Les cavaleries de l’Histoire

Les expéditions coloniales en Afrique du Nord au XIXème siècle ont conduit l’armée française à constituer des haras militaires, fournisseurs de chevaux de guerre très résistants et destinés à une cavalerie adaptée : les « spahis ».

Deux documentaires de l’Établissement de communication et de production audiovisuelle de la défense (ECPAD) retracent l’histoire et les traditions de ces « hommes libres à cheval ». Le premier, intitulé « Spahis, une vie à part », raconte, avec de nombreuses, illustrations, images et films d’archives, la saga de ces cavaliers, d’abord au service de l’Empire Ottoman jusqu’à la prise d’Alger (1830), puis de la France jusqu’à la fin de la guerre d’Algérie (1962). La première unité de cavalerie légère prend corps en 1834 sous l’impulsion du futur général Yusuf (1808-1864), né Joseph Valentini, enlevé  tout enfant par des corsaires et vendu au Bey de Tunis. Les spahis sont reconnaissables à leur « burnous », rouge pour les tribus nomades d’Algérie, puis bleu (signe de notabilité) pour celles du Maroc avec l’intérieur blanc. Le burnous tient chaud la nuit et conserve, pendant la journée, la fraîcheur emmagasinée la nuit. Le fanion de l’unité, symbole de commandement, est orné d’une queue de cheval pour permettre de voir partout le chef. Rapidement intégrés à l’armée régulière, les régiments de spahis sont formés à la guerre de surprise et aux coups de mains. Le futur maréchal Lyautey (1854-1934) les emploie pour pacifier la frontière algéro-marocaine, théâtre de razzias de tribus pillardes. La pacification du Maroc (1903-1912) se réalise selon ses  trois principes : montrer sa force militaire, mais ne l’utiliser qu’en cas de nécessité ; inspirer confiance aux grands chefs arabes ; restaurer la puissance temporaire et spirituelle du sultan… qui abandonnera ses pouvoirs exécutifs au résident français. Dans les territoires français d’Afrique du Nord (colonie d’Algérie et protectorats de Tunisie et du Maroc), les spahis jouent un rôle militaire et politique par l’enracinement local et le maintien du contact avec les populations. En 1914, les conscrits algériens sont mobilisés, mais les Tunisiens et Marocains ne s’engagent que sur la base du volontariat. Tous s’illustrent, notamment à Verdun et sur le front d’Orient (Bulgarie, Serbie et Roumanie). En 1943, les combattants musulmans intègrent l’Armée d’Afrique. L’année suivante, un spahi de la 2ème Division blindée réalise le serment de Koufrah (Libye) et accroche le drapeau français à la flèche de la cathédrale de Strasbourg. Aujourd’hui, il ne reste plus que le 1er Régiment de spahis, installé à Valence et fier de son passé africain dont il conserve le burnous et la large ceinture rouge, par dessus la tenue camouflée. Le second documentaire présente les chevaux « barbes », mot dérivé de « berbère », nom des ethnies d’Afrique du Nord. Leur rusticité, docilité et endurance ont permis à la cavalerie du général carthaginois Hannibal (247-181 avant JC) d’arriver jusqu’aux portes de Rome… après avoir franchi les Pyrénées et les Alpes ! Après la conquête de l’Algérie, l’armée française les déploie en Crimée (1853-1856) et au Mexique (1861-1867). Pendant la guerre d’Algérie, elle les réutilise dans le Sud pour la surveillance et la protection de caravanes de chameaux qui traversent le Sahara.

Loïc Salmon

« Les cavaleries de l’Histoire », deux documentaires de l’ ECPAD, agence d’images de la défense : « Spahis, une vie à part », 52 mn ; « Le cheval barbe, une indéfectible alliance », 26 mn.

Boutique : www.ecpad.fr/boutique.ecpad.fr/prestations.ecpad.fr




Renseignement : hommes et moyens techniques pendant la première guerre mondiale

Le renseignement a connu des innovations majeures pendant la Grande Guerre en France : humaines, technologiques (transmissions, cryptage, écoutes et interceptions) et en matière de photographie aérienne. Mais l’excès du secret aura de graves conséquences en 1939.

Un colloque sur l’espionnage et le renseignement pendant la première guerre mondiale a été organisé, le 26 novembre 2014 à Paris, par l’Académie du renseignement, l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire et la Direction de la mémoire, du patrimoine et des archives. Y ont notamment participé : le lieutenant-colonel Olivier Lahaie ; Agathe Couderc, universitaire ; Marie-Catherine Villatoux du Service historique de la défense.

Les sources humaines. L’observation du champ de bataille et l’interrogatoire des prisonniers constituent la base du recueil de renseignement. S’y ajoute l’espionnage, consistant à glaner des renseignements sous un faux prétexte. Dès le déclenchement de la guerre, tout espion démasqué est fusillé. En outre, l’image de l’espion est déplorable auprès de l’opinion publique, depuis l’affaire Dreyfus (1899), et du combattant du front, qui le considère comme un « embusqué ». Celle des femmes l’est tout autant au sein des services de renseignement, qui recommandent de s’en méfier. La misogynie virulente de l’époque invoque l’incapacité des femmes à garder un secret, leur vénalité et l’emploi de leurs charmes pour arriver à leurs fins. Contrairement à leurs homologues allemands et anglo-saxons, les agents français ne reçoivent presque pas de formation scientifique. Ceux du 2ème Bureau militaire apprennent un peu l’allemand, l’emploi de l’encre sympathique, la pyrotechnie, le combat rapproché et l’identification des uniformes et insignes des armées ennemies. Toutefois, des évolutions se produisent au cours de la guerre. Le renseignement englobe les champs militaire, économique et de l’influence. Le terme « agent de renseignement » remplace celui « d’espion », qui qualifie désormais un Français au service de l’ennemi, donc un traître. Les agents, permanents ou occasionnels, font alors l’objet d’une typologie fine. La catégorie des « volontaires » et actifs regroupe : les « vénaux », motivés par l’argent et considérés comme dangereux ; les « exaltés », tout aussi dangereux car incontrôlables à cause de leur goût du risque ; les « rancuniers » sans peur, mais imprudents par esprit de vengeance ; les « idéologues » et les « patriotes », prêts à donner leur vie sans trahir, car conscients de leur devoir et des risques encourus. La catégorie des « forcés » et passifs  rassemble : les « inconscients », victimes de leurs indiscrétions verbales ou écrites et de leurs confidences « sur l’oreiller » ; les « conscients », soumis au chantage ou à une menace quelconque ; les prisonniers de guerre ou de droit commun acceptant de parler ou d’espionner en échange d’une remise de peine. Ces agents peuvent être : « mobiles » envoyés en mission à l’étranger ; « fixes » résidant sur un territoire neutre ou ennemi ; « simples » ne servant qu’un camp ; « doubles » par vénalité ou chantage ; de « pénétration » pour faire passer de fausses informations à l’ennemi et influencer ses décisions ; « contre-espion » pour détecter les agents ennemis. Ces agents reçoivent de faux papiers d’identité et des appareils photos miniaturisés faciles à dissimuler.

