Renseignement aérospatial : complémentarité entre drones et aéronefs légers ISR

En matière de renseignements d’origine électromagnétique (« sigint » et « comint ») et par imagerie les drones complètent les aéronefs légers de renseignement, surveillance et reconnaissance (ISR), selon les critères de missions définis par leurs utilisateurs.

Certains aéronefs (avions, drones, hélicoptères et dirigeables) peuvent opérer avec ou sans pilote. Leur « dronisation » a fait l’objet d’un colloque organisé le 30 septembre 2013 à Paris, par le Club Participation et Progrès, le magazine Air et Cosmos et la revue Défense nationale.

Systèmes et emplois. En 2008, le secrétaire américain à la Défense Robert Gates, ancien directeur de la CIA, lance le programme « Liberty » de plate-forme ISR pour les opérations en Irak et en Afghanistan en vue de dresser des cartes de renseignement sans intervention des troupes au sol, explique le lieutenant-colonel Eric Tantet de l’état-major de l’armée de l’Air. « Liberty » a récupéré un avion civil à faible coût de maintien en condition opérationnelle. Le cahier des charges varie selon la taille du vecteur et le nombre de capteurs installés. La plate-forme emporte divers types de charges utiles dont notamment: la boule optronique (imagerie) à « champ étroit » ; le radar à « champ moyen », indicateur de cibles mobiles et utilisable tous temps ; le capteur de communications à « champ large » pour localiser des émetteurs dans des zones désertiques ; la télédétection par laser ; la caméra hyper-spectrale ; le système américain « Gorgon Stare » (5 caméras électro-optiques et 4 autres infrarouges) pour couvrir le maximum de terrain ; le système de fusionnement des informations des capteurs. Le concept d’emploi de l’avion léger de surveillance et de reconnaissance (ALSR) s’articule ainsi : « champ large » pour la recherche de cibles sur la zone d’intérêt définie ; « champ moyen » pour la détection et la localisation des cibles ;  « champ étroit » pour leur identification ; production et transmission des renseignements vers les autorités politico-militaires ou les éléments terminaux de la chaîne d’action (troupes au sol, bâtiments et aéronefs de combat) ; poursuite éventuelle de la cible ou surveillance de la zone. Dans le cadre d’une crise émergente, l’ALSR peut être utilisé sous faible préavis pour renforcer les moyens de recueil déployés sur un théâtre extérieur. Sur le territoire national, il peut participer à un dispositif de sûreté du ministère de la Défense ou en appui d’autres ministères pour la lutte anti-drogue, la sécurité intérieure, la lutte contre la piraterie, l’anti-terrorisme et l’évaluation rapide de la situation après une catastrophe naturelle ou technologique. Divers ALSR sont en service dans les armées de Terre et de l’Air aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne et dans les forces aériennes du Canada, d’Israël et d’Algérie. D’autres sont déjà commandés par celles d’Irak et de Singapour.

Comparaison et perspectives. Guillaume Steuer (Air et Cosmos) a dressé un tableau comparatif entre le drone moyenne altitude longue endurance (Male) et l’ALSR. Tous deux se valent en discrétion moyenne. Le drone Male l’emporte pour l’endurance (plus de 24 h sur zone contre 6-8 h pour l’ALSR) et l’armement éventuel. L’ALSR présente des avantages en termes de flexibilité d’emploi, d’évolution dans l’espace aérien civil, d’acquisition (offres multiples) et d’autoprotection. L’armée de l’Air américaine (USAF) dispose de 160 drones armés MQ-1 B « Predator » mis en service opérationnel en 2005, 100 drones de combat MQ-9 « Reaper » (2007) et 42 ALSR MC-12 W « Liberty » (2009). Le Commandement des opérations spéciales de l’USAF déploie des MQ-1B « Predator » sur 6 orbites permanentes et des MQ-9 « Reaper » sur 4. Il emploie aussi 36 petits avions Pilatus PC-12/U-28 capables d’utiliser des pistes sommairement aménagées et en a commandé 18 exemplaires pour les forces spéciales afghanes. Outre ces trois types de vecteurs, la CIA possède des DHC6 « Twin Otter » équipés de roues, de skis ou de flotteurs. Depuis sa base de Waddington, l’armée de l’Air britannique déploie 10 MQ-9 « Reaper » et 6 petits avions « King Air 350 » équipés de multicapteurs. En France, indique Guillaume Steuer, les drones Male sont peu nombreux et peu adaptés aux besoins : optronique obsolète et absence de capacité « sigint ». En outre, les capacités ISR aéroportées sont éparpillées entre les avions de transport tactiques « Transall » et « Hercules », les avions de patrouille maritime « Atlantique 2 »  et le C-160 « Gabriel » de guerre électronique. Le projet de loi de programmation militaire 2014-2019 prévoit des vecteurs aéroportés complémentaires des renseignements d’origine image. Finalement, les drones Male devraient être affectés d’abord au soutien des forces et les ALSR au Commandement des opérations spéciales, à la Direction du renseignement militaire (DRM) et à la Direction générale de la sécurité extérieure.

« Dronisation » et complémentarité. Malgré le développement du drone, l’ALSR rebondit en raison de son moindre coût et du savoir-faire venu du monde civil, indique le général de corps aérien (2S) Jean-Patrick Gaviard, ancien sous-chef opérations de l’État-major des armées. Mais, il ne fonctionne qu’avec la supériorité aérienne, comme pour les interventions en Libye (2011) et au Mali (2013). En temps de crise, les « sigint » et « comint », captés aussi par les sous-marins et navires de surface, constituent les renseignements initiaux, que doivent compléter l’imagerie et l’infrarouge pour l’identification des cibles. « Même pour les théâtres africains, ça commence par là ». Le successeur de l’avion C-160 « Gabriel » devra disposer d’une capacité « sigint » plus importante pour informer la DRM et les forces sur le théâtre des bandes d’émissions à brouiller. Une réflexion est en cours sur la reconstitution d’une escadre de reconnaissance, basée dans le centre de la France et incluant les drones, les ALSR et du personnel hautement qualifié. De son côté, le général de corps aérien (2S) Michel Asencio, ingénieur consultant en technologies nouvelles, rappelle la vulnérabilité des moyens de transmissions des renseignements des drones. Ainsi informé début août 2013, le mouvement chiite Hezbollah avait pu piéger le passage de commandos israéliens en territoire libanais, faisant plusieurs blessés.

Loïc Salmon

Renseignement militaire : clé de l’autonomie stratégique et de l’efficacité opérationnelle

Renseignement militaire : cinq satellites français de plus

La guerre électronique : nouvel art de la guerre

Le drone français (mode piloté en option) « Patroller » peut croiser sur zone à 25.000 pieds (7.620 m) d’altitude plus de 20 heures et même jusqu’à 30 heures dans sa configuration capteur optronique jour/nuit avec deux réservoirs sous voilure. Il emporte des caméras TV (couleurs ou noir et blanc) et infrarouges, des radars météorologiques, de détection NBC (nucléaire, chimique et biologique) et à synthèse d’ouverture et un télémètre laser. Il transmet directement des images aux personnels au sol ou aux véhicules d’intervention via un terminal tactique vidéo portable. Aéronef à décollage et atterrissage automatiques, le « Patroller » est aérotransportable par avion-cargo. Son rayon d’action varie de 200 km (liaison de données à portée optique) à 2.000 km (liaison satellite).




L’anticipation géopolitique aidée par l’intelligence collective

La mesure systématique de l’intelligence collective pour anticiper des événements, même de nature géopolitique, permet de réduire l’incertitude grâce à la décentralisation des sources, la diversité des opinions et l’indépendance d’esprit.

C’est ce qu’a expliqué Emile Servan-Schreiber, directeur général de Lumenogic, lors d’une conférence-débat organisée le 8 octobre 2013 à Paris par l’Association nationale des auditeurs jeunes de l’Institut des hautes études de défense nationale.

