Md$ sur plusieurs décennies.

Reconstruction difficile. Le « printemps arabe » n’a pas pris en Syrie, pays non-démocratique sous le pouvoir d’une minorité (alaouïte), rappelle Mgr Gollnisch. Aujourd’hui, les réfugiés auront du mal à rentrer dans des villes détruites, mais la capacité de résilience de femmes chrétiennes et musulmanes permet de l’espérer. La Russie a déployé beaucoup de moyens pour revenir sur la scène internationale tout en manipulant la religion orthodoxe. L’Iran s’installe aux portes d’Israël, mais pas plus que la Russie, ne pourra reconstruire la Syrie. La Turquie se trouve dans une position délicate face aux Kurdes, désireux de transformer la partie du pays reconquise en Kurdistan syrien avec une minorité arabophone. La Chine, quoique désireuse, n’investira pas en Syrie sans contrepartie. Les pays occidentaux apparaissent comme seuls capables de reconstruire la Syrie en échange d’un processus démocratique. Mais ils manifestent une sorte de résignation par pragmatisme, réalisme et vision limitée au calendrier électoral.

Instrumentalisation de la religion. Communiste dans les années 1980, le Parti démocratique syrien souhaite transformer la Syrie en pays laïc, souligne Nabil Fawaz. La présence de forces russes et iraniennes rend difficile toute prévision de l’évolution du pays, sans compter les différents acteurs locaux. Auparavant, chrétiens et sunnites entretenaient d’excellentes relations et le terrorisme n’existait pas en Syrie. Hassad a réussi à transformer le conflit interne en guerre religieuse, avec l’aide de combattants palestiniens et du Hezbollah (groupe islamiste chiite proche de l’Iran). Le Parti Baas au pouvoir contrôle l’armée et soutient la minorité alaouïte (8 % de la population). Aujourd’hui, les forces occidentales surveillent les sous-marins russes de la base navale de Tartous.

Loïc Salmon

Terrorisme : impacts et enjeux du « cyberdjihadisme »

Moyen-Orient : géopolitique des rivalités des puissances

Diplomatie : prise en compte du fait religieux dans le monde




Blocus du Qatar : l’offensive manquée

Quatre Etats arabes ont tenté, sans succès, de déstabiliser un cinquième, petit mais très riche, par la diffusion de fausses informations dans les médias et les réseaux sociaux, les cyberattaques, l’action de lobbyistes aux Etats-Unis et en Europe, les pressions diplomatiques et les sanctions économiques.

Ce quartet, composé de l’Arabie saoudite, des Emirats arabes unis (EAU), de Bahreïn et de l’Egypte, a donc employé tous les moyens, sauf militaires, pour réduire le Qatar, qui a riposté et est parvenu à obtenir l’aide de l’Iran, de la Turquie et surtout… des Etats-Unis qui y stationnent 10.000 soldats sur leur base d’Al Udeid. Cette crise a été suivie attentivement par Israël, qui reproche au Qatar son soutien économique au mouvement islamiste palestinien Hamas, très implanté dans la Bande de Gaza (entre Israël et l’Egypte). Israël entretient des relations étroites avec la Russie (présente en Syrie), pour lutter contre le terrorisme islamiste, et des liens officieux avec les EAU. Comme le quartet anti-Qatar, il veut contrer l’influence régionale de l’Iran. Tout commence le 23 mai 2017 par le piratage de l’agence de presse du Qatar (QNA). Celle-ci diffuse des extraits d’un prétendu discours de l’émir faisant l’éloge de la puissance de l’Iran chiite, avec des critiques à peine voilées de l’administration américaine, et présente le Hamas comme le « représentant légitime du peuple palestinien ». Ensuite, les médias du quartet dénoncent « l’aventurisme et la traîtrise du perfide Qatar ». Or ces extraits, entièrement faux, et le piratage de QNA ont été réalisés par les EAU, comme le prouvera une enquête du FBI quelques semaines plus tard. Malgré le démenti du gouvernement qatari, la crise atteint son paroxysme le 5 juin avec la rupture des relations diplomatiques du quartet avec le Qatar, qui se voit aussi interdire le franchissement de leurs frontières terrestres et l’accès à leurs espaces aériens, avec de graves conséquences économiques. L’Iran propose alors son aide au Qatar pour contourner l’embargo. Washington appelle le quartet à la retenue, car la plus grande partie des raids aériens de la coalition internationale contre Daech, en Syrie et en Irak, s’effectue à partir de la base d’Al Udeid. Conformément à l’accord bilatéral de défense, Ankara active sa base au Qatar en y envoyant 1.000 soldats et des véhicules blindés. Le quartet n’ose prendre le risque d’un affrontement militaire direct. Mais la confrontation se poursuit. Au piratage de QNA, le Qatar répond par celui de la boîte mail du très influent ambassadeur des EAU à Washington et divulgue ses manœuvres. Par ailleurs, le Qatar pratique une diplomatie relativement indépendante, avec des rapports directs avec les grandes puissances, et une stratégie d’influence dans le monde musulman, grâce à son assise financière. Plus grand exportateur mondial de gaz naturel, il l’exporte par ses 60 méthaniers directement à partir du port Hamad, inauguré le 5 septembre 2017. Le blocus l’a incité à développer l’économie locale et un commerce maritime vers Oman, la Turquie, le Pakistan, Koweït et l’Inde. Sa réputation de soutien au terrorisme remonte à la guerre d’Afghanistan (2001-2014), quand il avait autorisé les talibans à disposer d’une représentation à Doha…à la demande de Washington ! Ensuite, des financiers, privés, du terrorisme s’y sont installés jusqu’en 2015. Toutefois, le 11 juillet 2017, le Qatar a signé, avec les Etats-Unis, un accord sur la lutte contre le financement du terrorisme.