L’électronique et le cryptage. Le renseignement technique s’obtient par interceptions et écoutes des transmissions ennemies, recoupées par radiogoniométrie pour repérer l’émetteur. Les transmissions s’effectuent par télégraphe filaire ou optique, TSF, relais de la Tour Eiffel, téléphone et messages écrits acheminés par pigeons voyageurs. Après les tâtonnements de 1914-1915, le  commandement français reconnaît l’importance du renseignement technique dans l’élaboration du renseignement stratégique. Le 2ème Bureau entreprend une écoute permanente des communications pour localiser les troupes ennemies. Les services du génie et de la radiotélégraphie mobilisent ainsi 12.000 hommes sur le front. A Verdun, le renseignement technique complète les rapports des patrouilles d’observation et les interrogatoires de prisonniers allemands. En 1918, il permet de déterminer les lieux de déclenchement des attaques futures, d’évaluer le moral des soldats allemands et d’anticiper la capitulation du IIème Reich. Son existence même suscite le besoin de développer le cryptage, dénommé « chiffre ». Peu nombreux en 1914, les effectifs du chiffre atteignent 55.000 hommes en 1918. La même année, les échanges d’informations se produisent entre les services de renseignement, du génie, de la Marine nationale et du chiffre de la TSF, début d’une restructuration du renseignement technique en temps de guerre. Un secret total sur les écoutes décryptées est imposé pour éviter que les Allemands ne s’en aperçoivent et changent leurs codes. L’interdiction d’en parler sera maintenue chez les officiers et sous-officiers de réserve, démobilisés, et les personnels d’active, affectés dans d’autres unités. Faute de cette mémoire, le 2ème Bureau se retrouvera, en 1939, dans la même situation qu’en 1914 !

La photographie aérienne. La reconnaissance aérienne met en œuvre avions, dirigeables et…ballons captifs à 2-5 km du front et 1.500-2.000 m d’altitude ! Les observateurs embarqués prennent des photos et renseignent par radio sur les mouvements de troupes et les tirs d’artillerie (bataille de la Marne). La guerre de positions va renforcer l’importance de la photo : mises à jour des cartes vieilles de 50 ans ; prises de vues stéréoscopiques ; rôle décisif des interprétateurs. Le général Joffre et le colonel Barès réorganisent l’aviation militaire : reconnaissance stratégique à haute altitude à l’intérieur du dispositif ennemi (40 km) ; observation tactique à basse altitude (150 m) …qui rendra le camouflage indispensable ! Lors des offensives de 1918, l’ingénieur Paul-Louis Weiller crée une escadrille de biplans Bréguet XIV pour le renseignement stratégique dans la profondeur (100 km), intégrant la photo aérienne dans la manœuvre. Celle-ci permet de frapper l’ennemi là où il ne s’attend pas et de corriger les bombardements. Le nombre de photos aériennes est passé de 40.000 en 1914 à 1 million  en 1918. Les photographes et interprétateurs sont astreints au secret absolu, de sorte que, par ignorance, les chefs militaires de 1939 estimeront impossible le renseignement aérien dans la profondeur. Les 250 techniciens survivants pourront en parler en 1970 !

Loïc Salmon

Renseignement militaire : clé de l’autonomie stratégique et de l’efficacité opérationnelle

Renseignement aérospatial : complémentarité entre drones et aéronefs légers ISR

Renseignement militaire : cinq satellites français de plus

Les performances des télécommunications sont équivalentes dans les deux camps. Les dirigeables allemands ont pu effectuer des bombardements jusqu’à Londres, de nuit par guidage radio. Mais les Britanniques ont développé des contre-mesures électroniques pour les égarer. Les belligérants ont adapté des technologies déjà existantes pour les utiliser au front : radio, avion et photographie. Trois appareils à distances focales différentes sont utilisés pour les prises de vues aériennes avec des plaques de verre de 6-7 kg. Il faut 2 h pour développer une photo dans un camion.




ALAT : forte qualification et uniquement de l’opérationnel

L’Aviation légère de l’armée de terre (ALAT) correspond aux besoins existants et montre son efficacité sur les théâtres d’opérations. Mais son quotidien demeure complexe avec un risque de rupture de capacité.

Son commandant, le général de division Olivier Gourlez de La Motte, a présenté la situation au cours d’une rencontre organisée, le 9 janvier 2015 à Paris, par l’Association des journalistes de défense.

Structure et entraînement. L’ALAT est employée pour les opérations spéciales, l’aérocombat et le Groupe interarmées d’hélicoptères (GIH). Son parc d’hélicoptères, actuellement de 300 appareils, se limitera à terme à 273, conformément au Livre blanc 2013 sur la défense et la sécurité nationale. Son effectif de 5.000 personnes (pilotes, mécaniciens et personnels d’environnement) représente moins de 5 % de celui de l’armée de Terre. Le tout se répartit dans 4 régiments, dont 3 dits de forces conventionnelles (les 1er, 2ème et 3ème) dépendent de la Division aéromobile installée à Lille. Le 4ème, basé à Pau, relève du Commandement des opérations spéciales, dont il transporte et appuie les forces sur n’importe quel théâtre d’opérations. Sur ses 6 escadrilles, 2 font partie du GIH de Villacoublay pour appuyer et soutenir le Groupement d’intervention de la gendarmerie nationale. L’ALAT compte 3 états-majors : 1 à l’École de l’ALAT au Cannet-des-Maures ; 1 au sein du Commandement des forces terrestres à Lille ; 1 (100 personnes) à Villacoublay pour conseiller le chef d’État-major des armées en matière de sécurité dans l’espace aérien, de maintenance et de navigabilité des appareils. L’ALAT doit assurer une disponibilité sur le territoire national en cas de catastrophe naturelle. Globalement, les équipages effectuent 156 heures de vol par an (h/an), alors que l’objectif est de 180 h/an, et de 200-250 h/an pour ceux affectés aux forces spéciales. Les pilotes se classent en 3 catégories : rang 1, les « hyper opérationnels » avec 146-180 h/an ; rang 2, ceux prêts à prendre la relève (moins de 146 h/an) ; rang 3 (moins de 126 h/an).  Grosso modo, le rang 1 regroupe  45-50 % des pilotes, le rang 2 moins de 20 % et le rang 3 environ 33 %. Sur les 80.000 h/an de l’ALAT, quelque 30.000 h/an d’hélicoptères Gazelle, Tigre et Caïman sont effectuées en simulation. La simulation (vol et système tactique) complexifie l’environnement en vue de recréer un contexte opérationnel. L’acheminement sur le théâtre se fait habituellement par embarquements des hélicoptères à bord d’avions cargos Antonov ou C17 et des équipages à bord d’avions de transport stratégique. Des raids sont déjà entrepris pour relier directement Pau à Bamako (Mali) en longeant la côte africaine avec des escales dans les aéroports internationaux, soit 3 jours de voyage et 2 jours de mise en condition.