Les bases théoriques. Le philosophe grec Aristote (384-322 avant J.C.) définit l’intelligence collective comme le rassemblement de nombreux individus ordinaires mais capables, ensemble, d’être meilleurs que les quelques meilleurs d’entre eux. En 2010, une étude américaine met en évidence que le quotient intellectuel (QI) d’un groupe, tangible et mesurable, se détermine non par la moyenne des QI individuels ni l’âge moyen, mais par la proportion des femmes en son sein. En outre, l’égalité du temps de parole et la sensibilité sociale (capacité de se mettre à la place de l’autre) rendent le groupe plus performant. Dans son livre « La sagesse des foules », James Surowiecki démontre que l’intelligence d’un groupe repose sur le savoir cumulatif de chacun des membres, dont les « subsidiarités » s’annulent. L’intelligence du groupe se détermine par la qualité des communications entre ses membres et sa diversité cognitive, à savoir les différentes approches d’un problème. Les sociétés les plus innovantes sont celles qui impliquent le plus de monde et non le plus d’argent. L’agilité à s’associer intellectuellement à d’autres personnes améliore l’intelligence collective. Il convient d’y ajouter un autre élément : le pari ! En effet, le fait de parier mobilise, dans le cerveau, des neurones spécialisés dans l’évaluation des risques et des récompenses. De plus, l’émotion est refoulée et le raisonnement privilégié. Parier encourage la confrontation d’idées plutôt que la conformité. Les parieurs prennent en effet des risques avec leur argent ou leur réputation si le pari n’est pas monétaire. Ainsi motivés, ils recherchent la « bonne » information. Pour eux, il s’agit d’avoir raison avant les autres. L’organisation de paris sur des pronostics d’événements constitue un véritable marché « prédictif », où la question posée aux parieurs est directement liée à l’objet de la prédiction. Tous les parieurs essaient de maximiser leurs gains et modifient leurs options d’achat ou de vente s’ils y trouvent un intérêt, rendant ainsi leur pronostic équilibré. Celui qui ne connaît rien du domaine concerné ne va pas jouer en bourse. Par contre, celui qui le connaît bien va jouer de plus en plus gros et son opinion va peser plus lourd. Selon des études américaines, les prévisions du marché se vérifient dans le monde réel : actualité, politique, économie, sciences et technologies. Dans son livre « Expert Political Judgement », Philip Tetlock donne les résultats d’une enquête réalisée entre 1985 et 2005 sur 82.000 prévisions et 284 experts américains. Il dresse une typologie des « renards » et des « hérissons ».  Le « renard » apparaît comme « visionnaire », ouvert à tout et connaissant beaucoup de petites choses. L’écrivain Michel de Montaigne (1533-1592) correspond à ce type. Le « hérisson », qui ne connaît qu’une chose ou un principe très important, apparaît comme un « idéologue ». Le philosophe et mathématicien Blaise Pascal (1623-1662) et le président George W. Bush s’approchent de ce type. Philip Tetlock conclut que les experts ne sont pas meilleurs que les amateurs avertis et que les « renards » sont bien meilleurs que les « hérissons ». Pourtant, les média préfèrent les gens bardés de certitudes : c’est plus divertissant et plus convaincant ! Les décideurs font naturellement confiance aux experts…  qui savent très bien se justifier.

Les applications opérationnelles. Dans le domaine géopolitique, personne ne peut prétendre avoir toutes les connaissances nécessaires, rappelle Emile Servan-Schreiber. La mise à jour en temps réel des données se fait au fil de l’information auprès de ceux qui sont sur le terrain. Par exemple, les prix des produits laitiers ont été multipliés par 3 en quelques mois, car les pays émergents ont perturbé ce marché. Les principales données doivent être calibrées, numérisées et « discriminantes ». Quand elles deviennent  floues, elles sont mieux analysées par plusieurs cerveaux travaillant ensemble que par un ordinateur. Les marchés « prédictifs » se sont avérés plus déterminants et surtout plus rapides (quelques minutes) que les sondages (deux jours). Les premiers donnent une prévision du résultat final, en continu, auprès de participants auto-recrutés par la connaissance du sujet et interactifs. Les sondages indiquent une préférence à un jour donné et une photographie ponctuelle d’un échantillon représentatif, mais aucunement impliqué. Ainsi, une étude des marchés des élections présidentielles américaines de 1884 à 1940 révèle qu’ils ne se sont trompés qu’une seule fois en 1916 (réélection de Woodrow Wilson). Ces paris, interdits depuis aux Etats-Unis, sont autorisés en Grande-Bretagne où la presse a plutôt tendance à regarder les marchés « prédictifs » que les sondages de moins en moins représentatifs. De son côté, la CIA a lancé une étude sur 4 ans (2011-2015) pour améliorer considérablement l’exactitude, la précision et la rapidité des agences de renseignement américaines. Il s’agit de : développer des techniques de pointe qui suscitent, pondèrent et combinent les jugements de nombreux analystes ; mesurer systématiquement la justesse des prévisions à l’aune d’événements géopolitiques réels. Ce projet intitulé « Good Judgement » (bonne évaluation en vue d’une décision) est confié aux universités de Pennsylvanie et de Berkeley et à… Lumenogic ! Cinq équipes université/industrie sont mises en concurrence pour développer les meilleures méthodes. Des dizaines de politologues, psychologues, statisticiens et praticiens analysent les réponses de plusieurs milliers de participants (payés 200 $/an) aux 100 à 200 questions annuelles de la CIA. En 2013, un premier résultat montre que les meilleurs parieurs sont capables de faire mieux que les professionnels à plein temps de la CIA qui disposent d’informations « sensibles » !

Loïc Salmon

Le cyberespace : enjeux géopolitiques

Diplômé de mathématiques appliquées et de psychologie, Émile Servan-Schreiber est le fils de Jean-Jacques Servan-Schreiber, fondateur de l’hebdomadaire « « L’Express », et le petit-fils d’Émile Servan-Schreiber, co-directeur du quotidien économique « Les Echos ». Arrivé à 18 ans aux Etats-Unis, il a obtenu la nationalité américaine en 1993. Il y a créé plusieurs entreprises, dont Lumenogic. Son métier, a-t-il expliqué en avril 2012 à « France-Amérique, le journal français des Etats-Unis », consiste à mettre en place, dans les entreprises, des systèmes sur Internet qui permettent à l’intelligence collective de s’exprimer pour aider à prendre les meilleures décisions. Ainsi, Lumenogic combine l’expertise en technologies de l’intelligence collective, l’analyse sociale et la gestion des processus.




Renseignement et intelligence économique : complémentarité et divergences culturelles

L’intelligence économique monte en puissance et le renseignement devient un outil incontournable des entreprises pour se maintenir sur le marché mondial. En effet, les techniques du second complètent la première, dont la perception varie selon les pays.

C’est ce qu’a expliqué Éric Denécé, directeur du Centre français de recherche sur le renseignement, au cours d’une conférence-débat organisée, le 17 septembre 2013 à Paris, par la Mairie de Paris et l’Association IHEDN région Paris-Ile-de-France.

Risques et menaces. Le renseignement d’affaires sert à gérer les risques, d’abord ceux d’ordre géopolitique ou international. Ainsi, terrorisme et guerre civile rendent nécessaire l’obtention d’informations en amont, avant d’entreprendre des travaux dans un pays du tiers monde. Le grand banditisme infiltre le monde de l’entreprise par le réseau des actionnaires. Il faut aussi surveiller la concurrence et exercer une influence sur les décisions des institutions économiques aux niveaux national et international. S’y ajoutent les risques sociétaux sur les rapports entre individus et groupes humains, notamment le développement de sectes, souvent originaires d’outre-Atlantique, au sein des entreprises. Par ailleurs, profitant du fait que 45% des musulmans d’Europe vivent en France, les adeptes de l’Islam radical infiltrent les syndicats et, par exemple, refusent de serrer la main de leurs collègues féminins ou manifestent un comportement sectaire, comparable à la « scientologie ». L’évolution préoccupante du militantisme écologique, au nom de la sécurité du consommateur ou de la défense des animaux ou de la planète, peut représenter une menace pour certaines entreprises. Selon Éric Denécé, le processus commence par un petit groupe autour d’un théoricien du sujet. Puis une association se met en place et se lance dans le prosélytisme à la sortie des supermarchés. Cela peut déboucher, par exemple, sur l’interdiction de la consommation du foie gras en Californie. L’activisme violent se manifeste par des intrusions dans les laboratoires et même par des attentats à la bombe au nom de « la cause ». Par ailleurs, le temps libre  a doublé en une vingtaine d’années, en raison de l’entrée tardive des jeunes sur le marché du travail, de l’accroissement du chômage et de l’allongement de la durée de la vie. Par désœuvrement, certains se laissent entraîner dans des organisations « éco-terroristes », qui peuvent aller jusqu’à s’allier à des mouvements politiques d’extrême-droite, par exemple, opposés à l’abattage rituel des moutons. Ces implications pour toute une société relèvent du renseignement. Il s’agit de savoir quels sont ces mouvements et comment ils pourraient s’en prendre aux entreprises. En outre, la cyberguerre, omniprésente, se matérialise surtout par le cybersabotage, mais pas encore par le cyberterrorisme . « Le monde des affaires n’est pas éthique, indique Éric Denécé, mais il facilite la créativité intellectuelle pour trouver des solutions ». L’espionnage économique, par intrusion dans les locaux d’une entreprise et photocopies de documents confidentiels, est plus rapide et moins cher que l’intelligence économique, mais guère créatif. En outre, il est puni par le code pénal de tous les pays. En revanche, la consultation sur internet de l’annuaire téléphonique, du « trombinoscope » et de l’organigramme d’une entreprise, complétée par une enquête par téléphone, n’a rien d’illégale. Cette méthode permet de comprendre beaucoup de choses sur elle.