Loïc Salmon

« Blocus du Qatar : l’offensive manquée » par le général François Chauvancy. Éditions Hermann, 330 pages. 18 €

Qatar, vérités interdites

Arabie Saoudite, de l’influence à la décadence

Iran : acteur incontournable au Moyen-Orient et au-delà

L‘Égypte en révolutions




Moyen-Orient : géopolitique des rivalités des puissances

Le destin des pays situés entre la Méditerranée orientale et l’océan Indien, autrefois enjeux des grandes puissances, reste lié à celui des Etats occidentaux, selon un schéma hérité de l’Histoire.

Henry Laurens, professeur au Collège de France, l’a expliqué au cours d’une conférence-débat organisée, le 11 septembre 2018 à Paris, par le Conseil supérieur de la formation et de la recherche stratégiques.

Le temps des empires. Au XVIème siècle, l’arrivée des Portugais prend à revers l’islam qui se propage jusqu’en océan Indien, rappelle Henry Laurens. Avant eux, l’Asie est dominée par les « empires de la poudre à canon », à savoir les Empires ottoman et iranien, l’Inde, la Chine et le Japon. La Guerre de Sept Ans (1756-1763), qui déborde le cadre européen jusqu’en Amérique du Nord et en Inde, provoque une rupture de l’équilibre militaire. La Grande-Bretagne s’empare du Bengale et la France perd ses colonies américaines. Les pays européens vont alors poursuivre leur extension dans l’Ancien Monde. Ils considèrent les empires locaux comme soumis au pouvoir centralisé et absolu de despotes, alors qu’en réalité ils sont décentralisés et fonctionnent selon des négociations avec des « marches » (territoires frontaliers) autonomes. L’Empire russe poursuit ses conquêtes vers le Sud. Pour l’empêcher d’arriver jusqu’en Inde, la Grande-Bretagne en contrôle les accès terrestres et maritimes et anticipe une route par l’isthme de Suez dès 1780. L’expédition française en Egypte (1798) inquiète la Russie et provoque l’intervention de la Grande-Bretagne aux côtés de l’Empire ottoman. Ensuite, le Moyen-Orient jusqu’à l’Inde sera intégré au système politique européen. Après le traité de Paris (1858) qui met fin à la guerre de Crimée, les rivalités entre France, Grande-Bretagne, Prusse puis Empire allemand, Russie et Italie se manifestent dans la région jusqu’en 1914. Les Etats-Unis vont maintenir une présence militaire en Méditerranée, hors guerre de Sécession (1860-1865).

Les protections et les alliances. Le Moyen-Orient connaît en permanence ingérences de puissances étrangères et invitations à intervenir de la part des gouvernements locaux, explique Henry Laurens. Les grandes puissances européennes pratiquent la « politique de la canonnière » pour projeter des forces au loin lors de conflits locaux. Poussés par leurs opinions publiques, elles profitent du soulèvement d’une population contre un régime autoritaire dans la région pour intervenir au nom de l’urgence humanitaire. La crise grecque de 1821 (massacre de Chio et mort de Byron à Missolonghi) provoque une alliance entre Russie, France et Grande-Bretagne contre l’Empire ottoman et aboutit à l’indépendance de la Grèce en 1831. De même, une coalition internationale attaquera l’Irak en 1991, suite à son invasion du Koweït. Après la guerre de Crimée, l’Empire ottoman émancipe les communautés non-musulmanes avant 1914. La France, la Grande-Bretagne, l’Autriche-Hongrie, l’Allemagne et l’Italie font de même envers les juifs, mais pas l’Empire russe. En Orient, la société d’ordre devient égalitaire. Les populations adoptent le modèle européen (habitat et vêtements). Parallèlement, face à la menace étrangère, les gouvernements des pays d’Orient ont pris conscience des nécessités d’établir des Etats modernes et de rattraper le retard économique par rapport à l’Occident. La centralisation met fin à l’autonomie des « marches » de l’Empire ottoman et entraîne l’émergence des nationalismes. La religion devient l’identité de base. Pendant la première guerre mondiale, l’Allemagne organise le « djihad » (guerre sainte) pour déstabiliser l’Empire russe et les empires coloniaux britannique et français. L’islam arrive en France avec l’enrôlement de soldats musulmans. La Grande-Bretagne conquiert l’Irak. Après la guerre, elle conclut des pactes de non-agression avec la Turquie, l’Iran et l’Afghanistan. Les « mandats » de la France et de la Grande-Bretagne évoluent entre confrontation et collaboration dans la construction et le tracé des frontières des Etats. Pendant le second conflit mondial, le Moyen-Orient sera géré comme un ensemble, de l’Inde à la Méditerranée. Ensuite, les Etats se sentiront suffisamment forts pour considérer les « autres » (minorités) comme des étrangers. La première guerre israélo-arabe, en 1948, provoque un exode de réfugiés palestiniens. La guerre froide (1947-1991) permet aux Etats-Unis de cogérer le Moyen-Orient, au même titre que l’URSS. L’accord de Quincy entre les Etats-Unis et l’Arabie saoudite, conclu en 1945 et renouvelé en 2015, vise à conserver les approvisionnements pétroliers vers l’Europe, déstabilisée par les interruptions de production, embargos ou blocus pendant les deux guerres mondiales. Seuls les Etats-Unis et leur Marine peuvent garantir la sécurité des transports maritimes pétroliers. Auto-suffisants en 1945, ils considèrent que le pétrole de tout le continent américain doit rester sur place, par sécurité. Ils deviendront importateurs vers 1960 et jusqu’en 2010. L’accord de Quincy les engagent à intervenir, en cas de menace militaire contre l’Arabie saoudite. A cet effet, celle-ci effectue des commandes massives d’armements lourds, pour financer l’industrie américaine, et prépare de quoi accueillir les troupes américaines, le cas échéant. En 1990, il n’a en effet fallu que six mois pour installer 500.000 GI en Arabie saoudite, qui se sentait menacée par l’Irak. En 2015, celle-ci déclare que tous les musulmans vivant à l’étranger doivent obéir aux autorités de leur pays de résidence. En 2018, les Etats-Unis maintiennent encore leur VIème flotte en Méditerranée et leur VIIème flotte en océan Indien. Leurs bombardiers, basés en Europe, peuvent intervenir à tout moment au Moyen-Orient…où la Russie demeure incontournable (Syrie).