Bilan opérationnel. L’ALAT déploie actuellement 50 hélicoptères en opérations extérieures (Opex), dont 40 en Afrique et 10 en alerte GIH et « Guépard » à préavis variable. Les équipages, qui tournent tous les 3 ou 4 mois, peuvent effectuer jusqu’à deux interventions de 1h30 par jour et un combat dure environ 1 h (Libye), indique le général Gourlez de la Motte. Employée pendant la guerre du Golfe (1991) puis dans les Opex de Somalie (1992) et des Balkans (1999), l’ALAT est montée en puissance en 2009 après l’embuscade d’Uzbin (10 morts et 21 blessés) en Afghanistan (2008), zone de montagnes. En Côte d’Ivoire (2010), les hélicoptères sont intervenus en zone urbaine, de jour et de nuit, au profit des troupes françaises au sol. Lors de l’opération « Harmattan » en Libye (2011), ils ont décollé de nuit à partir des bâtiments de projection et de commandement (BPC) en mer. La France a engagé 18 appareils (Tigre, Gazelle et Puma) et la Grande-Bretagne 4. Les renseignements optiques et électroniques ont été obtenus par satellite, avions, drones, frégates et sous-marins, via la chaîne OTAN. L’adversaire n’avait pas l’habitude du combat de nuit et a tiré quelques missiles sol/air contre les avions. Alors que ceux-ci savent que les cibles sont identifiées, validées et illuminées, les hélicoptères pratiquent le combat rapproché contre un adversaire, dont ils ignorent le moment où ils le rencontreront. La mission commence en amont à bord du BPC : choix des cibles ; 24 h de préparation ; 24 h de « pré-jeu » avec tous les détails de l’action ; départ dans l’obscurité. Le chef de bord garde l’initiative jusqu’au au dernier moment. En effet, il peut refuser le tir, par exemple s’il constate l’absence de fusil dans le pick-up qu’il est chargé de neutraliser. A cette occasion, l’ALAT a mis en œuvre un dispositif d’action autonome avec autorisation de tir : vol aux instruments au départ du BPC, puis emploi de jumelles de vision nocturne à proximité de la côte. Le Groupe aéromobile a détruit 1 brigade libyenne avec un effet multiplicateur triple, qui a neutralisé de fait 3 à 4 brigades. Pendant l’opération « Serval » au Mali (2013), il a participé au combat interarmes dans un sévère environnement désertique (50° C pendant la journée) et de grandes élongations nécessitant un important soutien logistique. Les « poser poussière » (en raison de la poussière soulevée par le rotor) se sont révélés très difficiles, à cause du sable très corrosif. En République centrafricaine, l’ALAT a repris le combat en zone urbaine à Bangui, lors de l’opération « Sangaris » (2014). Pendant celle de « Barkhane » de contrôle de territoire et d’attaques dans la brousse du Sahel (depuis 2014), les hélicoptères de l’ALAT ont tiré au canon de 200 mm et lancé 5 missiles Hot, de nuit, contre un adversaire déterminé. Le succès de « Serval » et de « Barkhane » repose sur le renseignement, souligne le général Gourlez de La Motte. Il s’agit de prendre l’adversaire de vitesse, repérer ses pick-up et les neutraliser le plus vite possible. Parallèlement, les hélicoptères assurent la couverture et l’appui des unités conventionnelles d’infanterie et de cavalerie au sol. En outre, ils transportent très vite les forces spéciales sur des objectifs ciblés. Rien que pour « Barkhane », l’ALAT met en œuvre 21 appareils, dont la disponibilité, de 80 %, est jugée satisfaisante en opérations. Depuis l’engagement en Afghanistan, 18 hélicoptères ont été touchés en opérations, dont 6 détruits. Le taux d’attrition (1 appareil/an) est pris en compte. Enfin, 3 personnels de l’ALAT ont été tués au combat et 6 blessés.

Loïc Salmon

L’ALAT : un ensemble de systèmes de combat et d’hommes

ALAT : retour d’expérience opérationnelle

L’histoire de l’Aviation légère de l’armée de terre 1794-2014

Recruté sur titre en 1983, Olivier Gourlez de La Motte suit, comme lieutenant, la formation de l’École d’application de la cavalerie à Saumur. Breveté pilote et chef de patrouille d’hélicoptères de combat, il est ingénieur aéronautique et ingénieur d’essais. Breveté du Collège interarmées de défense (1997-1998), il est auditeur du Centre des hautes études de l’armement (2005-2006). En 1990-1991, il participe à la guerre du Golfe comme commandant d’escadrille appui protection. Par la suite, il commande le Groupement aéromobilité de la Section technique de l’armée de terre (2001), l’École de l’aviation légère de l’armée de terre (2010) et l’Aviation légère de l’armée de terre (2012). Titulaire de la croix de Guerre des théâtres d’opérations extérieurs, le général de division Gourlez de La Motte est officier de la Légion d’Honneur et de l’Ordre national du Mérite.




Cyberdéfense : bientôt une 4ème armée après celles de Terre et de l’Air et la Marine