Approche française. Les Grandes Ecoles françaises forment des individus, dont la carrière s’annonce brillante dès l’âge de 25 ans. Toute information remettant cette certitude en cause est mal vue, souligne Éric Denécé.  « Par nature, l’élite française sait ! ».  Or, ces élites politique, militaire et économique se caractérisent par la faiblesse de leur culture du renseignement, qu’elles confondent avec l’espionnage. « On pense que tout ce qui ne provient pas de source ouverte est de l’espionnage ».  Pourtant, depuis 1995, l’Etat déploie beaucoup d’efforts pour faire évoluer cette forme de handicap culturel, à savoir le refus du renseignement, synonyme de « coups tordus » et de manipulations. Par ailleurs, conséquence de l’héritage du « siècle des lumières », l’économie, considérée comme un champ d’action pacifique et non pas d’affrontement pour détruire les ressources d’autrui, doit reposer sur des normes. L’Etat a alors développé une logique de l’offre par la création de cycles d’études supérieures spécialisées. Il existe aujourd’hui 45 « Master II » qui forment chaque année 900 étudiants… qui trouvent difficilement un emploi ! En outre, les cabinets d’intelligence économique foisonnent en France, mais moins de 20 cumulent les expériences du renseignement et de l’entreprise. Si l’Etat agit en stratège, les entreprises, surtout petites et moyennes, constituent les gros bataillons. Or, 90 % d’entre elles pensent que l’espionnage économique constitue une « arme magique » pour conquérir les marchés, sans avoir besoin d’investir.

Culture anglo-saxonne. Commerçants par nécessité, les Britanniques se sont intéressés très tôt aux cartes et savoir-faire maritimes, terreau de leur culture du renseignement. Pendant la seconde guerre mondiale, les autorités militaires américano-britanniques ont employé des économistes pour planifier les bombardements sur l’Allemagne. Ces méthodes du renseignement technique s’appliqueront au « marketing » dans les années 1960. Par ailleurs, les « fils à papa » américains diplômés d’université, envoyés faire la guerre dans les services de renseignement, entretiendront par la suite les liens entre ce monde et celui des affaires. Puis, la mentalité historique de la conquête de l’Ouest sera transposée sur celle des marchés à dominer. La Grande-Bretagne a institué des diplômes d’intelligence économique… après 30 ans d’expérience en la matière ! Ses cabinets spécialisés emploient 200 à 300  personnes, contre 2 ou 3 par leurs concurrents français. En général, dans les pays anglo-saxons, les associations professionnelles prennent l’initiative, pas l’Etat. De  plus, les personnels politiques vont travailler dans les entreprises privées et vice-versa. « En 2013, indique Éric Denécé, il faut encore tout expliquer » aux Français, tandis que les Britanniques leur disent : « You think, we do » (vous pensez, nous faisons) !

Loïc Salmon

Sûreté : élément stratégique des entreprises internationales

Le Centre français de recherche sur le renseignement regroupe une quinzaine de chercheurs, qui analysent le renseignement à travers l’Histoire et son fonctionnement aujourd’hui. Il identifie et suit les nouvelles menaces : terrorisme, conflits, espionnage économique, criminalité internationale, cybermenaces et extrémisme politique et religieux. L’intelligence économique consiste à collecter, analyser, valoriser, diffuser et protéger l’information économique stratégique, afin de renforcer la compétitivité d’un Etat, d’une entreprise ou d’un établissement de recherche. En France, la Délégation interministérielle à l’intelligence économique a été créée par décret en 2009.




Renseignement militaire : clé de l’autonomie stratégique et de l’efficacité opérationnelle

Le caractère interarmées des besoins exprimés et des réponses à fournir rend le renseignement militaire de plus en plus complexe. Outre l’évolution permanente de ses processus de mutualisation, il doit garantir une rapidité accrue de la boucle observation, analyse, décision et action.

Telle est l’impression qu’en retire le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian (photo), à l’issue de sa visite à la Direction du renseignement militaire à Creil (banlieue parisienne) le 13 septembre 2013, visite à laquelle la presse a été conviée.

La Direction du renseignement militaire (DRM), qui dépend directement du chef d’Etat-major des armées (CEMA), collecte tout ce qui concerne les forces et systèmes de combat d’adversaires potentiels au profit des autorités politiques et militaires. Elle échange des renseignements avec les services étrangers, surtout américains. Ses effectifs se montent à environ 1.700 personnes civiles et militaires (moyenne d’âge 38 ans), dont 24 % de femmes. Les militaires se répartissent entre les armées de Terre et de l’Air, la Marine et la Direction générale de l’armement. Près de 300 personnes sont réparties dans les 9 détachements avancés de transmission pour les interceptions de télécommunications : métropole (Giens), outre-mer (Guadeloupe, Mayotte, Nouvelle-Calédonie et Polynésie française), Sénégal, Gabon, Djibouti et Emirats arabes unis. Au sein du Centre de planification et de conduite des opérations (CPCO) du ministère de la Défense à Paris, la DRM dispose d’un bureau de renseignement interarmées dénommé J2 (appellation OTAN), résultant de la fusion des anciens 2èmes Bureaux Terre, Air et Marine et du Centre d’exploitation du renseignement militaire. La base aérienne 110 de Creil abrite les organismes techniques de la DRM : Centre de formation et d’emploi relatif aux émissions électromagnétiques ; Centre de formation et d’interprétation interarmées de l’imagerie (CF3I) ; Centre interarmées de recherche et de recueil de renseignement humain ; unité interarmées Helios (satellites de reconnaissance). Le ministre s’est fait expliquer le fonctionnement du CF3I à partir de consoles de visualisation d’images satellitaires précises, enrichies de cartes et de renseignements d’origines électromagnétiques et humaines et collectés par des moyens français et alliés. Ainsi, celles de la veille stratégique sur l’Iran montrent le centre spatial de Semnan, pour la prolifération d’armement, et la centrale nucléaire de Bushehr pour la prolifération nucléaire. Celles du suivi de crise en Syrie présentent les situations sécuritaires en plein cœur des villes de Damas et d’Alep. Celle de l’appui aux opérations au Mali étudie le terrain de l’aérodrome de Gao. Une autre expose la mission de reconnaissance en Guyane française  pour la lutte contre l’orpaillage illégal. Le réseau du CF3I de Creil inclut de façon permanente : le J2 du CPCO (Paris) ; les états-majors interarmées de Guyane, Djibouti, N’Djamena (Tchad) et Naqura pour le détachement français de la Force intérimaire des Nations unies au Liban ; le Centre d’exploitation du renseignement terrestre de Lille ; le Centre de renseignement air de Lyon-Mont Verdun ; le porte-avions Charles-De-Gaulle. Les images, captées par les senseurs des nacelles de reconnaissance montées sur les Rafale, sont transmises en vol en temps ou en différé à des stations d’aide à l’interprétation des images connectées au CF3I. Ce dernier reçoit et diffuse les renseignements sur les théâtres d’opérations en cours.

