La guerre électronique : nouvel art de la guerre

La guerre électronique, comme la guerre tout court, est une opposition de volontés, mais dans un environnement d’électrons. Sa mise en perspective historique rappelle les principes de « L’art de la guerre » du stratège chinois Sun Tzu.

Olivier Terrien, ingénieur en systèmes électroniques pour la défense et auteur du livre « Les 36 stratagèmes de la guerre électronique », l’a expliqué au cours d’une conférence organisée, le 31 janvier 2013 à Paris, par l’Association régionale Paris Ile-de-France des auditeurs de l’Institut des hautes études de défense nationale.

Les enseignements de l’Histoire. Pour Sun Tzu, la guerre est un enchaînement de situations. Il en a défini 36, à la dangerosité croissante, et autant de stratagèmes pour s’en sortir. La dernière, la pire, ne permet qu’une seule solution : la fuite ! La méthode chinoise consiste à partir d’un exemple pour lancer la réflexion sur son environnement général. A l’appui, Olivier Terrien en cite plusieurs puisés dans l’Histoire occidentale. Ainsi, en 73-71 avant J.-C., Spartacus, esclave et gladiateur révolté, a trompé les troupes romaines en donnant une fausse apparence de son camp encerclé. A la bataille d’Hastings en 1066, Guillaume le Conquérant simule une fuite pour inciter les troupes à pied adverses à quitter leur position dominante, en vue de les écraser avec sa cavalerie. La guerre électronique apparaît durant la première guerre mondiale avec pour cible la radio. Avant la bataille de Tannenberg en 1914 et afin d’accélérer les liaisons avec ses troupes, l’état-major russe émet ses directives non cryptées par radio. L’armée allemande les intercepte, modifie ses déplacements en conséquence et l’emporte sur son adversaire. La même année, des bâtiments britanniques cisaillent les câbles de communications de l’Allemagne pour l’obliger à transmettre ses messages par radio, afin de les intercepter. La seconde guerre mondiale voit la naissance du radar. En 1942, des parachutistes britanniques s’emparent du radar allemand de Bruneval et détruisent toute l’installation pour cacher le vol de pièces maîtresses, qui permettront d’obtenir des renseignements cruciaux ultérieurement. La même année, les brouilleurs britanniques à répétition « Moonshine » attirent 150 chasseurs allemands au-dessus de Dunkerque, alors que le bombardement réel par les avions américains se produit au-dessus de Rouen. En 1943, les bombardiers alliés larguent des bandelettes métalliques pour dissimuler leur présence et leur position aux opérateurs allemands, qui ne parviennent plus à désigner les cibles dans le nuage électromagnétique ainsi formé. L’interception d’un message radio japonais, décrypté par les services de renseignement américains, permet d’abattre l’avion transportant l’amiral Yamamoto, concepteur de l’attaque surprise contre la base américaine de Pearl Harbour (1941). Privée de son chef, la Marine japonaise n’entreprend plus d’opérations aéronavales. La même année, par radio, des opérateurs britanniques germanophones donnent de fausses indications qui désorientent les pilotes de chasse allemands, rendent suspects les ordres transmis et discréditent toute l’organisation en place. Le 6 juin 1944, des flottes aériennes fantômes, constituées d’avions et de bandelettes métalliques, trompent les radars allemands sur le lieu réel du débarquement. En 1981, afin d’empêcher l’Irak d’accéder à l’arme nucléaire, l’aviation israélienne bombarde son réacteur Osirak, construit avec l’aide de la France pour des recherches civiles. En 1987, des Mirage F1 français partent vers l’ouest de la position présumée du radar libyen de Ouadi-Doum pour l’inciter à s’allumer. Ainsi localisé, le radar est détruit par les missiles Martel des avions Jaguar venus de l’Est.

Les applications aujourd’hui. La guerre électronique est une guerre de mouvement avec les mêmes fondamentaux, à savoir espionnage, brouillage, leurres et attaques, indique Olivier Terrien. Elle correspond à toute action militaire visant à contrôler le spectre électromagnétique. En outre, toute mesure offensive appelle une contre-mesure défensive, qui nécessitera d’être dépassée par une nouvelle mesure offensive. Il s’agit de posséder les équipements, devenus bon marché et plus petits, savoir les utiliser et fixer un but. Les combattants d’aujourd’hui se trouvent dans la même situation que le chevalier en armure des XVème et XVIème siècles face à l’archer, puis à l’arquebusier moins long à former. Les gros systèmes informatiques sont perturbés par des pirates, passionnés mais de plus en plus organisés par les Etats. Tous les milieux sont concernés : terre, air, mer, cyberespace et intelligence économique. Tout d’abord, les dispositifs électroniques de communications, composantes critiques de la dissuasion nucléaire, doivent donc être durcis en permanence. Par ailleurs, toute action crédible sur un théâtre d’opérations dépend des moyens de renseignement humains, mais aussi électromagnétiques. La capacité d’y entrer en premier dépend de la portée des munitions des frappes aériennes, face à celle des systèmes sol/air. Le décideur peut éviter les dommages collatéraux, grâce notamment à la rapidité des moyens électroniques de communication. Toutefois, il reste la menace diffuse des systèmes anti-aériens portatifs (« manpads »), faciles à utiliser et difficiles à contrer. Ainsi, en 2001 en Afghanistan, un avion cargo, attaqué à l’atterrissage par des missiles SA-7 soviétiques, a été sauvé par le largage in extremis de leurres infrarouges. Après l’intervention de l’OTAN en Libye en 2011, environ 2.000 manpads ont disparu des arsenaux libyens et réapparaîtront un jour ou l’autre. La frappe « virtuelle » d’un équipement critique peut imposer une volonté politique. Ainsi, en 2010, l’Iran a admis la destruction de 20 % des centrifugeuses de son programme d’enrichissement nucléaire par le virus informatique « Stuxnet », mis au point par Israël et les Etats-Unis. Enfin, dans le cadre de la guerre économique, les moyens d’écoute électronique du réseau anglo-saxon « Echelon » servent aussi à capter les communications… des téléphones portables !

Loïc Salmon

Sun Tzu, général chinois du VIème siècle avant J.-C., est connu pour son ouvrage « L’Art de la guerre ». L’objectif de la guerre est de contraindre l’ennemi à abandonner la lutte, y compris sans combat, par la ruse, l’espionnage et une grande mobilité. La gagner ou la perdre ne se fait par hasard, mais repose sur la méthode et la stratégie. Il s’agit d’abord de prendre possession de l’adversaire en entier, y compris les civils qui seront les sujets du vainqueur. Ensuite, le déploiement des forces exige une préparation, du travail, une bonne connaissance des forces en présence par le renseignement et enfin une adaptation aux circonstances. La stratégie consiste à harmoniser la cause morale, les conditions climatiques et géographiques, les capacités du dirigeant, l’organisation et la discipline. Ces principes militaires trouvent aussi des applications dans le domaine politique et les activités économiques.