A l’occasion du 7ème Forum international sur la cybersécurité tenu les 20-21 janvier 2015 à Lille, le ministère de la Défense a publié une brochure sur la cyberdéfense. Le 13 janvier, le ministre, Jean-Yves Le Drian, avait déclaré : « Demain, il y aura une quatrième armée qui s’appellera l’armée cyber, demain, il y aura des soldats cyber. Nous avons les moyens de réagir, nous avons aussi les moyens d’attaquer ». La menace cyber contre le ministère de la Défense augmente : 196 incidents traités en 2011, 420 en 2012 et plus de 780 en 2013. Le Livre blanc 2013 sur la défense et la sécurité nationale a fait de la cyberdéfense une priorité nationale. La Loi de programmation militaire 2014-2019 prévoit 1 Md€ pour la cyberdéfense, dont l’expertise technique est confiée à la Direction générale de l’armement (DGA). Celle-ci dispose d’un établissement spécialisé à Bruz (près de Rennes), dénommé « DGA Maîtrise de l’information » et où travaillent 250 ingénieurs de haut niveau. Cet effectif devrait atteindre au moins 400 personnes en 2017. Un officier général « cyber », actuellement le vice-amiral Arnaud Coustillière, est rattaché à l’État-major des armées (EMA). Il coordonne et pilote les travaux relatifs à la cyberdéfense et à sa montée en puissance et conduit les opérations. Il dispose à cet effet du Centre d’analyse en lutte informatique défensive (CALID), chargé de la protection des capacités opérationnelles du ministère de la Défense et placé sous les ordres du Centre de planification et de conduite des opérations de l’EMA. D’abord, le CALID détecte et prévient menaces et activités hostiles par la recherche et l’exploitation d’informations d’intérêt de cyberdéfense. Ensuite, il assure une surveillance permanente de la fonction de cyberdétection sur l’ensemble des systèmes d’information du ministère, en liaison avec leurs opérateurs. Enfin, il dirige la manœuvre spécialisée de cyberdéfense, en cohérence avec les opérations militaires. Des groupes de surveillance projetables complètent ce dispositif sur les théâtres d’opérations. En prévision ou en réaction à une crise, le CALID est actif en France et à l’étranger. Il déploie des sondes sur les systèmes d’armes et de commandement en opérations et recherche les traces de cyberattaques. Par ailleurs, le ministère a mis sur pied un « réseau cyberdéfense de la réserve citoyenne », constitué de volontaires bénévoles pour renforcer la communauté étatique de cyberdéfense, à savoir la DGA, l’EMA, l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information et la Gendarmerie nationale. Ce réseau compte déjà 150 réservistes des armées de Terre, de l’Air, de la Marine nationale et de la Gendarmerie. Il a pour missions de sensibiliser le public et d’organiser des événements relatifs à la cyberdéfense. Enfin, pour assurer la défense de son territoire et de ses forces armées dans ce domaine, la France entretient des partenariats avec les États membres de l’Union européenne et ceux de l’OTAN.

Loïc Salmon

Cyberdéfense : entraînement complet au sein des armées.

Cyberdéfense : placer l’excellence militaire au service de la nation

Cyberespace : enjeux géopolitiques




Terrorisme : plan Vigipirate renforcé dans toute la France

Le 14 janvier 2015,  la participation des armées au plan Vigipirate sur l’ensemble du territoire national (métropole et La Réunion) a été portée à 10.500 hommes, à la suite de l’attentat terroriste (12 morts et 12 blessés, dont 4 graves) contre l’hebdomadaire satirique Charlie Hebdo le 7 janvier à Paris. Cet attentat a été revendiqué par l’organisation « Al Qaïda au Yémen », dans une vidéo diffusée sur le site internet You Tube. Ses auteurs, les frères Saïd et Chérif Kouachi, avaient été formés au maniement des armes au Yémen en 2011. Dans la même vidéo, Al Qaïda au Yémen se moque de la marche contre le terrorisme, qui a rassemblé les foules à Paris et dans de nombreuses villes de France sous le slogan « Je suis Charlie ». Le plan Vigipirate atteint le niveau de mobilisation « Alerte attentat », le plus élevé, en Ile-de-France et reste maintenu à celui de « Vigilance » en province. Le 15 janvier, l’État-major des armées a présenté à la presse le dispositif militaire, multiplié par 10 en 72 heures par rapport à la participation permanente à Vigipirate pour épauler les forces de police et de gendarmerie. L’effectif déployé correspond à celui en opérations extérieures. Il se répartit entre 6.400 personnels à Paris et 4.100 en province. Ce renfort temporaire, décidé par le président de la République sur proposition du chef d’État-major des armées, résulte de l’évaluation de la menace par le ministère de l’Intérieur. Outre cette contribution des forces armées, le niveau « Alerte attentat », le plus élevé du plan Vigipirate, déclenche diverses opérations : activation des cellules de crise (ministères, préfectures et gestionnaires d’infrastructures sensibles) ; renforcement du contrôle des personnes ; renforcement des contrôles par l’utilisation de techniques de détection d’explosifs ; interdiction de stationnement au bord des établissements scolaires ; mise en alerte des capacités d’intervention (services de secours et forces de l’ordre). Les missions des forces armées engagées découlent d’un dialogue civilo-militaire entre les autorités préfectorales de zone et les autorités militaires commandant les forces engagées. Les règles d’engagement (ouverture du feu) sont adaptées pour assurer la sécurité. Chaque militaire dispose d’un fusil ou d’un pistolet automatique, de munitions en nombre suffisant et d’un gilet pare-balles le protégeant contre les tirs d’armes légères d’infanterie. Le dispositif, déployé dans les lieux de forte affluence, sites touristiques, bâtiments publics et lieux sensibles (dont les lieux de cultes juif et musulman) évolue en  fonction de l’évaluation de la menace. Par ailleurs, quelque 19.000 sites internet en France ont fait l’objet de cyberattaques de deux types : saturation par de grandes quantités de demandes, mais sans intrusion dans le site ; attaques par « défacements », les plus nombreuses, consistant à remplacer la page d’accueil par une autre image, notamment une contestation du slogan « Je suis Charlie », afin de pénétrer le site et en prendre le contrôle. Ces attaques résultent de failles dans la sécurité informatique des sites concernés, a indiqué, le 15 janvier, le vice-amiral Arnaud Coustillière, officier général cyberdéfense à l’État-major des armées. Le ministère de la Défense a été aussi visé, surtout la Délégation à l’information et à la communication de la défense, mais aucune attaque n’a réussi et la protection a été accrue.

Loïc Salmon

Terrorisme : plan Vigipirate renforcé à Paris

Moyen-Orient : défi du terrorisme islamiste de l’EIIL

Gouverner au nom d’Allah




Diplomatie : gérer les crises et déceler les menaces diffuses

L’identification des crises nécessite de prendre du recul. Leur traitement à chaud est complexe, tout comme leur règlement dans le temps long. Les diplomates chargés de les gérer doivent aussi tenir compte des intérêts de la France et de l’Union européenne.

L’ambassadeur Didier Le Bret, directeur du Centre de crises du ministère des Affaires étrangères, a présenté la situation au cours d’une conférence-débat organisée, le 15 décembre 2014 à Paris, par l’Institut des hautes études de défense nationale.