Le renseignement de terrain. Système de renseignement complet, la DRM oriente les recherches, selon les besoins, vers le commandement d’un théâtre qui les répercute vers les équipes de recueil au sein des unités engagées. Les renseignements sont ensuite transmis et fusionnés avec ceux d’origine spatiale ou provenant de drones, notamment américains, en vue de leur analyse puis d’une synthèse finale réalisée sur place et qui sera diffusée vers la DRM. Spécialisé dans la recherche de renseignement d’origine humaine, le 13ème Régiment de dragons parachutistes (RDP) remplit des contrats opérationnels auprès de la DRM et du Commandement des opérations spéciales (COS), dépendant lui aussi directement du CEMA. Intégré à la Brigade des forces spéciales Terre comme le COS, le 13ème RDP projette en permanence 150 à 200 personnels sur 9 théâtres d’opérations pour la DRM et 7 théâtres pour le COS. Son nouveau chef de corps est un colonel (chuteur opérationnel) d’à peine 40 ans ! Certains sous-officiers y effectuent toute leur carrière. En effet, ce régiment pratique une logique de recherche et de développement interne pour améliorer les performances des capteurs, les intégrer à l’environnement et en concevoir de nouveaux. Ainsi, entre autres « gadgets », a été présentée une pierre en résine contenant une balise de géolocalisation…  si bien imitée (poids compris) que l’informateur qui l’a déposée chez l’adversaire ne s’est rendu compte de rien ! Une équipe d’infiltration dispose d’un véhicule tout terrain (autonomie de 1.000 km pendant plusieurs jours), équipé d’une mitrailleuse, de capteurs optiques et électroniques et de moyens de transmissions autonomes. Le traitement, sur un ordinateur portable, d’interceptions de communications concentrées sur un destinataire permet de l’identifier comme chef.

Amplifier l’effort. Dans la prochaine programmation militaire, a indiqué le ministre, « le renseignement d’intérêt militaire bénéficiera ainsi de la livraison des satellites CSO du programme Musis, de la réalisation du système satellitaire d’écoute Ceres, mais également du renforcement des moyens techniques mutualisés avec la DGSE (Direction générale du renseignement extérieur) ainsi que du renforcement des ressources humaines de l’ensemble des services ». En outre, la livraison des drones Male (moyenne altitude longue endurance) et tactiques se concrétisera. Enfin, seront également financés les nouveaux capteurs légers ISR (renseignement surveillance reconnaissance) et les programmes de capteurs électromagnétiques et optiques qui seront embarqués sur les frégates et les avions Rafale et A-400M.

Loïc Salmon

Renseignement militaire : cinq satellites français de plus

DGSE : le renseignement à l’étranger par des moyens clandestins

Le renseignement, clé pour la connaissance et l’anticipation

Un chuteur opérationnel du 13ème Régiment de dragons parachutistes (RDP) saute d’une altitude variant de 4.000 m à 10.000 m avec un inhalateur d’oxygène et emporte une charge lourde de 50 kg. En raison des missions du  13ème RDP, ses personnels effectuent des stages au Centre de formation interarmées au renseignement (CFIAR), situé à Strasbourg et dépendant de la Direction du renseignement militaire. Dans ce centre, sont notamment enseignées environ 40 langues étrangères, dont certaines rares : russe, polonais et tchèque avant la chute de l’URSS (1991), arabe depuis les années 1980, serbo-croate depuis 1990, pachtoune depuis l’engagement en Afghanistan (2001) et langues de la Corne de l’Afrique, utiles dans le cadre de la lutte contre la piraterie en océan Indien.




Armée de Terre : retour d’expérience de l’opération « Serval » au Mali

Dans son volet terrestre, l’intervention française au Mali a comporté quatre phases : course en avant pour arrêter le raid djihadiste sur Bamako ; établissement d’une tête de pont sur le fleuve Niger ; mise en place de points d’appui à Gao, Tessalit et Ménaka ; réduction des « sanctuaires » ennemis.

Le général de brigade Bernard Barrera, qui a commandé la brigade « Serval » pendant l’opération du même nom, et le colonel Pierre Esnault, chef de division au Centre de doctrine d’emploi des forces (CDEF), ont présenté un premier retour d’expérience de l’armée de Terre au Mali, le 30 septembre 2013, devant l’Association des journalistes de défense.

Les combats. Début février, après les prises de Gao et Tessalit, l’ennemi a disparu. Aucun coup de feu n’a été tiré à Tombouctou et Ménaka. Puis le 10 février, 3 combattants suicides se manifestent dans un commissariat et, le 19, la violence se déchaîne simultanément à Tessalit et dans le massif de l’Adrar. Le 21, les djihadistes attaquent les forces françaises et maliennes. Le 22, ils affrontent durement les Tchadiens (26 morts et 70 blessés) qui appliquent la tactique du « rezzou » en fonçant  sur eux avec leurs pick-up, sirènes hurlantes. Les forces spéciales aident ponctuellement en amont la brigade Serval pour la prise de points d’appui et lui fournissent des renseignements. Ensuite, la guerre d’usure commence, avec des infiltrations de djihadistes de nuit à Gao et Tombouctou. Lors des opérations « Panthère » de nettoyage, les légionnaires avancent d’environ 1 km/jour pour éviter de se trouver imbriqués dans les lignes adverses. Les djihadistes se trouvent en effet à des distances variant de 300 m … à 10 m ! Drogués, ils sont prêts à se faire tuer plutôt que de quitter leurs « sanctuaires ». Par comparaison, les talibans d’Afghanistan tirent à 800 m et préfèrent sauver leur vie. Les ordres de repli des djihadistes seront connus par les renseignements collectés par les Tchadiens, écoutes radio et petits drones. Les djihadistes du Nord parlent français et ceux du Sud le même dialecte que les Tchadiens. Début avril, tous ont été chassés des emplacements qu’ils tenaient depuis février et évitent tout combat. En outre, leurs « fantassins de base », n’étant plus payés ni commandés par l’organisation terroriste Aqmi, ont disparu. Par ailleurs, les militaires français ne s’attendaient guère à rencontrer des enfants soldats. Des villageois ont déclaré que leurs enfants leur avaient été « volés » et qu’ils risquaient d’avoir les mains coupées s’ils refusaient de les laisser partir. « Il n’y a pas d’exemple de Français qui aient tiré sur des enfants soldats », indique le général Barrera.  Des enfants, blessés par des éclats d’obus, ont pu être sauvés. Si certains servaient comme porteurs, d’autres âgés de 12-13 ans avaient reçu un entraînement militaire. Capturés, ils ont été envoyés à Bamako et remis à la Mission des Nations unies au Mali. Par ailleurs, des groupements français de perception opérationnelle, équipés de haut-parleurs, se déplaçaient le jour en première ligne pour inciter les villageois assoiffés à se rendre et, la nuit, leur transmettaient des messages. Favorable à l’intervention franco-africaine, la population renseignait sur l’adversaire et les caches de munitions. Toutefois, précise le général, il n’y a pas eu d’opération dite « d’influence » (psychologique).

Le bilan. Les pertes djihadistes se montent à environ 600 tués et 600 blessés, dont certains évacués à dos de dromadaire ou sur des mobylettes. La brigade Serval a tiré 34.000 munitions d’armes légères, 58 missiles anti-char, 753 obus d’artillerie, 80 obus de 105 m/m et 3.502 obus de 30 m/m. Elle a neutralisé 50 véhicules, 60 engins explosifs improvisés (EEI) et 20 vestes bourrées d’explosifs pour combattants suicides. Elle a découvert 150 t de munitions, provenant de stocks maliens ou libyens, de nombreux lance-roquettes anti-char (RPG), moyens de communications et GPS. Les hélicoptères français ont été pris à partie par des mitrailleuses et des RPG mais pas par des missiles sol/air, dont les djihadistes ne savaient pas se servir et qui se détériorent vite en milieu désertique s’ils ne sont pas entretenus. La chaîne logistique ennemie a été disloquée. Un « sanctuaire » conquis dans l’Adrar s’est révélé une véritable base terroriste avec des casemates pour les bombes destinées à la fabrication d’EEI, des ordinateurs et de faux passeports égyptiens et canadiens. Le Sud du Mali, où vivent des ethnies noires et arabes, constitue la plaque tournante des trafics de stupéfiants et d’êtres humains. « Les narco-trafiquants ont habillé leurs actions terroristes avec une connotation religieuse », estime le général.