 




OTAN : un Français à la tête des Services de santé

Pour la première fois, les 28 pays membres de l’OTAN ont élu un Français à la présidence du Comité des chefs de Services de santé militaires (COMEDS), en l’occurrence le médecin général des armées Gérard Nédellec, en fonction pour trois ans depuis le 1er décembre 2012. Le COMEDS conseille le Comité militaire (chefs d’état-major), subordonné au Conseil de l’Atlantique Nord (chefs d’Etat ou de gouvernement). Il participe au processus de planification de défense et coordonne les politiques, doctrines, concepts, procédures, techniques, programmes et initiatives en matière de santé sur les théâtres d’opération. Ainsi, la construction des hôpitaux est définie entre toutes les nations participantes pour éviter de dupliquer les efforts déjà entrepris. Les mêmes équipes du COMEDS travaillent avec l’Agence européenne de défense. Par ailleurs, la France et l’Italie développent une approche modulaire des hôpitaux médico-chirurgicaux. En Afghanistan, a indiqué le médecin général Nédellec au cours d’une conférence presse à Paris le 6 décembre 2012, les 50 nations partenaires ont mis en œuvre 27 hôpitaux en multinational. Celui de Kaboul disposera de 142 personnels médicaux français jusqu’à la fin de 2014. En outre, le COMEDS détermine notamment les temps de prise en charge des blessés sur les théâtres d’opération. Les normes internationales se rapprochent du principe français, en vigueur depuis trois siècles et consistant à être au plus près des blessés. Actuellement, un blessé doit pouvoir être secouru dans les dix minutes par un autre soldat, assisté dans l’heure qui suit par un médecin et se trouver au bloc opératoire dans les deux heures. Pour une blessure psychique, le « ressenti » de chaque militaire, quoiqu’individuel, dépend aussi des règles d’ouverture du feu, variable selon les pays. En conséquence, la réflexion des psychiatres sur la définition d’un syndrome (association des différents signes) est différente selon la culture de chaque pays belligérant.

Loïc Salmon




Marine : des capacités à la hauteur des enjeux stratégiques

La défense du vaste espace maritime français nécessite, pour la Marine nationale, une coopération avec les pays limitrophes, en matière de surveillance et de contrôle, et de disposer de bâtiments capables de durer sur zone, quel que soit l’état de la mer, pour remplir des missions… qui peuvent changer en cours de route !

Une table ronde a été organisée sur ce sujet, le 17 octobre 2012 à Paris, par l’Institut des hautes études de défense nationale, le Centre d’études supérieures de la marine, la Fondation pour la recherche stratégique et le magazine Défense et sécurité internationale. Sont notamment intervenus : le contre-amiral Bruno Thouvenin, sous-chef d’état-major de la Marine chargé des plans et programmes, et le contre-amiral (2S) Jean-Marie Lhuissier, coordonateur sécurité et sûreté maritimes chez Thales (systèmes de défense).

Les enjeux. L’espace maritime français dans le monde, délimité par la zone économique exclusive (ZEE), s’étend sur 11 Mkm2. Environ 90 % des richesses se trouvent dans les départements et collectivités d’outre-mer : gaz, terres rares et pétrole. En effet, du pétrole sera extrait à grande profondeur au large de la Guyane d’ici deux ans. Le programme « Extraplac », géré par le secrétariat général à la Mer (rattaché au Premier ministre) vise à accroître la ZEE dans le cadre de la convention de Montego Bay. Déjà 74 pays ont demandé l’extension de la leur pour accéder davantage aux richesses du plateau continental. Les eaux autour des terres australes françaises (îles Kerguelen) abritent la « légine », un poisson très cher et apprécié des Américains et des Japonais. La souveraineté française sur les îles outre-mer de Clipperton, Eparses, Matthew et Hunter est aujourd’hui contestée. En métropole, il s’agit de sauvegarder et sécuriser les parcs éoliens situés près des côtes. Avions, navires et satellites assurent la surveillance de la ZEE. La pêche, le sauvetage en mer et la lutte contre la pollution dépendant d’administrations diverses avec leurs processus et culture propres, la coordination de la surveillance se fait en interministériel et avec des canaux de transmissions différents. Le partage des informations nécessite des canaux appropriés et des systèmes spécifiques pour les trier et les corréler, explique l’amiral Lhuissier. De même, pour la lutte contre les trafics illicites, il faut disposer d’outils capables de détecter les petites embarcations suspectes, qui se glissent entre les navires assurant des trafics tout à fait légaux. Enfin, la connaissance des activités maritimes repose aussi sur la performance des moyens navals des pays voisins. Or, il n’existe pas de « tuyaux de communication » entre la Grèce, l’Italie et la France. De son côté, l’Agence européenne de défense monte un projet sur des moyens de transmission entre les divers organismes européens de contrôle des pêches et de lutte contre la pollution, l’immigration clandestine et les trafics illicites. Cela devrait permettre une vision plus riche qu’aujourd’hui, en sécurisant le niveau des informations à partager.

Les capacités. Les distances sur la ZEE se comptent en centaines de milles marins (1.852 m), rappelle l’amiral Thouvenin. La permanence de la surveillance est assurée par le prépositionnement d’un bâtiment polyvalent, en complémentarité avec les satellites d’observation… qui ne peuvent repérer les sous-marins. La lenteur de la propagation acoustique sous la mer empêche la réalisation d’une couverture instantanée, comme celle, par radars, du Commandement de la défense aérienne et des opérations aériennes. Par ailleurs, en cas d’attaque contre la terre (Libye, 2011), le niveau d’interdiction de survol d’une zone peut changer chaque jour. Seul, un porte-aéronefs (avions ou hélicoptères) est capable de faire monter ou descendre la pression selon la gradation de la crise. L’avion de patrouille maritime Atlantique 2 permet de détecter les activités de conquête de petits pays voisins. Une intervention peut être ordonnée à un endroit précis, mais exclue ailleurs. Afin d’éviter les dommages collatéraux, il ne faut pas se tromper et le préciser à plusieurs reprises aux pilotes de chasse embarquée. En raison de son budget limité, la Marine doit pouvoir disposer, « au juste nécessaire », d’une architecture et d’équipements alliant : robustesse, de la conception à la réalisation puis au maintien en condition opérationnelle ; interopérabilité interarmées, puis coopération et mutualisation ; efficacité par la recherche, l’innovation et l’adaptation aux menaces ; souveraineté par le maintien des capacités industrielles critiques ; cyberdéfense. Ainsi, la réparation d’une panne de moteur sur une frégate antiaérienne, entrée en service il y a 25 ans, dure 10 heures, contre 2 heures sur une frégate multimissions. Parallèlement, l’équipage est passé de 250 personnes à 94 avec une meilleure optimisation des moyens. Mais, les deux familles de bâtiments vont servir ensemble pendant 10-15 ans. Par ailleurs, la Marine a réalisé des synergies avec l’armée de l’Air : formation de personnels, utilisation des mêmes équipements et maintenance en commun. Une synergie s’annonce possible pour la gestion future des drones à ailes fixes et tournantes. Selon l’amiral Thouvenin, les petites et moyennes entreprises constituent une richesse intellectuelle susceptible de répondre à un besoin particulier mais pas nécessairement pérenne. Par ailleurs, la coopération internationale portera sur les développements d’un système de guerre des mines identique avec la Grande-Bretagne et d’une torpille unique avec l’Italie ou l’Allemagne. Pour l’outre-mer, les remplaçants des bâtiments amphibies de transport léger n’étant programmés qu’à partir de 2017-2020, trois gros bâtiments de soutien civils seront acquis et gérés dans le cadre d’un programme interministériel, mais armés par la Marine nationale.