L’échec de la modernisation. La rente pétrolière a financé les guerres contre Israël et fourni une aide économique, indique Henry Laurens. Les régimes autoritaires, garants de l’indépendance nationale et des stabilités interne et régionale, conviennent à l’Occident pour lutter contre l’islamisme et le terrorisme (coopération en matière de renseignement). Le djihadisme constitue une réaction à la révolution chiite de 1979 en Iran. L’échec des printemps arabes de 2011 entraîne migrations vers le Nord de la Méditerranée et guerres civiles en Syrie et au Yémen.

Loïc Salmon

Le « Moyen-Orient », terme occidental datant de la fin du XIXème siècle, regroupe l’Arabie saoudite, Bahreïn, Chypre, l’Egypte, les Emirats arabes unis, l’Irak, l’Iran, Israël, la Jordanie, Koweït, le Liban, Oman, les Territoires palestiniens, le Qatar, la Syrie, la Turquie et le Yémen. L’arabe constitue la langue commune sauf à Chypre (grec), en Israël (hébreu), Iran (persan) et Turquie (turc). Le kurde est parlé dans une partie de l’Irak. A part le judaïsme en Israël et le christianisme à Chypre et en partie au Liban, l’islam reste la religion dominante. Ce dernier se répartit entre le chiisme à Bahreïn, en Iran et partiellement en Irak, et le sunnisme dans tous les autres pays, avec des minorités diverses. En 2016, la population du Moyen-Orient a atteint 415,38 millions d’habitants en 2016, dont 90,71 millions en Egypte, 79,13 millions en Iran et 78,74 millions en Turquie.

Moyen-Orient : mondialisation, identités et territoires

Proche-Orient : retour en force de la Russie dans la région

Turquie : partenaire de fait au Proche et Moyen-Orient




Trafics d’armes légères : la lutte contre les filières terroristes

Enjeu mondial de sécurité, la lutte contre les transferts clandestins d’armes à feu légères implique la prise en compte de la situation en fin de conflit, la mise en place de réseaux de renseignements, l’échange d’informations et l’élaboration de procédures en matière de traçabilité.

Ce thème a été traité lors d’un colloque organisé, le 31 janvier 2018 à Paris, par la Direction générale des relations internationales et de la stratégie du ministère des Armées, le Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité et l’Institut de relations internationales et stratégiques. Y sont intervenus : l’ambassadeur Jean-Claude Brunet, président désigné de la 3ème conférence de révision du Programme d’action des Nations unies sur les d’armes légères et de petits calibres (ALPC) prévue à New York du 18 au 29 juin 2018 ; l’ambassadeur Eric Danon, ministère des Affaires étrangères.

Diminuer l’incertitude. Depuis la fin de la guerre froide (1947-1991), les conflits intra-étatiques se multiplient, entraînant circulation et vols des stocks gouvernementaux d’ALPC, rappelle Jean-Claude Brunet. Les failles dans leur contrôle, pendant et après les conflits, et le crime organisé en facilitent les trafics qui alimentent les organisations terroristes, actives en Europe, dans les Balkans et en Afrique. Actuellement, 850 millions d’ALPC en circulation dans le monde tuent ou blessent 500.000 personnes par an, soit 90 % des victimes des conflits. Le secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan (1997-2006), les avait qualifiées d’armes de destruction massive et avait lancé un programme d’action adopté, par consensus, par l’assemblée générale en 2001 (voir encadré). Le premier degré de responsabilité, nationale, se situe au niveau des forces armées et de sécurité et autres agences d’application de la loi. Chaque Etat partie doit mettre en œuvre une législation en ce sens. Sur la base du volontariat, il doit publier un rapport annuel d’évaluation des besoins de coopération et d’assistance, assorti de mesures pratiquement contraignantes. Depuis 2001, des progrès significatifs ont été constatés dans de nombreux Etats en matière de contrôle et d’assistance. Toutefois, l’insuffisance de coordination persiste entre police, douane, justice et forces armées. De plus, le contrôle des exportations d’ALPC reste aléatoire. La 3ème conférence de révision du programme d’action de l’ONU, qui doit réunir 193 Etats, s’inscrit dans une stratégie globale impliquant l’Union européenne (mesures de coopération européennes et bilatérales) et l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (Balkans). Elle doit définir des normes en termes d’engagement et d’échange de bonnes pratiques de contrôle et faciliter le dialogue entre forces armées et de sécurité, industriels et experts apportant un éclairage scientifique et technique, en vue de préserver la crédibilité du programme. La France, qui en assure la présidence, en a fixé les priorités, indique l’ambassadeur Brunet : amélioration de la lutte contre le détournement des ALPC ; prévention de leurs production et transformation par les nouvelles technologies (impression en 3 D et commerce par internet) ; coordination et efficacité de l’assistance. Cela implique l’inclusion des munitions et une synergie entre le programme de l’ONU et les autres instances internationales, notamment le protocole sur les armes à feu (2001) et le traité sur le commerce des armes (TCA, 2014), qui n’a pas encore de portée universelle.