Les enseignements. Sans attendre les rapports de fin de mission, le CDEF a tiré les premières leçons du succès de l’opération Serval, dont l’analyse se poursuit : entraînement spécifique de la brigade au combat interarmes et interarmées depuis 18 mois ; performance des matériels et équipements ; boucle décisionnelle courte ; rusticité et endurance de la troupe après 20 ans d’opérations extérieures ; audace et volonté du commandement. Au départ, il y avait une forte volonté politique, avec acceptation d’une campagne à risques (pertes de soldats), explique le général Barrera : il fallait libérer d’urgence le pays, détruire les « terroristes » et retrouver les otages français détenus par l’Aqmi. Après discussion entre Paris et le commandement sur le terrain, il a été décidé très vite de reprendre Tombouctou, site emblématique depuis l’explorateur français René Caillé (1799-1838), et Gao qui contrôle la boucle du Niger. Les véhicules blindés du combat d’infanterie, canons Caesar et hélicoptères Tigre ont donné toute satisfaction en matière de mobilité, puissance de feu et précision des tirs. En revanche, les véhicules de l’avant blindé, véhicules blindés légers et engins blindés de reconnaissance feu (AMX 10-RC) accusent leur âge. Des efforts restent à faire sur les matériels radio. Lors de leur passage au « sas de décompression » à Chypre, les troupes paraissaient plus éprouvées que celles de retour d’Afghanistan. Par ailleurs, de l’avis de plusieurs ministres de la Défense, si le Mali tombait, toute la bande sahélienne cédait. Enfin, conclut le général, « si l’ennemi avait gagné, il aurait mis en échec l’armée française ! »

Loïc Salmon

Mali : le massif de l’Adrar, principale zone d’opération

Mali : succès de la Mission européenne de formation et d’expertise

Armée de Terre : l’effet « Mali » sur le recrutement

Le Mali s’étend sur 1,24 Mkm2. Sa température varie entre 30° et 40° C toute l’année et sa population compte 18 ethnies différentes. L’opération « Serval » s’est déroulée dans les champs de dunes d’Araouane, la brousse du Gourma, le massif montagneux de l’Adrar des Ifoghas  et la région des grands oueds. Du 11 au 31 janvier 2013, la montée en puissance a mobilisé 2.159 hommes du dispositif de déploiement d’urgence « Guépard », venus de métropole, et 422 soldats des forces prépositionnées, dont 162 de la force « Licorne » en Côte d’Ivoire et 260 de la force « Épervier » au Tchad. En mars, Serval comptait 4.500 soldats, 206 véhicules blindés, 21 chars, 4 canons Caesar et 21 hélicoptères. Les pertes françaises s’élèvent à 6 morts : 4 au combat et 2 par engins explosifs improvisés. L’effectif sera réduit à 2.000 hommes en novembre, puis à 1.000 fin janvier 2014.




OTAN : convergence de volontés pour intervenir ensemble

Défense collective et gestion des crises selon un accord international constituent les principales missions de l’OTAN, qui doit assurer les meilleurs emplois de ses moyens pour stabiliser les théâtres d’opérations. Tel est l’avis du général d‘armée aérienne Jean-Paul Paloméros, qui s’est exprimé le 18 septembre 2013 à Paris, devant l’Association des journalistes de défense. A la tête du « Commandement suprême allié pour la transformation » de l’OTAN, il préfère parler plutôt d’Alliance Atlantique, dont l’OTAN n’est que l’organisation militaire, car les dimensions politique et militaire sont intiment liées. Il rencontre en effet les chefs d’Etat et de gouvernement, les ministres de la Défense et les chefs d’Etat-major des armées des 28 pays membres. A ces missions prioritaires, s’ajoute la « sécurité coopérative » avec des partenaires extérieurs pour apporter la paix et la sécurité dans un espace plus vaste. Toutefois, la règle d’automaticité de défense collective s’applique seulement aux membres de l’Alliance. Ainsi, l’OTAN protège la frontière commune de la Turquie, pays membre, avec la Syrie. Elle teste son niveau d’intégration et en tire les conséquences en termes de commandement, déploiement de moyens, préparation des hommes et capacités d’autres pays. « Il y a des progrès à faire », indique le général Paloméros. Quant au Mali, il souligne que la coalition a apporté des soutiens militaire, technique et politique pour l’aider à reconstruire ses capacités. Les moyens ISR (renseignement, surveillance et reconnaissance) ont fourni une bonne connaissance du théâtre pour l’engagement de forces sur le terrain. L’ISR constitue un développement majeur pour l’OTAN : de 80 à 100 projets en cours s’inspirent de retours d’expériences au Kosovo, en Afghanistan et des opérations maritimes. Ainsi, l’avion de patrouille maritime ATL2 dispose d’une capacité ISR à intégrer dans le système global. Il s’agit de déterminer les besoins dans dix ans, former les personnels et améliorer les connexions des systèmes. L’engagement capacitaire majeur de l’OTAN en matière d’ISR concerne la surveillance terrestre. Le système « Alliance Ground Surveillance » (AGS), qui sera disponible entre 2015 et 2017, comprendra cinq drones à haute altitude (18.000 m), longue endurance (36 heures) et capables d’embarquer des radars. La base de déploiement ISR et le centre de formation et d’exploitation des données seront implantés à Sigonella (Italie). Complémentaire des avions radar AWACS pour la surveillance aérienne, l’AGS donnera des renseignements tous temps sur un théâtre, avant, pendant et après une opération. Selon le général Paloméros, il faudra y ajouter une capacité satellitaire d’identification à distance et régler le problème d’intégration des drones dans le trafic aérien civil.

Loïc Salmon

Libye : bilan final de l’opération Harmattan dans le cadre OTAN

OTAN : garantie d’une vision globale en matière de défense

OTAN : sommet de Chicago




Marine nationale : permanence, Opex et police en mer

Interopérable avec les armées de Terre et de l’Air, la Marine française doit aussi assurer permanence de l’action, polyvalence des moyens, prévision et complémentarité avec les Marines alliées (Union européenne et OTAN).

Son chef d’état-major, l’amiral Bernard Rogel, l’a présentée au cours d’une rencontre organisée, le 10 juillet 2013 à Paris, par l’Association des journalistes de défense.

Un théâtre dense. La Marine doit conserver sa cohérence dans un environnement mondial avec des moyens budgétaires restreints. Le trafic commercial maritime mondial a progressé de 40 % en 10 ans, induisant des mesures accrues de sécurité, sauvegarde et protection. En outre, les navires deviennent de plus en plus grands : les derniers porte-conteneurs atteignent 18.000 EVP (400 m de long, 59 m de large et 73 m de haut). Les hydroliennes, qui récupèrent l’énergie des courants marins, constituent autant d’écueils artificiels. L’exploitation des ressources minières en mer augmente : plus de 100 projets de plates-formes ont été lancés en 2012. Enfin, la « territorialisation » de la mer a fait son apparition : certains pays côtiers augmentent la surface de leur plateau continental pour protéger leur accès aux ressources naturelles, créant de fait de nouvelles frontières maritimes. La France s’intéresse aussi à l’océan Arctique : sa Marine s’y entraîne avec les Marines canadienne et norvégienne pour conserver son savoir-faire en zone polaire.

Des missions multiples. La dissuasion, avec dorénavant un seul sous-marin nucléaire lanceur d’engins à la mer, reste la principale mission permanente de la Marine. Par ailleurs, les crises sont imprévisibles et rapides, rappelle l’amiral Rogel. La présence de bâtiments en Méditerranée orientale, dans le golfe de Guinée et en océan Indien (zones prioritaires) permet de récolter, à la mer, sur la côte et même au-delà, les renseignements indispensables à la connaissance et l’anticipation. Elle permet aussi de lutter contre la piraterie et les trafics illicites. En océan Indien, l’opération « Atalante » de lutte contre la piraterie, sous l’égide de l’Union européenne, est dirigée du Centre de Northwood (banlieue de Londres) par un amiral britannique, secondé par un amiral français. Elle porte ses fruits : le nombre d’attaques réussies est passé de 22 en 2011 à 3 au premier semestre 2013. En outre, 15 équipes de protection (5 à 10 hommes) embarquent sur des navires civils sous pavillon français, après autorisation du Premier ministre. Il s’agit de navires lents, bas sur l’eau et remorquant quelque chose : thoniers, câbliers et navires de recherche sismiques. La Marine assure 80 % des demandes. En revanche, la piraterie augmente dans le golfe de Guinée et change de forme. Ce n’est plus la prise d’un équipage en otage pour en obtenir une rançon comme en océan Indien, mais du brigandage à grande échelle. Au début, les pirates attaquaient les navires de servitude des plates-formes pétrolières offshore. Aujourd’hui, ils capturent les pétroliers eux-mêmes et les vident de leur cargaison pour la revendre. Par ailleurs, la Marine intervient également dans des opérations à l’intérieur des terres. Pendant l’opération « Serval » au Mali (2013), elle a déployé des commandos dans les forces spéciales pour l’intervention au sol et un avion radar de patrouille maritime ATL2 à long rayon d’action pour le renseignement électromagnétique et optique. En mer, l’ATL2 participe à la lutte anti-sous-marine et à la recherche et au sauvetage d’équipages. L’opération « Harmattan » en Libye (2011) a mobilisé 27 bâtiments : sous-marins nucléaires d’attaque (SNA), frégates, porte-avions, bâtiments de projection et de commandement et chasseurs de mines. L’opération « Baliste » au Liban (2006-2008) avait porté sur l’évacuation de 13.000 ressortissants français et européens. Depuis 2013, des chasseurs de mines sécurisent les routes du pétrole en océan Indien. En outre, la Marine assure l’action de l’Etat en mer. En 2012, elle a contrôlé 9.500 navires civils dont 43 ont été déroutés, dressé 333 procès-verbaux, arrêté 135 passeurs d’immigrants illégaux, sauvé 200 personnes en mer et procédé à 2000 déminages (bombes, torpilles et munitions de la deuxième guerre mondiale). La protection des pêches dans les zones économiques exclusives nécessite une surveillance régulière. La lutte contre le narcotrafic (13 t de drogues saisies en 2 ans, surtout dans les Caraïbes) devient une véritable opération militaire avec un ATL2, une frégate et des commandos.