D’une façon générale, souligne l’amiral Thouvenin, la capacité d’un bâtiment de durer à la mer dépend de sa taille, s’il n’a pas de possibilité de ravitaillement à proximité. Des navires de 2.000-3.000 t de déplacement prépositionnés à l’entrée de la ZEE, doivent être capables de remplir les missions de reconnaissance, d’anticipation et de protection, même après une première intervention en haute mer.

Loïc Salmon

Les opérations, toujours en interarmées, nécessitent une capacité de brutalité et de précision de frappe dans la profondeur, en vue d’un résultat rapide. Un bâtiment de projection et de commandement, équipé de 16 hélicoptères capables de parcourir environ 4 km/minute, peut agir jusqu’à 200 km du rivage. Mais, un porte-avions, qui embarque 30 avions (15 km/minute), peut se positionner à plus de 900 km. En conséquence, les outils de puissance restent le porte-avions et… le sous-marin nucléaire d’attaque ! En effet, ce dernier peut, par sa capacité de renseignement (capteurs électroniques et optroniques), sa vitesse et son autonomie, couvrir des zones importantes. Il fait peser une incertitude sur la Marine et les ports militaires adverses, du fait de sa seule présence. Enfin, le déploiement de forces en mer n’entraîne aucune complication diplomatique.




Le sous-marin, composante fondamentale de l’action navale

Le sous-marin est une pièce maîtresse d’un dispositif interarmées. Toutefois, un sous-marin nucléaire d’attaque (SNA) dispose d’une énergie et d’une puissance très supérieure à un sous-marin à propulsion diesel-électrique.

L’emploi des submersibles a fait l’objet d’une table ronde organisée, le 18 décembre 2012 à Paris, par le Centre d’études supérieures de la marine. Y ont notamment participé : l’ingénieur général de l’armement Jacques Cousquer ; le vice-amiral d’escadre (2S) Thierry d’Arbonneau, ancien commandant des forces sous-marines et de la Force océanique stratégiques (FOST) ; le capitaine de vaisseau ® Hughes Eudeline ; le capitaine de vaisseau Xavier Mesnet, sous-directeur de Centre interarmées de concepts, doctrines et expérimentations.

Un emploi évolutif. Pendant la première guerre mondiale, les sous-marins diesel, mobiles et robustes, ont disposé d’une puissance de feu constituée de torpilles à courte portée, du mouillage offensif de mines et du canon. Mais l’attaque des voies maritimes d’approvisionnement a échoué en raison des hésitations du gouvernement impérial allemand, de l’efficacité du système allié de convois protégés par une escorte et enfin de la faiblesse des moyens de transmissions. Pendant la seconde guerre mondiale, les sous-marins ont encore eu pour mission de couper les flux d’approvisionnements de l’adversaire. En Atlantique, ce fut un nouvel échec de la Marine allemande. Elle a coulé 2.779 navires alliés, mais a perdu 88 % de ses 820 sous-marins opérationnels attaqués par les forces navales alliées : 800 escorteurs de haute mer, 2.250 escorteurs côtiers et 1.500 avions. En revanche, la guerre sous-marine fut un succès pour la Marine américaine dans le Pacifique. Elle n’a perdu que 18 % de ses 288 sous-marins, qui ont coulé 1.178 navires de commerce et 214 bâtiments de combat japonais. Pendant la guerre froide, la lutte anti-sous-marine est devenue prioritaire. Les SNA américains « pistaient » les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins nucléaires (SNLE) de l’URSS, tandis que les sous-marins soviétiques, équipés de missiles anti-navires, suivaient les porte-avions américains. Les sous-marins diesel-électriques de l’OTAN et ceux du Pacte de Varsovie se chassaient mutuellement. D’une manière générale, les sous-marins ont travaillé en coopération avec les avions de patrouille maritime et les forces navales de surface. Ils ont aussi participé à des opérations spéciales : renseignement sur zone, débarquement discret de commandos, sauvetage de pilotes d’avions abattus en mer, alerte antiaérienne avancée et espionnage ciblé sur les câbles de télécommunications. Pendant la guerre des Malouines (1982), en torpillant le croiseur argentin Belgrano, un SNA britannique a provoqué le retour à quai du porte-avions adverse 25-de-Mayo. Pendant la guerre du Kosovo (1999), la présence sur zone d’un SNA français a empêché la sortie de la flotte du Monténégro, qui n’a pu se rallier à la Serbie. Pendant l’intervention de l’OTAN en Libye (2011), des sous-marins américains et britanniques ont tiré plus de 120 missiles de croisière Tomahawk pour ouvrir la voie à une offensive aérienne. Des SNA français ont assuré une permanence sur zone pendant sept mois, détecté des petites vedettes par acoustique et guidé des hélicoptères de l’Aviation légère de l’armée de terre vers leurs cibles. En outre, des sous-marins britanniques, espagnols et turcs ont patrouillé au large de la Libye.

 Une menace grandissante. Aujourd’hui, la menace devient globale : maritime, aérienne et spatiale. L’interruption des trafics maritimes marchands aurait des conséquences graves sur l’économie mondiale. Malgré les forces qu’ils déploient, les Etats-Unis admettent qu’ils n’ont pas de capacité d’accès permanente à tous les théâtres d’opérations possibles. Sept pays renoncent actuellement à leurs forces sous-marines : le Danemark a désarmé 6 unités, la Serbie-Monténégro 8, la Croatie 1, la Roumanie toutes, la Bulgarie 4, la Libye 4 (+ 2 hors d’usage) et la Syrie 3. En revanche, le Japon, la Chine, les deux Corées, Taïwan, l’Australie, le Brésil, le Pakistan, l’Inde et l’Iran accroissent leurs flottes militaires et veulent se doter d’une composante sous-marine puissante. De son côté, Israël utilise ses sous-marins comme arme de dissuasion, en laissant entendre que leurs missiles de croisière pourraient atteindre des cibles vitales en Iran. La portée de ces missiles devra atteindre 800 km s’ils sont tirés du golfe Persique, mais devra être doublée s’ils doivent être tirés de la Méditerranée. La France, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis déploient leurs SNLE en Atlantique. « Les SNA font plus que du soutien aux SNLE, indique l’amiral d’Arbonneau, pas de crédibilité de la FOST sans SNA de qualité ! » Un SNA présent dans la zone d’un SNLE (capable désormais de signaler sa présence au central opérations de la FOST) collecte des renseignements acoustiques et les partagent. L’apprentissage du « pistage » de SNLE soviétiques, puis russes, par les SNA français a permis d’alimenter les SNLE français en renseignements. En Méditerranée, un SNA français acquiert des renseignements pour le long terme sur les Marines du Sud qui, quoiqu’encore peu performantes, naviguent de plus en plus. En mer Noire et en Méditerranée, il étudie les tactiques et les capacités des Marines américaine et russe En outre, il peut assurer un soutien au profit d’un théâtre terrestre et maintenir une présence sous la mer face aux sous-marins diesel (SMD) et patrouilleurs hostiles. Enfin un SNA français est déployé en océan Indien, où sévit la piraterie maritime. Capable d’intervenir sur un théâtre lointain, le SNA a une « employabilité » de trois à quatre fois supérieure à celle d’un SMD, car il peut rester trois à quatre semaines sur zone. La proportion de présence aux Proche et Moyen-Orient atteint un SNA pour 20 SMD de diverses nationalités. Aujourd’hui, seuls les cinq membres du Conseil de sécurité de l’ONU (Etats-Unis, Russie, Grande-Bretagne, France et Chine) maîtrisent la conception et la construction de sous-marins nucléaires. Enfin, l’outil technique que constitue le sous-marin en général ne suffit pas, il faut aussi une doctrine d’emploi !