Crises multiformes. En 20 ans, le nombre de conflits a été divisé par 2, mais celui des crises a augmenté. Autrefois d’origines naturelles (séismes ou inondations) ou humaines (accidents industriels ou mouvements sociaux de très grande ampleur), leur distinction s’estompe, car la plupart des crises naturelles est d’origine humaine, par suite de tensions liées à la démographie et aux ressources alimentaires et en eau. En outre, elles évoluent et s’étendent géographiquement. Ainsi, une crise de politique intérieure en Ukraine (2013) a dérivé vers un conflit larvé avec la Russie, qui s’est approprié une partie de son territoire (Crimée). Suite à la crise des « subprimes » (2008), la faillite de la banque d’investissements américaine Lehman Brothers s’est répercutée sur les principales places financières mondiales. Après sa conquête d’une partie de la Syrie et de l’Irak (2014), l’organisation djihadiste « Daech » y a instauré un « califat », avatar des empires antiques situés entre le Tigre et l’Euphrate. Selon les estimations de l’ONU, le réchauffement climatique déplacera, d’ici à 2020, 45 millions d’Africains au Moyen-Orient, au Maghreb et dans l’Union européenne. En 2050, il touchera 150 millions de réfugiés et fera perdre à l’Espagne 20 % de son territoire et à l’Afrique 66 % de ses terres arables. Aujourd’hui, le Sud de l’Europe est confronté à une migration massive d’origine africaine, événement inimaginable il y a 10 ans. La coût de la gestion des crises humanitaires sera passé de 2 Md$ en 2000 à 19 Md$ en 2015. Dans l’ensemble, les crises deviennent interdépendantes. Un incident local prend une dimension internationale. Par exemple, le virus Ebola, parti d’Afrique de l’Ouest, menace les États-Unis et l’Europe. Une crise interne en Syrie a provoqué des réactions en chaîne en Égypte, en Tunisie et au Yémen. Au monde bipolaire de la guerre froide entre les États-Unis et l’URSS (1947-1991), a succédé l’hyperpuissance américaine puis un monde, non pas multipolaire, mais « a-polaire », souligne l’ambassadeur.

Traitements incertains. La diplomatie doit porter le meilleur diagnostic et le plus en amont possible pour anticiper les crises, indique-t-il. Les attentats d’Al Qaïda à New York et Washington en 2001, que personne n’avait anticipés, ont ébranlé la première puissance du monde et l’ont paralysé pendant plusieurs jours. La diplomatie doit traiter les crises très vite, comme l’intervention française en Libye pour arrêter un massacre programmé (2011). Mais l’action à chaud ne doit pas déclencher des phénomènes impossibles à contrôler (guerre civile en Libye, 2014). L’émotion par l’image, qui prend une dimension politique, ne doit pas empêcher la réflexion sur l’après-crise. Le séisme en Haïti (2010) a fait moins de victimes que la mauvaise organisation des secours dans ce pays, où il a fallu restaurer l’État de droit. Selon Didier Le Bret, ambassadeur à Port-au-Prince à l’époque, « l’effet émotion » exige une réaction immédiate mais qui « n’arrive pas à éteindre l’incendie de manière durable ». Il met en garde contre le piège humanitaire, « une belle idée dangereuse, car difficile à manier », et rappelle que les expéditions coloniales répondaient au devoir de civilisation. Par ailleurs, le monde devient manichéen avec les « bons » et les « méchants » : tout changement de régime est lourd de conséquences et nourrit le soupçon d’intention. Le « logiciel de la peur » est apparu, à savoir l’inversion maligne de ce qui paraissait acquis depuis des siècles. Ainsi, la science, autrefois facteur de progrès, doit être contrôlée (énergie nucléaire ou révolution verte en Chine). Tout ce qui a protégé hier fait peur aujourd’hui. Les solidarités de famille, de village ou de patrie disparaissent. Le principe de précaution a des conséquences sur la conduite des opérations militaires : sécurité sans morts, frappes chirurgicales sans dommages collatéraux, aversion du risque et besoin de protection.

L’action de la France. Contrairement aux propos défaitistes actuellement à la mode, la France n’est pas au bord du gouffre, rappelle l’ambassadeur. Elle reste la 5ème puissance économique du monde et dispose du 2ème domaine maritime (après les États-Unis) et d’un appareil diplomatique réactif, malgré les restrictions budgétaires (1,2 % de celui de l’État). Membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, elle participe au contrôle de la prolifération nucléaire en raison de sa dissuasion. Acteur majeur dans la résolution des crises, elle contribue à 8 des 16 opérations de maintien de la paix de l’ONU et propose entre 25 % et 50 % des résolutions en ce sens présentées au Conseil de sécurité. Outre sa capacité unique d’intervention militaire (Mali, 2013), elle agit dans le domaine humanitaire en coopération avec la Croix-Rouge et après l’arrivée d’organisations non gouvernementales comme Médecins sans frontières (virus Ebola en Guinée, 2014). Le ministère des Affaires étrangères (MAE) développe les initiatives d’associations locales avec une approche anthropologique, car l’aide publique au développement contribue à la prévention des crises. Son Centre de crises dispose d’une batterie d’indicateurs, qui analysent dans le temps long (mouvements sociaux et religieux, échéances politiques critiques) et suivent les événements immédiats, à croiser avec les intérêts nationaux (encadré). Il s’intéresse particulièrement à trois zones. Les pays du Maghreb (de la Mauritanie à l’Égypte) constituent le premier cercle de bon voisinage. Ceux du Machrek (Irak, Syrie, Liban, Jordanie et Territoires Palestiniens) ne sont pas intégrés dans le monde, contrairement à ceux d’Amérique latine (Mercosur) ou d’Asie du Sud-Est (ASEAN). L’Afrique subsaharienne, zone d’incertitude, compte 220 millions de francophones qui seront 720 millions d’ici à 2050 avec un fort potentiel économique. En outre, 1,5 million de Français se sont expatriés, dont 90.000 en Afrique du Nord, 127.000 au Proche-Orient et 127.000 en Afrique subsaharienne. Sur son site internet, le MAE évalue régulièrement les pays à risques et appelle à la vigilance.

Loïc Salmon

IHEDN : vision présidentielle de la défense et de ses moyens

Les devoirs et les intérêts diplomatiques de la France

DCI : actions communes de défense et de diplomatie

Le Centre de crise du ministère des Affaires étrangères mobilise et coordonne l’ensemble des moyens de toutes les administrations en cas de crise à l’étranger. Doté d’une soixantaine d’agents, il permet de suivre l’évolution des risques et des menaces, et, dans certains cas, de déclencher des opérations de secours. Il est compétent pour les crises mettant en danger la sécurité des Français à l’étranger et celles à caractère humanitaire. Il assure quatre grandes missions : veille mondiale permanente ; analyse et suivi des situations d’urgence ; préparation des plans de réponse des autorités françaises ; conduite des opérations sur les théâtres de crise.




Défense : conserver les capacités nécessaires dans un budget contraint

Dans sa dimension économique, le ministère de la Défense privilégie la satisfaction du besoin opérationnel, en raison de la sécurité de la nation. Mais le contexte budgétaire exige de rechercher des ressources exceptionnelles.

Ce fut l’objet d’une table ronde organisée, le 19 novembre 2014 à Paris, par l’École des affaires internationales de l’Institut d’études politiques. Outre le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian, des hauts responsables du ministère y ont participé (voir encadré).