Un futur complexe. Selon l’amiral Rogel, la conception de la Marine de demain prend en compte deux impératifs : les missions et le temps. Il faudra défendre les frontières pour garantir la souveraineté de l’Etat, alors que des flux croissants de biens, de personnes et de données (cyberdéfense) traversent les frontières en toute liberté. Or, le temps se comprime de plus en plus. A l’époque de la « blogosphère » et des réseaux sociaux, l’information va vite, la réaction politique aussi et le préavis de l’intervention militaire raccourcit : la montée en puissance n’a pris que quelques heures pour les interventions en Libye et au Mali. Il faut donc se prépositionner au plus près et assurer une préparation opérationnelle permanente. Compte tenu du resserrement de son budget, la Marine devra pouvoir se maintenir sur 1 ou 2 théâtres extérieurs, au lieu de 3 auparavant, avec 15 ATL2 modernisés et 40 avions de la chasse embarquée. La coopération avec la Grande-Bretagne  prévoit une force expéditionnaire commune avec 1 porte-avions (français ou britannique), 1 bâtiment amphibie, 1 escorte binationale et 1 état-major binational vers 2020. Les drones à voilure tournante, qui élargissent le périmètre de connaissance autour du bâtiment sans risque de pertes humaines, équiperont les frégates de haute mer dépourvues de plate-forme pour hélicoptère. L’amiral Rogel exclut l’externalisation du sauvetage en mer, qui nécessite des hélicoptères lourds (type Caïman) capables d’intervenir loin, de nuit et par mauvais temps et de rester longtemps en « stationnaire ». Enfin, l’arrivée des missiles de croisière navals à bord des frégates multi-missions (FREMM) et des SNA permettra des frappes dans la profondeur. « On peut les déployer dans une zone de crise, sans augmenter le niveau de crise », conclut l’amiral.

Loïc Salmon

La sécurisation des océans : un impératif mondial

L’appropriation des mers

Marine et Diplomatie

 

La Marine déploie 5.000-7.000 personnels à la mer sur un effectif d’environ 30.000 hommes et femmes. La Loi de programmation militaire en cours (2009-2014) lui a supprimé 6.000 postes. Le Livre Blanc 2013 sur la défense et la sécurité nationale prévoit une enveloppe globale, toutes armées confondues, de 24.000 suppressions d’emplois supplémentaires. La Marine devra donc procéder à une nouvelle déflation d’effectifs, encore à déterminer, tout en fidélisant ses spécialistes de haut niveau (aéronautique et nucléaire).

 




Marine : obligation permanente d’innover pour rester performante

Les bâtiments de combat doivent allier fiabilité, polyvalence, autonomie et durée dans un environnement difficile. Capacité d’inventions et aptitude à les transformer en innovations assurent la puissance d’une nation maritime.

L’innovation permanente a fait l’objet d’un colloque organisé, le 27 juin 2013 à Paris, par le Centre d’études supérieures de la marine. Y ont notamment participé : l’ingénieur en chef Christian Dugué, responsable du pôle « Architecture et techniques des systèmes navals » à la Direction générale de l’armement (DGA) ; l’ingénieur en chef de l’armement Frédéric Petit, officier correspondant d’état-major pour les études, état-major de la Marine.

Les technologies clés. Pour construire des « plates-formes » (navires de surface et sous-marins), les chantiers navals doivent d’abord maîtriser la métallurgie, la soudure et la peinture, rappelle l’ingénieur en chef Dugué. La durée des plates-formes s’allonge : la frégate De-Grasse a parcouru un million de milles marins (1,8 Mkm) en 37 ans de service et le porte-avions à propulsion nucléaire américain Enterprise a vécu 55 ans ! Les innovations ne créent pas de nouvelles capacités mais remplacent des solutions existantes, notamment dans la propulsion et le stockage d’énergie. Environ 500 personnes, identifiées une par une, travaillent sur 11 plates-formes à propulsion nucléaire (10 sous-marins et 1 porte-avions). Cette innovation dans la propulsion, essentielle pour la dissuasion, a modifié les performances d’un porte-avions. Le retour d’expérience (retex) du Charles-de-Gaulle sur 12 ans permet d’estimer qu’il aura parcouru dans sa vie une distance trois à quatre fois supérieure à celle d’un porte-avions classique et en envoyant plus d’avions en l’air. Il n’a pas besoin de pétrolier-ravitailleur et ravitaille lui-même son escorte. Sa vitesse sert au catapultage des avions et à son déploiement opérationnel. En général, un bâtiment de surface utilise relativement peu ses armes, mais beaucoup ses senseurs et moyens de communications. Le retex de l’opération « Harmattan » en Libye (2011) a identifié le besoin d’optimiser l’exploitation des données multimédias dans la conduite des opérations. Le démonstrateur Evitac (Exploitation des vidéos tactiques), en cours d’expérimentation par la DGA, reçoit, sur une table tactile, des vidéos de plusieurs drones, des forces spéciales et des caméras de conduite de tir. Il permet de partager en temps réel une vision tactique commune avec le centre de commandement opérationnel, qui reçoit également des informations du Rifan (Réseau intranet des forces aéronavales). La prise de décision par le chef opérationnel au cours de l’action en est facilitée.  Déjà, l’équipage de la nouvelle frégate mutimissions (FREMM) a été limité à 94 personnes au lieu de 153 sur une frégate de type La Fayette. L’équipe de plate-forme a été considérablement réduite, grâce à une intégration poussée des équipements. Mais, elle reste en charge de la sécurité (accidents et incendie) et de la sûreté (actes de malveillance). Les informations sur l’état du navire remontent vers elle, afin qu’elle ne se déplace qu’en cas de problème avéré. En revanche, l’équipe du système de combat reste stable et même s’accroît en raison de l’augmentation du nombre d’armes, de systèmes et de missions.

« L’évolutivité ». Comment se produit l’innovation ? Au départ, « quelqu’un a eu une vision et des gens ont pris des risques », explique Christian Dugué. Il y a eu « un contexte un peu particulier et un peu de chance peut-être ». Certaines conditions favorisent l’innovation de technologies clés. Or, ces équipements deviendront obsolètes avant la fin de vie de la plate-forme. Il faudra donc intégrer les innovations « sans casser et refaire la moitié du bateau ». Cela implique d’éviter toute impasse, de ne pas fermer des possibilités, de traiter les interfaces entre équipements dès l’origine et de prévoir quelques marges, car la charge utile de demain est mal connue aujourd’hui. Selon l’ingénieur en chef Dugué, les systèmes de combat deviennent plus complexes avec davantage de communications, de radars et de guerre électronique. Lors des opérations amphibies, la robotique du système de lutte anti-mines futur (SLAMF) évitera de pénétrer dans les zones dangereuses. La DGA a déjà notifié un contrat à DCNS, Thales et ECA pour développer un démonstrateur du SLMAF, qui succédera aux actuels chasseurs de mines. Il s’agit d’un drone de surface autonome en forme de catamaran (USV), de 17 m de long. Un « navire mère » (1.000-2.000 t de déplacement et 100 m de long) pourra en transporter 2 ou 3. Chaque USV remorquera des sonars et une drague et emportera des véhicules sous-marins téléguidés pour la détection, la classification, l’identification et la neutralisation de la menace mine. Dans l’ensemble, les réflexions en cours portent sur l’amélioration de la fonction « tenue de situation » et la réduction de la charge des opérateurs (pas de double saisie d’informations et automatisation des processus simples), en vue d’une « évolutivité » accrue et de l’uniformisation de la solution pour l’ensemble des bâtiments. « Il y a des possibilités informatiques formidables, mais il faut maîtriser le génie logiciel ».