Loïc Salmon

Selon la Direction générale de l’armement, 489 sous-marins armés étaient en service dans le monde en 2011 et répartis dans 42 flottes sous-marines, alors qu’il existe 189 Marines militaires. Par zones géographiques, la répartition était la suivante : Asie, Océanie et Extrême-Orient, 42 % ; Europe, 17 % ; Amérique du Nord, 15 % ;Russie et Communauté des Etats indépendants, 14 % ; Afrique subsaharienne, 6 % ; Amérique Centrale et du Sud, 5 % ; Afrique du Nord et Moyen-Orient, 1 %. La propulsion diesel a été mise au point en 1906, la propulsion nucléaire en 1955 et la propulsion indépendante de l’air (AIP) non nucléaire, permettant de rester en plongée pendant de plus longues périodes que celle par diesel, en 1989. Le premier sous-marin nucléaire lanceur d’engins (SNLE) a été mis en service en 1960 par la Marine américaine. En 2012, la France et la Grande-Bretagne disposent chacune de 4 SNLE et de 6 sous-marins nucléaires d’attaque (SNA).




Mali : la boucle du Niger contrôlée en 48 h par les forces franco-africaines

Les villes de Tombouctou et Goa ont été sécurisées les 26 et 27 janvier 2013 par une opération combinée avec des moyens terrestres et aériens, a indiqué l’Etat-major des armées (EMA) à la presse le 28 janvier. Cette opération, à laquelle ont participé des troupes françaises, maliennes, tchadiennes et nigériennes, a nécessité 6 avions de chasse Mirage 2000D, 6 Rafale, 2 Mirage F1 CR et 5 avions ravitailleurs C135. Un avion radar Atlantique 2 de la Marine nationale et des drones ont assuré le renseignement, notamment le visuel du déroulement de l’action. Le ciblage des cibles a été indispensable pour désorganiser le système de commandement et fragiliser la logistique des djihadistes. Il a fallu réactualiser le renseignement en permanence pour éviter de manquer les cibles, évaluer les dégâts et frapper éventuellement à nouveau. Les hélicoptères ont joué un rôle déterminant, a souligné l’EMA. Le bilan s’établit à environ 20 sorties aériennes, dont 6 de chasseurs, 20 bombes larguées, 15 bâtiments traités, 3 blindés, 1 pick-up et 1 groupe de djihadistes détruits. Des accrochages se sont produits entre les forces spéciales françaises et les djihadistes. Il n’y a pas de blessé ni de matériel endommagé du côté français. Le contrôle de la boucle du Niger avait pour objectif de stopper la progression des djihadistes vers le sud du Mali. Un avion de reconnaissance AWACS a également été mis en œuvre pour sécuriser l’aéroport de Tombouctou, afin d’interdire une infiltration adverse en provenance du nord. Un largage de parachutistes, sans marquage au sol, a précisé l’EMA, a eu lieu sur 1.800 m, les avions de transport tactiques Transall et Hercules se succédant en moins d’une minute. Le 30 janvier, l’EMA a confirmé le contrôle, par les troupes françaises, de l’aéroport de Kidal, ville située dans le nord du Mali, près de la frontière avec l’Algérie et refuge du groupe islamiste touareg malien Ansar Dine.

Fin   janvier, l’opération Serval a déployé 3.500 militaires français et 1.900 soldats africains. Les moyens aériens français mentionnés ci-dessus ont été renforcés par 5 avions cargos C17 (3 américains, 1 canadien et 1 britannique), 2 Hercules belges, 1 Hercules danois, 2 Transall et 1 avion de transport stratégique A310 allemands. Le bâtiment de projection et de commandement Dixmude a acheminé un PC tactique, un escadron de véhicules blindés de reconnaissance et d’appui feu AMX-10 RC et une compagnie de véhicules blindés de combat d’infanterie. Plus de 350 véhicules, dont plus de 150 blindés, et 13 hélicoptères ont été projetés au Mali. Des éléments des forces françaises pré-positionnées au Tchad et au Sénégal participent au dispositif.

Loïc Salmon




Union européenne : les défis stratégiques d’aujourd’hui

Les Etats membres de l’Union européenne (UE) se trouvent confrontés à une situation inédite : gérer l’incertitude et les crises immédiates… dans un monde brutalement transformé par les révolutions informatique et médiatique !

A l’occasion de la remise du prix Nobel de la paix à l’UE, le Conseil supérieur de la formation et de la recherche stratégiques (CSFRS), l’Institut des hautes études de défense nationale et l’Institut national de hautes études de la sécurité et de la justice ont organisé, le 11 décembre 2012 à Paris, plusieurs tables rondes sur les défis de l’Europe en matière de temps, de mutations et aussi de population (voir encadré). Le président du CSFRS, Alain Bauer, a défini la stratégie comme « l’art de mener les guerres, même quand elles ne sont pas militaires ». Il s’agit notamment des crises financières, économiques et interétatiques.