Engagements opérationnels accrus. Les armées françaises déploient actuellement 9.000 personnels en opérations extérieures (Opex) dans des conditions difficiles, indique le général Lanata. La situation sécuritaire se dégrade : Syrie, Liban, Irak, Libye, Nigeria, Sahel et l’Est de l’Europe, sans oublier les ressortissants français partis combattre avec les djihadistes. L’ensemble des capacités est mis en œuvre pour faire face à un large spectre d’engagements. Le modèle d’armée complet a connu des avancées multiples et des différences en 5 ans. Il inclut désormais la dissuasion nucléaire, la garantie de la sécurité du territoire national, les Opex, le domaine spatial et la cyberdéfense. Il agit sur le temps long et la recherche de la stabilité. Ainsi, les interventions au Sahel et au Levant  entrent dans le cadre de la « défense de l’avant », pour éviter la constitution de foyers du terrorisme international. Les opérations « Harmattan » (Libye, 2011) et « Serval » (Mali, 2013) ont confirmé l’importance de l’entrée en premier sur un théâtre avec une planification nationale et un soutien (renseignement et logistique) de pays alliés. Les mêmes et celle au-dessus de l’Irak (2014) illustrent le degré élevé de réactivité (modification d’une opération en 24 h) obtenue par le prépositionnement de forces et le dispositif d’alerte d’unités. Malgré des moyens comptés, la combinaison de forces, sur des théâtres aussi différents que l’Afghanistan, la Centrafrique et le Mali, a été réalisée grâce à la modularité des équipements, la préparation opérationnelle et la motivation des personnels. Mais le fonctionnement des Opex atteint la limite de la rupture : il a fallu un abondement budgétaire de 30 M€ fin 2013. Enfin, les militaires paient un lourd tribut en Opex : 77 morts et plusieurs centaines de blessés en 5 ans.

Cadre financier resserré. Le ministère de la Défense est tenu d’éviter l’affaiblissement de l’outil militaire, souligne Hughes Bied-Charreton. Il assure les conditions pour atteindre les objectifs fixés avec une marge de manœuvre quasi nulle : « 1 €, c’est 1 €. On doit rendre des comptes ». Il doit aussi éclairer les décideurs pour avoir un impact dans la durée. Son cap est fixé par le président de la République, chef des armées, dans un contexte international actuellement difficile sur les plans économique et financier. Le Livre blanc 2012 sur la défense et la sécurité nationale détermine les engagements, d’où découlent les outils de défense, avec une enveloppe financière, de 364 Md€ pour la période 2014-2025, horizon considéré comme le plus pertinent pour les perspectives stratégiques. La Loi de programmation militaire 2014-2019 (LPM) prévoit une dépense de 179 Md€ (valeur 2013) sur 6 ans, horizon le plus adéquat pour la conduite des grands programmes d’armement. Elle stabilise l’effort de défense à 1,45 % du produit intérieur brut. Le ministère de la Défense établit un budget triennal (2015-2017), qui conditionne l’efficacité de l’outil militaire et répond à un besoin de cohérence physique et financière. Les crédits de recherche et développement s’étalent sur 10 ans, car l’efficacité de l’outil militaire dépend du maintien à niveau des matériels et de la formation des personnels. La LPM consacre 17 Md€/an en moyenne aux équipements sur un budget annuel de 31,4 Md€ et doit maîtriser les coûts de fonctionnement, déjà très contraints. Elle prévoit la suppression de 33.700 emplois et la révision du format des armées. L’outil militaire atteint désormais le seuil critique, avertit Hughes Bied-Charreton. Le ministère de l’Économie et des Finances, qui raisonne sur le court terme, estime cette trajectoire budgétaire purement indicative et non la norme, alors que celui de la Défense réfléchit sur les moyen et long termes. L’arbitrage final revient au Premier ministre et au président de la République.

Base industrielle à préserver. Outre l’équipement des forces, la Direction générale de l’armement (DGA) doit maintenir une base industrielle et technologique de défense, gage de souveraineté, explique Christophe Fournier. Les entreprises françaises d’armement réalisent un chiffre d’affaires de 15 Md€/an en moyenne, dont le tiers à l’exportation. Malgré la concurrence des États-Unis, de certains pays membres de l’Union européenne et de pays émergents (Inde, Chine, Corée du Sud et Brésil), les prises de commandes étrangères de matériels français ont totalisé 6,9 Md€ en 2013, soit + 42 % en un an ! Pourtant, en raison de la baisse des commandes publiques, la DGA doit choisir entre le maintien du niveau de performances et le calendrier de renouvellement des matériels. Elle doit aussi arbitrer entre la production de matériels urgents pour les Opex et le lancement d’études amont pour maintenir les capacités opérationnelles. La coopération européenne se fait avec des pays proches en termes de besoins et de calendriers de productions avec financements prévus (Grande-Bretagne, Allemagne, Italie et Espagne).

Soutien politique affirmé. Les effectifs du ministère de la Défense, de 270.000 personnes en 2014, auront diminué de 25 % entre 2008 et 2019, précise Jean-Yves Le Drian. Premier acheteur public, cette administration va investir 10 Md€ par an et allouer 3,6 Md€ à la recherche et au développement pour soutenir l’industrie d’armement. Celle-ci compte 4.000 entreprises, dont beaucoup de petites et moyennes, qui emploient 165.000 personnes, dont 20.000 hautement qualifiées. Pour garantir la trajectoire financière de la LPM, il faudra dégager 5,56 Md€ sur la période 2015-2017, soit près de 30 % des crédits des principaux programmes d’armement, pour compléter les ressources budgétaires. Mais une incertitude pèse sur les recettes exceptionnelles de 8 Md€, prévues par la LPM : ventes aux enchères de fréquences de 700 Mégahertz ; cessions de biens immobiliers et d’actifs de l’État dans les grandes entreprises. Des solutions innovantes d’acquisition de matériels militaires seront donc mises en œuvre dès 2015, a indiqué le ministre.

Loïc Salmon

Défense : budget 2015 maintenu à 31,4 Md€

Défense : outil de puissance dans un monde incertain

Les GTIA en Opex : besoin urgent d’armements adaptés

De gauche à droite : Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense ; Ghassan Salamé, doyen de l’École des affaires internationales de l’Institut des hautes études politiques (SciencesPo) ; Hughes Bied-Charreton, directeur des affaires financières au ministère de la Défense ; général de corps aérien André Lanata, sous-chef plans à l ‘État-major des armées ; Christophe Fournier, directeur des plans, des programmes et du budget à la Direction générale de l’armement ; Jean-Michel Oudot, économiste à la direction des affaires financières du ministère de la Défense et enseignant à l’École des affaires internationales de SciencesPo.