La Marine de 2030. Par suite des contraintes budgétaires, les matériels en service seront prolongés et les programmes étalés. L’innovation technologique se mettra au service de la robustesse des bâtiments, qui disposeront de moins en moins de points d’appui stratégiques, indique l’ingénieur en chef de l’armement Frédéric Petit. Les axes d’effort porteront sur : les capacités de veille, détection et poursuite en surface ; les moyens de guerre électronique ; la protection des systèmes de combat contre la cybermenace ; la détection sous-marine et la discrétion des bâtiments ; la lutte contre les menaces asymétriques ; les missiles à longue portée ; les armements de précision à létalité contrôlée (laser, micro-ondes à forte puissance et artillerie électrique) ; les drones de combat et missiles supersoniques antinavires pour la haute intensité. Les équipements, performants même en conditions dégradées, résulteront d’un double compromis : complexité et intégration à l’ensemble de la plate-forme ; rusticité et simplicité d’apprentissage et d’utilisation par l’opérateur.

Loïc Salmon

Marine : des capacités à la hauteur des enjeux stratégiques

Euronaval 2012 : défis maritime et industriel

Le sous-marin nucléaire d’attaque : aller loin et durer

La puissance accrue des ordinateurs permet de calculer l’adaptation des coques et de les rendre opérationnelles dans les environnements marins les plus sévères, d’améliorer la survie au combat, de placer au mieux à bord les éléments du système de combat et de perfectionner les modes de propulsion. En outre, le bâtiment de combat concentre de multiples liaisons de communications sur une plate-forme exigüe. Parmi les 15 premières nations maritimes du monde, les Etats-Unis arrivent en tête avec un tonnage de 2,9 Mt, devant la Russie (1,1 Mt), la Chine (788.870 t), la Grande-Bretagne (470.000 t), le Japon  (432.000 t), la France (307.000 t), l’Inde (240.000 t), l’Italie (143.000 t), l’Allemagne (133.450 t), la Turquie (108.730 t), Taïwan (105.200 t), le Brésil (101.300 t), la Corée du Sud (89.000 t), le Canada (80.000 t) et la Grèce (79.800 t).




Mali : succès de la Mission européenne de formation et d’expertise

La Mission européenne d’entraînement au Mali (EUTM Mali), qui répond aux attentes des autorités maliennes, constitue un laboratoire pour la politique de sécurité et de défense commune de l’Union européenne.

Telle est l’opinion de son chef, le général de brigade Bruno Guibert, qui a présenté la situation à mi-mandat à la presse le 29 août 2013 à Paris.

Réactivité et adaptabilité. L’Union européenne (UE) a manifesté une réactivité certaine : la formation sur le terrain a commencé moins de trois mois après la prise de décision. L’EUTM Mali, constituée en janvier 2013, a investi 13 M€ dans la rénovation du camp d’entraînement de Koulikoro. Elle compte 560 personnels de 23 pays, dont 120 Français. Ses missions de formation et d’expertise/conseil visent à aider à la reconstruction complète de l’armée malienne. Chacune des 15 nations participant à la formation des unités combattantes assure seule la responsabilité de l’instruction d’une spécialité où son excellence est reconnue. Il y a 200 instructeurs en tout. Cela entraîne une plus-value sur le plan opérationnel et permet une répartition des efforts entre toutes les nations participantes. L’entraînement de quatre bataillons maliens avec des hommes déjà engagés sur le terrain concerne toutes les spécialités, mais aussi l’exercice de l’autorité, condition essentielle pour que l’armée malienne reprenne confiance en elle. Il inclut le droit humanitaire, des règles de comportement, l’adaptation au contexte et la formation globale tactique.

L’approche française, explique le général, différente de l’américaine, consiste à prendre en compte un bataillon complet, du soldat au chef, pour maintenir sa cohérence et améliorer sa capacité opérationnelle. Le chef malien, en situation, donne des ordres à ses hommes, renforçant ainsi sa confiance en lui et celle qu’il leur inspire (leadership). « Nous, nous donnons des conseils », souligne le général. Cette formation dure 11 semaines, fait considéré comme exceptionnel à l’échelle de l’armée malienne. « Ça marche ! Ce sont des soldats qui parlent à d’autres soldats, il n’y a pas de divergences ». Ensuite, l’EUTM Mali apporte son expertise et ses conseils dans la construction d’une chaîne de commandement opérationnelle malienne.

Résultats et perspectives. Six mois après le lancement de l’EUTM Mali, le premier bataillon formé a été déployé dans le Nord du pays et le deuxième achève son entraînement. Le troisième commencera sa formation le 30 septembre. Le quatrième fera de même début janvier 2014. Un détachement d’assistance opérationnelle d’une vingtaine de militaires français accompagne les bataillons maliens déployés sur le terrain. Les résultats sont encourageants, estime le général Guibert, qui a constaté une adhésion enthousiaste des militaires maliens, qui font des efforts significatifs.

Un audit sévère avait été réalisé auparavant sur l’armée malienne, dont la défaite contre les djihadistes en janvier 2013 avait entraîné le déclenchement de l’opération « Serval » par les forces françaises. Pourtant, le président malien par intérim Dioncounda Traoré avait promu général de corps d’armée le capitaine Amadou Sanogo, responsable du coup d’Etat de mars 2012, et lui avait confié la direction d’un Comité militaire de suivi de la réforme des forces de défense et de sécurité. Toutefois, le 28 août, le gouvernement intérimaire a abrogé la nomination du général Sanogo, à la suite de la victoire d’Ibrahim Boubacar Keita à l’élection présidentielle du 11 août. Le général Sanogo avait proposé des recommandations… qui ne seront guère prises en considération. En effet, le général Guibert a souligné qu’il ne traite qu’avec les autorités légales. Le nouveau président Ibrahim Keita entend poursuivre ce qui a été entrepris avec l’ONU, l’UE et la France. Il s’agit de pérenniser les acquis, renforcer l’action de formation et restructurer l’armée. Le détachement de liaison et d’expertise (ALTF en anglais) regroupe une équipe pluridisciplinaire d’une vingtaine de conseillers militaires dans les domaines du cadre général de la défense, du commandement et de la préparation opérationnels, du soutien logistique et des ressources humaines. L’ALTF assiste également les états-majors de l’armée malienne dans la rédaction des textes fondamentaux. Une loi de programmation militaire (2014-2018), élaborée par l’EUTM Mali à la demande des autorités intérimaires maliennes, sera présentée au président Keita, puis validée par la prochaine Assemblée nationale. D’autres pays européens peuvent encore compléter l’EUTM Mali, qui bénéficie déjà du savoir-faire des nations participantes et dont la mission s’inscrit dans l’approche globale de l’UE au Sahel. A cet effet, le général Guibert doit se rendre à Bruxelles et aussi à Vilnius (Lituanie), lors de la réunion informelle des ministres de la défense de l’UE (6 septembre).

Sécurisation. Selon l’Etat-major des armées, les djihadistes se sont repliés vers le Nord. Une opération de sécurisation, dénommée « Anaconda 2 », a été lancée dans le Nord du Mali et consiste à reconnaître les axes et contrôler la zone. La phase 1, menée au Nord de la ville de Gao du 13 au 25 août, a mobilisé 160 personnels du Groupement tactique interarmes « Désert », des hélicoptères, un appui aérien, des moyens de renseignement et des gendarmes, dont 3 Maliens. Grâce aux renseignements d’opportunité fournis par la population elle-même, de l’armement, des munitions, grenades, explosifs et détonateurs ont été saisis dans des caches anciennes. La phase 2, menée au Sud d’Almoustarat du 27 août au 2 septembre, a mobilisé 170 personnels français, surtout de l’infanterie, et 2 gendarmes  maliens. Elle avait pour objectifs de marquer la présence de Serval de façon imprévisible dans des endroits déjà inspectés et de  détruire la présence et la structure des djihadistes. Ces opérations de sécurisation visent à faire pression sur leurs capacités logistiques, afin d’éviter qu’ils reprennent pied dans la boucle du Niger.