Renforcer le dispositif. Autrefois, la violence résultait des guerres entre Etats forts, alors qu’aujourd’hui elle se manifeste par les importations d’armes dans les Etats déliquescents, explique Eric Danon. Le TCA vise à réguler leur mondialisation. La course aux armements converge vers le Moyen-Orient, où se trouvent de nombreux vendeurs. Avec 24 millions d’habitants, l’Arabie saoudite occupe la première place des importateurs avec l’Inde, qui en compte…1,26 milliard. Au bout de quelques mois, la traçabilité de ces armes, pourtant achetées légalement, disparaît et une partie va se disperser parmi les groupes armés terroristes. Le TCA engage l’Etat producteur, qui l’a ratifié, à vérifier qu’une exportation d’armes à feu correspond bien à la vente à un Etat déterminé et sans réexportation ultérieure. Les marquages et traçages permettent de remonter les filières de provenance et de complicités et les registres nationaux et internationaux d’établir l’écosystème terroriste. Il s’agit d’éviter la dissémination des ALPC dans une zone de guerre ou en situation de « post-conflit », où les populations les conservent en vue de trafics dans le monde entier (ex-Yougoslavie et Afghanistan). Les groupes terroristes utilisent aussi armes blanches, bombes, ou voitures-béliers contre une foule et recourent aux attentats suicides, mais font proportionnellement plus de victimes avec les ALPC. Il s’agit donc de lutter contre l’accès à leurs filières, alors qu’il n’existe pas encore de convention relative à la lutte contre le terrorisme par ALPC, indique l’ambassadeur Danon. Leur achat reste en effet légal dans certains pays, dont les Etats-Unis. La saisie d’un stock d’armes, achetées à des pays occidentaux, constitue une prise de guerre pour les groupes terroristes (Daech en Irak). Des armes fournies, par ces mêmes pays occidentaux, à une minorité de « résistants » suffit à les qualifier de « terroristes » par le régime en place (Kurdes en Syrie et en Turquie). Des armes à feu en provenance des Balkans ont été utilisées lors des attentats de 2015 en France, où la législation porte sur les trafics venant de l’extérieur du territoire national et mobilise les services de renseignement. Certaines armes neutralisées peuvent être remises, sur place, en état de fonctionner par l’impression en 3 D de la pièce manquante, ouvrant la voie aux trafics de logiciels. En outre, des ALPC, acquises clandestinement, peuvent être transformées, par exemple par l’achat légal d’un appareil de visée pour en améliorer la portée. Par ailleurs, certains grands pays exportateurs n’ont pas encore ratifié diverses conventions sur les armes. Souvent très spécifiques, ces dernières impliquent une coopération entre Etats et une entraide judiciaire, mais la moitié des pays membres de l’ONU ne peuvent les mettre en œuvre, faute de connaissances et de moyens techniques suffisants.

Trafics d’armes : fin de crise, embargos, désarmement et consolidation de la paix

Terrorisme : évolutions stratégiques et sociologiques

Loïc Salmon

Adopté en 2001, le Programme d’action des Nations unies de prévention, lutte et éradication du trafic illicite des armes légères et de petit calibre (ALPC) et présente les mesures à prendre aux niveaux national, régional et mondial. Elles portent sur : la législation sur les divers aspects de la production, du transfert et du détournement des ALPC ; le marquage, le stockage de données et la traçabilité ; la gestion des stocks et leur sûreté ; l’identification et la destruction des surplus ; les transferts internationaux ; le courtage ; l’information du public ; les programmes de désarmement, démobilisation et réinsertion ; la coopération et l’assistance internationale pour faciliter la mise en œuvre de ce programme. Souple et non contraignant, ce dernier a été complété par d’autres instruments juridiques. Ainsi, le Traité sur le commerce des armes (2014) inclut, pour les Etats parties, l’obligation d’établir des normes communes pour le transfert international d’armes conventionnelles.




Diplomatie : prise en compte du fait religieux dans le monde

La République française recourt au principe juridique de la laïcité pour la mise en œuvre de sa devise : « liberté, égalité, fraternité ». Sa diplomatie s’appuie sur le réseau d’ambassades et de consulats, des acteurs spécialisés et des partenaires pour favoriser le dialogue interreligieux.

L’ambassadeur Jean-Christophe Peaucelle, conseiller pour les affaires religieuses au ministère des Affaires étrangères, l’a expliqué au cours d’une conférence-débat organisée, le 11 décembre 2017 à Paris, par l’Institut des hautes études de défense nationale.