Terrorisme : plan Vigipirate renforcé à Paris

Suite à l’attentat terroriste (12 morts et 12 blessés, dont 4 graves) contre le journal hebdomadaire satirique Charlie Hebdo le 7 janvier 2015 à Paris, le Premier ministre Manuel Valls a relevé le plan Vigipirate au niveau « alerte attentat » en Ile-de-France, impliquant un renfort de 600 militaires. Le 8 janvier à Paris, l’État-major des armées a présenté à la presse le dispositif militaire déployé. A cette date, 800 personnels en tout sont déjà sur place et 250 peuvent les renforcer à la demande. Parmi eux, 600 patrouillent à Paris et dans son agglomération pour des missions d’observation et de surveillance dans les gares, le métro, les bâtiments publics et les grands magasins. Ils rendent compte aux forces de sécurité pour leur permettre d’intervenir si nécessaire. Ils emportent des munitions et peuvent faire usage de leurs armes. Outre cette contribution des forces armées, le niveau « Alerte attentat », le plus élevé du plan Vigipirate, déclenche diverses opérations : activation des cellules de crise (ministères, préfectures et gestionnaires d’infrastructures sensibles) ; renforcement du contrôle des personnes ; renforcement des contrôles par l’utilisation de techniques de détection d’explosifs ; interdiction de stationnement au bord des établissements scolaires ; mise en alerte des capacités d’intervention (services de secours et forces de l’ordre). Les renforts militaires sont venus par la route de Douai et par voie aérienne d’Agen, de Toulouse et de Fréjus (photo). Ils sont logés dans d’anciens forts de la région parisienne à Vincennes et Saint-Denis. Leur engagement fait l’objet d’un dialogue permanent entre le gouverneur militaire et la préfecture de police de Paris, selon les besoins. Dans le cadre du plan Vigipirate, les forces armées peuvent agir comme « primo-intervenantes » dans l’espace aérien et les approches maritimes, la lutte contre les trafics et la protection de sites sensibles. Elles apportent aussi leur appui à la police nationale sur réquisition préfectorale. En outre, des personnels sont maintenus en alerte avec préavis de 48 h, en vue d’un déploiement pour une situation particulière et pour une durée de 15 jours avec possibilité de relais. Pour Paris, ce préavis a été relevé à 12 h dès le 7 janvier 2015. Le 25 décembre 2014, la réserve militaire de Vigipirate a été activée ou renforcée à Paris, Beauvais Lille, Strasbourg, Lyon, Grenoble, Nice, Cannes, Marseille, Montpellier, Bordeaux, Nantes, Tours et au Mans. Le renforcement de la contribution des armées au plan Vigipirate est temporaire et au cas par cas. Chaque jour, environ 2.500 militaires sont engagés dans la protection de l’ensemble du territoire national : près de 1.000 au titre de Vigipirate et 1.500 pour les activités de protection en métropole et outre-mer.

Loïc Salmon

GMP : rôles opérationnel, civilo-militaire et de rayonnement

Crises : prévention et gestion en Ile-de-France




Armée de l’Air : engagement opérationnel intense et réforme en profondeur

L’armée de l’Air est engagée en opérations extérieures au maximum de ses capacités. Son format aura été divisé par 2 en 10 ans à l’issue de la Loi de programmation militaire 2014-2019.

C’est ce qu’a constaté son chef d’état-major, le général Denis Mercier, au cours d’une rencontre organisée, le 10 décembre 2014 à Paris, par l’Association des journalistes de défense.

Opérations extérieures (Opex). « On ne peut absorber une troisième crise » après celles d’Irak et d’Afrique, a déclaré le général. Actuellement, l’armée de l’Air déploie 25 avions en Opex et 4 à Djibouti, alors que la limite opérationnelle est fixée à 33 pour l’armée de l’Air et 12 pour la Marine nationale. Dans l’opération « Chammale » en Irak, la France met en œuvre 9 Rafale, 6 Mirage 2000D, 1 avion ravitailleur et 1 avion de patrouille maritime Atlantique 2 à partir des Émirats arabes unis, et de la Jordanie. Les avions de la coalition ont pour but d’interdire toute liberté d’action à l’organisation djihadiste Daech et d’assurer une permanence d’appui aérien aux troupes irakiennes au sol, jusqu’à ce qu’elles soient en mesure de la repousser. Ils effectuent surtout des missions de renseignement, surveillance et reconnaissance. Les frappes sont peu nombreuses pour éviter des dommages collatéraux, car une mission se joue en quelques secondes, précise le général Mercier. Un officier de chaque État membre de la coalition se trouve dans la salle d’opérations aérienne du Qatar, sous commandement américain, et peut refuser, pour ses avions, une mission qui ne correspond pas aux engagements de son pays. Ainsi, une cible peut être traitée, non pas avec une bombe guidée de 250 kg, mais au canon, ce qui implique de voler à basse altitude. En raison de la menace de missiles sol/air à très courte portée, les avions évoluent en général à moyenne altitude. En Afrique, dans la bande sahélo-saharienne, les opérations de défense aérienne sont regroupées au centre de Lyon-Verdun et dirigées localement à partir de 3 centres interarmées aux Niger, Tchad et Burkina Faso. Une composante drone/Rafale peut aller partout sous ces différents commandements. Par exemple, un Rafale peut décoller directement de la base de Saint-Dizier, effectuer sa mission, se poser à N’Djamena (Tchad) et rentrer en France le lendemain. Son armement air/sol modulaire, dit A2SM et composé de kits de guidage et d’augmentation de portée (jusqu’à 55 km) de bombe (250 kg), détecte et détruit une cible en quelques secondes. Un Rafale peut ainsi traiter 6 objectifs différents. Dans le cadre de l’OTAN, l’armée de l’Air a participé à la police du ciel des pays baltes (Estonie, Lettonie et Lituanie) et de la Pologne pour les rassurer. Les « tests » avec les avions russes sont constants et consistent en « escortes » mutuelles dans le corridor de Kaliningrad. Toutefois, aucune coopération n’est prévue avec l’Ukraine, « sujet éminemment politique », souligne le général Mercier.

Maintien en condition opérationnelle (MCO). Le taux de disponibilité des aéronefs est calculé selon des critères techniques, opérationnels et d’activités quotidiennes. Par suite de la diminution du budget du MCO au cours de la Loi de programmation militaire 2008-2013, ce taux a dégradé le niveau d’activité de 20 %. Celle de 2014-2019 tente de l’améliorer. Depuis l’instauration d’un secrétariat permanent du MCO aéronautique en coopération avec les industriels Dassault et Thalès, le coût de l’heure de vol du Rafale a diminué de 14 % en 2013. En outre, la SIMMAD (Structure intégrée du MCO des matériels aéronautiques du ministère de la Défense) gère le soutien des 1.265 avions et hélicoptères de 46 types différents des armées de Terre et de l’Air, de la Marine nationale, de la Direction générale de l’armement, de la Gendarmerie et de la Sécurité civile. Enfin, le 8 décembre 2014, les ministères français et britannique de la Défense ont signé le premier contrat commun de MCO des avions de transport tactique A400 M, qui inclut la mise en place d’un stock partagé de pièces de rechange et des services d’ingénierie de maintenance au profit des deux armées de l’Air. Ce contrat porte notamment sur la traçabilité exhaustive des pièces détachées, indique le général Mercier. Le constructeur européen Airbus Defence and Space a déjà livré 7 A400 M sur les 170 commandés par 7 pays : Allemagne, Belgique, Espagne, France (5), Luxembourg, Grande-Bretagne (1) et Turquie (1).