Loïc Salmon

Mali : la boucle du Niger contrôlée en 48 h par les forces franco-africaines

Mali : l’opération Serval va baisser en puissance à partir d’avril

Armée de Terre : l’effet « Mali » sur le recrutement

Le dispositif « Serval » et la Mission des Nations unies pour la      stabilisation du Mali (MINUSMA) assurent la sécurité de la Mission européenne d’entraînement au Mali. Selon l’Etat-major français des armées, « Serval » va passer de 3.200 hommes début septembre à 1.000 hommes cet hiver. Ses moyens aériens se composent de : 6 Rafale et 3 Mirage 2000D pour les frappes ; 1 avion de reconnaissance ATL2 et des drones pour le renseignement ; 1 avion ravitailleur C-135 ; 1 C-160 Transall, 1 C-130 Hercules et 1 Casa CN 235 pour le transport tactique. Les forces françaises sont réparties entre les villes de Bamako, Gao et Kidal ainsi que le massif de l’Adrar-Tessalit. Les forces africaines déployées dans le pays comprennent 8 bataillons maliens et des unités de la MINUSMA (Burkina-Faso, Ghana, Bénin, Tchad, Sénégal, Niger et Togo). Elles sont accompagnées de détachements français de liaison et d’appui.




Sénat : vers une défense européenne

L’Union européenne dispose d’« outils » de défense, mais pas d’instance d’arbitrage capable de prendre des décisions dans l’intérêt commun, estime un rapport sénatorial rédigé dans la perspective du sommet des chefs d’Etat et de gouvernement (Conseil européen) de décembre 2013 consacré à la défense.

Ce rapport d’information, intitulé « Pour en finir avec l’Europe de la défense, vers une défense européenne », a été présenté à la presse, le 3 juillet 2013 à Paris, par les sénateurs Daniel Reiner, Jacques Gautier, André Vallini et Xavier Pintat, co-présidents d’un groupe de travail de la Commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées. Le président de celle-ci, Jean-Louis Carrère, a indiqué qu’elle se veut « une force de proposition et d’action » avec pour objectif de « faire prévaloir le souci de l’intérêt supérieur de la République en matière de diplomatie et de défense ».

Nouvelle donne stratégique. Par suite de la crise économique et financière, indique le rapport, tous les membres de l’Union européenne (UE), sauf la Pologne, ont réduit leur budget de défense. La Grande-Bretagne y consacre 2 % (hors pensions) de son produit intérieur brut, la France 1,54 %, l’Allemagne 1,1 % et 14 autres moins de 1 %. Les capacités militaires et le format des armées ont diminué. Ainsi, les dépenses d’équipement représentent plus de 30 % du budget de défense en France, mais 21 % en Allemagne, 11 % en Italie et 8 % en Espagne. La Grande-Bretagne a renoncé à maintenir ses moyens aériens de patrouille maritime. Les Pays-Bas ont abandonné l’arme blindée. La Suède reconnaît ne pouvoir résister à une attaque simultanée sur deux fronts. Aucun pays européen n’est capable de financer seul un grand programme aéronautique. L’avion de combat Eurofighter coûtera 175 Md$ pour 472 appareils, contre 27,3 Md$ pour l’avion de transport tactique A-400M (173 appareils). Faute de travailler ensemble, les pays européens ont raté le tournant des drones MALE (moyenne altitude longue endurance) de surveillance, en partie celui des drones tactiques et s’intéressent avec beaucoup de retard au drone de combat (démonstrateur européen Neuron). L’Europe militaire spatiale ne dispose d’aucune capacité autonome d’alerte avancée depuis la désorbitation du démonstrateur français « Spirale ». Par ailleurs, les industries européennes de défense devront bientôt affronter une concurrence accrue des entreprises américaines d’armement. En effet, les Etats-Unis comptent diminuer leur budget militaire de 1.000 Md$ sur les 10 prochaines années. Echaudés par leurs interventions en Irak et en Afghanistan, ils sont moins enclins aux expéditions lointaines. Enfin, leur centre d’intérêt stratégique est passé du continent européen à l’Asie-Pacifique. Parallèlement, le monde réarme. Entre 2001 et 2011, les dépenses de défense des BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine) sont passées de 8 % des dépenses militaires mondiales à 13,5 %. Avec 5,5 % à elle seule, la Chine a dépassé tous les pays européens. Le Japon dépense autant que la France (3,6 %). L’Arabie saoudite (2,9 %) a dépassé l’Allemagne (2,7 %). En 2015, le budget de défense de la Chine devrait dépasser le total cumulé des 8 principaux pays européens.

Constat d’échec. Le groupe de travail constate l’absence de grand programme industriel européen depuis celui de l’A-400 M en 2003. Le projet de fusion des groupes franco-allemand EADS et britannique BAE s’est brisé sur l’intérêt des Etats. Sur le plan opérationnel, l’UE a manqué les rendez-vous des Balkans (1999), de la Libye (2011) et du Mali (2013), faute de capacité militaire autonome et de volonté politique en direction de la défense européenne. Le rapport explique ce blocage d’abord par l’absence de menaces manifestes incitant les Etats membres à s’unir. Ensuite, l’articulation entre l’OTAN et l’UE fonctionne mal. Les Etats-Unis assurent 75 % du financement de l’OTAN, alors que 10 pays de l’UE n’en fournissent même pas 1% des capacités. Autre faiblesse de l’UE, son Agence européenne de défense (AED) ne fonctionne que par consensus, permettant éventuellement à certains pays de bloquer un projet industriel. Enfin, souligne le rapport, la méthode progressive de l’UE en matière de défense et de sécurité n’avance pas, faute de « continuum » entre « l’Europe de la défense » intergouvernementale et la « défense européenne » d’essence fédérale (voir schéma). Première puissance économique mondiale avec 500 millions d’habitants, l’UE consacre 175 Md€ par an à la défense et mobilise 1,5 million de personnels. Mais, souligne le rapport, l’efficacité de ces dépenses est annihilée par les duplications des équipements et la dispersion des projets entre les 28 Etats membres.

Propositions concrètes. Selon l’AED, la mutualisation des efforts permettrait des économies de 1,8 Md€ dans le domaine spatial, 2,3 Md€ sur les bâtiments de surface et 5,5 Md€ sur les véhicules blindés sur les 10 prochaines années. En conséquence, le rapport préconise la fusion de l’AED et de l’OCCAR (Organisation conjointe de coopération en matière d’armement) en une Agence européenne de l’armement avec décision à la majorité qualifiée pour déterminer les besoins et combler les lacunes : ravitaillement en vol ; formation commune des pilotes et mécaniciens de l’A-400M ; programme de drones MALE pour 2025 ; base industrielle de cyberdéfense ; filière optronique (instruments d’observation à distance). Actuellement, toutes les plates-formes de renseignement, surveillance et reconnaissance dépendent d’équipements américains ou israéliens. Par ailleurs, une stratégie maritime d’ensemble faciliterait la lutte contre les trafics illicites et la surveillance commune des routes maritimes vitales. Cela passe par la mutualisation des moyens de surveillance des approches maritimes et l’harmonisation de la fonction garde-côtes. Enfin, le groupe de travail souhaite la création d’un quartier général à Bruxelles pour la planification et la conduite des opérations militaires (seule la Grande-Bretagne s’y oppose) et un rapprochement des règles d’engagement du feu en opérations extérieures sous l’égide de l’UE ou de l’OTAN.

Loïc Salmon

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Le rapport d’information sur l’Europe de la défense a été réalisé en 6 mois par 10 sénateurs de la majorité et de l’opposition. En France, ils ont entendu 18 personnalités civiles et militaires. Parmi les civils figurent : Hubert Védrine, ancien ministre des Affaires étrangères ; Pierre Vimont, secrétaire général du Service européen pour l’action extérieure ; Claude-France Arnould, directrice de l’Agence européenne de défense ; Louis Gautier, membre de la commission du Livre blanc 2013 sur la défense et la sécurité nationale. Parmi les militaires figurent : l’amiral Edouard Guillaud, chef d’Etat-major des armées  (CEMA); Laurent Collet-Billon, délégué général pour l’armement ; le général d’armée (2S) Henri Bentégeat, ex-CEMA et ancien président du comité militaire de l’UE ; le général d’armée aérienne (2S) Stéphane Abrial, ancien commandant suprême chargé de la transformation à l’OTAN. Enfin, le groupe de travail s’est rendu à Berlin, Bruxelles et Londres.