Le temps. Des attaques terroristes pourraient survenir contre les lieux de concentration d’outils complexes dans un espace restreint, d’après Noël Pons, conseiller auprès du Service central de prévention de la corruption. Les échanges financiers s’effectuent au moyen d’algorithmes et de logiciels, qui doivent se trouver auprès de sources d’énergie et des lieux d’opérations bancaires. Depuis avril 2012, l’unité de temps n’est plus la milliseconde, mais la nanoseconde (milliardième de seconde). Des gains financiers considérables sont possibles en profitant de cette rapidité, où l’intervention humaine a disparu, pour jouer sur les failles du système, compte tenu des sommes colossales engagées. L’effondrement des actifs de banques, d’entreprises ou d’Etats constitue un risque majeur, dû à l’informatique, sans oublier la fraude. Deux cas de « crash » se sont produits le 6 mai 2010 et le 8 août 2012, lorsqu’un logiciel, par suite d’une erreur humaine, s’est mis à vendre certains types d’actions, créant un coup de folie car les autres logiciels ont suivi, entraînant des pertes financières importantes. La régulation, indique Noël Pons, ne peut s’obtenir qu’en coupant l’électricité ! Sur un plan plus large, il préconise le renforcement de l’arsenal pénal pour lutter contre la fraude. Cela passe par : l’exigence de faire connaître les paramètres de ces robots pour détecter les flux financiers ; l’élaboration de logiciels de contrôle ; un taxe sur l’usage excessif de transactions, dont 95% ne correspondent pas à des ventes et achats réels et se chiffrent à 66.000 Md$, soit plus que l’économie réelle. De leur côté, souligne Antoine Frérot, président-directeur général de Veolia Environnement, les entreprises cotées en bourse sont écartelées entre la réalisation de projets à long terme et les réponses à donner, dans la journée, à la presse en cas de crise. Si celle-ci risque de ruiner la réputation d’une entreprise, elle permet aussi de révéler sa créativité en bouleversant ses méthodes de travail et favorisant l’innovation et la diversification pour préparer l’avenir. Les entreprises demandent du temps long au personnel politique… dont le temps se limite à la prochaine échéance électorale ! Au niveau de l’UE, les textes relatifs à une décision du Conseil européen… sortent un an ou 18 mois après !

Les mutations. Assurer la sécurité de l’individu dans toutes ses dimensions va de pair avec la globalisation et un seul événement nécessite plusieurs grilles de lecture, estime l’ambassadeur Eric Danon. La France met donc en œuvre plusieurs continuums. Le premier, « diplomatie/défense », avec des engagements militaires en opérations extérieures, s’inscrit dans les résolutions à l’ONU négociées par les diplomates (Libye et peut-être Syrie en cas d’emploi d’armes chimiques). Le deuxième, « diplomatie/sécurité », implique des négociations, contraintes et sanctions (l’Iran et son programme nucléaire militaire). Le troisième, « défense/sécurité/coopération » porte sur la capacité des militaires à exercer une influence dans d’autres pays par des actions de formation ou de simple présence : instruction des forces armées et de sécurité afghanes ou de militaires tanzaniens pour lutter contre la piraterie maritime. Il s’agit d’une approche préventive, adaptée au contexte d’aujourd’hui. La sécurité exigeant de travailler ensemble, la Direction des affaires stratégiques et la Coordination du renseignement œuvrent pour éviter le cloisonnement de l’information au sein des administrations françaises concernées. L’UE s’en remet à l’OTAN pour sa défense. Toutefis, elle a assuré des actions militaires et civilo-militaires dans les Balkans, en Afrique et au Moyen-Orient : 25 opérations en dix ans, dont 50 % civiles (police, actions humanitaires et surveillance pour faire respecter des accords internationaux). Au delà de l’action militaire, il s’agit de préparer l’après-conflit. Cette valeur ajoutée consiste à travailler sur l’ensemble du spectre de la gestion des crises. Il existe bien une politique étrangère européenne commune, constate l’ambassadeur, mais la volonté politique est absente. Aujourd’hui, aucun pays ne peut régler seul une crise. Un accord entre les 27 Etats membres donne la légitimité, mais il est encore difficile de passer à l’acte. « On dit le droit et la morale dans une logique nationale ou occidentale avec les Etats-Unis, mais pas européenne ». S’y ajoutent des lacunes dans les moyens opérationnels, la mutualisation des moyens et la capacité de déploiement lointain. Selon Eric Danon, le risque de décalage existe entre l’UE et les Etats-Unis, qui auront du mal à travailler avec elle dans la gestion des crises. Enfin, des acteurs, non étatiques, sont apparus : grandes entreprises (IBM, Google, Microsoft) et organisations non gouvernementales (Greenpeace, Amnesty International), capables d’influencer les réseaux dans lesquels ils agissent pour se faire entendre dans les affaires du monde.

Loïc Salmon

Selon Eurostat, avec une population de 503,7 millions d’habitants au 1er janvier 2012, l’Union européenne (UE) était derrière la Chine (1,3 milliard d’habitants) et l’Inde (1,2 milliard d’habitants), mais devant les Etats-Unis (315 millions d’habitants). D’après Catherine Withol de Wendel, démographe au CNRS, le succès du planning familial a fait baisser de 6 à 2,1 le nombre d’enfants par femme dans les pays musulmans. La moyenne d’âge atteint 25 ans au sud de la Méditerranée, contre 40 en Europe (28 il y a 50 ans). Celle-ci connaît deux phénomènes démographiques : sa population vieillit, mais les gens sont en meilleure santé qu’il y a 30 ans au même âge. Il s’ensuit une mobilité accrue vers le sud et aussi de l’est vers l’ouest depuis la chute du mur de Berlin (1989). L’UE reste un point de référence mondial, en raison de sa facilité d’accès et ses liens médiatiques. Cependant, elle ferme ses frontières, avec seulement 5 millions de « sans papiers » étrangers contre 12 millions aux Etats-Unis. En outre, elle déboute 80 % des demandes d’asile de réfugiés. Pourtant, elle dépend de la migration pour réguler son marché du travail. Sa politique migratoire, sujette aux aléas des sondages d’opinion, se trouve souvent en décalage avec la réalité des flux. Enfin, selon le criminologue Pierre Delval, 80 millions de personnes vivent au dessous du seuil de pauvreté en Europe.




Jean-Yves Le Drian : relancer l’Europe de la défense

« L’OTAN et l’Europe de la défense devraient fonctionner de concert » et l’Europe doit devenir « un acteur crédible pour défendre les intérêts communs, les zones où ils sont en jeu et les secteurs où ils sont menacés ».

Tel est l’avis du ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, qui s’est exprimé sur ce sujet à Paris le 5 décembre 2012, devant trois commissions de l’Assemblée nationale (Défense, Affaires étrangères et Affaires européennes), et le 11 décembre au cours des IIIèmes Assises nationales de la recherche stratégique organisées par le Conseil supérieur de la formation et de la recherche stratégiques (voir encadré).

Le ministre préfère parler « d’Europe de la Défense » plutôt que de « défense européenne », assumée aujourd’hui par les Etats membres avec l’aide des Etats-Unis dans le cadre de l’OTAN (clause d’assistance mutuelle du traité de Lisbonne 2007).