Les principes. Pays laïc depuis la séparation de l’Eglise et de l’Etat par la loi de 1905, la France ouvre un poste diplomatique au Vatican dès 1920 et renoue avec le Saint-Siège (voir encadré). Le monde actuel ne se comprend pas sans le fait religieux et la diplomatie française ne peut en faire l’économie, souligne l’ambassadeur. Il convient d’abord de connaître les religions et, dans une approche globale, de discerner ce qui n’est pas vraiment de leur ressort. Il s’agit ensuite de refuser l’instrumentalisation de la religion au nom de l’universalité des droits de l’homme. Le traité européen de Westphalie (1648) a élaboré le concept d’Etat-Nation, où la diplomatie se détache du fait religieux, donc de l’influence du pape des croisades (1095-1291) à la bataille navale de Lépante contre l’Empire ottoman (1571). Pendant la conquête de l’Algérie, l’émir Abd el-Kader, en tant que chef religieux, organise la résistance contre la France (1832-1847) puis met fin au massacre des chrétiens par les Druzes en Syrie (1860). L’Occident rationaliste a été réveillé brutalement par le fait religieux, à savoir la proclamation de la République islamiste d’Iran en 1979, qui manifeste sa volonté d’influence sur le monde. Avec le slogan « L’islam est la solution » qu’il diffuse, l’Iran invente un gouvernement politico-religieux. La même année, lors de l’invasion de l’Afghanistan par l’URSS, l’Occident soutient les résistants afghans, religieux, qui vont élaborer le djihadisme. Avec l’élection de Ronald Reagan à la présidence des Etats-Unis en 1980, les évangélistes et le fondamentalisme chrétien pèsent pour la première fois sur la politique américaine. Les chutes du mur de Berlin (1989) et de l’Union soviétique (1991) entraînent un renouveau du sentiment religieux en Russie…et l’apparition du terrorisme au nom de l’islam en Tchétchénie. Par sa connivence avec les autorités politiques russes, l’Eglise orthodoxe devient un instrument de leur politique. La société saoudienne s’est véritablement islamisée après la prise, temporaire, de la grande mosquée de La Mecque (1979). Son affrontement avec l’Iran, essentiellement politique, remonte au choix du chiisme comme religion d’Etat au XVIIème siècle par ce pays pour se différencier des peuples arabes. L’Inde est dirigée par le parti nationaliste hindou et la Birmanie, comme la Thaïlande, par le fondamentalisme bouddhiste. La montée du sentiment religieux en Chine la transformera en principal pays chrétien (toutes catégories confondues) dans le monde en 2030, estime l’ambassadeur.

L’organisation. La laïcité française a pris une dimension internationale, également dès 1920, avec la nomination d’un diplomate, conseiller pour les affaires religieuses, interlocuteur des différentes communautés pour le travail d’intermédiation et d’accueil, explique Jean-Christophe Peaucelle. L’ambassadeur de France au Vatican, en relation avec le Saint-Siège toujours le mieux informé, est assisté d’un prêtre. Le consulat général à Jérusalem est ouvert depuis le XVIème siècle, lorsque l’Empire ottoman confie à la France la protection des pèlerins et des chrétiens d’Alep à Jérusalem, accord codifié par le gouvernement français en 1901. Le consulat général à Djeddah assure la protection juridique des 17.000 à 20.000 pèlerins français qui se rendent chaque année à La Mecque. En outre, un protocole d’accord de coopération sur des projets humanitaires a été conclu avec l’Ordre de Malte, avec le soutien politique et financier de la France. La Communauté de Sant’Edigio a acquis un savoir-faire pour entrer dans la douleur du camp d’en face et faciliter l’adhésion de la population. Pour la recherche de solutions personnelles, elle peut s’adresser à certains interlocuteurs…à la place de la diplomatie française ! L’ambassadeur Peaucelle travaille aussi avec des chercheurs universitaires, les autorités religieuses protestantes, juives et musulmanes de France et le nonce du Saint-Siège. Garant de la neutralité de l’Etat, il coopère avec le ministère de l’Intérieur et des Cultes pour la nomination des évêques, dont l’objection, éventuelle, serait politique.

Les objectifs. Le but de la diplomatie reste la paix, sa construction et sa préservation, rappelle Jean-Christophe Peaucelle. Il s’agit d’identifier la part religieuse d’un conflit. Pour la France, très attachée à la Déclaration des droits de l’homme, chacun peut pratiquer librement sa religion en privé ou en public. Lors du conflit interne en Centrafrique entre chrétiens et musulmans, l’opération « Sangaris » a été menée de concert avec les acteurs religieux locaux, à savoir l’évêque, le pasteur et l’imam de Bangui, qui ont risqué leur vie du début de l’intervention militaire à la recherche d’une solution politique. Sans eux, « Sangaris » n’aurait pu réussir, estime l’ambassadeur. En France, l’Etat doit travailler avec les autorités musulmanes pour lutter contre le salafisme pour évaluer le discours de « déradicalisation ». Il s’agit d’accompagner l’évolution d’un islam moderne, qui rencontre des aspirations dans le monde musulman. Cela passe par le développement de l’islamologie, action presque centenaire de l’Ecole pratique des hautes études, et une offre universitaire à des étudiants étrangers musulmans. Le fait religieux compte de plus en plus dans les relations internationales. Il peut être traité avec beaucoup de liberté et d’assurance sur des thèmes concrets dans le cadre de la laïcité, conclut le conseiller pour les affaires religieuses.

Loïc Salmon

Arabie Saoudite : retour du sacré dans les relations internationales

Diplomatie : gérer les crises et déceler les menaces diffuses

Les diplomates, acteurs de la politique étrangère et représentants de la France

Responsable des relations diplomatiques de l’Etat du Vatican installé à Rome, le Saint-Siège entretient des relations avec 180 Etats. En outre, son statut d’observateur permanent sans droit de vote à l’ONU et à tous ses institutions, lui permet d’assister à toutes les réunions et de participer aux débats, afin de leur donner une dimension spirituelle et morale. Le pape, autorité suprême de l’Eglise catholique, dispose d’un gouvernement pour gérer le Vatican, la Curie. Un cardinal secrétaire d’Etat dirige la Curie et le Saint-Siège. Les agents diplomatiques, tous évêques de différentes nationalités, sont formés à l’Académie pontificale ecclésiastique ainsi que les « nonces apostoliques » (ambassadeurs) et les laïcs intervenant au nom du pape. En outre, le Saint-Siège dispose d’un réseau d’influence, à savoir les organisations internationales catholiques, composées de prêtres et de laïcs et impliquées dans les activités sociales, professionnelles et à caractère humanitaire et caritatif. Elles interviennent notamment dans les milieux de la communication et des pôles de réflexion sur la paix et le développement. Elles peuvent aussi prendre des positions « politiques », sans impliquer directement le Saint-Siège.