Réformes et perspectives. La réorganisation de l’armée de l’Air vise à une cohérence militaire globale à l’horizon 2020, sous réserve du respect des règles financières de la loi de programmation, explique son chef d’état-major. Elle repose aussi sur la responsabilisation, en raison des choix interarmées, et l’innovation, car « il faut penser toujours différemment ». Enfin, il faut remettre les personnels au cœur des transformations pour obtenir leur adhésion. Cela implique de nouveaux partenariats aux niveaux interarmées, interministériel, international et avec le monde civil. L’armée de l’Air s’est dotée de 3 centres de contrôle (Lyon, Tours et Mont-de-Marsan) : 2 en activité et 1 en maintenance à tour de rôle. Par ailleurs, un groupe de travail sur les futurs systèmes de combat interarmées et de combat aérien a été mis sur pied. Selon des scénarios possibles vers 2030, l’armée de l’Air doit : conserver la capacité d’entrer en premier sur un théâtre mieux défendu qu’aujourd’hui ; protéger une force contre des drones et avions de chasse furtifs ; surveiller un théâtre sans aucune restriction du Conseil de sécurité de l’ONU ; faciliter l’intégration aéroterrestre ; contrer les futures menaces sol/air, fixes ou mobiles. Le système de combat, qui combine renseignement et tir, se compose de senseurs ou capteurs (satellite, avions, drones, sous-marins et navires de surface) et des moyens de frappe. Il doit pouvoir fusionner les renseignements et traiter les données en temps réel. En 2015, le centre d’expérience aérienne de Mont-de-Marsan numérisera toutes les actions entre pays de l’OTAN pour améliorer la boucle de réactivité.

Loïc Salmon

Opérations aériennes : la cohérence, clé du succès

Armée de l’Air : anticiper et avoir un coup d’avance

Un nouveau chef d’état-major pour l’armée de l’Air

 

Le 20 novembre 2014, le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian a annoncé la commande de 12 avions multirôles de ravitaillement en vol et de transport stratégique (A330 MRTT) pour assurer les capacités de transport à longue distance et d’évacuation sanitaire sur le long terme. L’A330 MRTT peut transporter au choix : 50 t de carburant pour une autonomie de 4 h 30 sur une zone distante de 2.000 km ; 40 t à 7.000 km ; 271 passagers à 10.000 km ; 10 modules de réanimation pour patients à haute élongation d’évacuation (« Morphée »). En outre, l’A330 MRTT peut assurer le relais du commandement (système de commandement et de contrôle et communication par satellite) et celui d’information ISR (renseignement, surveillance et reconnaissance), leur traitement et leur diffusion. La flotte de 12 A330 MRTT remplacera 4 flottes anciennes et spécialisées (12 C135 FR, 3 KC135 RG, 3 A310 et 2 A340). Le 1er appareil sera livré à l’armée de l’Air en 2018, le 2ème en 2019 et les autres suivront à raison d’un à deux par an.




Harcèlement dans les armées : « Thémis » libère la parole

« Thémis », cellule de lutte contre les harcèlements sexuel et moral, la violence et la discrimination au sein du ministère de la Défense, a déjà été saisie 192 fois depuis sa création le 21 juillet 2014. La cellule compte en tout 4 personnes civiles et militaires. Son directeur, le contrôleur général des armées Bernard Ducateau, a présenté la situation à la presse le 11 décembre 2014. Dans la mythologie grecque, Thémis, qui signifie « « la loi divine », est la déesse de la justice, de la loi et de l’équité (photo). En effet, la cellule du même nom recommande aux victimes de déposer une plainte auprès de la Gendarmerie, car seulement 1 viol sur 7 est porté à la connaissance des autorités judiciaires en France. Alors que les affaires de harcèlement sexuel faisaient auparavant l’objet d’une simple enquête de commandement, Thémis a déclenché « une prise de conscience » et reconnaît le statut de la victime, souligne son directeur. Elle s’appuie sur la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les hommes et les femmes et les articles L 4123-10 et 4123-10-1 du code de la défense. Ceux-ci stipulent que les militaires jouissent d’une protection juridique du ministère de la Défense et qu’aucun militaire ne doit subir de harcèlement sexuel. Avant la création de Thémis, les chefs de corps devaient prévenir un tel comportement, aujourd’hui ils doivent y mettre un terme. Alors que les données des autres ministères sont inexistantes, celui de la Défense publie les siennes. Il emploie 77 % de militaires et 23 % de civils. Sur les 192 saisines (militaires et civiles) indiquées, 66 concernent le harcèlement sexuel. Parmi elles, 53 cas sont antérieurs au 15 avril 2014, date de présentation au ministre d’un rapport sur la question, et concernent des affaires connues, mais mal prises en compte ou qui n’avaient pas été portées à la connaissance du commandement. Avec 50 % des saisines, le téléphone, qui garantit l’anonymat, reste le principal moyen de prendre contact avec Thémis, loin devant la messagerie interne du ministère (32 %) et internet (10 %). Le ministère de la Défense compte 80 % d’hommes et 20 % de femmes… qui constituent 88 % des victimes ayant saisi Thémis ! La cellule permet aux victimes de passer outre à la voie hiérarchique et de s’adresser directement au Contrôle général des armées, rattaché au ministre. Thémis propose à l’autorité hiérarchique des mesures conservatoires, conduit des enquêtes administratives, conseille le commandement et contribue à l’élaboration de statistiques sur les harcèlements, violences et discriminations en tous genres. Elle conseille, soutient et accompagne les victimes dans la durée, pour s’assurer du bon déroulement de leur carrière. Elle les réoriente vers le bon interlocuteur, lorsque leur demande ne relève pas de sa compétence. Parfois, les victimes, mutées à leur demande, n’acceptent pas que leur nouveau chef de corps soit informé de leur infortune, mais souhaitent connaître la sanction disciplinaire infligée à leur agresseur. Des chefs de corps ont été impliqués dans des cas de harcèlement sexuel ou moral, a reconnu le contrôleur général des armées Ducateau. Les victimes ou témoins de comportements suspects peuvent : contacter Thémis par courriel (themis@defense.gouv.fr ou themis@intradef.gouv.fr) par téléphone (01 42 19 88 88) ; parler à un psychologue, via Écoute Défense (08 08 800 321, appel gratuit) ; s’adresser à une association agréée, mais extérieure au ministère (www.stop-violences-femmes.gouv.fr ou appeler le 3919).

Loïc Salmon

Femmes dans les armées : promotion par la compétence et soutien contre le harcèlement

Exposition photographique itinérante « Femmes de la défense »