Constructions industrielle et capacitaire. L’Europe de la défense se construit de façon pragmatique et progressive par des coopérations structurées. L’Union européenne (UE), a insisté Jean-Yves Le Drian, doit « cesser d’être un consommateur de sécurité pour devenir un producteur de défense ». Elle doit consolider son industrie de défense en valorisant notamment les petites et moyennes entreprises, innovantes et compétitives au niveau international. Par ailleurs, les contraintes budgétaires de tous les Etats membres pourraient être compensées par une coopération accrue. Cela consiste à maintenir certaines capacités, en développer d’autres, éviter les duplications de capacités et d’outils industriels, accroître les interdépendances et parer au risque de déclassement stratégique. La France soutient les efforts de mutualisation et de partage capacitaire entrepris dans le cadre de l’Agence européenne de la défense (AED), y compris pour la conception des futurs programmes d’armement. Le Commandement européen de transport tactique (4 pays) est opérationnel depuis 2011. Onze dossiers sont en cours de traitement, dont celui du ravitaillement en vol (10 pays participants), le système d’information maritime Marsur, l’interopérabilité des communications tactiques, l’observation spatiale (France et Italie), les missiles sol/air et les drones. Un accord est intervenu entre l’AED, qui identifie les manques capacitaires et élabore les moyens d’y remédier, et l’Organisme conjoint de coopération en matière d’armement (OCCAR) qui se charge de l’acquisition. Cependant, des points de crispations subsistent au sein de l’UE. Ainsi, les groupements tactiques interarmes (GTIA) de 1.500 hommes, armés par des contributions volontaires d’un ou plusieurs Etats membres avec un tour d’alerte semestriel, ont été déclarés opérationnels en 2007. Mais aucun GTIA n’a encore été projeté, ce qui démotive les contributeurs éventuels, regrette Jean-Yves Le Drian. Ce dispositif permet pourtant à l’UE de disposer en permanence d’une force militaire de réaction rapide et déployable dans les dix jours suivant une décision politique.

Actions et opérations extérieures. « Nous devons tirer les enseignements du rééquilibrage des intérêts stratégiques américains vers la région Asie-Pacifique », a déclaré Jean-Yves Le Drian. En raison de la diversité, l’intensité et l’imprévisibilité des menaces ainsi que des tensions budgétaires des Etats membres, « l’Europe de la défense se présente à la fois comme une nécessité et comme une chance unique ». La sécurité commune inclut l’action militaire, la lutte contre les trafics, la formation en matière de police, le renseignement, la sécurité civile, la coopération sanitaire et l’aide au développement. Il s’agit de coordonner ces outils et d’élaborer une vision globale pour faire de l’UE un acteur reconnu des relations internationales. L’opération la plus efficace est maritime, à savoir « Atalante » dans la Corne de l’Afrique qui mobilise six bâtiments et quatre avions de surveillance pour lutter contre la piraterie, dont le taux de réussite des attaques a fortement diminué. La mission EUCAP-Nestor aide les pays riverains à se doter de moyens maritimes et juridiques. Les accords de Lancaster House cadrent la coopération (exercices communs et accords sur les drones notamment) avec la Grande-Bretagne, qui peut participer aux initiatives du groupe « Weimar + » (France, Allemagne, Pologne, Italie et Espagne). Ce groupe débat depuis longtemps de la génération de forces européennes pour les Balkans et réfléchit au rôle que pourrait jouer l’Europe dans une stratégie de sortie de crise en Syrie. Malgré la réserve que lui impose sa Constitution en matière d’intervention et de projection, l’Allemagne s’est montrée active dans l’initiative européenne sur le Mali. La question est en effet européenne car, à terme, la sécurité de l’Europe pouvait être menacée. La politique française au Sahel repose sur deux piliers, a indiqué le ministre : lutter contre le terrorisme et trouver une solution politique avec les groupes du Nord Mali, à condition que ceux-ci rejettent le terrorisme et l’idée d’une partition du Mali. Il s’agira d’une intervention européenne en soutien de la reconstitution de l’armée malienne, laquelle devrait participer à l’action que mèneront les pays de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et de l’Union Africaine en fonction d’objectifs validés par l’ONU (1). Enfin, sur un plan plus général, la Commission européenne a installé un groupe de travail sur la défense qui rendra ses conclusions mi-2013. De son côté, le Conseil européen tente d’aboutir à un dispositif avant la fin de 2013.

Loïc Salmon

(1) Le 20 décembre, le Conseil de sécurité a autorisé, à l’unanimité, le déploiement pour au moins un an d’une force militaire africaine dans le nord du Mali, aux mains des rebelles touaregs et d’islamistes depuis avril 2012. Il autorise aussi l’UE et d’autres pays membres de l’ONU à participer au renforcement des forces de sécurité maliennes. L’UE apportera un soutien en matière de formation estimé à 400 militaires, dont 200 formateurs.

Le Conseil supérieur de la formation et de la recherche stratégiques (CSFRS) est un groupement d’intérêt public constitué de l’Etat (plusieurs ministères, dont ceux de la Défense, des Affaires étrangères et de l’Intérieur), d’acteurs de la recherche et de la formation (Institut des hautes études de la défense nationale, Institut national des hautes études de sécurité et de la justice, CNRS, HEC Paris, l’ENA et l’Université de technologie de Troyes) ainsi que d’entreprises (Sanofi Aventis, EADS, Euro RSCG, EDF, Total, SNCF, Caisse des dépôts, Safran, Veolia Environnement, le Groupe La Poste et la RATP). Il a comme partenaires l’Agence française de développement et Renault. Le CSFRS encourage les projets d’études, de recherche et de formation en matière de sécurité et de défense. Les Assises de la recherche stratégique rassemblent plus de 500 chercheurs, formateurs, responsables ministériels, journalistes et directeurs du risque ou de la prospective. Les deux premières ont eu lieu en 2010 et 2011.




Mali : obsèques nationales pour le premier tué de l’opération Serval

Le 15 janvier 2013 aux Invalides (Paris), le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, a présidé la cérémonie d’hommage national au lieutenant Damien Boiteux, mortellement blessé le 11 janvier lors du déclenchement de l’opération « Serval » au Mali. Le lieutenant Boiteux, chef de bord d’un hélicoptère de combat au 4ème Régiment d’hélicoptères des forces spéciales de l’armée de Terre, a été promu au grade supérieur et fait chevalier de la Légion d’Honneur à titre posthume. Le même jour, le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, a expliqué à la presse le pourquoi et le comment de l’opération Serval, lancée moins de cinq heures après l’ordre du président de la République, François Hollande, à la suite de la résolution 2085 du Conseil de sécurité de l’ONU. « Le Mali, dit-il,  fait face à une « agression caractérisée, organisée et coordonnée » du mouvement islamiste Ansar Eddine et des groupes terroristes Aqmi et Mujao. Selon le ministre, ceux-ci avaient déployé dans le nord du pays environ 200 véhicules et 1.200 combattants pour s’emparer de la capitale Bamako et anéantir l’armée malienne avant l’intervention de la force internationale de soutien au Mali (Misma) et la mission européenne de formation militaire (UTM Mali). La réaction militaire française poursuit trois objectifs : arrêter l’offensive des mouvements terroristes et les empêcher de menacer l’Etat malien ; préserver et retrouver l’intégrité et la souveraineté du Mali ; faciliter la mise en œuvre des décisions internationales et en accélérer le tempo pour les forces africaines et européennes. Pour cela, les forces françaises doivent remplir quatre missions : aider les forces maliennes à arrêter la progression de l’adversaire vers le sud par des frappes aériennes (avions et hélicoptères) et le déploiement d’éléments terrestres ;  frapper dans la profondeur (actions aériennes) les bases arrière adverses pour empêcher toute nouvelle offensive ; envoyer un signal fort de soutien au gouvernement malien de transition et assurer la sécurité des ressortissants français et européens ; préparer les conditions nécessaires à l’organisation et l’intervention de la Misma (commandée par un général nigérian) et de l’UTM Mali. Au 15 janvier, l’opération Serval avait déjà mobilisé 1.700 militaires dont 800 au sol, des avions Atlantique (renseignement et guidage de frappe), 12 avions de chasse (Rafale et Mirage 2000), 5 avions ravitailleurs et 5 avions de transport tactique (C-130 et C-160). Le dispositif au sol, qui compte une cinquantaine de véhicules blindés, devrait monter en puissance, a indiqué le chef d’état-major des armées, l’amiral Edouard Guillaud, présent à la conférence de presse. Enfin, le ministre, qui a reçu des offres d’assistance des pays européens et du Canada (transport et soutien santé) et aussi des Etats-Unis (renseignement et logistique), a souligné « qu’il s’agit d’une mission importante qui se mènera dans la durée aux côtés des forces maliennes et africaines et aux côtés de la mission européenne de formation ».