Les sœurs du Djihad

Les organisations djihadistes, surtout Daech (Etat islamique), parviennent à recruter des Européennes converties, destinées d’abord à procréer des combattants de l’islam radical. Si elles en ont les qualifications, elles peuvent occuper des emplois dans la santé, l’enseignement, la communication, l’informatique et même la sécurité !

Selon diverses études et recueils de témoignages (vidéos, confessions sur internet et écrits), le nombre de conversions à l’islam en Europe augmente de 20 % par an depuis 2010 et les femmes représenteraient environ 60%-70% des convertis. Il en ressort que les conversions se répartissent principalement en quatre types : rencontre amoureuse aboutissant souvent à un mariage, pour la majorité des jeunes femmes ; environnement social musulman de proximité ; quête de spiritualité après une déception vis-à-vis de la religion d’origine ; motivations politiques ou radicales, plus rares chez les femmes. Contrairement au catholicisme et au judaïsme qui demandent une grande implication et plusieurs étapes, la conversion à l’islam peut se réduire, pour les recruteurs salafistes, à la récitation en arabe phonétique de la profession de foi devant deux témoins : « J’atteste qu’il n’y a de Dieu qu’Allah et que Muhammad est son messager ». Le nouveau musulman doit se conformer aux quatre piliers de l’islam : cinq prières quotidiennes n’importe où et en direction de la Mecque ; verser l’aumône aux plus pauvres selon ses moyens ; jeûner le mois du ramadan, de l’aube au coucher du soleil ; aller en pèlerinage à la Mecque une fois dans sa vie, si ses moyens physiques et financiers le lui permettent. Alors que l’islam modéré recommande une modification progressive du comportement vestimentaire et alimentaire, la mouvance rigoriste incite les nouveaux venus à se couper de leur environnement d’origine en deux ou trois mois. A la différence du chiisme iranien, l’imam sunnite, dépourvu de statut juridique ou légal, n’exerce pas de fonction « sacrée ». Il guide les croyants et les éclaire de ses connaissances du Coran et des « hadiths » (actes et paroles relatives à Mahomet et ses compagnons), acquises sans obligation d’une formation théologique sanctionnée par un diplôme officiel, décerné par une institution spirituelle islamique. De fait, beaucoup d’imams s’autoproclament tels ou sont même parfois téléguidés par l’Arabie Saoudite, le Qatar ou l’Algérie pour étendre leur influence. De son côté, Daech est parvenu à entraîner de nombreux départs de jeunes femmes européennes vers les zones de guerre en Syrie, Irak et Libye, entre sa proclamation du califat en 2014 et sa défaite militaire face à une coalition internationale et l’intervention russe en 2017. Il a présenté le djihad comme une cause humanitaire et offert une vision utopique de l’Etat islamique. Il a su tirer parti de l’addiction de jeunes filles, naïves ou psychologiquement fragiles, aux réseaux sociaux Facebook, Twitter, Instagram, WhatsApp, SkyBlog, Pinterest, Flicker, YouTube ou DailyMotion. Il leur a promis une vie romantique et démontré la cohésion sociale réalisée par la solidarité entre « sœurs », une fois intégrées à une communauté à l’écoute. Il leur a proposé une prise en charge intégrale par le groupe, sorte d’assistanat intégral et rassurant car évitant de prendre des responsabilités. Enfin, il leur a fait miroiter la possibilité de participer à un destin collectif exceptionnel, donnant ainsi un sens supérieur à leur vie.

Loïc Salmon

Terrorisme djihadiste : prédominance de la dimension psychoculturelle

Arabie Saoudite : retour du sacré dans les relations internationales

Qatar, vérités interdites

« Les sœurs du Djihad » par Jean-Christophe Damasin d’Arès. Editions JPO, 192 pages, 14,90 €.




Arabie Saoudite, de l’influence à la décadence

« Etat-providence » chez elle et pratiquant une diplomatie du « portefeuille » grâce à ses revenus pétroliers, l’Arabie Saoudite se trouve fragilisée à l’intérieur, faute de réformes sociales, et à l’extérieur, par suite de son enlisement dans la guerre civile au Yémen et son financement, indirect, du terrorisme islamique.

Depuis plus de 80 ans, la rente pétrolière assure le fonctionnement de l’Etat, l’entretien de la famille royale (2 Mds$/an) et la paix sociale. En échange du bien-être subventionné par l’Etat, les Saoudiens ne peuvent réclamer de comptes à leur roi. Le secteur public emploie 90 % de Saoudiens et le secteur privé 90 % d’étrangers, surtout indiens, égyptiens, pakistanais, philippins, bangladais et yéménites et, accessoirement, occidentaux (cadres). Par suite de cette « mentalité rentière », très peu de Saoudiens acceptent de travailler dans le secteur privé, synonyme de bas salaires (3 à 4 fois inférieurs à ceux du secteur public) et d’instabilité professionnelle, et à condition d’occuper un poste d’encadrement ! Selon le FMI, grâce à l’amélioration de ses conditions de vie, la population saoudienne a atteint 28 millions de personnes en 2016 (+ 245 % en 35 ans), dont la moitié a moins de 25 ans. Le marché du travail n’absorbe que 30 % des nouveaux entrants, estimés à 300.000-400.000/an dont 200.000 diplômés. En outre, 3-4 millions de personnes vivraient sous le seuil de pauvreté, alors que le produit intérieur brut (PIB) par habitant dépasse 50.000 $. La lutte contre le chômage préoccupe davantage la jeunesse saoudienne que celle contre l’Iran, le rival héréditaire, ou le terrorisme (274 morts en 20 attentats en 2004). L’or noir représentait 91 % des recettes budgétaires et 41 % du PIB, qui s’élevait à 700 Mds$ en 2014. La baisse drastique du prix du pétrole et le risque de banqueroute, anticipé par le FMI, ont incité les autorités saoudiennes à préparer « l’après-pétrole », malgré des réserves considérables (le quart du total mondial) mais surestimées de 40 % selon des fuites de Wikileaks. Un vaste programme de diversification économique prévoit notamment la construction de 16 réacteurs nucléaires d’ici à 2030 et 41 gigawatts de panneaux photovoltaïques en plein désert (équivalent de 25 réacteurs nucléaires). Premier importateur de matériel militaire avec 6 Mds$ en 2014 (10 % du marché mondial), l’Arabie Saoudite s’est impliquée militairement à la tête d’une coalition, en 2009 puis en 2015, dans la guerre civile au Yémen. Ce pays contrôle le détroit de Bab el-Mandeb, où transite 10 % du commerce maritime international. Les frappes de la coalition arabe (10 pays avec l’aide des Etats-Unis pour le renseignement et la logistique) ont causé, selon une estimation de l’ONU d’août 2016, 10.000 morts, 3 millions de déplacés et des risques de famine pour près de 7,6 millions d’habitants, dont 1,3 million d’enfants parmi la population yéménite. S’y ajoute la destruction d’une grande partie du patrimoine culturel de cet antique royaume de Saba… comme en Syrie et en Irak par Daech (Palmyre, Hatra et Nimroud). Les documents rendus publics par Wikileaks depuis 2009 démontrent que les donateurs privés en Arabie Saoudite demeurent la principale source mondiale de financement des groupes terroristes sunnites, au nom de la diffusion du wahabisme. Leurs liens économiques et diplomatiques avec l’Arabie Saoudite empêchent les pays occidentaux d’y dénoncer les atteintes aux droits de l’homme et surtout… de la femme !

Loïc Salmon

Arabie Saoudite : retour du sacré dans les relations internationales

Proche-Orient : retour en force de la Russie dans la région

« Arabie Saoudite, de l’influence à la décadence » par Ardavan Amir-Aslani. Edition L’Archipel, 240 pages, 18 €.




Arabie Saoudite : retour du sacré dans les relations internationales

La diplomatie saoudienne présente un caractère hybride, à savoir la volonté de légitimité institutionnelle vis-à-vis de l’Occident et la promotion d’un art de vivre religieux traditionnel dans les pays musulmans d’obédience sunnite.

Auteur de l’ouvrage « Dr. Saoud et Mr Djihad », Pierre Conesa s’est exprimé lors d’une conférence-débat organisée, le 2 février 2017 à Paris, par l’Association des auditeurs jeunes de l’Institut des hautes études de défense nationale.

Contexte politico-religieux. Au XVIème siècle, l’empire ottoman s’étend au Sud et à l’Est de la Méditerranée, au Proche-Orient et aux Balkans. En 1914, il ne comprend plus que la Turquie, l’Arménie, le Kurdistan, la Mésopotamie (Irak) et des bandes côtières (mer Rouge et golfe persique) de la péninsule arabique. Au XVIIIème siècle, dans la partie centrale qui n’a jamais été colonisée, le royaume d’Arabie se constitue sous l’égide de l’émir Mohammed ibn Saoud, allié de Mohammed ben Abdelwahab, fondateur de l’Islam « wahabite ». Depuis, leurs descendants, liés par des mariages, se partagent la direction du pays : le pouvoir politique pour les Saoud et l’autorité religieuse pour les Al-Shaikh (Wahab). Au cours de la première guerre mondiale, les Saoud déposent le Chérif gardien des lieux saints de l’Islam et descendant du prophète Mahomet. Par la suite Abd el-Aziz, premier roi du nouvel Etat d’Arabie Saoudite de 1932 à 1953, instaure un mode de succession selon lequel ses fils se transmettent le pouvoir les uns après les autres. Ainsi, souligne Pierre Conesa, les Saoud, qui n’ont aucune filiation avec le prophète, constituent une petite entreprise familiale où tout se règle entre soi. De leur côté, les Al-Shaikh cumulent les directions de 14 institutions qui ne sont pas toutes religieuses, notamment : le système judiciaire ; l’Institut supérieur de la magistrature ; l’administration chargée de l’éducation des filles ; la fondation gérant les médias ; l’Université islamique de Médine ; le Haut Conseil de la Ligue islamique mondiale (voir encadré). Jusqu’à la découverte du pétrole dans les années 1930, les tribus arabes n’ont jamais subi d’influence étrangère depuis le XIIIème siècle. Dès 1932, les Al-Saikh se qualifient de « salafistes », excluent tout intermédiaire avec Dieu et prônent une religion sunnite rigoureuse …proche de celle de l’Etat islamique (Daech) d’aujourd’hui ! Pierre Conesa présente quelques exemples de châtiments comparables pour les mêmes délits : peine de mort pour meurtre, trafic de drogue, reniement de l‘Islam, blasphème ou homosexualité ; coups de fouet pour adultère ; coups de fouet pour relations sexuelles avant le mariage ; à l’appréciation du juge (Arabie Saoudite) ou coups de fouet (Daech) pour diffamation et consommation d’alcool ; amputation de la main et du pied pour vol à main armée ; amputation de la main pour vol. Comme Daech, les Saoud détruisent les monuments symboliques comme le cimetière d’Al-Baqi à Médine et la tombe de Khadija, première épouse de Mahomet. Depuis le début, la charte du royaume précise que l’Etat doit appliquer une diplomatie religieuse.