Loïc Salmon




GMP : rôles opérationnel, civilo-militaire et de rayonnement

Le gouverneur militaire de Paris (GMP) participe à l’organisation territoriale interarmées, à la sécurité en Ile-de-France et au rayonnement des armées, dont il doit valoriser aussi le patrimoine.

Titulaire de la fonction, le général de corps d’armée Hervé Charpentier a reçu l’Association des journalistes de défense le 17 octobre 2012 à l’Hôtel national des Invalides.

Responsabilité opérationnelle. L’Ile-de-France accueille la Brigade des sapeurs pompiers de Paris et le 121ème Régiment du train de Montlhéry. En outre, le plan « Vigipirate » contre la menace terroriste mobilise en permanence 1.000 hommes sur le territoire, dont 600 à Paris. Chaque détachement effectue une préparation de 10 jours avant d’être déployé pendant 10 à 15 jours pour effectuer des patrouilles (20 km dans la journée) dans le métro, les gares et les sites touristiques majeurs (Tour Eiffel, Louvre, Beaubourg et château de Versailles). Les soldats observent des règles d’engagement très précises, doivent garder l’initiative et sont accompagnés de policiers pendant les heures de pointe (7h-9h et 18h-20h). Déjà, 13.000 hommes sont passés à Paris dans ce cadre. En complément, le GMP envisage de créer un bataillon de réserve pour l’Ile-de-France, dont l’état-major sera installé au fort de Vincennes. Les unités élémentaires, qui monteront en puissance, constitueront un renfort opérationnel pour relever les troupes d’active et guider, dans Paris, quelque 10.000 soldats appelés en cas de crise. En tant qu’officier général de la zone de défense et de sécurité, le GMP doit assurer, en coordination avec les services de police, de la sécurité civile et de la Ville de Paris, le plan de résilience de l’Etat dans la durée en cas de catastrophe naturelle, dont notamment une crue majeure de la Seine (voir rubrique « Archives » : « Crises : prévention et gestion en Ile-de-France » 6-6-2012).

Hommage et solidarité. La nation rend un hommage national à ses armées le 14 juillet, avec la mise en valeur des blessés, et le 11 novembre, pour les tués en opérations. A Paris, le défilé mobilise 5.000 militaires, 500 véhicules et 50 aéronefs, auxquels s’ajoutent 1.000 personnels de soutien. En fonction de l’actualité, le GMP préside des prises d’armes aux Invalides avec remise de décorations. En outre, les morts en opérations ont désormais droit à un hommage civil sur le pont Alexandre III, où passe le convoi mortuaire, puis à un hommage plus intime pour les familles dans la cour d’honneur des Invalides. A cette occasion, le chef d’Etat-major, en général de l’armée de Terre en raison du conflit en Afghanistan, épingle la croix de la Valeur militaire et éventuellement la Médaille militaire sur le catafalque. Cette cérémonie est poignante. « L’horreur devient réalité », souligne le GMP, qui reçoit longuement les familles. La fermeture du cercueil de chaque tué se fait devant sa famille proche : « C’est indispensable pour écrire cette première page de deuil ». Enfin, le président de la République peut décider un hommage national dans la garnison d’origine ou aux Invalides. Par ailleurs, une « Maison des blessés » sera établie à Bercy pour accueillir 70 membres de leur famille dans 5 appartements et 6 studios. Parallèlement, l’organisation d’événements privés dans l’enceinte des Invalides permet de récolter des fonds pour l’association d’entraide « Terre Fraternité » et la « Cellule d’aide aux blessés de l’armée de terre », directement rattachée au GMP.

Retour d’expérience. Le général Charpentier, qui a dirigé les Forces terrestres pendant deux ans avant sa présente affectation, a répondu à diverses questions sur le conflit en Afghanistan. Environ 60.000 militaires de l’armée de Terre, dont tous les personnels des régiments d’artillerie et 95 % de ceux d’infanterie, ont participé à cet engagement « exceptionnel » et « emblématique », après trente ans de paix ou de violence limitée. Toutefois, précise le général, « il ne doit pas être le théâtre de référence pour préparer l’avenir ». En Afghanistan, les militaires français ont vécu à des milliers de km de la France avec des moyens très développés, pour ne pas se trouver démunis en cas de surprise. Ils y ont connu le retour aux fondamentaux, à savoir l’école du combattant. L’accrochage commence à la sortie de la base et les patrouilles durent six mois sur les mêmes lieux. Beaucoup d’officiers ont servi de 6 à 17 mois dans des états-majors américains et les meilleurs sous-officiers et soldats dans les « équipes de liaison et de tutorat opérationnel » (OMLT en anglais) pour l’instruction et l’entraînement de l’armée nationale afghane. Il s’agit de capitaliser cette expérience riche en réactivité, urgence opérationnelle et nécessité d’avoir un temps d’avance. « Pour nous, soldats, l’Afghanistan est loin d’être un échec », insiste Hervé Charpentier. En dix ans, les effectifs déployés sont passés progressivement à 4.000 personnels. La planification a été la plus compliquée à faire prendre en compte. Mais, les Alliés ont reconnu « la qualité du soldat français et la crédibilité de la chaîne de commandement », souligne le général, « pour les soldats, c’est le sentiment de la mission accomplie ».

Loïc Salmon

Le général de corps d’armée Hervé Charpentier, entré à Saint Cyr en 1975, choisit l’infanterie de marine à l’issue de sa scolarité. Titulaire du brevet d’études militaires supérieures (1993), il est auditeur du Centre des hautes études militaires et de l’Institut des hautes études de défense nationale (2002). Au cours de sa carrière au sein de régiments parachutistes, il participe à diverses opérations : « Barracuda » en République centrafricaine (1979) et « Saintonge » au Nouvelles-Hébrides (1980) comme chef de la section des chuteurs opérationnels ; « Diodon 4 » au Liban (1983) comme officier des renseignement ; « Manta Echo 3 » au Tchad (1984) ; « Turquoise » au Rwanda (1994) ; « Balbuzard Noir» en ex-Yougoslavie (1995). Il a notamment commandé le 6ème Bataillon d’Infanterie de marine au Gabon (1997), la 9ème Brigade légère blindée de marine (2005), l’Ecole d’application de l’infanterie (2007) et les Forces terrestres (2010). Membre du cabinet militaire du ministre de la Défense de 2002 à 2004, il est nommé gouverneur militaire de Paris, officier général de zone de soutien de Paris et officier général de la zone de défense et de sécurité de Paris le 1er août 2012. Titulaire de la croix de la Valeur militaire avec trois citations, le général Charpentier est commandeur de la Légion d’Honneur et de l’Ordre national du Mérite.