Turbulences. En 1945, la Ligue Arabe est fondée au Caire par l’Arabie Saoudite, l’Egypte, l’Irak, la Jordanie, le Liban, la Syrie et le Yémen du Nord. En 1956, le président égyptien Gamal Abdel Nasser nationalise le canal de Suez pour financer le barrage d’Assouan, destiné à gérer les crues du Nil. La crise internationale qui s’ensuit déclenche un panarabisme contre l’Occident, mené par l’Egypte et la Syrie. Ces régimes républicains et nationalistes s’opposent aux monarchies saoudienne et jordanienne, pro-occidentales. Pour contrer l’influence de l’Université millénaire al-Azhar du Caire, l’Arabie Saoudite instaure l’Université islamique de Médine en 1961. Celle-ci a déjà formé 30.000 stagiaires, attirés par des bourses d’études et la gratuité du logement. Dès 1962, elle accueille des membres du mouvement panislamiste des Frères musulmans, chassés d’Egypte et qui y retourneront pour occuper des fonctions de cadres dans l’enseignement supérieur, l’administration et la restructuration du droit coranique. Le panislamisme, revendiqué également par les  organisations djihadistes Al Qaïda et Daech, est un mouvement politico-religieux réclamant l’union des territoires considérés comme musulmans sous la direction d’un calife. Au cours des années 1960, la diplomatie religieuse saoudienne commence à agir en Afrique francophone, notamment au Mali, pour équilibrer l’influence du socialisme arabe de l’Algérie, de la Libye et de l’Irak. En 1973, la guerre du Kippour oppose Israël à  l’Egypte et la Syrie, soutenues notamment par l’URSS et la Ligue Arabe. L’Organisation des pays producteurs de pétrole, créée en1960 à l’initiative du Venezuela et de l’Arabie Saoudite, quadruple alors le prix du pétrole. Ce soudain enrichissement bouleverse la société tribale saoudienne, qui connaît la modernisation sans le changement. En février 1979, la révolution islamiste en Iran porte au pouvoir les mollahs chiites, qui prônent un Islam républicain contre les Etats-Unis et la France et demandent une gestion collégiale des lieux saints. En novembre, des fondamentalistes islamistes occupent la Grande Mosquée de La Mecque, qui sera reprise avec l’aide du GIGN français. La répression est marquée par 74 décapitations en 24 heures. En décembre, les troupes soviétiques envahissent l’Afghanistan, pays musulman. A chaque crise, la mainmise religieuse s’est accélérée, souligne Pierre Conesa.

Ambiguïtés. En 1945, l’Arabie Saoudite conclut avec les Etats-Unis le « Pacte de Quincy », qui garantit une protection militaire de la dynastie en échange d’approvisionnements pétroliers. Cet accord de 60 ans sera renouvelé en 2005. Lors de la guerre du golfe contre l’Irak de Saddam Hussein en 1991, l’Arabie saoudite accueille 150.000 soldats américains, dont 10.000 juifs, en terre d’Islam. Quoique 15 Saoudiens figurent parmi les 19 auteurs des attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, l’administration Bush incrimine l’Iran, l’Irak et même la Corée du Nord ! Elle censure 28 pages d’un rapport du Congrès américain sur l’attentat qui, rendu public 20 ans plus tard, souligne la collusion entre l’industrie pétrolière texane et l’Arabie Saoudite. Par la suite, les Etats-Unis imposent la fermeture de 253 organisations non gouvernementales, soupçonnées d’entretenir des relations avec les djihadistes. Celles du Pakistan ont organisé des attentas en Inde avec des fonds venus d’Arabie Saoudite. Selon Pierre Conesa, l’efficacité du lobby saoudien aux Etats-Unis et en France, par le biais de sa diaspora qui a accès aux plus hautes autorités de l’Etat, repose sur une stratégie d’influence et non pas de pression, pour éviter une mise en accusation dans les instances internationales. Par ailleurs, Wikileaks a déclassifié 60.000 documents diplomatiques saoudiens indiquant : une concentration des services de renseignement au niveau du roi ; une diplomatie planétaire en matière de prédication salafiste, notamment en Inde considérée comme le 2ème pays chiite après l’Iran ; un ennemi principal, le chiisme, suivi des autres pratiques de l’Islam. Cette capacité d’influence se double d’un système de commissaires politiques à la soviétique, souligne Pierre Conesa. Les gens formés à l’Université de Médine doivent aller transformer leur société d’origine avec un impératif : pas d’attentat sur le territoire saoudien !

Loïc Salmon

Moyen-Orient : crises, Daech et flux de migrants en Europe

Arabie saoudite : prédominance au Moyen-Orient menacée

Outre ses représentations diplomatiques officielles, l’influence de l’Arabie saoudite se manifeste par l’implantation des bureaux de la Ligue islamique mondiale au Moyen-Orient, en Australie, en Asie du Sud-Est, en Afrique, en Europe, en Russie, au Canada et en Amérique du Sud. En 2015, la Ligue y a distribué des exemplaires du Coran : 9,2 millions au Moyen-Orient et en Asie ; 230.669 en Afrique ; 87.635 en Europe ; 14.233 en Amérique du Nord ; 6.506 en Australie ; 6.460 en Amérique du Sud.