Des Aigles et des Hommes : sur les traces de la Grande Armée

Deux siècles après la campagne de Russie, une exposition au château de Vincennes, intitulée « Des Aigles et des Hommes », retrace l’épopée de la Grande Armée de 1805 à 1812, avec son cadre institutionnel, son fonctionnement et l’expérience de la guerre vécue par ceux qui ont fait l’Empire.

Origine. Cette armée, qui se battra dans toute l’Europe, voit le jour en 1798 avec la loi Jourdan-Delbrel de 1798, qui institue la conscription. En 1803, Bonaparte, Premier Consul, envisage d’envahir l’Angleterre et rassemble 164.000 hommes dans les camps de Bruges, Montreuil, Saint-Omer et Boulogne. Deux ans plus tard, le 29 août 1805, cette « armée des côtes de l’Océan » prend le nom de « Grande Armée » et lève discrètement le camp pour traverser l’Europe et vaincre la coalition  austro-russe à Austerlitz le 2 décembre de la même année. C’est son baptême du feu. Un document autographe de Napoléon relate cette bataille, la plus glorieuse de son règne : « Soldats, il vous suffira de dire : j’étais à la bataille d’Austerlitz pour que l’on vous réponde : voilà un brave ». Auparavant, le Premier Consul a choisi et institué l’Ordre de la Légion d’Honneur (19 mars 1802) et en a distribué les premiers insignes à l’Hôtel des Invalides le 14 juillet 1804,  quelques mois avant son sacre. Cette récompense, destinée aux militaires et aux civils qui se sont distingués, devient très populaire. Elle sera attribuée à 38.163 titulaires jusqu’à la chute de l’Empire en 1815. Par ailleurs, l’aigle romaine est devenue l’emblème officiel du nouveau régime politique et…  de l’armée qui l’arbore sur la hampe de ses drapeaux !

Histoire. Synonyme de l’armée française sous l’Empire, la « Grande Armée » ne désigne en fait qu’une partie des troupes impériales, de 1805 à 1808 puis de 1811 à 1814. Répartie en corps d’armée, elle s’illustre pendant les campagnes de 1805, 1806 et 1807 et perd cette appellation en 1808 par un décret, qui la place sous les ordres du maréchal Davout. Ainsi, dans la péninsule ibérique, l’armée impériale est désignée comme « armée d’Espagne », même quand Napoléon en prend le commandement de novembre 1808 à février 1809. Elle devient « armée du Rhin », quoique commandée par l’Empereur en personne, pendant la campagne de 1809 en Europe continentale jusqu’au traité de Vienne. Finalement, dans une correspondance datée du 15 février 1811, Napoléon manifeste sa volonté d’organiser à nouveau, en prévision de la campagne de Russie, une « Grande Armée » constituée de trois armées différentes, où se côtoient plus de vingt nations et peuples européens : 50 % des effectifs sont composés d’étrangers… considérés comme « français » de fait. Vaincue, mais reconstituée pour affronter les troupes de la sixième coalition (Grande-Bretagne, Russie, Autriche, Prusse et quelques Etats allemands), la Grande Armée se distingue pendant les campagnes d’Allemagne (1813) et de France (1814). Elle disparaît avec l’exil de l’Empereur à l’île d’Elbe. Pendant les Cent-Jours, Napoléon ne commande qu’une « armée du Nord », qui sera défaite à Waterloo.

Organisation. L’exposition met en lumière les hommes et la vie militaire au sein de la Grande Armée : archives, dessins et même un tambour évoquant les parcours des combattants et le quotidien des « grognards », avec l’exaltation des victoires et la détresse des revers à partir de 1812. Sont aussi évoquées l’organisation et l’administration de l’énorme machine militaire, où les états-majors travaillent dans l’ombre des maréchaux. La « Garde impériale », qui regroupe les combattants d’élite, restera une unité de réserve qui ne combattra vraiment que pendant la campagne de France. Six cents de ses membres accompagneront l’Empereur à l’île d’Elbe. En campagne, la Grande Armée élève des fortifications, jugées indispensables par Napoléon pour assurer la projection des forces et la maîtrise de leurs lignes de communications. Le renseignement revêt une importance primordiale. En effet, la stratégie napoléonienne impose la remontée rapide et la centralisation des informations. Les opérations nécessitent une connaissance très fine de l’espace de bataille et la production de cartes précises et tenues à jour. Les ingénieurs géographes dépendent du Dépôt de la Guerre en temps de paix et du service topographique de la Grande Armée pendant les campagnes. Les officiers du génie participent également à l’élaboration des cartes. En temps de paix, les reconnaissances permettent de collecter des informations pour connaître la géographie physique et humaine du théâtre des opérations. En temps de guerre, elles servent à déterminer la position des armées ennemies et leurs itinéraires. Elles sont complétées par les interrogatoires des prisonniers de guerre et des civils. Les renseignements recueillis au niveau des unités et des bureaux de « partie secrète » des états-majors des corps d’armée remontent au grand quartier général, lui-même doté d’un service topographique. De son côté, l’Empereur dispose de son propre cabinet topographique, d’interprètes et…même d’un bureau de statistiques à partir de 1812. Bien entendu, les transmissions étaient cryptées. Quand il avait intercepté des estafettes, l’ennemi tentait de casser le code… qui avait déjà changé quand il y parvenait.

Héritiers de la fougue des combattants révolutionnaires et guidés par le génie militaire de leur chef, les soldats de la Grande Armée ont mené leurs aigles de victoire en victoire, dont les noms inscrits sur leurs drapeaux… font désormais partie du roman national !

Loïc Salmon

L’exposition « Des Aigles et des Hommes » se tient au pavillon du Roi dans le château de Vincennes (banlieue parisienne) du 29 novembre 2012 au 24 février 2013. Elle est organisée par la Direction de la mémoire, du patrimoine et des archives et le Service historique de la défense, en collaboration avec le musée de l’Armée, l’Etablissement de communication et de production audiovisuelle de la défense, l’Institut de recherche stratégique de l’Ecole militaire, le musée Carnavalet (Ville de Paris) et la Fondation Napoléon. En marge de l’exposition, les conférences suivantes sont prévues au pavillon de la Reine : « Le recrutement de la Grande Armée » (12 décembre) ; « La proclamation d’Austerlitz » (19 décembre) ; « La symbolique impériale et son héritage » (9 janvier) ; « La campagne de Russie » (16 janvier) ; « La correspondance de Napoléon » (23 janvier 2013) ; « Les campagnes de la Grande Armée dans l’œuvre des artistes du Dépôt de la Guerre » (30 janvier) ; « Napoléon et l’Europe » (6 février). Renseignements : www.servicehistorique.sga.defense.gouv.fr